Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur la fin de vie.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs, l'existence de chaque femme, de chaque homme, de chacun d'entre nous est ponctuée de grandes questions. Parmi celles-ci, il en est une profondément intime, éminemment complexe : c'est celle de la fin de vie - la sienne, celle des autres, celle de ses proches. Si nous sommes amenés à en débattre dans cet hémicycle, c'est parce que cette question interpelle au plus haut point notre société. Ce n'est pas nouveau. Le rôle du législateur est donc de s'en saisir, comme il l'a fait par le passé.
La discussion qui s'ouvre s'articule autour d'un constat et d'une réflexion.
Le constat, c'est que l'espérance de vie a progressé. Aujourd'hui, on vit mieux, plus longtemps, et nous devons bien sûr nous en réjouir. Le combat pour la vie, le combat pour faire reculer la maladie, est un combat qui ne doit jamais faiblir. A cet égard, nous apportons tout notre soutien à nos scientifiques, qui sont à la pointe de la recherche médicale. Nos efforts dans ce domaine doivent être et seront poursuivis.
Le corollaire de ces progrès thérapeutiques, c'est le changement des conditions de la fin de vie. Cette dernière intervient souvent en milieu médical, à l'issue de périodes plus ou moins longues, plus ou moins douloureuses de traitement. Dans ce contexte, l'individu, le patient, a développé des attentes et des revendications légitimes : le droit au respect, à l'information, à l'autonomie ; le droit, aussi, de limiter autant que possible la douleur, tant physique que psychique. Nous devons prendre toute la mesure de cette demande, mais aussi de la détresse dans laquelle des milliers de personnes meurent chaque année. C'est une réalité qu'il faut savoir affronter.
Face à ces douleurs, les patients revendiquent aujourd'hui la possibilité de faire un choix, certes délicat : celui de dire que c'en est assez, celui rester maître de son existence jusqu'à la fin, de faire respecter sa dernière volonté. C'est en quelque sorte un droit à la dignité que les patients demandent.
La détresse, c'est aussi celle des familles et des proches. Nous la connaissons tous, car nous avons tous été confrontés au drame personnel que constitue la perte d'un être cher. Ce sont des moments difficiles, où les décisions et les choix se font plus lourds, où l'émotion peut prendre le pas sur le discernement.
Dernier élément de constat, la détresse des patients, des proches, est souvent rejointe par celle du corps médical. Les équipes de soins sont placées dans une situation toujours délicate, entre le risque de faire preuve d'acharnement thérapeutique, parfois à l'encontre de la volonté des patients et des familles, et celui de se voir reprocher de ne pas avoir tout fait pour sauver ou prolonger la vie du malade. La médecine curative ne doit jamais se transformer en violence médicale. Mais à qui donner raison ? Où fixer la limite entre soigner coûte que coûte et accepter de laisser partir ?
Mesdames, messieurs les députés, le constat que je viens de dresser nous amène à une réflexion partagée : le débat sur la fin de vie est un débat nécessaire. Sur cet enjeu, nous devons savoir nous rassembler, trouver les consensus nécessaires, et ce pour plusieurs raisons.
D'abord, ignorer les situations délicates liées à la fin de vie serait refuser de prendre ses responsabilités. Comment concevoir que des proches aient à prendre la lourde décision d'arrêter les traitements alors que des décisions auraient pu être prises en amont par les patients eux-mêmes ? Comment tolérer qu'on en vienne à envisager de soulager soi-même les souffrances intolérables de l'un de ses parents atteint d'une maladie incurable ? De même, comment rester insensible à ces personnels soignants, à l'écoute des malades et des proches, qui souffrent d'être démunis devant l'agonie d'un patient, face à la souffrance et à la mort ?
Ignorer ces situations délicates liées à la fin de vie, c'est également laisser se développer des inégalités intolérables car aujourd'hui tout le monde n'est pas égal face à la mort.
M. Jean Glavany. C'est vrai !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette inégalité existe, bien sûr, à l'échelle européenne, si bien que certains ne trouvent pas d'autre issue que de se rendre à l'étranger pour mourir dans la dignité à laquelle ils aspirent. Mais nous devons également être lucides devant les inégalités de fait qui existent dans nos hôpitaux, face à la douleur, face aux conditions de soins, face à l'accès aux soins palliatifs. Nous ne pouvons nous satisfaire de cela.
Enfin, ignorer ces situations délicates liées à la fin de vie, c'est oublier et même nier que la fin de vie relève avant tout du droit de l'individu, du droit de chacun de nous. Il faut commencer par là ; il faut commencer par dire que la fin de vie doit être considérée comme une ultime phase de la vie - je dis bien : « de la vie », c'est-à-dire un moment où l'individu conserve le droit de décider, d'être au centre des choix qui le concernent en premier lieu. Nous devons affirmer ce droit essentiel, qui n'est pas toujours facile à traduire ou à faire comprendre. Disons-le ainsi : il s'agit d'un droit ultime.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à l'une de ces questions qui disent beaucoup sur ce que nous sommes, sur nos valeurs. Un citoyen est un individu libre au début, au milieu et à la fin de sa vie. Soutenir le droit à mourir dans la dignité, c'est asseoir pleinement nos droits fondamentaux, c'est apporter aussi une part d'humanité supplémentaire à notre société.
La loi ne doit pas décider à la place des patients. Il ne s'agit pas de s'immiscer dans la conscience de chacun, de dicter une conduite à l'entourage, pas plus que de se substituer à l'éthique des personnels soignants. La loi doit apporter des solutions là où l'incertitude engendre de véritables souffrances - c'est son rôle, même si le chemin est étroit.
Sur ce sujet, je le disais, nous devons nous rassembler, ce qui n'interdit pas, bien évidemment, le débat - un débat nourri, fructueux, mais un débat apaisé. Il est nécessaire d'apporter des réponses concrètes, efficaces et mesurées. Il ne s'agit pas pour vous, pour nous, de devenir éthiciens ou philosophes. Cette étape a déjà été franchie par d'autres. Leurs réflexions ont déjà beaucoup nourri la nôtre et doivent continuer à le faire. Il faut également entendre les réflexions qui émanent de la société, de militants sincères, d'associations, de malades, de parents, de responsables publics, de médecins, d'autant que c'est sans doute l'un des débats qui engagent le plus grand nombre de nos concitoyens.
Cette question de la fin de vie est entourée de beaucoup d'émotion, pour ne pas dire de passion. Comment pourrait-il d'ailleurs en être autrement ? Mais le rôle du législateur est d'essayer, sans pour autant faire preuve de froideur, de s'extraire un instant de l'émotion, qui est mauvaise conseillère, pour décider avec discernement.
À ceux qui doutent, à ceux qui pensent que le texte qui nous sera proposé comporte des dangers, notamment celui d'aller, comme je l'entends parfois affirmer - à tort - vers l'instauration d'un suicide assisté, je réponds que le vrai, le seul danger est celui du statu quo.
Le débat que nous avons aujourd'hui est le prolongement d'un processus entamé il y a bientôt dix ans. Un premier pas a été fait en 2005, avec la loi Leonetti, adoptée, à votre initiative, monsieur le député...
M. Jean Glavany. C'est une loi de la République !
M. Manuel Valls, Premier ministre. ...et à l'unanimité. Il arrive parfois, cher Jean Glavany, que le nom d'un député et celui de la République se confondent !
Cependant, ce texte, venu compléter la loi Kouchner de 2002 sur le droit des malades, reste inégal, imparfait, fragile dans son application. Je l'avais moi-même souligné en 2009, en tant que rapporteur d'une proposition de loi qui n'avait pas été adoptée. Depuis plusieurs propositions de loi, issues de différents groupes parlementaires, ont été déposées et débattues, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.
Durant la campagne présidentielle, le chef de l'État avait pris un engagement, l'engagement no 21, qui avait eu un écho très fort dans l'opinion. Depuis deux ans, la réflexion est engagée. Le Président de la République a, en effet, fait le choix de laisser le temps à la préparation du débat législatif : reconnaissons que c'est la meilleure voie pour rechercher et trouver, si possible, le consensus.
Ce travail préparatoire a connu différentes étapes : je veux les rappeler rapidement.
La commission présidée par le professeur Sicard a rendu son rapport en décembre 2012 - tout le monde a salué la qualité de ses travaux. En juin 2013, le Comité consultatif national d'éthique, le CCNE, a émis un avis, avant d'organiser à travers toute la France un débat citoyen dont les enseignements ont fait l'objet d'un rapport en octobre dernier.
Enfin, en décembre 2014, Alain Claeys et Jean Leonetti ont transmis au Président de la République et au Gouvernement les conclusions de la mission parlementaire que je leur avais confiée. Ces conclusions sont le fruit, à la fois d'un « équilibre » et d'un « dépassement », pour reprendre les mots de vos collègues, d'un travail d'écoute et de propositions mutuelles. Je tiens à les remercier pour la qualité de leur réflexion et pour leur volonté constante de présenter un constat et des propositions convergents.
Comme vous le savez, le Président de la République et le Gouvernement partagent les orientations qu'ils proposent. Cet ensemble de réflexions et de propositions nous permet de mieux mesurer les différentes attentes qui se sont exprimées. S'en dégage d'abord le souci d'un respect absolu des directives anticipées, afin de permettre au personnel soignant d'appliquer les consignes du patient sans autre considération que la volonté de ce dernier. Les attentes portent également sur le droit à la sédation profonde jusqu'au décès, accompagnant l'arrêt de tous les traitements visant à maintenir le malade en vie, pour ne pas prolonger artificiellement et contre sa volonté la vie d'un patient atteint d'une maladie incurable.
Aujourd'hui, avec ce débat, nous entamons une nouvelle étape. Mais ce n'est pas pour autant que nous abandonnons les initiatives prises par ailleurs en matière de soins palliatifs, bien au contraire : conformément au souhait clairement exprimé par le Président de la République, nous allons continuer de renforcer l'offre de soins palliatifs en améliorant la formation des personnels médicaux et en relançant le plan triennal de développement des soins palliatifs, tant dans le milieu hospitalier que dans le secteur de l'hospitalisation à domicile. À ce titre, je rappelle que d'ores et déjà le projet de loi de santé déposé au Parlement fait - enfin ! - des soins palliatifs une des missions des établissements de santé, au même titre que les soins curatifs.
Le débat sur les droits des malades en fin de vie doit avoir lieu. Il est aussi attendu que nécessaire. La présente discussion en est une première étape. Dans une seconde étape, vous serez invités à vous prononcer plus précisément sur une ou plusieurs des propositions de lois déjà déposées.
Faire le choix des conditions de sa mort lorsqu'elle est là, proche, imminente : ces mots, même s'ils sont durs à entendre, traduisent les attentes fortes de nos concitoyens, pour lesquels nous devons établir un cadre juridique sécurisant. Place, donc, au débat, au dialogue. Faisons en sorte, mesdames et messieurs les députés, qu'il soit riche, digne et responsable.
Je n'ai aucun doute, au vu de la qualité de celles et ceux qui interviendront sur cette question, au vu du sujet lui-même, que ce débat permettra d'avancer, conformément à la volonté du Gouvernement, vers la consécration d'un droit nouveau : celui de mourir dans la dignité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, UDI, RRDP, écologiste, et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)source http://www.assemblee-nationale.fr, le 26 janvier 2015