Déclaration de Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, sur les magistrats et la réforme judiciaire, à Bordeaux le 10 octobre 2014.

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Circonstance : 40e congrès de l'Union syndicale des magistrats, à Bordeaux (Gironde) le 10 octobre 2014

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Union Syndicale des Magistrats,
Monsieur le Président de la commission des lois de l'Assemblée nationale,
Mesdames les Conseillères Justice du Président de la République et du Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les Hauts Conseillers, membres du Conseil Supérieur de la Magistrature,
Monsieur le Premier président,
Monsieur le Procureur général de la Cour d'appel de Bordeaux,
Monsieur le Maire adjoint de Bordeaux,
Monsieur le Directeur de l'École Nationale de la Magistrature,
Messieurs les représentants des Conférences des Premiers présidents, des Procureurs généraux, des Présidents et des Procureurs de la République,
Monsieur le Président, Monsieur le Procureur de la République du Tribunal de grande instance de Bordeaux,
Monsieur le Président de l'Union internationale des magistrats,
Mesdames et Messieurs les représentants des syndicats et associations des magistrats, fonctionnaires de Justice, avocats, magistrats administratifs, du monde judiciaire, associations de victimes notamment,
Mesdames et Messieurs les représentants de la Police et de la Gendarmerie,
Mesdames et Messieurs membre de l'USM et du Bureau national,
Mesdames et Messieurs,
Évidemment, tenir le Congrès de votre quarantième anniversaire ici à Bordeaux à un sens symbolique tout particulier, je suppose (...).
Je tenais à être présente, pas seulement parce que c'est à Bordeaux, mais parce que cet anniversaire fait sens, que c'est un plaisir de venir jusqu'à vous. (…) J'ai presque le sentiment d'être dépaysée cette année tellement j'ai été traitée presque correctement. (…) J'ai eu l'impression, l'année dernière, qu'il était injuste que je fusse traitée comme je l'ai été.
Je n'avais aucune raison de bouder ce plaisir même s'il a été difficile à réaliser.
Je reviens d'un Conseil des ministres européens sur la Justice, consacré à plusieurs dossiers importants. Deux sont à un stade de discussions et de décisions qui nécessitait ma présence au nom de la France.
Il s'agit du Parquet européen. Un parquet européen sur lequel nous avons emporté une grande victoire puisque la France et l'Allemagne ont été (...) les locomotives de la conception actuelle du projet de parquet européen. Nous avons promu les premiers un parquet européen sous forme collégiale, qui exercerait dans le cadre d'une compétence partagée et qui présenterait de solides garanties procédurales mais aussi d'indépendance et d'efficacité (…).
L'autre dossier important est celui de la protection des données personnelles (...). L'enjeu est considérable dans la mesure où l'Union européenne a abordé ce sujet sur une base extrêmement antagonique mais inévitable, à savoir parvenir à concilier, d'une part, un haut niveau de protection des citoyens sur l'usage qui peut être fait de toutes les données à caractère civil, commercial, personnelles mais aussi à caractère public (…), et d'autre part, de faire en sorte d'alléger les charges qui pèsent sur les entreprises européennes afin qu'elles soient en capacité d'affronter la compétition avec les firmes américaines et asiatiques qui ont pris quelques longueurs d'avance (…).
Autre sujet : une directive que nous avons réussi à imposer porte sur l'aide juridictionnelle (…), de façon à rendre effectifs ces droits nouveaux ouverts par l'Union européenne.
Il y avait également un instrument sur la présomption d'innocence.
Des dossiers importants qui justifient la présence de la France (…).
Il n'empêche que malgré l'importance de ces dossiers, il était crucial pour moi d'être parmi vous, cet après-midi, pour ce 40ème anniversaire parce que le syndicalisme en France a une histoire particulière, surtout le syndicalisme judiciaire.
Nous voyons bien aujourd'hui, et vous avez eu raison de le rappeler Monsieur le Président, qu'il y a des initiatives parlementaires qui visent à contester même le droit syndical dans la magistrature.
L'histoire du syndicalisme est une histoire tout à fait intéressante (…), elle a connu un dynamisme qui lui a permis de conquérir des espaces nouveaux (…).
Lorsque, dans cette relation de grande liberté, il apparaît très clairement que la liberté non encadrée et non protégée est, tout simplement, la loi du plus fort; ceux qui sont libres de disposer de leur force de travail, y compris pour le bien d'autrui, ceux-là se rendent compte qu'ils sont en réalité exploités. C'est ainsi que les premières lois sociales, qui vont d'ailleurs concerner le travail des enfants, seront adoptées en 1841.
C'est l'émergence de la révolution industrielle qui va provoquer une mobilisation de ceux qui ont pu, librement, mettre à disposition leur force de travail. Cette mobilisation va finir par aboutir aux lois de 1884 et notamment à la liberté syndicale.
Cette liberté syndicale est inscrite dans la Constitution. Elle y est inscrite depuis le Préambule de 1946, repris dans le préambule de 1958, et dit que tout homme a le droit de défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et a le droit d'adhérer à tout syndicat de son choix (…).
L'organisation syndicale va se développer d'abord dans le secteur privé puis, de plus en plus, dans le secteur public. Et c'est par la loi du 19 octobre 1946 que, dans la Fonction publique, le droit syndical sera inscrit et consolidé.
Le syndicalisme judiciaire va arriver bien après, vous l'avez rappelé. C'est en 1968, par la transformation d'une amicale d'anciens élèves du Centre national d'études judiciaires, l'ancêtre de l'École nationale de la magistrature, que va donc se créer ce Syndicat de la Magistrature.
Votre syndicat est l'héritier de l'Union fédérale des magistrats, qui a été instaurée à la sortie de la guerre en 1945, et sera créé en septembre 1974. A cette époque, il n'était pas évident de concevoir le syndicalisme dans la magistrature et de nombreux débats d'ailleurs en témoignent (…).
Ce qui est étonnant, c'est qu'aujourd'hui encore, ces débats sont repris, y compris d'ailleurs par d'anciens magistrats, devenus depuis parlementaires, et qui considèrent que le syndicalisme est une plaie.
Je pense que vous avez suivi suffisamment de débats, notamment sur le projet de réforme constitutionnelle, sur la fin des instructions individuelles (…), sur la création du parquet financier national également… Vous avez entendu les parlementaires dire que les magistrats sont trop syndiqués et trop politisés.
C'est l'aboutissement de cette conviction qui a été répétée à l'envie, qui se traduit par le dépôt de cette proposition de loi visant à interdire le syndicalisme dans la magistrature (…).
Incontestablement, les relations difficiles entre les syndicats et leur autorité ne sont pas surprenantes.
Il est normal que les syndicats soient turbulents. Il est normal qu'ils soient dérangeants. Est-ce qu'il est normal qu'ils mettent parfois à haute voix en accusation le garde des Sceaux ? Je n'en sais rien. Pour ce qui me concerne, face à des accusations (…), j'estime qu'il n'y a pas lieu à controverse entre la puissance publique et les syndicats (…).
Je pense que le débat doit être organisé. C'est ma responsabilité en tant que ministre de la Justice (…) de l'organiser dans des conditions objectives d e clarté, d'échanges et de loyauté. Mais il faut consentir à ce que le débat puisse être vif. La responsabilité de la puissance publique, ce sont les politiques publiques, qu'il faut définir, dont il faut assurer la mise en oeuvre, veillant également à l'évaluation de leur exécution.
La seule question est de savoir si ces politiques publiques sont fondées sur la concertation, notamment pour les mesures qui peuvent avoir un effet sur les conditions de travail, si elles sont conformes au droit, si elles sont crédibles en terme de capacité d'exécution et si elles sont intelligibles pour tous ceux qu'elles peuvent concerner. Donc, assumer sa responsabilité de puissance publique, cela n'empêche pas d'établir et d'entretenir des relations de dialogue. Ces relations de dialogue sont justifiées par le rôle que doivent remplir les syndicats qui représentent les intérêts matériels et moraux de leurs adhérents, donc en l'occurrence de vous les magistrats, mais pas seulement.
Dans la fonction publique, et en particulier dans la Magistrature, la défense des intérêts matériels et corporatistes est une question qui peut facilement rejoindre celle de l'intérêt général (…).
Nous posons d'une façon définitive, et je veillerai à ce que les digues nécessaires qu'il faut poser à nouveau le soient, y compris éventuellement dans la loi, la légitimité du syndicalisme judiciaire. Elle a d'ailleurs été très clairement confirmée par cet arrêt du Conseil d'État de 1972, qui est dans la loi organique relative au statut des magistrats laquelle, à deux reprises, fait référence au syndicalisme. Il y a une parole tout à fait autorisée, celle du président de l'actuel Conseil constitutionnel qui a dit son attachement au syndicalisme.
Il y a la question de la liberté syndicale. On accepte le syndicalisme. Je ne vois pas qui est fondé à dire que ce syndicalisme doive se limiter strictement à la défense d'intérêts corporatistes parce que je suis persuadée qu'il est une convergence possible entre la défense de ces intérêts catégoriels et la défense de l'intérêt général, en particulier dans le domaine de la Justice.
La liberté syndicale dans le domaine de la magistrature est inscrite dans l'histoire elle-même.
C'est en réaction à la réalité de l'allégeance imposée aux fonctionnaires en général, et aux magistrats, à la personne du Général Pétain, par le régime de Vichy, que l'Union fédérale des magistrats pose la nécessité de protéger les magistrats.
Donc la liberté syndicale, la possibilité de s'exprimer, y compris sur les situations de société, sur les sujets qui concernent la démocratie, sont inscrites dans la genèse même de cette Union fédérale des magistrats (…).
Cette liberté syndicale, pour moi, connaît ses limites dans l'éthique, dans la déontologie, dans le droit. Mais elle ne connaît pas ses limites dans l'inconfort que peut représenter la revendication qui est portée par des syndicats.
Les syndicats restent des partenaires extrêmement importants. Ils le sont dans la Fonction publique, dans le ministère de la Justice. Je pense l'avoir démontré depuis deux ans et demi en faisant des efforts repérables, tangibles, pour favoriser le dialogue social.
D'abord, en présidant avec la plus grande constance possible les comités techniques ministériels, mais aussi en lançant un audit sur la dialogue social - c'est le rapport Lacambre que vous connaissez - , en accélérant les consultations sur la lutte contre la souffrance au travail et en aboutissant à un plan que vous avez adopté et mis en oeuvre, et pour lequel j'ai demandé au Secrétariat général d'effectuer un audit d'exécution.
Nous allons, dans les prochains jours, publier un décret qui concerne l'organisation interne des juridictions et qui va placer au sein des cours d'appel une commission permanente d'études. Elle va constituer un espace de dialogue social et permettra ce dialogue social d'une manière institutionnelle mais au niveau local.
Je considère que le devoir de réserve qui est souvent évoqué, essentiellement en fait pour bâillonner et neutraliser la parole des syndicats, ne peut pas être utilisée à cette fin. Il est important que l'on comprenne bien que le syndicalisme dans la magistrature est un syndicalisme qui doit aller effectivement au-delà de la simple défense de la corporation, des intérêts des adhérents parce que tout simplement c'est le syndicalisme qui peut rejoindre l'intérêt général, au sens où l'intérêt général n'est pas seulement l'addition des intérêts particuliers ou des intérêts catégoriels, au sens où l'intérêt général transcende ses intérêts catégoriels.
Cet intérêt général que l'on doit prendre le temps de définir pour voir en quoi il correspond à la volonté générale, en quoi il sert la démocratie, en quoi, en renforçant la démocratie, il consolide l'exercice de cette fonction éminente que constitue la fonction de juger.
Cette rencontre des intérêts catégoriels et de l'intérêt général s'effectue dans la fonction publique à travers le syndicalisme, elle doit se faire de façon plus évidente encore dans le domaine de la Justice.
Mais bien entendu, nous savons que les magistrats sont sensibles à ces questions, ne serait-ce que parce qu'un éveil est assuré, y compris à votre corps défendant, par les situations qui vous sont soumises au quotidien. Ce sont les réalités de la société qui vous sont imposées qui font que, en tout état de cause, votre réflexion sur l'état de la société et l'état de la démocratie est interpellée, est sollicitée en permanence.
Reconnaître à quel point les magistrats sont sensibles à ces questions dans la société, aux mutations de la société, à l'évolution des attentes et des demandes, cela conduit à se rendre compte que les aspirations de la société aussi ont changé.
Les citoyens ne se contentent pas de voir leurs magistrats comme des personnes incontestables, sauf lorsqu'ils ont à faire à un magistrat qui a eu la mauvaise idée de leur donner tort dans une affaire, puisque le principe de juger c'est justement de produire du mécontentement. Indépendamment des cas particuliers, personnels, d'insatisfaction, les citoyens voient dans leurs magistrats des personnes qui sont sensibles à ces questions d'intérêt général.
Aujourd'hui, les citoyens attendent et demandent davantage. Ils attendent aussi que les magistrats soient plus accessibles, plus visibles dans la cité (…). De la même façon que la Justice est dans la cité, qu'elle n'est ni hors de la cité, ni contre la cité, le magistrat n'est ni hors de la société, ni contre la société. Il nous faut convenir que le magistrat exerce un magistère dans la cité et que ce magistère n'est pas seulement personnel. Le statut du magistrat joue aussi sur l'influence de ce magistère dans le pays. C'est une dynamique qui est en place et qui s'est traduite par des décisions tout à fait officielles.
A partir de 1958, lorsque le concours républicain est instauré, la diversité sociale va entrer dans la magistrature, par le biais de l'École nationale de la magistrature. Ce qui se poursuit avec les classes préparatoires intégrées et ce que j'ai veillé à consolider par des initiatives auprès des universités pour les ressortissants outre-mer. La diversité contribue également à entretenir cette relation avec la société.
Depuis ces dernières années, les missions des magistrats se sont multipliées et diversifiées, sous le coup de la judiciarisation de la société, de la mondialisation du droit, de la multiplication des normes et de la technicité de plus en plus élevées de ces normes. Les magistrats ont construit des réponses à ces situations. Ils ont mis en oeuvre des pratiques partenariales qui leur ont permis d'affronter ces situations d'intensification et de diversification de leurs missions.
Cette dynamique va se poursuivre. Elle est peut-être plus dynamique dans certaines fonctions, je pense au juge de l'application des peines, au juge des enfants ou encore au parquet. Elle va se poursuivre avec la mise en oeuvre de la loi d'individualisation des peines et de renforcement de l'efficacité des sanctions pénales, avec la réforme à venir de l'ordonnance de 1945.
C'est une réalité d'ouverture sur la société et sur la cité. On peut juste regarder faire et subir. On peut aussi choisir d'anticiper et d'en avoir la maîtrise. Cela suppose d'adapter l'organisation et le fonctionnement judiciaire à ces demandes contemporaines de la société. Et c'est une des ambitions de J21, la réforme judiciaire pour une Justice du 21ème siècle au service du citoyen. C'est une de ses ambitions.
Une Justice qui soit plus proche des citoyens, plus accessible. Alors qu'avec la réforme de la carte judiciaire, la puissance publique avait créé des déserts judiciaires, depuis deux ans et demi, nous recréons de la proximité.
Aussi avec ces guichets d'accueil unique de la Justice, nous permettons que le justiciable puisse atteindre la Justice de façon géographiquement plus aisée mais aussi techniquement plus aisée avec la communication électronique. Cette proximité sert la Justice. Les fonctions d'accueil servent la Justice, améliorent la compréhension de la Justice. C'est donc une démarche qui vise à faciliter l'accès au droit, l'accès à la Justice.
C'était la même logique qui a présidé lorsque nous avons décidé de supprimer le timbre de 35 euros, dont la recette a été compensée par l'État. En faisant ainsi, nous contribuons à l'idéal républicain de l'Égalité, qui permet que le citoyen le plus vulnérable ait accès à la Justice.
Il ne suffit pas de penser seulement au justiciable. Il faut voir aussi quelles sont les conditions de travail, j'y ai montré une attention particulière et le Gouvernement s'y est montré extrêmement sensible.
En plus du respect et de la considération offerts aux personnels de Justice depuis deux ans et demi, en reconnaissant les efforts qui ont été faits pour permettre à l'institution judiciaire de traverser les grandes tempêtes, de tenir bon par grand vent, d'exister et d'exercer malgré des difficultés et des mises en cause, malgré des restrictions de budgétaires, le Gouvernement a tenu à améliorer les conditions de travail et à mettre des moyens.
D'abord, pour les personnels fonctionnaires avec la réforme statutaire et indemnitaire des greffiers en chefs et des greffiers, ainsi que les primes exceptionnelles.
Vis-à-vis des magistrats également, avec la modernisation de leur équipement, notamment avec l'attribution de smartphones, qui permettent de consulter les mails et qui donnent de la liberté – (NDR : réaction de la salle) si vous n'en voulez pas, vous le dites parce que je sais ce que je ferai du budget – l'expérimentation de l'assistance auprès du magistrat du parquet et la la revalorisation de l'indemnité d'astreinte. A partir de 2015, cette disposition qui est annoncée dans le plan pour le ministère public sera applicable et permettra de revaloriser cette indemnité qui, dans le cas de déplacement de jour sera doublée, en passant de 40 à 80 euros, et en cas de déplacement de nuit, elle sera presque triplée puisqu'elle passera de 46 à 126 euros. Elle concernera bien sûr les magistrats du siège et ceux du parquet.
Vous évoquiez tout à l'heure, Monsieur le Président, le projet de loi organique portant statut de la magistrature. Les consultations vont commencer à la fin de ce mois d'octobre sur le contenu de ce texte, sur les modifications que nous introduisons dans cette loi organique.
Parmi ces modifications, il y a la spécialisation des fonctions de juge des libertés et de la détention. En attendant que la loi consacre cette spécialisation, nous allons publier prochainement un décret, qui est à l'examen du Conseil d'État, qui permettra que le retrait de la fonction d'un juge des libertés et de la détention ne soit possible que sur avis conforme de l'assemblée générale des magistrats du siège.
D'autres dispositions concernent l'allègement des obligations de mobilité géographique pour tenir compte des propositions contenues dans le rapport sur la parité qui nous a été présenté par le Conseil supérieur de la magistrature. Nous envisageons un élargissement de l'octroi de la protection statutaire en cas de saisine du CSM par les justiciables (applaudissements).
Il y a d'autres dispositions sur lesquelles vous serez consultés très prochainement.
Je sais que vous avez des réticences, vous les avez exprimées à plusieurs reprises, (…) sur une disposition de la réforme de la Justice du 21ème siècle dont vous regrettez qu'elle ne comporte que 15 actions. Ce sont 15 actions avec des objectifs précis, qui sont sorties très directement des consultations auxquelles nous avons procédé.
Je vais rappeler le processus : des groupes de travail ont produit des rapport qui proposaient 268 recommandations, un grand débat national qui a rassemblé des énergies et des intelligences, une consultation dans les juridictions, une consultation par les chefs de cour des auxiliaires de justice, une remontée de 2000 contributions, analysées et traitées par les Direction des services judiciaires, une prise en compte respectueuses de ces 2000 contributions et l'extraction de ces 2000 contributions d'une cinquantaine de mesures regroupées en une quinzaine d'actions. (…)
Je pense que pour l'efficacité de cette réforme, qui est une réforme au long cours, c'est une réforme avec des mesures prosaïques, avec des améliorations de situations.
J'ai parlé sans m'y appesantir, de l'amélioration de la situation des greffiers en chef et greffier. Cette décision concerne trois ministères : le mien, celui du budget et celui de la fonction publique et c'est un triple arbitrage du Premier ministre qui a permis cet effort de revalorisation.
C'est le seul effort de revalorisation catégorielle, avec la reconnaissance de la situation spécifique des greffiers.
Il y a des mesures prosaïque : organisation du travail, cellule qui permet de répondre très vite à des difficultés liées à des télécopieurs en panne. Nous avons renouvelé une bonne partie du parc informatique, nous avons dégagé des crédits qui ont permis des travaux immobiliers d'urgence, etc.
Il y a cette organisation structurelle, il y a ces efforts importants, il y a ces mesures. Par exemple, modification de la loi organique ou expérimentation de l'accueil unique, de l'assistance des magistrats.
Pour la lisibilité de cette politique publique de la réforme judiciaire, il nous a paru nécessaire de regrouper sous forme de grands objectifs et de grands axes les mesures. C'est pourquoi nous avons fait un effort pour nous contraindre à quinze mesures. Donc, ce n'est pas un rétrécissement, c'est une organisation rationnelle et cohérente des principales mesures que vous avez souhaité vous-même.
Il y a une disposition que nous souhaitions et qui était dans les engagements officiels du Président de la République et qui a manifestement provoqué des réticences fortes dans les juridictions, c'était la création d'un tribunal de première instance.
Il a semblé, à l'examen des arguments, qu'il s'agissait essentiellement d'une crainte de fermeture de sites judiciaires. J'ai eu beau répété, écrire, que nous n'allions pas fermer de sites judiciaires. Au contraire, nous avons ouvert des tribunaux de grande instance, des chambres détachées, des maisons de la justice et du droit, des guichets uniques de greffe.
Un engagement solennel, la preuve par l'action de la crédibilité de cet engagement solennel et malgré tout, j'ai dû constater qu'il y avait des réticences sur la création de ce tribunal de première instance. J'en ai fait part au Président de la République qui conçoit lui aussi qu'il ne sert à rien de vouloir réformer contre l'avis, en tout cas, face à la mauvaise volonté. Vous auriez le droit d'avoir de la mauvaise volonté ou vous en auriez très probablement la tentation.
A quoi sert-il lorsque l'on a fait le choix du dialogue, avec ce que cela suppose de frustrations, avec le temps qu'il faut prendre, avec le travail colossal que cela génère ? Quel sens cela aurait de retenir une réforme qui n'aurait pas l'assentiment des personnels de justice ?
Nous avons donc estimé qu'il n'y avait pas lieu de créer le tribunal de première instance. Voilà le sérieux avec lequel nous avons traité ces contributions (…).
Je connais vos réticences sur une expérimentation qui sera également lancée sur les conseils de juridiction.
Je disais que le magistrat est dans la société et la Justice est bien dans la cité. Le conseil de juridiction en prend acte tout simplement. Il prend acte aussi de l'attente de la société de ce que la Justice et les magistrats participent de plus en plus au débat dans la société. Je ne parle pas des querelles mais bien des débats dans la société. En sachant ce que les magistrats et l'institution judiciaire peut y apporter et je crois qu'il est important de concevoir et d'admettre l'idée que, non pas que des politiques entre dans les conseils de juridiction. Le conseil de juridiction n'est pas fait pour ça.
D'abord, ils rentrent déjà, vous les invitez à vos audiences solennelles. Mais vous les invitez au silence, j'en conviens. Ils vous écoutent pendant toute la durée des discours des audiences solennelles. Mais vous conviendrez que ce n'est pas un espace de dialogue. Ils entendent d'ailleurs souvent des choses désagréables pour eux, d'ailleurs et ils n'ont pas le droit de réplique. Mais il ne s'agit pas non plus de créer un espace où les politiques auraient un droit de réplique.
Il s'agit de convenir du fait que les magistrats et les fonctionnaires constituent une vraie communauté de travail, mais pas seuls. Il y a des relations continues avec, pour la Justice, la Protection judiciaire de la jeunesse et l'administration pénitentiaire. Mais aussi avec les avocats, les huissiers, les notaires.
Tous ceux-là sont attachés aussi à leur juridiction. Le conseil de juridiction conçoit de créer un espace où la communauté de travail, avec tous ces partenaires, rencontre également les représentants de la société civile et échange sur des politiques transversales telles que l'accès au droit, l'accès à la Justice, l'aide aux victimes, la politique de conciliation et de médiation...
Nous allons gagner en cohésion ; les juridictions vont gagner en efficacité, y compris dans la capacité à proposer au Conseil national de l'aide juridique des suggestions. Souvent, l'institution judiciaire a été la dernière à intégrer les éléments démographiques, géographiques, sociologiques, économiques qui pouvaient justifier des inflexions dans la politique d'accès au droit et à la Justice, par exemple.
Il y a là une capacité d'anticipation qui pourra avoir un effet par une transmission au CNAJ, dont je vais changer à la fois les missions et la composition, et qui vous permettront d'agir directement sur les décisions des gardes des Sceaux quant aux besoins en matière de Justice, par territoires.
Nous avons très clairement limité l'action de ces conseils de juridiction. Il a été posé qu'il n'y aura aucune interférence sur l'action juridictionnelle, sur l'organisation interne des juridictions, sur l'indépendance juridictionnelle.
Le fonctionnement et la composition ne sont pas encore déterminés. Et ça ne sera pas fait avec brutalité, rien ne sera fait à marche forcée. Deux ans et demi de pratique donnent du crédit à ce propos (…).
Je sais que les innovations peuvent inquiéter. Il y a des gens qui ont l'esprit pionnier, l'esprit de découverte et qui sont des précurseurs. Et il y a des juridictions qui se sont portées volontaires pour expérimenter parce que nous allons procéder par expérimentation. Puis nous allons l'évaluer. Nos verront s'il y a lieu de la généraliser, à quelle échelle : la cour d'appel ? Le tribunal de grande instance ? Ou une référence territoriale ?
Cette évaluation sera transparente et rigoureuse. Je pense qu'il faut en accepter le pari parce que c'est une réponse à une demande démocratique qui est complètement légitime. Accepter le pari, c'est accepter aussi le risque. Le risque d'erreur fait partie de la vie, fait partie du chemin qui mène à la perfection, en tout cas, à la réponse la plus adaptée et la plus ajustée (…).
Philosophiquement, le refus de l'erreur peut être une source d'entropie. Le philosophe Tagore nous explique comment refuser l'erreur, c'est refuser la chance de bien faire aussi lorsqu'il dit qu'en fermant la porte à toutes les expériences et à tous les risques d'erreur, on s'assure que la vérité elle-même restera aussi dehors.
Ce que je vous propose c'est que l'on accepte le risque d'erreur sur ces conseils de juridiction, car c'est un grand enjeu.
Comme vous, Monsieur le Président, j'aurais pu faire un autre discours. J'aurais pu répondre point par point à un certain nombre de choses, notamment lorsque vous disiez que c'est suite à vos propos de l'année dernière que certaines mesures ont été prises. Non, elles étaient déjà en cours et vous le saviez parce que vous êtes reçus.
Si vous n'êtes pas reçus, vous pouvez me le faire savoir. D'abord parce que vous êtes reçus par moi, ensuite parce que je réponds et je signe personnellement, de ma main, de ma très large signature, les réponses qui vous sont adressées. Et vous voyez bien que c'est de ma main car j'y ajoute un mot (…).
Parce que la dignité de la fonction me conduit à considérer qu'envers et contre toute affinité, il peut y en avoir, envers et contre toute aversion, c'est inconcevable qu'il puisse y en avoir, envers et contre toute rancoeur, j'aurais pu avoir quelque raison d'en avoir – pas aujourd'hui, c'est pour ça que j'étais dépaysée - qu'envers et contre tout cela, le respect dû au magistrat se traduit par un respect montré en toutes circonstances à ceux qui représentent les magistrats et à ceux qui parlent au nom des magistrats.
Je n'ai pas d'efforts à faire mais s'il y avait lieu de faire des efforts, je l'aurais fait. Je n'ai pas à faire ces efforts puisque ce respect m'est tout naturel. Je vais vous dire simplement : Je sais à quel point vous êtes convaincus que tout ce qui est dit et fait pour défendre la magistrature, cette grande fonction et grande mission, n'est pas fait pour vous défendre personnellement, quelque soit le bien que l'on pense de vous, individuellement. Il est fait parce que l'enjeu est bien supérieur à cela.
L'enjeu est celui de la démocratie, celui d'une société capable d'apporter des réponses claires, rapides, efficaces, à tous les citoyens, aux plus vulnérables, comme au puissant qui peut être attaqué de façon injuste.
L'enjeu est de s'assurer de la solidité de l'institution judiciaire parce qu'elle est le premier bras de secours de l'État. L'enjeu est de veiller à ce que les magistrats, eu égard à la hauteur et à la lourdeur de la fonction, de la mission qu'ils doivent assumer, demeurent des figures de respect dans la société. C'est une condition de l'efficacité des décisions judiciaires.
Tout ce qui peut être dit, fait, pour défendre la magistrature, pour défendre les magistrats, pour défendre une magistrate, un magistrat, s'inscrit dans cette préoccupation, dans cette exigence que ce gouvernement tout entier s'impose pour veiller à ce que cette figure du magistrat demeure une figure de respect.
C'est pour cela que nous prenons le temps d'expliquer aux uns et aux autres l'indépendance de la magistrature, nonobstant ce qui peut être crié, hurlé, dans certaines instances, y compris dans certains lieux de grands débats démocratiques, selon lesquels les magistrats sont partiaux, trop syndiqués, trop politisés, peu fiables, qu'ils abusent. Tout ce qui est dit en ces lieux en riposte, tout ce qui est fait pour que les citoyens comprennent que les magistrats sont pour eux un rempart et que l'indépendance des magistrats est une valeur essentielle mais surtout une garantie de la neutralité dans les décisions judiciaires.
Vous devez faire crédit à ce Gouvernement, mais vous l'avez fait, Monsieur le Président, de l'effort du Président de la République, du Premier ministre, de la garde des Sceaux – vous avez bien voulu le reconnaître. Pas une parole n'a été prononcée en deux ans et demi, par aucun membre de ce gouvernement, de nature à fragiliser cette figure du magistrat.
Et c'est sur ce terrain-là que nous nous retrouvons, et que nous nous retrouverons bien après lorsque vous continuerez à être des magistrats respectés et que moi, j'aurai vogué vers d'autres aventures.
Au-delà de nous tous, nous transcendant tous, il y a cette démocratie à laquelle nous sommes attachés. Mais cette démocratie est mise en péril, constamment, par des techniques nouvelles, par des coups de butoir qui sont portés à son droit, par des mises en cause de ces institutions, par une décrédibilisation de la parole publique, de l'action publique, de l'action judiciaire.
C'est cela qui nous permet de nous rejoindre et c'est pour cela que nous allons continuer à produire des efforts pour expliquer aujourd'hui et encore demain.
Expliquer que votre indépendance, votre impartialité, votre neutralité, ne sont ni accidentelles, ni assurées par inadvertance. Elles doivent être garanties par la Constitution, qui le dit et nous devons le renforcer.
Elles contiennent surtout un socle, j'allais presque dire plus sûr encore que la Constitution, la loi fondamentale étant notre référence.
C'est votre conscience, le serment que vous prononcez, vos engagements, le respect des règles déontologiques, l'éthique qui vous conduit à construire votre indépendance, non seulement contre les réseaux, non seulement contre les pressions, non seulement contre toute immixtion, non seulement contre toute tentative de déstabilisation mais surtout contre vous-même, contre vos élans, contre vos sympathies, contre vos aversions, contre vos scepticismes.
Le meilleur socle, c'est bien cette éthique et cette déontologie qui font sans doute la beauté et la noblesse de cette très belle mission.
Je vous en remercie.
Source http://www.union-syndicale-magistrats.org, le 12 janvier 2015