Interview de Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'Etat à la famille, aux personnes âgées et à l'autonomie à RMC le 19 novembre 2014, sur les droits des enfants, la maltraitance et les châtiments corporels.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral


CHARLES MAGNIEN
RMC, 07h43. Votre invitée, Jean-Jacques BOURDIN, Laurence ROSSIGNOL, secrétaire d'Etat chargée de la Famille.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Laurence ROSSIGNOL, bonjour.
LAURENCE ROSSIGNOL
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci. Demain c'est la Journée internationale des droits de l'enfant, et à cette occasion, eh bien hier soir vous avez prononcé un discours sur ce 25ème anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant. 18 pays membres de l'Union européenne ont déjà interdit les châtiments corporels. Le dossier est une nouvelle fois ouvert, Laurence ROSSIGNOL, doit-on aller jusqu'à interdire en France, les châtiments corporels sur les enfants ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ecoutez, l'interdiction et le Code pénal, ne sont pas mon sujet. Ce que je cherche à faire, c'est à ce que nous discutions, et je vous remercie d'ailleurs de votre invitation, parce qu'elle permet de partager des réflexions, que nous nous interrogions sur la place des punitions corporelles dans l'éducation, sur les conséquences pour les enfants, et que ce sujet ne soit pas un sujet, un non sujet. Je vais donner deux exemples. Le premier c'est qu'en tant que secrétaire d'Etat chargée de la Famille et de l'Enfance, je suis responsable des politiques de prévention de la maltraitance.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.
LAURENCE ROSSIGNOL
Et j'ai été amenée à me poser la question : en matière de prévention, comment on passe un discours sur la maltraitance aux parents, si on n'est pas capable de poser un principe ferme sur les coups, par exemple, le fait de frapper un enfant. Je ne sais pas dire où est l'échelle de la punition corporelle, sans conséquence et au moment où on basculerait dans la maltraitance, et ça m'a rappelé comment on avait fait pour les femmes victimes de violences, parce que je trouve qu'il y a quelque chose de similaire. Dans un premier temps, les violences contre les femmes, à la maison, c'était une affaire privée, conjugale, et quand les femmes allaient au commissariat, on leur disait : rentrez à la maison, ça s'arrangera avec votre mari. Bon. Et puis, progressivement, ce sujet est devenu un sujet partagé, et on a pu passer des messages de prévention simples à l'égard des femmes et dans les couples. Un, partez au premier coup, et deux, non on ne frappe pas une femme. Donc…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Message et punition.
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, mais ce qui a été le plus…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Par la loi.
LAURENCE ROSSIGNOL
Ce qui a été le plus important, ça a été de sortir de sujet de l'ombre, dès lors qu'on en a parlé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous sortez le sujet de l'ombre, concernant les enfants.
LAURENCE ROSSIGNOL
Concernant les enfants, et je pense qu'on peut se poser la question de qu'est-ce que c'est qu'une éducation sans violence ? Et on en a besoin, parce qu'aujourd'hui on a…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous prônez une éducation sans violence.
LAURENCE ROSSIGNOL
Je prône une éducation sans violence, parce que c'est un bon outil pour lutter pour la prévention de la maltraitance, parce que j'observe qu'en fait, dans notre société, si deux individus se battent, probablement, si on est un peu courageux physiquement, on va intervenir, si un homme bat sa femme au supermarché, on va intervenir. Si quelqu'un brutalise un animal, on va probablement intervenir. Et puis, il y a des individus, des êtres humains, sur lesquels on peut frapper.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais alors, si j'ai bien compris, si un père ou une mère, donne une gifle à son enfant, en public, vous intervenez ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ecoutez, je me suis souvent posée la question. J'ai assisté… le supermarché est pour moi le lieu de tous les…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais on a tous été confronté à ça.
LAURENCE ROSSIGNOL
Je me suis posée la question : « Pourquoi j'interviens pas ? Qu'est-ce qui m'empêche d'intervenir ? Alors que c'est l'être humain le plus fragile qui est menacé à ce moment-là ou qui est plus que menacé, d'ailleurs, qui est frappé ». Et là je m'expose…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous interviendriez, vous ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je pense que dans ce cas-là j'interviens, c'est un peu risqué, et surtout les parents disent « je fais ce que je veux ».
JEAN-JACQUES BOURDIN
Eh ben oui !
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais au moment où j'interviens, j'ai autant l'impression d'intervenir en faveur d'un parent en détresse, que d'un enfant en souffrance. Parce que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais, attendez, un parent qui donne une fessée à son enfant, est-ce un acte de violence, à vos yeux ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ecoutez, un parent qui donne une fessée… écoutez, c'est comme tout un tas de sujets. Est-ce que boire un verre et boire tous les jours, c'est la même chose ? Voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc donner une fessée n'est pas un acte de violence.
LAURENCE ROSSIGNOL
Donc moi, ce que je ne veux… Donc la fessée est violence, voilà, soyons clairs, la fessée c'est violent.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, non mais d'accord, mais moi je voudrais que ce soit clair.
LAURENCE ROSSIGNOL
La fessée c'est violent. Est-ce que le parent qui donne une fessée est un parent maltraitant, la réponse est non. Est-ce que la fessée est un acte de violence, la réponse est oui, parce que tout acte d'intervention physique, sur un individu, tout acte qui consiste à faire mal, parce que le but de la fessée, c'est quand même de faire mal. Donc, faire mal est violent, bien sûr, d'ailleurs c'est un message très compliqué pour les petits enfants. Vous savez, un enfant on l'élève en lui disant : « Tu ne tapes pas. A l'école, tu règles tes problèmes autrement qu'à coups de poings ».
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.
LAURENCE ROSSIGNOL
On lui apprend à ne pas taper. Et puis, à la maison, la personne qu'il aime le plus au monde, qui est son papa ou sa maman, va, lui, utiliser les coups, pour son bien. Comment voulez-vous qu'un enfant se retrouve avec un double message : c'est mal de taper, mais quand moi je te tape, c'est pour ton bien ? Donc, moi, ce que je cherche, tout simplement, c'est que notre société se saisisse du sujet, qu'on en parle. Mais vous savez, la violence…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais que la loi, parce que le Code pénal tolère un droit de correction.
LAURENCE ROSSIGNOL
Le Code pénal… Alors, le Code civil et le Code pénal posent une protection des individus.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais il faut faire évoluer la loi ou pas ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Il faut d'abord faire évoluer la société. Moi, vous savez, la société fait changer la loi, c'est rarement la loi qui fait changer la société.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais comment ?
LAURENCE ROSSIGNOL
A un moment donné.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Comment ? Alors, vous posez le débat, vous faites bouger les esprits, on est d'accord, bon.
LAURENCE ROSSIGNOL
On fait bouger les esprits, et à un moment donné, la loi, si c'est nécessaire, si…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sera changée.
LAURENCE ROSSIGNOL
Pourra être changée, ou on pourra en faire une ratification.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais 18 pays de l'Union européenne ont interdit les châtiments corporels.
LAURENCE ROSSIGNOL
Eh oui, c'est…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il en reste peu, finalement, qui permettent…
LAURENCE ROSSIGNOL
Il y a une exception française dont on n'est pas particulièrement fier…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais oui !
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais moi je ne veux pas, ni déstabiliser les parents, ni les disqualifier, ni leur passer un message de mauvais parents. Je pense que ça n'est pas facile d'être parent, et ce n'est pas facile, en plus, de faire face à la violence qui rentre à la maison, par les images, par la télé. Donc…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc pour l'instant on n'interdit pas.
LAURENCE ROSSIGNOL
On n'interdit pas. On ouvre le débat mais…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais on ouvre le débat.
LAURENCE ROSSIGNOL
Demain, il y a un colloque organisé par le Conseil de l'Europe, au mois de janvier il y aura encore un autre colloque sur la question de l'éducation sans violence.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous ne vous interdisez pas d'interdire.
LAURENCE ROSSIGNOL
Je n'exclus pas que la société se saisisse du problème et qu'à un moment donné, la loi devienne le prolongement normal du débat. Mais je ne crois pas qu'on fait évoluer les comportements à coups de Code pénal. Voilà. Ce n'est pas comme ça que ça marche.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Eh bien le débat est lancé.
LAURENCE ROSSIGNOL
Merci.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Justement, sur l'antenne de RMC, ou tout à l'heure entre 09h00 et 10h00, nous poursuivrons ce débat avec vous tous, avec vous tous. Que faites-vous ? Parce que la grande question que nous avons posée, avec Laurence ROSSIGNOL, c'est que vous assistez, dans un supermarché, puisqu'on a pris cet exemple, vous assistez à une fessée, ou une gifle un peu lourde, que faites-vous ? D'un père ou d'une mère sur son fils ou sa fille, que faites-vous ? Je vous le demande, tiens, je vous le demande.
LAURENCE ROSSIGNOL
Il faut l'aider.
JEAN-JACQUES BOURDIN
32 16, RMC.fr.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 novembre 2014