Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Je suis ravi de vous accueillir pour un point de presse qui n'est pas exactement celui qui, traditionnellement, se tient au ministère des affaires étrangères. Je voudrais placer notre réunion sous deux patronages illustres : Brillat-Savarin, qui disait «La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent» et le plus célèbre cuisinier de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, Auguste Escoffier, qui disait : «L'art de la cuisine est une des formes les plus utiles de la diplomatie ».
Il y a de cela quelques mois, nos amis ici présents et singulièrement Alain Ducasse, mais aussi Guy Savoy et tous les chefs qui sont là, m'ont parlé d'un projet que j'ai trouvé formidable. Il s'agit d'organiser le même jour, le 19 mars, dans le monde entier, un repas à la française. À l'époque, c'était simplement une idée et maintenant, c'est une réalité grâce au talent de celles et ceux qui sont là.
Le 19 mars en effet, sur tous les continents du monde, il y aura un repas à la française - Alain Ducasse va vous en donner les spécificités - qui va illustrer ce qu'est notre gastronomie. Il y aura non seulement - vous donnerez certainement les chiffres Alain - plus de 1 000 restaurants qui ont été sélectionnés et j'ai pris la décision que dans 150 ambassades, les ambassadeurs inviteront un certain nombre de convives pour organiser un repas à la française.
Le même soir, au château de Versailles, nous inviterons la totalité des ambassadeurs des pays étrangers en poste à Paris plus un certain nombre de personnalités pour dire simplement, très modestement, que la gastronomie française fait partie de notre identité. Que cette gastronomie est l'une des meilleures et peut-être la meilleure du monde, en tout cas que nous sommes fiers d'elle et que cela fait donne une image positive de la France.
Alain Ducasse va vous dire comment les restaurants ont été sélectionnés et je veux dire que je suis extrêmement heureux de cette initiative. Je remercie beaucoup les chefs, non seulement celles et ceux qui font partie du jury mais, dans l'ensemble du monde, les chefs français et étrangers qui seront ces formidables ambassadeurs de la gastronomie française.
Quand on regarde ce qui compose l'image de la France et le meilleur de notre pays, la gastronomie et l'oenologie viennent au tout premier rang. On dira qu'il est étonnant que cet événement ait lieu au ministère des affaires étrangères. Pas du tout, parce que je m'occupe du rayonnement de notre pays à l'étranger et ce serait ne pas comprendre du tout ce qu'est notre rayonnement que de ne pas inclure au premier rang la gastronomie française qui a été, dans le passé, illustrée par de très grands chefs et qui, aujourd'hui, est illustrée par celles et ceux qui sont là et que je veux très chaleureusement remercier.
Dans la salle, il y a beaucoup de journalistes et nous comptons sur vous pour diffuser cette information, pour qu'il y ait un coup de projecteur qui soit braqué sur notre gastronomie. Ce n'est pas du tout par arrogance, mais parce qu'on a la chance d'avoir un art qui fait partie du patrimoine mondial et qu'il faut le mettre en valeur.
Par ailleurs, nous allons lancer très bientôt, dans les jours qui viennent, une campagne mondiale sur le thème de «Créative France». Je crois que, s'agissant de la gastronomie, elle fait partie de cette créativité au même titre que nos talents en matière de cinéma, de littérature, de technologie ou d'économie. Cette gastronomie française est vraiment à saluer et à déguster ; c'est ce que nous préparons.
Rendez-vous donc au 19 mars mais en attendant, il y aura beaucoup de choses qui seront faites.
Q - Merci pour ce très beau «casting » des grands chefs. Dans mon agence de presse, nous avons souvent suivi «The French touch» et l'exportation de la valeur France. Nous n'avons pas entendu parler des chefs de la gastronomie jusqu'ici, est-ce pour ne pas être en concurrence ou est-ce le hasard ?
R - Vous avez quand même entendu parler de la gastronomie française, peut-être pas de manière officielle mais après tout, quand l'officiel et le spontané se rencontrent c'est une très bonne chose. Oui bien sûr, la gastronomie française fait partie du «French touch» et je pense que vous devez avoir aussi en tête l'aspect anglo-saxon de «Creative France». Nous l'avons tous dit, la cuisine française est à l'origine de la gastronomie dans sa diversité avec le souci de la qualité comme l'a dit Alain Ducasse, le souci de l'environnement et de la diversité. C'est tout cela que nous allons mettre en valeur et ce qui sera très intéressant, c'est que dans la liste de restaurants qui a été sélectionnée, il y a beaucoup de chefs français mais aussi beaucoup de chefs étrangers qui servent la cuisine française.
Nous venons de prendre une disposition demandée par les cuisiniers, pour faciliter les démarches pour les jeunes étrangers qui souhaitent venir en France pour s'initier à la cuisine française. Ils seront, ensuite, nos meilleurs ambassadeurs, pas seulement pour la cuisine, pas seulement pour le vin, mais pour l'art de vivre à la française et pour la France elle-même.
Q - Quels sont les critères pour la sélection des restaurants qui sont finalistes dans le monde ? Pouvez-vous Monsieur le ministre, nous détailler ce que vous venez d'expliquer, comment ces jeunes qui veulent apprendre à cuisiner en France vont être accueillis ?
R - Alain Ducasse : Nous avons une commission internationale de confrères partout dans le monde qui nous ont validé les candidatures. Je dois dire que ceux qui ont candidaté avaient, pour l'essentiel un vrai intérêt d'être les ambassadeurs de la cuisine française, parce qu'ils l'étaient depuis toujours, quelle que soit la catégorie d'ailleurs. Nous avons eu très peu de commentaires négatifs quant aux candidats. Tout cela est une chaîne très confraternelle. Dans ce métier, partout sur la planète, Guy Savoy peut le confirmer, on trouvera toujours un confrère qui s'attachera à nous aider. Cette chaîne est presque universelle. Tous les confrères dans le monde à qui j'ai demandé pour savoir s'ils étaient supporters pour nous aider à qualifier ce réseau mondial ont répondu oui.
Ensuite, l'idée était de faciliter l'accès à la cuisine française en France de jeunes étrangers voulant s'initier à la cuisine française et en cela, je dois dire que les pays du sud de l'Europe - en particulier l'Espagne - et les pays nordiques ont donné accès depuis quelques années, avec beaucoup de facilités à des jeunes étrangers pour venir s'initier à la cuisine. C'était beaucoup moins facile en France. J'ai donc convaincu Laurent Fabius de nous aider à faciliter ces demandes, avec une lettre de motivation et avec une commission rapide - et le ministre de l'intérieur nous a appuyés - et je dois avouer qu'en quelques mois, nous sommes en mesure aujourd'hui d'inviter à les faire venir chez nous et en plus ils seront payés. Je le précise parce que nous serons très certainement l'un des rares pays à payer nos stagiaires parce que c'est normal.
Ensuite, au bout d'un an, ils deviendront les ambassadeurs de la cuisine française. Je pense que nous avons la modeste ambition de réinfluencer grâce à cela, avec des jeunes collaborateurs et des moins jeunes. Ils peuvent être, par exemple, seconds dans un grand hôtel en Asie, ils vont venir s'imprégner de l'excellence de notre savoir-faire pour, à leur tour, diffuser, partager et transmettre. Voilà notre objectif et tout cela est en bon ordre.
R - Laurent Fabius - C'est ce que l'on a appelé les visas d'excellence culinaire. Nos amis grands chefs m'ont dit, ainsi qu'à Bernard Cazeneuve, qu'il y avait un problème car il y avait beaucoup de demande d'étrangers qui souhaitaient se former en France mais le parcours administratif était très compliqué. Nous avons donc pris des dispositions, pour qu'à partir du mois de janvier de cette année les visas de long séjour soient accordés pour des jeunes et des moins jeunes qui souhaiteraient se former auprès de nos grands chefs dans nos restaurants étoilés. Cela correspond à ce qu'est l'image de la France, aux valeurs de la France et ensuite parce que nous pensons qu'après, ils seront les meilleurs ambassadeurs. Il s'agissait donc de prendre des dispositions administratives et elles sont prises. Je pense que c'est du bon travail.
Q - Par rapport à ce projet «Goût de France», est-il possible que ce projet relance aussi le tourisme en France et surtout qu'il crée des infrastructures en dehors de Paris notamment. Quand je l'ai rencontré, M. Philippe Faure [président délégué du conseil de promotion du tourisme, ndlr] expliquait très bien que des touristes ne pouvaient pas se rendre juste à Cognac pour un aller-et-retour parce qu'il n'y avait pas d'infrastructures. «Goût de France» tentera-t-elle de promouvoir cela ?
R - L'opération «Goût de France» est une opération qui sera menée le 19 mars mais, comme vous l'avez senti, elle fait partie d'un projet plus général qui est de développer la gastronomie française et le tourisme français ; il y a un lien entre tout cela.
Il y a énormément de choses à faire pour développer le tourisme. Nous avons déjà un tourisme extrêmement puissant puisqu'il représente près de deux millions d'emplois et nous accueillons le nombre de touristes étrangers le plus important dans le monde. Mais nous voulons aller plus loin, nous voulons être encore plus efficaces et cela repose sur toute une série de décisions que nous sommes en train de prendre.
Sous l'égide de Philippe Faure, que vous avez cité, je réunis régulièrement un conseil de promotion du tourisme qui examine les pistes pour avancer. Je vous annonce d'ailleurs qu'il y aura un rendez-vous national du tourisme - les Assises nationales du tourisme - au mois d'octobre, de même qu'il y avait eu l'an dernier, pour voir où nous en sommes. Pour développer le tourisme, il y a énormément de choses à faire.
Je cite simplement des têtes de chapitres :
Il y a ce qui concerne la gastronomie et l'oeno-tourisme c'est-à-dire faire en sorte que les gens qui viennent en France pour la gastronomie ou pour le vin puissent rayonner à travers le pays et qu'ils puissent trouver des hôtels pour les héberger.
Si nous voulons qu'ils viennent en France, il faut qu'il y ait des aéroports pour les accueillir et que ceux-ci soient bien desservis.
Il faut aussi que les hôtels soient de qualité et que les investissements nécessaires dans les hôtels soient réalisés. Si on veut qu'ils soient bien accueillis, il faut de la formation pour les jeunes et pour les moins jeunes.
Il y a toute une série de têtes de chapitres et, au sein de ce conseil de promotion du tourisme, nous passons en revue les différents domaines et nous avançons au fur et à mesure. Nous rendrons nos conclusions publiques au printemps, c'est M. Faure qui s'en occupe, avec de nombreuses personnes que je veux beaucoup remercier.
On estime qu'un tiers des touristes qui viennent en France - il y a 84 millions de touristes étrangers et j'ai fixé un objectif de 100 millions de personnes - le font d'abord pour la gastronomie et pour le vin. Peut-être ce chiffre est-il supérieur mais dans les déclarations qu'ils font spontanément lorsqu'il y a des études d'opinion, c'est ce qu'ils indiquent. C'est donc un atout extraordinaire que nous avons bien l'intention d'amplifier.
Q - En regardant la carte, j'ai l'impression que c'est le continent africain qui est le plus demandeur. Est-ce exact ?
R - Laurent Fabius - Je n'ai pas le chiffre exact mais et il semble qu'en Afrique 24 restaurants ont été inscrits. Pour les autres pays nous avons les données suivantes : l'Union européenne (322), le Japon (62), le Brésil (54), l'Inde (49), les États-Unis (46) et la Chine (34 restaurants).
Cela ne veut pas dire que tous les restaurants français ont concouru ou ont été retenu. Il y a beaucoup plus de restaurants qui peuvent servir ou qui servent la cuisine française mais, si j'ai bien compris, il fallait la rencontre entre deux volontés, d'une part celle des candidats de se présenter et d'autre part, les délibérations que vous avez eues au sein de votre jury. Ceux qui n'étaient pas candidats, c'est malheureux pour eux et de plus, il fallait qu'il y ait un certain nombre de critères de qualité. Mais bien sûr, le nombre est beaucoup plus important de ceux qui servent ou peuvent servir la cuisine française à travers le monde.
Q - Comment ce projet est-il né ? Est-ce un groupe de chefs qui est venu à vous ? Quelle est la feuille de route des candidats ? J'imagine qu'ils doivent suivre quelques critères.
R - Alain Ducasse - Le critère principal, c'est un menu à la française dans l'harmonie des mets et des vins. Je dirai que le cuisinier d'aujourd'hui doit s'attacher à regarder localement ce qu'il va trouver, que l'expertise de la cuisine française, c'est d'abord un savoir-faire en essayant d'avoir la même harmonie avec des vins français. Le cuisinier va regarder ce dont il dispose ainsi je suis sûr qu'à Cuba il fera l'inventaire de ce dont il peut disposer et de ce qu'il sait faire afin de proposer ce qui est le plus en harmonie avec son public. En effet, le cuisinier va à la rencontre de son public avec ce qu'il va trouver et avec ce qu'il connaît avec une attitude humaniste.
On dépasse le débat et les querelles de savoir si mon ami Massimo Bottura viendra ou non. Peut-être n'est-il pas disponible ce soir-là mais sinon bien évidemment qu'il sera là. Bien sûr qu'à Cuba, nous allons nous attacher à faire la bonne réponse de cuisine.
Je pense qu'il faut dépasser le débat de savoir qui est le meilleur ou qui ne l'est pas. Il faut que chacun se prenne en charge pour partager avec le plus grand nombre, quelles que soient les religions ou les couleurs de peau, il faut se réunir autour d'une table. Et comme le dit Guy Savoy, c'est certainement l'un des lieux les plus civilisés du monde parce que quelles que soient les divergences d'opinions, autour d'une table finalement, après un bon apéritif, les conversations se délient et même si on n'est pas d'accord, à un certain moment, autour de la table, tout le monde est d'accord. Même si des désaccords subsistent à la fin du repas, lors du prochain, on partagera.
Je pense que c'est ce lieu le plus civilisé du monde, autour d'une table, dans la notion de partage que nous sommes finalement là pour honorer, indépendamment de savoir qui est le meilleur. Je pense qu'il faut dépasser cette notion, c'est la raison pour laquelle nous sommes là et pour laquelle nous défendons avec attention l'influence de notre message jusqu'à dire que nous allons réinfluencer le monde. C'est le message dont nous sommes porteurs.
R - Laurent Fabius - C'est la première édition et qui dit première édition indique qu'il y en aura d'autres. Vous connaissez les vers de Corneille : «Nous partîmes 500 mais par un prompt renfort, nous nous vîmes 4.000 en arrivant au port.» Là, nous partîmes 1.500 et nous verrons l'année prochaine. !
Il faut dire aussi que ce n'est pas la seule initiative : le dîner au Château de Versailles est très important parce que vous aurez les regards du monde fixés sur cet évènement, étant donné que nous avons invité tous les ambassadeurs du monde en poste à Paris avec un certain nombre de personnalités. Le repas sera évidemment confectionné par de grands chefs et nous montrerons Versailles sous tous ses atours, grâce à la gentillesse de Mme Catherine Pégard. Il y aura d'autres manifestations parce que je veux vraiment, avec nos amis, que l'on remette la cuisine française à la place qui lui revient c'est-à-dire un élément de civilisation, de société et de sociabilité.
D'ici quelques jours, les étoiles du Guide Michelin seront annoncées ici. De la même façon, je pense que l'on pourrait transformer les Journées du patrimoine - qui avec 12 millions de visiteurs remportent un grand succès et permettent de découvrir de nombreux de monuments - en Journées des patrimoines. Au-delà des patrimoines muséographique, architectural, on célèbre aussi le même jour, le patrimoine gastronomique. Faire une belle visite et avoir un bon repas dans la même journée, cela mérite que l'on s'en souvienne.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 janvier 2015