Texte intégral
Monsieur le Président, cher Henri NALLET,
Monsieur le directeur général, cher Gilles FINCHELSTEIN,
Mesdames, messieurs les ministres,
Mesdames, messieurs les parlementaires,
Mesdames, messieurs,
Chers amis,
L'affluence de ce soir confirme une chose : la France a une passion ...
Celle dont parlait TOCQUEVILLE : la passion de l'égalité.
Les Français ont voulu que la naissance ne dicte pas le destin ; que la République soit autant la patrie de ceux qui méritent que de ceux qui héritent.
La Révolution française a gravé dans notre patrimoine, dans notre conscience collective, l'exigence d'égalité.
C'est la France révolutionnaire, aussi, qui, la première, a compris que l'égalité sociale et la liberté politique étaient indissociables ; qu'il n'y avait pas d'égalité sans fraternité, sans ce sentiment d'appartenir à une même Nation.
C'est cette passion de l'égalité qui a permis les grandes conquêtes sociales. Et notre modèle est l'héritier de ces conquêtes. Il est fondé sur la solidarité entre les salariés, et garanti par la puissance d'un Etat redistributeur.
Mais, comme toujours, les luttes, les aspirations trouvent sur leur chemin, de nouvelles contraintes, de nouveaux enjeux.
Depuis maintenant trente ans, l'efficacité de notre modèle social, notamment sous la pression de la mondialisation, est remise en cause. On voit ressurgir des difficultés que l'on croyait, à tort, derrière nous.
Nous vivons un nouvel âge des inégalités. En France. Et dans le monde.
Est-ce un hasard si c'est un Français, Thomas PIKETTY, qui a contribué à relancer le débat ? Peut-être pas ! Mais ce débat, en France, certains le refusent, le disent dépassé.
1/ Alors que les inégalités n'ont jamais été aussi criantes, le message de la gauche est inaudible
A/ Inégalités dans le monde - un débat moderne
Je crois, au contraire, que c'est un combat moderne.
Le progrès n'a pas mis fin à la quête d'égalité. Certes, le monde n'a jamais été aussi riche. Mais, derrière cette prospérité, les écarts entre les « hyper-riches » - le fameux 1% - et les couches moyennes et modestes, n'ont jamais été si grands. Lionel JOSPIN parlait d'une « nouvelle aristocratie mondiale ».
Cet écart déstabilise les économies, menace même le système financier mondial. Nous l'avons vu, en 2008, quand les classes moyennes américaines ont compensé leur déclassement par l'endettement, alors que quelques traders accumulaient des bonus indécents.
B/ Constat lucide sur les inégalités
Alors oui, nous pourrions constater - chiffres à l'appui - que la France est moins inégalitaire que les autres pays. C'est l'OCDE qui le rappelait encore avant-hier : notre pays est l'un des rares où les inégalités de revenus n'ont pas progressé au cours des 30 dernières années. La gauche au pouvoir n'y est pas pour rien ...
Nous pourrions nous arrêter là. Nous contenter de quelques indicateurs. Mais ce serait fermer les yeux sur les difficultés des uns et les privilèges des autres ; sur les injustices qu'il serait trop facile de n'imputer qu'à la crise.
Nous devons faire un constat lucide : pour beaucoup de nos concitoyens, l'égalité est devenue un mythe, un mirage, une promesse non tenue de la République. Et donc une source de frustration, de colère croissante.
La première des inégalités, c'est bien évidemment le chômage.
Le travail, ce n'est pas qu'une source de revenus, c'est trouver sa place dans la société. C'est donc une valeur. Or, selon votre âge, selon que vous avez ou non un « réseau », selon votre adresse, selon que vous soyez une femme ou un homme, d'origine française ou étrangère, vos chances de trouver un emploi - un emploi stable et durable - ne sont pas les mêmes. Et que dire des stages ?
Je connais ceux - ouvriers, employés - qui n'ont pas accès à une formation pour se reconvertir. Ceux qui font des travaux pénibles et ont une espérance de vie moindre. Je vois trop de nos concitoyens qui sont contraints de vivre - parce que les logements sont chers - de plus en plus loin de leur lieu de travail.
Je connais, aussi, ces territoires, ces quartiers, ces zones péri urbaines et, de plus en plus, ces zones rurales qui font face à l'insécurité. Elle frappe, d'abord, les plus faibles, les plus démunis de notre société. Ceux qui n'ont pour protection que la République.
A cette insécurité, s'ajoute l'insécurité économique avec des espaces frappés de plein fouet par la crise : petites villes qui voient leurs usines, leurs commerces fermer ; quartiers où l'on ne croit plus en l'avenir ; villages que les jeunes quittent, faute d'emploi et de perspectives.
Comme vous, je connais ces fractures, ces fossés qui se creusent entre les métropoles et ce que certains appellent la périphérie.
La République, les services publics, ont longtemps permis de réduire les inégalités territoriales. Mais, là aussi, il faut voir les faits : ces inégalités se creusent à nouveau. L'isolement, l'enclavement, le sentiment de relégation ont gagné du terrain. Ils sont vécus comme un abandon, une désertion de l'Etat. C'est vrai aussi pour les réseaux, et cette fracture numérique qui prive encore trop de nos concitoyens à l'accès au haut débit.
Il n'est pas question pour nous de céder aux caricatures. Il n'y a pas, en France, de guerre des urbains contre les ruraux ; des « métropolitains » contre les « périphériques ». Non, il y a en France des territoires divers, dont certains souffrent.
Il y a les inégalités territoriales. Il y a aussi les inégalités face à l'avenir.
L'école de la République - qui est pour beaucoup le seul ascenseur social - est en panne. Et depuis trop longtemps ! La France - l'enquête PISA le démontre - est devenue la lanterne rouge des pays de l'OCDE pour les reproductions sociales en milieu scolaire.
Les chiffres sont édifiants. Leur accumulation est accablante :
- Au fil du cursus scolaire, le poids de l'origine sociale s'avère central. Alors que les enfants d'ouvriers sont 1,6 fois plus nombreux au collège que les enfants de cadres, les enfants de cadres sont presque 8 fois plus nombreux que les enfants d'ouvriers en doctorat.
- Un enfant d'ouvrier et d'employé a deux fois moins de chances qu'un enfant de cadre d'obtenir un diplôme du supérieur.
- Selon l'INSEE, 20,5% des élèves issus de milieux défavorisés ont déjà redoublé au moins une fois à l'arrivée en sixième. C'est six fois plus que ceux issus de milieux très favorisés.
- Les élèves vivant dans une Zone urbaine sensible ont aussi plus de risques d'avoir pris du retard à l'école : 21% contre 11% en moyenne.
- Entre 2003 et 2012, le poids de l'origine sociale sur les performances des élèves de 15 ans a augmenté de 33%.
Et en surplomb de toutes ces inégalités, il y a les discriminations, toutes inacceptables. Celles qui tiennent à l'origine, à la couleur de peau, à l'orientation sexuelle. Celles qui touchent les femmes avec des inégalités de revenus, d'inégales perspectives de carrières. Celles - si lourdes - qui frappent les personnes souffrant de handicaps.
C/ Ces inégalités nourrissent la crise de confiance dans notre modèle républicain et dans la gauche.
Aujourd'hui, beaucoup de Français n'y croient plus. L'écart qu'ils vivent entre les injustices du quotidien et les idéaux républicains est devenu trop grand.
Ils se détournent alors des institutions de notre République. Certains rejettent un système perçu comme injuste, inefficace ; un système qui broie les espoirs et écrase les aspirations. D'autres désespèrent. Se replient sur eux-mêmes. Ou envisagent le départ ...
Ce constat, c'est une déchirure.
2/ Il y a une différence fondamentale entre droite et gauche: le combat pour l'égalité est une ligne de partage.
De tous les clivages qui ont historiquement opposé la droite à la gauche, il y en a un qui ne s'est jamais estompé. C'est celui du rapport à l'égalité. La différence entre la droite et la gauche, elle est d'abord là.
A/ Le conservatisme compose et accepte les inégalités :
Certes, je ne veux pas être caricatural, mais pour les conservateurs, l'égalité n'est ni atteignable, ni même souhaitable. Ils invoquent, souvent, la « loi du marché », la mondialisation, ou même un « ordre naturel », contre lequel on ne peut lutter. Ils se contentent donc de corriger à la marge, de panser les plaies, sans vouloir s'attaquer à la racine des inégalités. Ils parlent « d'égalité des chances pour tous », tout en confortant les avantages acquis et les rentes, en défendant les plus privilégiés.
Au fond, ils s'inscrivent dans la lignée de HOBBES. Pour eux, l'Etat est principalement là pour réguler les conflits avec son monopole de la « violence légitime ». Il ne corrige pas les inégalités « naturelles ».
Cette opposition pure et parfaite a perdu de sa superbe, mais en tendance, demeure que gauche et droite se distinguent encore par le positionnement du curseur entre contrainte sociale et responsabilité individuelle.
On caricature parfois la gauche, lui reprochant de ne pas encourager la réussite. On prétend que sa politique nuit à ceux qui inventent, qui créent et qui prennent des risques. Mais, je crois que cela change, que nombreux comprennent le rôle des entrepreneurs. Car au fond, nous savons tous qu'encourager la création de richesse, c'est nourrir la redistribution. Et que faire gagner les gagnants, c'est donc avoir le souci des perdants.
B/ Pour l'extrême droite, il n'y a pas d'égalité possible.
L'extrême droite, quant à elle, parle d'égalité en prônant en fait la ségrégation sociale ... ou ethnique ! Elle fait semblant d'écouter ceux qui se sentent délaissés, mais elle instille un poison lent, qui se répand : celui de la division, de la méfiance. Elle est en réalité la première à faire des hiérarchies, et à expliquer que certains ont plus de droits que d'autres. Elle ne veut pas construire une société d'égaux, mais désigner de nouveaux ennemis au sein de la communauté nationale.
Elle veut, en somme, imposer une lutte des identités - et Gilles FINCHELSTEIN l'a très bien dit. Elle nous explique qu'on ne pourrait défendre notre modèle social, qu'en privant certains - immigrés, citoyens « de second rang » - de leurs droits. Elle nous dit que notre identité est assiégée. Au lieu d'appeler les citoyens à lutter ensemble pour l'égalité, elle encourage la lutte des clans, le repli communautaire. Au fond, pour elle, l'identité dicte les droits. Il n'y a donc pas d'égalité possible.
C / Le camps du progrès refuse les inégalités. Il n'y a pas de fatalité.
En face : le camp des progressistes.
Fondamentalement, la gauche ne peut penser la liberté sans l'égalité, alors que la droite voit dans la liberté la source fondamentale de l'égalité. C'est dans ce rapport à l'égalité que la différence entre la gauche et la droite prend tout son sens. Au fond, qu'exprime la gauche sinon l'exigence de vouloir socialiser les rapports entre les hommes ; sinon l'ambition d'arracher les hommes et les femmes à une sorte d'état naturel où la force irait à la force sans recours possible.
La gauche a toujours su que la société créait des gagnants et des perdants. Mais elle ne s'y résigne pas. Elle n'admet pas que la fatalité ou qu'un tirage malheureux à la loterie sociale conditionnent définitivement le destin des individus.
La gauche combat les injustices et les inégalités, au nom de ceux pour qui c'est plus difficile. Au nom de ceux qui méritent une chance, ceux que les économistes appellent les « outsiders ». Et c'est pourquoi nous ne pourrons jamais accepter que les exclus se sentent défendus par les populismes, eux qui n'ont que de mauvaises solutions à apporter. Des solutions trompeuses. Ce seraient d'abord les plus faibles, les plus modestes, les victimes de l'immense retour en arrière, de la politique de destruction économique et sociale du Front National.
« C'est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l'égalité que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir ». Ces mots de ROUSSEAU n'ont rien perdu de leur actualité.
Oui, la gauche considère que la manière dont la société traite les plus vulnérables d'entre nous révèle quelque chose de fondamental sur nos valeurs, sur ce que nous sommes.
Qui défendrait l'égalité si nous l'abandonnions ?
D/ Le clivage gauche/droite sur l'égalité
C'est la gauche qui a arraché l'instauration des congés payés sous le Front populaire. C'est la gauche qui a largement influencé le programme du Conseil national de la Résistance, référentiel central de tout le système social français depuis 1945.
C'est la gauche qui a mis en place des instruments de redistribution solidaire : CSG, RMI, ou couverture maladie universelle.
Et j'entends certains dire que, depuis 2012, la gauche aurait renié ce combat historique.
Pourtant, notre politique le démontre : l'égalité reste le combat de ce gouvernement. Il se traduit concrètement.
Depuis 2012, avec le Président de la République, c'est la gauche qui a rétabli le départ à la retraites à 60 ans pour celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt.
Depuis 2012, c'est la gauche qui a fait que les plus riches participent davantage à l'effort de redressement de nos comptes publics.
C'est la gauche, encore, qui a voté la modulation des allocations familiales, pour qu'elles profitent d'abord aux familles les plus modestes. Et c'est une fierté pour moi d'avoir mené cette réforme que la gauche souhaite depuis si longtemps.
C'est grâce à la gauche que la pénibilité sera, enfin, prise en compte dans le calcul de la retraite et des droits à la formation.
Et, depuis 2012, l'égalité entre les femmes et les hommes a beaucoup progressé. Je pense à ces mères isolées qui sont désormais protégées des impayés de pension alimentaire, à cette vigilance nouvelle en termes d'équité salariale dans les entreprises, ou encore au renforcement de la parité en politique. Ce combat pour l'égalité femmes/hommes n'est pas seulement un marqueur pour la gauche, c'est l'identité même de la République !
C'est la gauche qui a instauré le mariage pour tous.
Oui, nous agissons. Nous réarmons l'Etat. Nous modernisons les services publics pour que chaque citoyen puisse y avoir accès. Notre action se déploie dans tous les domaines : la petite enfance avec des efforts soutenus, en direction notamment des communes, pour la création de 100 000 places en crèches supplémentaire en 2017, l'éducation, la sécurité, la santé, le logement, l'emploi, la lutte contre la précarité.
Nous simplifions, nous modernisons l'Etat, parce que nous considérons que l'Etat est essentiel et qu'il doit être au service de tous, et surtout de ceux qui en ont le plus besoin.
L'Etat, les services publics, ce sont aussi des réponses aux inégalités territoriales. Je l'ai dit à de nombreuses reprises, et déjà comme ministre de l'Intérieur : l'Etat territorial, l'Etat départemental doit être renforcé.
Simplifier, moderniser l'Etat, aux côtés des collectivités territoriales, c'est aussi trouver des solutions innovantes. Nous l'expérimentons avec les maisons de l'Etat, avec les maisons du service au public. Demain, nous devrons envisager d'autres solutions encore.
Car il nous faut changer. Il ne suffit pas de « plus d'Etat » - même si l'on en avait les moyens. Il nous faut repenser notre modèle, comme le disent Philippe AGHION, Gilbert CETTE et Elie COHEN. Sortir du logiciel des trente glorieuses. L'Etat doit investir dans les moteurs qui tireront la croissance demain, en misant par exemple sur la mobilité sociale et professionnelle, plutôt que sur les seuls transferts monétaires - je vais y revenir.
Nous agissons, et pourtant, il y a une forme de paradoxe. Alors que le camp du progrès fait de la lutte contre les inégalités une priorité, on ne le crédite pas de cette action. En Europe, alors que les inégalités sont là, que la crise les a aggravées, les gouvernements progressistes sont largement minoritaires.
La question, c'est donc de savoir pourquoi nous sommes devenus inaudibles.
Certains prétendent que c'est parce que la gauche ne serait pas assez à gauche. Mais alors comment expliquer que la gauche de la gauche ait tant de mal à s'imposer dans les urnes ?
Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'être de gauche consiste simplement à rechercher dans les armoires du passé, dans les archives de l'histoire, les réponses écrites et toutes trouvées aux défis d'aujourd'hui et de demain. Je crois plutôt que nous n'avons pas été assez réactifs et réalistes dans la prise en compte des nouvelles réalités économiques et sociales.
La gauche, c'est le progrès, le mouvement, le contraire du conservatisme et de la rente. C'est aussi la lucidité et le devoir de vérité.
Nous n'avons pas assez vu monter de nouvelles formes d'inégalités.
Nous n'avons pas assez vu monter de nouvelles formes d'inégalités. Sur le marché du travail où avoir un CDI est presque devenu un privilège, alors que la précarité, le temps partiel ne cessent d'augmenter. Pour le logement, dont l'explosion des prix a créé une nouvelle forme d'inégalités. Ou bien - je le disais - les fractures territoriales.
3/ L'idéal est éternel, mais il faut nous donner de nouveaux moyens pour l'atteindre.
Alors, oui, je crois qu'il nous faut nous réinventer, nous remettre en question. Comme nous avons su le faire sur le rapport à la Nation, sur les questions de sécurité, ou encore sur le rôle des entreprises et le soutien que nous devions leur apporter.
L'idéal de l'égalité est éternel. Mais nous devons envisager de nouveaux moyens, de nouvelles façons d'agir pour l'atteindre.
A/ La redistribution et ses limites.
Bien sûr, il faut refuser de voir prospérer des inégalités matérielles indécentes ; refuser que les privilégiés vivent entre eux, reléguant les plus modestes dans des ghettos.
Et c'est pour cela que notre modèle de redistribution est essentiel. Et il a fonctionné puisque les inégalités de revenus sont en France - je le disais - un peu moins fortes qu'ailleurs en Europe. Thomas PIKETTY l'a d'ailleurs démontré.
Elles sont moins fortes qu'ailleurs, parce que, je l'ai dit, l'Etat continue à jouer son rôle. Parce que, aussi, dans nos territoires, nous avons mis en oeuvre des politiques de redistribution efficaces. Parce des politiques sociales de proximité ambitieuses ont été conduites. Et ces politiques, nous devons évidemment les préserver. Lutter contre les inégalités territoriales, c'est aussi redistribuer les richesses entre les territoires, rebattre les cartes. Pour les territoires, la redistribution, c'est la péréquation. Et cette politique, nous la menons. Nous la renforcerons, avec notamment la nouvelle génération des Contrats de plan Etat-Région.
Et c'est précisément parce que notre pays réussit toujours à lutter contre la progression des inégalités que nous ne pouvons accepter que notre modèle social soit critiqué, aujourd'hui dans ses modalités, mais demain dans ses fondements. Ce qui n'empêche en effet pas d'être lucide.
Parce que nous sommes de gauche, parce que nous savons combien la vie peut être difficile pour tous nos concitoyens, parce que nous savons ce qu'est un euro dans un budget modeste, alors nous devons plaider pour l'efficacité de la dépense publique.
Les fraudes sociales, fiscales, d'où qu'elles viennent ne peuvent être tolérées. Pas plus que ne peut être admise l'idée qu'il y aurait des assistés. Je n'accepte pas ce vocabulaire, et le mépris qu'il véhicule. La société est solidaire face aux difficultés. Et c'est son rôle !
La redistribution, c'est un grand principe du modèle social français. Nous en avons beaucoup fait. Nous en faisons beaucoup. Le récent rapport de Dominique LEFEBVRE et François AUVIGNE le rappelait : notre système fiscal et social réduit de 40% les écarts de niveau en vie entre les 10 % des ménages les plus modestes et les 10% les plus aisés.
Mais il fait aussi regarder les choses en face. Et cette vigilance est au coeur des travaux de Daniel COHEN.
Quand les 20% de foyers les plus aisés ont absorbé 75% des hausses d'impôts que nous avons décidées ; quand les dépenses publiques représentent 57% de la richesse nationale ; quand la dette est proche de 100% du PIB ... comment envisager d'aller encore plus loin ?
D'autant plus que l'urgence ce n'est pas uniquement de mieux répartir les richesses, mais aussi de retrouver de la croissance. Cette croissance sans laquelle - rappelons cette évidence ... - il n'est pas possible de redistribuer.
Je vois un manque d'ambition, et même une impasse stratégique, à ne penser l'égalité qu'à travers la redistribution fiscale !
L'égalité, c'est bien sûr corriger. Mais c'est aussi - et je dirais surtout - donner à chacun les mêmes chances.
B / La pré-distribution et ses promesses.
Et là encore, c'est à la gauche de faire en sorte que chacun puisse réussir sa vie, trouver sa place dans la société.
Garantir à chacun de s'émanciper, c'est permettre à tous de surmonter l'échec. C'est faire que le destin ne soit pas fixé une fois pour toute par des choix que l'on a faits à 16 ou 18 ans. C'est ne pas ruiner toute une vie d'efforts par un aléa, un accident, une mauvaise décision. C'est donc offrir une première chance, bien sûr, mais aussi, tout au long de sa vie, une deuxième, plusieurs autres chances.
Pour cela, il nous faut intervenir en amont, prévenir les inégalités plutôt que nous contenter de les corriger, toujours trop tard, et souvent à la marge.
Alors que la redistribution se contente de revenir a posteriori sur les inégalités, je crois que nous devons orienter notre modèle vers la pré-distribution, c'est-à-dire : pré-venir les inégalités.
Mieux armer chacun pour être acteur de sa propre vie passe par différentes politiques publiques. Je veux en donner quatre exemples.
Le premier, c'est bien évidemment un investissement massif dans l'éducation.
Plus de professeurs, un enseignement adapté aux difficultés de chaque élève, c'est un investissement. Un investissement dans notre avenir - nos enfants ! - qui créera des richesses pour les décennies qui viennent.
Et que dire de la lutte contre le décrochage scolaire, ce fléau qui touche, chaque année, 140.000 jeunes ? Gaspiller autant d'énergie, de talents, ce n'est plus possible.
Et c'est pour cela que nous avons lancé un plan ambitieux. Un plan qui offre, par exemple, le droit au retour en formation pour les décrocheurs. L'objectif, c'est de réduire par deux le nombre de décrocheurs d'ici 2017.
Nous avons déjà fait beaucoup pour l'éducation depuis 2012, avec la refondation de l'école, la réforme des rythmes, la formation des enseignants, les moyens supplémentaires et le recrutement de 60 000 enseignants sur le quinquennat. Et nous amplifions nos efforts. Nous mettons, ainsi, en place la réforme de la carte de l'éducation prioritaire, qui vise à mieux aider les établissements qui connaissent les plus grandes difficultés.
Il y a évidemment encore beaucoup à faire pour améliorer notre école. Je pense notamment à nos universités, nos grandes écoles, qui ne sont pas assez accessibles aux enfants modestes, à ceux qui n'ont ni les bonnes connaissances, ni les bons réseaux.
A l'université, en licence, la part des enfants d'ouvriers et d'employés est de 26%, alors que leurs parents représentent 52% des actifs. En Master, elle est de 17%
L'égalité, c'est donc allouer davantage de ressources à ceux qui en ont le plus besoin, permettre à tous, enfants de cadres ou d'ouvriers, d'accéder à l'excellence.
L'école ne peut pas tout, toute seule. L'ambition que nous avons pour elle doit être partagée avec les familles, mais aussi par tous les partenaires : collectivités territoriales, monde associatif, monde de l'entreprise. Nous réussirons cette refondation de l'école si elle est portée par tous.
La pré-distribution, c'est aussi la formation professionnelle tout au long de la vie.
La majorité des salariés ne feront plus le même métier dans 20 ou 30 ans. Il faut donc les préparer à cela. Anticiper. Les aider à rebondir, le moment venu. C'est ce que nous avons fait, en janvier 2014, avec l'accord réformant la formation professionnelle, puis la loi créant le compte personnel de formation. Entrant en vigueur le 1er janvier prochain, il suivra le salarié dans son parcours professionnel, y compris lors de ses épisodes de transition entre deux emplois. C'est une vieille revendication - cette « sécurité sociale professionnelle » - que nous avons fait ainsi progresser de façon décisive !
Le compte personnel de formation - tout comme le compte de prévention de la pénibilité - nous invite à aller plus loin, dans cette voie de création de « droits individuels garantis collectivement ».
Nous pourrions aller vers la création d'un « compte social universel » qui rassemblerait, pour chaque individu, l'ensemble des droits portables destinés à sécuriser son parcours professionnel. Ce serait une reforme sociétale profonde. Ce serait un formidable outil pour une égalité réelle.
La pré-distribution, c'est aussi amplifier les efforts dans le domaine de la santé.
Et c'est ce que nous faisons. Car on sait combien les inégalités sociales pèsent lourd en matière de santé publique. Un exemple : en CM2, les enfants d'ouvriers sont 10 fois plus victimes d'obésité que les enfants de cadres.
Nous plafonnons les dépassements d'honoraires, nous généralisons le tiers payant ! Nous luttons contre les déserts médicaux, nous misons massivement sur la prévention. La prévention, c'est par exemple le plan national contre le tabagisme, la lutte contre les addictions et comportements à risque, le dépistage des troubles de l'apprentissage, ou encore un accès aux soins facilité.
Enfin, dernier exemple : l'accès au logement. Nous consacrons plus de 40 milliards d'euros à la politique du logement, mais l'accès au logement n'a jamais été aussi inégal. Nous mettons donc en oeuvre des politiques de libération du foncier, public et privé, de réduction du coût de construction, de simplification des normes.
Partout il faut amplifier nos efforts. Nous placer en capacité de prévenir, plutôt que guérir. Donner à nos concitoyens les moyens de se construire, et de construire pour eux et pour leurs enfants une France plus forte.
La force de notre pays, c'est la compétitivité de ses entreprises. Mais c'est aussi, surtout, le travail, la créativité, l'énergie de nos concitoyens. Quand nous investissons dans l'éducation, dans la politique de la ville, dans la formation, dans l'accès au logement, à la santé, à la culture, nous renforçons nos atouts - nous amorçons un cercle vertueux de la croissance.
Et c'est peut-être la conclusion la plus intéressante du dernier rapport de l'OCDE : les inégalités entravent la croissance économique. Les combattre, c'est donc agir pour une croissance durable.
La pré distribution n'est pas le contraire de la redistribution, elle en est le complément indispensable dans une société où les inégalités se construisent très tôt.
C / L'égalité c'est réaffirmer nos valeurs et donner à chacun les moyens de son émancipation.
Oui, nous devons renouveler nos moyens de lutter contre les inégalités.
Mais sans un cadre, sans un système de valeurs, toute démarche collective est vaine. Or ce cadre, il existe : c'est la République.
Si j'appelle depuis longtemps à retrouver ce qui fait de nous une Nation, c'est parce que je crois que c'est la seule voie pour retrouver une société apaisée. La République ne cède pas à la loi du plus fort. Elle nous préserve de la lutte des identités. Elle lutte contre le racisme, l'antisémitisme, les actes anti-musulmans, ou dirigés contre toute religion. Dans la République, chaque citoyen est considéré à égalité.
L'égalité est un droit. Mais comme tout droit, elle implique aussi des devoirs, des règles, des principes.
Parmi eux, il y a celui d'un impôt progressif, également réparti entre tous les citoyens en fonction de leurs facultés. A cet égard, la décision de supprimer la première tranche de l'impôt sur le revenu a parfois été mal comprise ou délibérément caricaturée. Tous les Français payent aujourd'hui des impôts, y compris ceux qui ne paient pas l'impôt sur le revenu. Un impôt citoyen, c'est un impôt juste et un impôt bien accepté.
Alléger l'impôt sur le revenu des classes moyennes et en exonérer les ménages modestes, c'est donc défendre l'impôt citoyen. Rendre les revenus financiers imposables au barème progressif comme le sont les salaires et rétablir les droits de succession sur les patrimoines élevés, comme nous l'avons fait, c'est aussi défendre l'impôt citoyen. Supprimer des niches fiscales injustifiées pour assurer un impôt égal à revenu égal ou lutter contre l'optimisation fiscale abusive, c'est encore défendre l'impôt citoyen.
La citoyenneté, tel est l'enjeu. Elle ne peut se concevoir que dans la réciprocité. Les citoyens donnent à la collectivité, mais la République doit leur accorder en retour une considération égale.
Or, nous devons avouer que ce n'est pas toujours le cas ... Une des forces de notre pays vient de ses vagues successives d'immigrations. La plupart de ces immigrés sont devenus Français, ont eu des enfants, eux-mêmes Français. Or, 30 ans de politique d'intégration nous ont conduits dans l'impasse de l'amalgame et de l'assignation de citoyens à leur origine. Ils ont été trop souvent rejetés alors que leur seule aspiration est la pleine reconnaissance de la République. Comme citoyens. Pas plus, mais pas moins.
Ce n'est pas une politique d'intégration qu'il nous faut, mais bien une politique de citoyenneté qui s'adresse à tous, qui ne sélectionne pas sur la base des origines.
Une politique de citoyenneté - de droits et de devoirs - doit s'appuyer sur nos valeurs, et notamment la laïcité.
Et puisque nous fêtions hier l'anniversaire de la loi de 1905, permettez-moi quelques mots. Je les emprunte - c'est le lieu - à JAURES. Il disait : « il n'y a pas d'égalité des droits si l'attachement de tel ou tel citoyen (...) à telle ou telle religion est pour lui cause de privilège ou de disgrâce ». Alors oui, la laïcité est un point d'équilibre, un repère. Elle doit protéger et émanciper.
Chers amis, soyons fidèles à nos valeurs.
L'égalité en est une. L'égalité est un principe moral. Un objectif social. Un fondement de notre vie en société.
Mais l'égalité sert un but. Le but ultime de la gauche : l'émancipation des individus.
Depuis toujours, la gauche cherche à briser les déterminismes, à combattre tout ce qui aliène et enferme.
Quand on invente, quand on se mobilise pour l'égalité - comme nous le faisons ce soir avec cette rencontre - il faut toujours revenir à cela : le destin de notre pays, c'est avant tout le destin de chaque citoyen, de chaque Française et de chaque Français.
Ce sont eux qui guident l'ensemble des réformes et des politiques publiques que nous menons. C'est pour les Français que nous travaillons, que ce gouvernement agit. Mais c'est aussi aux Français eux-mêmes, à la société civile dans son ensemble de porter cette question de l'égalité, de la faire vivre dans les actes quotidiens, dans les engagements de chacun, mais aussi, bien évidemment, dans le débat public. Je veux ouvrir un débat et des chantiers essentiels pour la gauche et la France. Merci donc pour votre invitation de ce soir. Et place au débat.
Source http://fr.calameo.com, le 15 décembre 2014