Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames les Conseillères, Messieurs les Conseillers,
Je tiens à vous remercier de m'avoir conviée à votre assemblée plénière à l'occasion de la présentation de cet avis consacré au travail social.
Je partage complètement la volonté de votre institution de rechercher les adaptations du travail social aux évolutions de la société.
J'y vois, une fois encore la pertinence des questionnements du Conseil Economique et Social et la qualité des travaux qu'il conduit.
La question du travail social et de son adaptation vous préoccupe d'ailleurs de longue date. Monsieur Gauthier, Directeur de l'action sociale, a déjà eu l'occasion il y a quelques temps de dégager des perspectives à ce sujet. Je sais que vous avez également auditionné de nombreuses personnalités et professionnels du secteur dont Monsieur Ladsous, Vice-Président du Conseil supérieur du travail social pour conduire vos travaux. Je ne doute donc pas de la richesse de la réflexion qui viendra utilement compléter l'ensemble des travaux actuellement menés.
Depuis plus de 2 ans, la France a retrouvé les voies et le chemin de la croissance, du dynamisme, de la confiance en l'avenir.
Pour autant cette ouverture au monde, cette inscription dans le projet européen, parce qu'elles font écho à un effacement des repères traditionnels, ne doivent pas faire passer au second plan notre exigence d'une citoyenneté partagée. En effet, l'exclusion n'a pas disparu par enchantement : les fruits de la croissance retrouvée sont loin de profiter encore à tous, le grand âge débouche souvent sur une dépendance mal prise en charge, les évolutions considérables de la cellule familiale peuvent conduire à la solitude ou à la dégradation des relations entre les parents et les enfants.
Ces éléments renforcent notre conviction de mener une politique sociale ambitieuse et cohérente comme cela a déjà été le cas avec les lois relatives à la lutte contre les exclusions et à l'institution d'une couverture maladie universelle et comme cela le sera avec la révision de la loi de 75 sur les institutions sociales et médico-sociales et le projet de réforme de la prestation dépendance.
I - Une politique sociale ambitieuse menée par le Gouvernement
I.1. La lutte contre les exclusions
L'événement que fut la consécration par la loi contre l'exclusion de dispositifs multiples permettant aux plus démunis et au plus marginaux d'entre nous, d'entrer dans le processus de réinsertion a marqué l'ambition sociale de ce Gouvernement.
L'heure est désormais au bilan. Celui-ci sera présenté par Martine Aubry le 5 juillet prochain en Conseil des Ministres. Ce sera l'occasion de marquer tous les points de réussite et tous les chemins ouverts par la loi. Notre action à répondu à une ligne directrice unique : permettre l'accès de tous aux droits fondamentaux, droit à un emploi, droit à se loger, à disposer de fournitures d'eau et d'énergie, droit à la santé, droit à l'éducation, à des conditions de vie décentes, mais aussi, et tout simplement, à être considéré comme une personne à part entière, notamment dans ses relations avec le service public.
Cette période est également l'occasion de réaffirmer que la croissance économique, les lois sur la réduction du temps de travail, la création des emplois jeunes, ont permis une décroissance du chômage. En un an, de mars 99 à mars 2000, 430 000 emplois ont été créés dans le secteur privé et plus de 500 000 au total, en incluant notamment les emplois jeunes. C'est un niveau de création d'emplois supérieur à celui enregistré sur l'année 1999 et jamais atteint depuis 45 ans dans notre pays. Depuis juin 1997, ce sont plus de 1 150 000 emplois qui ont été créés. Mais nous savons malgré ces efforts que les grands exclus restent encore au bord du chemin, que nous devons continuer à nous mobiliser pour eux. Ceux qui sont en première ligne le savent. Ceux-là, ce sont d'abord les travailleurs sociaux au sens le plus large du terme, comme vous les avez définis dans votre rapport. Ce cri d'alerte poussé il y a quelques jours par Xavier Emmanuelli sur l'engorgement du SAMU social et le débordement des possibilités d'hébergement social d'urgence à Paris, compte tenu de l'arrivée massive des étrangers venus du monde entier, nous fait réfléchir. Jamais nous ne serons totalement au bout de nos efforts.
Les travailleurs sociaux sont au cœur de tous ces sujets. Ils doivent appréhender toutes les problématiques d'insertion, les besoins vitaux, l'emploi, les revenus, le logement, l'accès aux soins, à la fois dans une dimension individuelle mais aussi dans une perspective de développement social. Ils doivent également plus que jamais, affronter et gérer la violence sous toutes ces formes, comme autant de manifestations du lien social perturbé et à restaurer.
I.2. La révision de la loi de 75 et la politique en faveur des personnes handicapées
Nous venons de le souligner, les travailleurs sociaux sont de tous les fronts :
Tous les publics en difficulté les concernent, de l'enfant à l'adulte handicapé, à la personne âgée, de l'enfant en danger à l'adolescent en rupture, du jeune adulte en recherche d'insertion sociale et professionnelle, aux parents confrontés à un besoin de soutien éducatif.
Mes responsabilités aujourd'hui au sein du Gouvernement vont m'amener à déposer très prochainement au Parlement un projet de loi révisant la loi de 75qui traitera de ce vaste champ d'intervention. Ce texte a la volonté de placer l'usager au centre de tous les dispositifs. Il affirmera ses droits mais en assurera aussi l'effectivité. Il ouvrira les institutions et les services pour multiplier les dispositifs intégrateurs, les passerelles entre milieu de vie ordinaire et établissements, il prendra en compte les missions nouvelles qui tous les jours émergent dans le secteur social. En rénovant les procédures de planification, d'autorisation et de financement, il amènera, anticipation, transparence et coordination des décideurs et des financeurs. Enfin ce nouveau texte organisera un mécanisme d'évaluation, favorisant le développement de référentiels et de bonnes pratiques. A cet égard, c'est avec un très vif intérêt que j'ai entendu vos propositions dans le domaine de l'évaluation, elle rejoignent mes préoccupations.
Ce projet de loi concerne majoritairement les personnes handicapées. Permettez-moi de dire quelques mots de ce sujet qui me tient particulièrement à cœur.
Dans le fil des orientations annoncées par le Premier Ministre au CNCPH du 25 janvier dernier, l'axe majeur de notre politique est celui de l'intégration : intégration scolaire, intégration dans la ville, par un urbanisme adapté, des transports non ségrégatifs, un accès aux loisirs, bref à la vie, à la vie ordinaire de nos concitoyens, une vie identique à celle de chacun d'entre nous.
Bien sûr, ceux qui sont le plus lourdement atteints ne peuvent s'affranchir d'un appui institutionnel. Pour eux des efforts financiers sans précédent sont mis en œuvre. 2,5 milliards auront été et seront mobilisés entre 1998 et 2003.
Pour tous, l'accompagnement et l'encadrement par les professionnels du travail social, sont le gage de la réussite des efforts que la collectivité fait pour prendre en charge et accueillir les personnes handicapées.
Je sais, pour rencontrer plusieurs fois par semaine, sur le terrain, ces professionnels, à quel point leur condition de travail sont difficiles et ce que nous leur devons. De ce point de vue, la mise en uvre des lois sur la réduction du temps de travail ont bien montré leur mobilisation et leur capacité à repenser leurs pratiques tout en préservant la qualité des prises en charge de ceux dont ils ont la responsabilité.
I.3. La prise en charge de la dépendance des personnes âgées
Permettez-moi d'évoquer également les perspectives tracées en matière de politique en faveur des personnes âgées par le Premier Ministre à l'occasion de la conférence de presse du 21 mars dernier sur les retraites.
Vous avez sûrement noté que le Premier Ministre souhaitait confier au CES une mission de réflexion sur la place et le rôle des personnes âgées dans notre société. Ainsi, vos travaux viendront parfaitement compléter les deux volets de la politique gouvernementale : préservation de l'avenir de nos retraites et prise en compte de la dépendance des personnes âgées. Sur ce dernier sujet, l'ambition est de réformer profondément l'actuelle prestation spécifique dépendance qui couvre de manière très insuffisante et fortement inégalitaire, les personnes âgées dépendantes. A cette occasion, le Gouvernement a salué le travail d'élaboration des plans d'aide individuels élaborés par les équipes médico-sociales des départements et il a désiré conserver cet acquis dans le prochain projet de loi. C'est donc un coup de chapeau aux professionnels qui travaillent auprès des personnes âgées, travailleurs sociaux, médecins, aides soignants, infirmiers, mais aussi aides ménagères, gardes de nuit, tous ceux et celles qui travaillent dans le champ de l'aide à domicile.
Les efforts à hauteur de 7 milliards sur 5 ans annoncés par le Premier Ministre, accroissant la médicalisation des services et des établissements hébergeant les personnes âgées, le développement de 1000 CLIC maillant le territoire de lieux d'accueil et d'information, sont autant de services qui supposeront un accroissement du nombre des professionnels travaillant auprès des personnes âgées.
Vous mesurez, avec les trois exemples que je viens de prendre : lutte contre l'exclusion, politique en faveur des personnes handicapées et réforme de la loi de 75, enfin politique en faveur des personnes âgées dépendantes, à quel point nous sollicitons et nous solliciterons encore davantage les travailleurs sociaux. Ceux-ci sont toujours et partout, en première ligne. Encore pas assez nombreux, il faut le dire, il sont à la fois fortement mis en avant, soumis à toutes les pressions et placés dans des situations difficiles pour faire face à toutes les détresses.
II - Reconnaissance et évolution du travail social
2.1. Un exercice professionnel en coopération avec d'autres
La reconnaissance des travailleurs sociaux, leur qualification et leur cadre d'exercice doivent être conformes aux attentes qui s'expriment vis à vis de ces professionnels.
Ils exercent leur métier aux côtés d'autres intervenants sociaux et des bénévoles, mais aussi, grâce au développement des programmes d'emploi, aux côtés des emplois-jeunes et des adultes-relais. Les emplois-jeunes ne doivent pas conduire, comme on pourrait le croire parfois, à du travail social sous qualifié. Ils sont une chance pour le travail social car ces emplois sont conçus dans une perspective de professionnalisation et de pérennisation.
Les nouvelles fonctions, comme les adultes relais, appellent la même remarque : nous devons sortir des confusions qui sont nées ici ou là. Travailler ensemble ne signifie pas faire le travail de l'autre. La vieille incompréhension qui a pu exister entre travailleurs sociaux et bénévoles est derrière nous. Il faut éviter qu'elle soit remplacée par une rivalité, entre travail social et nouveaux métiers de l'intervention sociale. Ce pluralisme ne doit pas se vivre en terme de concurrence mais de complémentarité des qualifications et des interventions.
Nous avons, en tout état de cause, un devoir de clarification. Je ne crois pas pour ma part, qu'elle passe par un renforcement de la réglementation des professions. Ce serait un facteur de rigidité au moment où ce secteur est en pleine évolution. Elle doit s'appuyer sur une définition concertée des professions adaptées au monde actuel et aux politiques sociales.
2.2. La qualification des travailleurs sociaux doit poursuivre son adaptation
La qualification des travailleurs sociaux doit poursuivre son adaptation aux besoins de la population, aux politiques publiques et aux dispositifs sociaux.
Je pense à l'aide à la réalisation des actes vitaux de la vie quotidienne, mais aussi sociaux, dans le secteur de l'aide à domicile, de la prise en charge des personnes âgées ou lourdement handicapées. Je pense aussi à la question de la médiation sociale qui sous un même vocable recouvre des interventions de nature diverses et de niveaux extrêmement différents.
J'ai conscience que ce secteur qui se développe, sous la pression de la demande sociale du pays, mais aussi parce qu'il génère lui-même sa propre évolution suppose aujourd'hui une redéfinition et adaptation pour mieux répondre à l'ensemble des besoins.
Ainsi la qualification des travailleurs sociaux doit évoluer pour leur permettre d'exercer un rôle de veille sociale et d'alerte en développant leur capacité d'encadrement, d'expertise et de conseil technique dans la conduite des politiques sociales. Enfin, leur expérience et leur savoir-faire doit faciliter leur accession formations supérieures pour déboucher sur l'étude de la recherche en travail social. A cet égard les liens avec les universités doivent être privilégiés.
2.3. Le rôle de l'Etat
L'Etat n'est pas le seul employeur, ni même et de loin le principal. Il a cependant la responsabilité de créer un cadre définissant les orientations générales du travail social, favorisant les conditions d'exercice d'un travail social efficace et de proximité et j'entends qu'il assume ses responsabilités dans ces différents domaines.
Ainsi, il doit favoriser la réflexion et la concertation propres aux évolutions du travail social. Le Conseil supérieur du travail social est à cet égard une instance permanente de réflexion, de concertation privilégiée entre les différents partenaires du secteur. C'est incontestablement une force de propositions. L'ensemble des travaux conduits, qui ont donné lieu à des rapports, constitue des corpus de référence de bonnes pratiques professionnelles et doivent pouvoir servir de modèles sinon de repères.
Les groupes de travail qui fonctionnent dans le cadre du mandat actuel du CSTS sont au cœur de l'actualité et des questions de fond qui animent le secteur, je fais référence aux trois groupes, " travail social et nouvelles technologies de l'information et de la communication " ; " éthique des pratiques sociales et déontologie des travailleurs sociaux " et le groupe "violence". Je serai, à cet effet très attentive à leurs propositions.
Une autre responsabilité de l'Etat est d'encadrer par des dispositions législatives et réglementaires les nouveaux modes d'exercice du travail social. Je pense en particulier aux problèmes comme le secret professionnel, la déontologie ou le signalement de sévices. Le projet de loi de modernisation de l'action sociale prend en compte tout particulièrement la protection des salariés qui porteraient l'existence de maltraitances à la connaissance des autorités compétentes.
Mon administration conduit actuellement des travaux sectoriels qui viendront réformer certaines formations sociales : il en est ainsi pour les formations d'assistant de service social, d'éducateur technique spécialisé et de directeur d'établissement social. Un grand chantier pour la construction de la filière de formation de l'aide à domicile est de même lancé.
L'article 151 de la loi contre les exclusions prévoit un schéma national des formations sociales et traduit cette volonté de l'Etat et de l'ensemble des partenaires de disposer d'un véritable cadre d'orientation au service d'une politique de qualification des travailleurs sociaux et d'accompagnement des politiques sociales. Ce schéma est en cours d'élaboration. Je sais qu'il suscite un grand intérêt auprès des partenaires nationaux et régionaux du secteur et que tous sont mobilisés à la fois dans le diagnostic de la situation actuelle et dans la construction de propositions d'évolution tant qualitatives qu'organisationnelles ou quantitatives.
Je suis particulièrement satisfaite de la dynamique créée autour de ces questions. Elle traduit la pertinence du sujet, des outils et de la méthode. Elle est surtout le gage d'une implication de tous.
2.4. Les évolutions des formations sociales
Les orientations qui dicteront les évolutions peuvent être résumées en quelques mots : mieux articuler les formations initiales et la formation continue. Cet objectif revêt une importance majeure pour renforcer la professionnalisation des acteurs. il faut réaffirmer le rôle central des formations initiales, en insistant sur le nécessaire maintien des compétences générales et de bon niveau. Il faut également développer voire repenser, le rôle de la formation professionnelle continue dans le processus de professionnalisation, de qualification complémentaire tout au long d'un parcours professionnel pour faciliter l'adaptation à l'emploi, la mobilité, l'acquisition de compétences nouvelles..
Nous devons :
- Renforcer le pilotage de l'offre de formation et trouver de nouveaux modes de régulations qui impliquent l'ensemble des acteurs.
- Encourager l'évolution de la structuration de l'appareil de formation des travailleurs sociaux, moderne dans sa conception, organisé sur des formations en alternance et entretenant une relation privilégiée avec les professions et les employeurs, il doit toutefois améliorer sa réactivité à l'évolution des politiques publiques.
- Développer la validation des acquis professionnels dans les formations sociales pour faciliter l'accès à la qualification et à la certification.
- Enfin poursuivre nos efforts en matière d'augmentation des capacités de formation en travail social. L'Etat a tenu ses engagements en assurant l'augmentation, au titre du programme de lutte contre les exclusions, de plus de 15 % des effectifs d'étudiants formés ces trois dernières années. Je compte poursuivre cet effort qui contribue à apporter une réponse en nombre et de qualité à la prise en compte des problèmes sociaux.
CONCLUSION
Le diagnostic et les préconisations que vous avez développés dans votre rapport et votre projet d'avis rencontrent totalement mes préoccupations et rejoignent l'action gouvernementale Je pense que vous l'avez senti.
Laissez-moi souligner quatre orientations qui nous rassemblent de manière forte :
Mieux prendre en compte l'usager,
Coordonner l'action des décideurs,
Evaluer les politiques et les actions conduites,
Promouvoir la professionnalisation du secteur.
Laissez-moi enfin vous remercier des travaux que vous conduisez et qui contribuent à guider et enrichir les politiques que nous menons.
(source http://www.social.gouv.fr, le 6 juin 2000)