Texte intégral
L'environnement est un déterminant majeur de la santé. La pollution dégrade la nature et la santé mais la nature peut réparer la santé. Pour le pire et pour le meilleur.
Pour le pire : sa dégradation entraîne des atteintes parfois très graves et influe sur les 4 principales causes de mortalité : maladies cardio-vasculaires, cancers, affections respiratoires, troubles neuro-développementaux. L'érosion de la biodiversité et de ses effets régulateurs favorise la transmission à l'humanité de maladies infectieuses d'origine animale, les risques épidémiques et la prolifération des espèces invasives, qu'accélère la mondialisation des échanges.
Mais aussi pour le meilleur : un environnement sain, ménageant des contacts avec la nature et valorisant une biodiversité riche, est un facteur avéré de prévention des maladies et un outil thérapeutique efficace.
L'amélioration de la qualité sanitaire de notre environnement stimule aussi l'essor de la chimie verte, cette filière d'avenir qui met au point des molécules, matériaux et procédés écologiques. Elle peut contribuer à réduire la surconsommation médicamenteuse, la dérive des coûts et les pollutions qui en résultent : les Français achètent, en moyenne, 58 boîtes de médicaments par an, soit presqu'une boîte par semaine, dont seule la moitié est utilisée, une petite fraction retournée en pharmacie et tout le reste jeté, avec des effets démontrés sur la contamination des eaux (que les stations d'épuration peinent à traiter) et de la chaîne de l'alimentation.
* Le moment est venu d'une approche globale et intégrée de « santé publique environnementale »
I.- La nature a toujours fait fonction de pharmacie à ciel ouvert, des plantes médicinales des Anciens et du Jardin des Simples médiéval aux dernières découvertes de la bio-inspiration. Nous lui devons, par exemple, la morphine anti-douleur, l'aspirine venue du saule blanc, les premiers anti-cancéreux tirés de la pervenche de Madagascar et de l'if du Pacifique. Aujourd'hui encore, l'écrasante majorité de nos médicaments provient, directement ou indirectement, de la nature.
Les avancées conjuguées de la chimie et de la biologie ont permis l'essor de la médecine moderne et de fantastiques progrès. Mais la technicité médicale croissante a eu tendance à faire l'impasse sur les déterminants environnementaux de la santé humaine, à se centrer sur l'idéal d'un corps individualisé vainqueur des maladies et à privilégier l'acte du spécialiste sur un organe ciblé.
II.- L'expérience des dégâts à la fois environnementaux et sanitaires de nos façons de produire, industrielles et agricoles, de notre modèle énergétique et de nos modes de vie a amorcé une prise de conscience dont nous pouvons aujourd'hui tirer toutes les conséquences pour agir plus efficacement car nous mesurons mieux les inter-relations multiples entre santé et environnement, santé et biodiversité.
Nous savons, par exemple, la nocivité des pesticides, raison pour laquelle j'ai décidé, avec le Ministre de l'Agriculture, l'interdiction de leur épandage aérien à compter de la fin 2015, l'encadrement de leur épandage terrestre à proximité des lieux accueillant un public sensible (écoles notamment), et la fin de leur utilisation par les collectivités locales, à partir du 1er janvier 2017, dans les espaces verts et jardins publics, et lancé le programme « Terre Saine, villes et villages sans pesticides », généralisant l'action conduite en Poitou-Charentes. Ces décisions stimulent l'innovation technologique : des industriels français ont mis au point, en prévision du marché qui s'ouvre, des machines à désherber écologiques, solutions alternatives aux pesticides.
Nous allons pouvoir aller plus loin.
Nous savons que la qualité de l'air est un enjeu sanitaire majeur. En France, les micro-particules issues notamment des moteurs diésel causent, chaque année, 42.000 décès prématurés. C'est pourquoi la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte prévoit des mesures concrètes pour développer les transports propres (avec notamment l'exemplarité des flottes publiques, l'implantation de bornes de recharge pour les véhicules électriques, une prime au remplacement des vieux véhicules diésel par des voitures électriques ou hybrides) et pour développer l'économie circulaire réductrice des émissions polluantes.
Des outils de gestion de la qualité de l'air intérieur seront développés d'ici la fin 2014 pour les lieux accueillant des enfants. Nous allons également mieux prévenir les risques d'allergie aux pollens et de cancers dus aux émissions de fibres d'amiante, naturelles ou provoquées par les chantiers.
Nous savons les dangers de l'exposition aux perturbateurs endocriniens : augmentation de la stérilité masculine, cancers testiculaires, malformations des parties génitales, troubles de la croissance, vulnérabilité particulière des femmes enceintes et des jeunes enfants. Ces substances, en particulier les phtalates, sont omniprésentes : dans les plastiques, les détergents, les cosmétiques, les textiles, les matériaux de construction, les peintures, les emballages alimentaires, etc. La stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens a conforté l'interdiction du bisphénol A pour les biberons et les matériaux au contact des denrées alimentaires. Et j'ai créé un label pour les tickets de caisse « sans bisphénol A ». La France propose la généralisation de cette interdiction et va approfondir la recherche sur les substances susceptibles d'interférer avec la régulation hormonale (5 nouvelles substances évaluées chaque année) afin de mieux protéger la santé et de faire de la France un pays moteur de l'adoption par l'Europe de règles plus protectrices.
Nous savons que le bruit est le 2ème facteur environnemental de dommages sanitaires : troubles auditifs, pertes de sommeil, anxiété, risques cardiaques, stress dangereux pour les femmes enceintes, déconcentration scolaire des enfants, irritabilité et agressivité. 86% des Français déclarent être gênés par le bruit (de la circulation, du voisinage).
En Ile de France, une étude a montré que les femmes vivant dans des environnements bruyants consomment 3 fois plus d'anxyolitiques.
C'est pourquoi, lors du dernier Conseil national du bruit, j'ai annoncé trois mesures concrètes pour améliorer la connaissance et la qualité de notre environnement sonore :
- une application disponible sur le site Internet du Ministère de l'Ecologie, comportant 15 critères que chacun pourra mesurer pour évaluer le bruit dans son logement ;
- la publication d'un guide pour améliorer l'acoustique des crèches et des écoles car la prévention des agressions sonores doit devenir partie intégrante de l'éducation des plus jeunes à la citoyenneté environnementale et au respect d'autrui ;
- l'élaboration de la carte des points noirs des axes routiers et l'accélération des travaux de protection des riverains pour les infrastructures de l'Etat et de ses établissements.
Nous allons pouvoir, avec la Ministre de la Santé, approfondir ce travail de prévention et de protection dans une double perspective de santé publique et de civilité.
III.- Je ne ferai pas ici l'inventaire détaillé des actions que nous allons également initier contre la contamination des sols, les risques potentiels des nanomatériaux et des ondes électromagnétiques, pour la reconquête de la qualité de l'eau potable.
Sur tous ces sujets, le Plan national Santé-Environnement 2015-1019, les 10 actions concrètes et immédiates qui l'accompagnent ainsi que les travaux de la très prochaine Conférence environnementale sur les effets pour la santé de la biodiversité, de la qualité de l'air, de la réduction du bruit et de substances chimiques toxiques très présentes dans la vie quotidienne vont nous permettre de compléter nos connaissances, d'accélérer l'action, de mobiliser les laboratoires, les entreprises et les territoires, de mettre des informations utiles à la disposition de tous les citoyens, acteurs indispensables du grand chantier de la santé environnementale.
IV.- La qualité environnementale n'est pas un adjuvant accessoire des politiques de santé publique mais une condition déterminante de leur efficacité
2 remarques pour conclure.
1ère remarque : la nature peut être notre 1er outil de prévention et notre 1ermédicament, comme le montrent les bienfaits pour la santé de sa présence en ville et les bénéfices thérapeutiques des jardins en milieu hospitalier. De nombreux travaux attestent que les personnes vivant à proximité d'un espace vert sont en meilleure santé : c'est l'effet « vitamine G » (vitamine green), en français « vitamine verte ». Les parcs améliorent la qualité de l'air en ville, les arbres apaisent et permettent de se ressourcer (François Mitterrand, Aimé Césaire et Hubert Reeves ont écrit des pages magnifiques sur les apports de la compagnie des arbres). Les jeux des enfants dans les espaces verts sont plus interactifs et sollicitent davantage les capacités cognitives et émotionnelles.
Mieux : les jardins soignent. Leurs effets réparateurs accélèrent les convalescences post-opératoires, diminuent la durée des séjours hospitaliers, l'anxiété due à l'hospitalisation et la consommation d'antalgiques, comme on le constate dans les établissements qui y ont recours en pédiatrie, en gériatrie, en soins anti-cancéreux ou palliatifs.
Une enquête menée dans 992 unités spécialisées dans le traitement de la maladie d'Alzheimer a montré que ces « jardins thérapeutiques », encore trop peu nombreux, ont des effets particulièrement bénéfiques : les troubles du comportement reculent, les malades retrouvent des repères temporels (en suivant la succession des saisons avec la transformation des plantes) et des repères sensoriels, les relations avec le personnel soignant sont plus harmonieuses.
C'est pourquoi le Ministère de l'Ecologie soutient, en coopération avec les collectivités territoriales, l'implantation et la valorisation des espaces naturels en ville. Un bilan des connaissances sur ce sujet permettra d'identifier les pistes les plus prometteuses d'aménagements d'espaces de nature au bénéfice de la santé.
En nous inspirant directement de belles expériences comme celle conduite, par exemple, au CHU de Nancy avec son jardin « Art, mémoire et vie » ou à Paris par le Centre Robert Doisneau-Fondation Sainte Marie et de la démarche mise en valeur par la journée organisée en septembre dernier « Un jardin pour ma mémoire », nous allons, avec la Ministre de la Santé, généraliser ces jardins thérapeutiques dans tous les établissements qui traitent des patients atteints de la maladie d'Alzheimer.
2ème remarque, pour finir : les interactions, négatives mais aussi positives, entre santé et environnement nous conduisent à un véritable changement de paradigme sanitaire. L'être humain, la médecine occidentale l'a parfois oublié, est un être de relations non seulement sociales mais environnementales. Partie intégrante de la chaîne du vivant, il est, pour son équilibre physiologique et psychologique, étroitement tributaire de ses contacts avec la nature et de la richesse de la biodiversité autour de lui.
Nous vivons et vivrons de plus en plus dans des villes, milieux artificialisés par excellence, où la nature doit à nouveau avoir droit de cité : c'est une question majeure de salubrité et de santé publiques. Nous ne pouvons accepter que des enfants grandissent privés de tout contact avec des espaces naturels.
En milieu urbain, péri-urbain et rural, une approche intégrée de la santé environnementale doit désormais combiner prévention des atteintes à l'environnement et de leurs conséquences sur la santé, lutte contre les pollutions directes et diffuses, programmes sanitaires et thérapeutiques faisant appel à la nature, maîtrise de certains effets pervers du « tout chimique » - « tout bactéricide » et leçons à tirer du développement de l'antibiorésistance (menace majeure car elle rend inefficaces nombre de nos médicaments humains et traitements vétérinaires ou agricoles, causant actuellement en Europe environ 25.000 décès par an).
Il s'agit désormais de mobiliser largement autour de ces enjeux, en favorisant l'implication de tous les citoyens dans les décisions, en lançant des appels à projets pour le soutien des initiatives locales, en déclinant le plan national Santé-Environnement à l'échelle régionale, en mettant en place des outils pour aider les collectivités territoriales à agir, en développant l'information, la sensibilisation, l'éducation et la formation aux relations imbriquées de la santé avec l'environnement. Un portail Internet mettra en valeur les réalisations locales les plus innovantes et favorisera leur diffusion.
Avec la transition énergétique et la croissance verte, l'écologie sanitaire et la chimie verte accélèrent (c'est une bonne nouvelle) le changement global de notre modèle de développement et de société.
De la santé désormais comprise comme indissociable de l'environnement, on pourrait dire ce que Robert Barbault, biologiste et écologue, disait de la biodiversité : il s'agit de passer de la dualité de l'humanité et la nature à une conception qui inscrit les êtres humains dans la nature, non seulement grande pourvoyeuse de médicaments en tous genres mais partenaire nécessaire de notre bien-être et de nos politiques de santé.
Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 18 novembre 2014