Interview de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, à france 2 le 10 février 2015, sur les observations de la Cour des comptes à propos de la politique de l'environnement, le projet de loi de transition énergétique et le conflit entre les chauffeurs routiers et le patronat.

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Média : France 2

Texte intégral

ROLAND SICARD
Bonjour Ségolène ROYAL.
SEGOLENE ROYAL
Bonjour.
ROLAND SICARD
Il y a un rapport de la Cour des Comptes qui sort demain qui semblerait montrer que le principe pollueur-payeur est de moins en moins respecté et notamment par les industriels, par les agriculteurs, est-ce qu'il est temps de réagir ?
SEGOLENE ROYAL
Oui bien sûr il est temps de réagir, d'ailleurs je n'ai pas attendu le rapport pour réagir, parce que j'ai pris trois décisions. La première c'est que lors du renouvellement des conseils d'administration, j'ai nommé un agriculteur bio et je peux vous dire en effet qu'il y a eu beaucoup de résistance. Souvent j'ai du les nommer en personnalité qualifiée…
ROLAND SICARD
Il y a des lobbies qui sont à l'oeuvre ?
SEGOLENE ROYAL
Il y a de gros lobbies qui sont à l'oeuvre bien évidemment, parfois pour de bonnes raisons, lorsque des entreprises sont en difficulté économique, elles essaient de payer le moins possible de taxes, sauf que les agriculteurs ont des difficultés à joindre les deux bouts, ils veulent payer le moins possible de taxes. Mais c'est un système du coup pervers parce que moins on paie de taxe, moins on a envie de dépolluer et après c'est le consommateur qui paie et puis ce sont des destructions et des graves atteintes à l'environnement, à la qualité de l'eau, à la qualité de la nature, aux pesticides qui se répandent, aux algues vertes et ensuite ça coûte beaucoup plus cher de dépolluer. Et donc ce rapport de la Cour des Comptes va me permettre d'accélérer les réformes. La deuxième décision que j'ai prise, c'est maintenant de regarder les pollutions industrielles, par exemple je n'ai pas donné l'autorisation pour continuer les rejets des bouts rouges qui contiennent de l'arsenic et du mercure en Méditerranée. Je puis vous dire que les levées de bouclier ont été très fortes, les pressions ont été très fortes. Je n'ai pas cédé à ces pressions parce que je considère que les industriels doivent prendre leurs responsabilités. Enfin il faut de la transparence, sur les subventions qui sont versées par les agences de l'eau, j'ai décidé qu'elles seraient maintenant publiées sur le site du ministère de l'Ecologie…
ROLAND SICARD
Ca parait assez obscure justement.
SEGOLENE ROYAL
C'est très opaque en effet, or ce sont les contribuables qui paient donc ils ont le droit de savoir où va leur argent. Et puis enfin il y a un autre problème qui n'est pas dans le rapport de la Cour des Comptes, vous voyez que j'ai regardé de près les choses, c'est le gaspillage de l'eau le long des canalisations, puisqu'il n'y a que deux litres d'eau sur trois qui sont traités et qui arrivent au robinet, donc tout ça est payé aussi sur les factures d'eau et c'est inadmissible. Et donc j'ai engagé des communes à faire des travaux, en plus ça crée des emplois, sur les canalisations d'eau en ouvrant des lignes de crédits à très bas prix, bas taux d'intérêt à la Caisse des Dépôts et Consignation, parce qu'il y a 20 milliards d'euros qui sont à destination des communes, qui d'ailleurs ne les utilisent pas assez pour faire les travaux. Et donc c'est donner du travail aux entreprises du bâtiment, aux artisans du bâtiment pour qu'on en finisse avec le gaspillage de l'eau.
ROLAND SICARD
Il y a un calendrier précis pour toutes ces mesures ?
SEGOLENE ROYAL
Celle-ci elle est déjà prise, la réforme, enfin l'élargissement par personnalité au conseil d'administration, je l'ai évoqué tout à l'heure, je veux renforcer aussi le rôle des associations de consommateurs. Et enfin je vais m'atteler à la question des pollutions industrielles parce que là il y a beaucoup d'anomalies. C'est-à-dire qu'il y a des entreprises qui peuvent parfaitement payer et qui ne le font pas suite à la réforme de 2006, donc il va falloir remettre en cause, parce que désormais les pollutions sont calculées à la sortie de l'installation d'épuration et pas à la sortie de la canalisation de l'usine et ça c'est inadmissible.
ROLAND SICARD
Aujourd'hui le Sénat décide de la loi sur la transition énergétique, moins de gaz à effet de serre, plusieurs mesures qui sont très importantes qui vont être prises, les sénateurs sont un peu rétifs. Est-ce que vous allez faire des concessions ?
SEGOLENE ROYAL
Bien sûr, il faut toujours travailler pour construire des convergences, d'abord parce que je considère que ce n'est pas un débat de clivage politique, j'ai besoin de rassembler sur la droite et la gauche sur ce sujet majeur qui est la définition du nouveau modèle énergétique, c'est-à-dire qui fait des économies d'énergie. Je considère que l'on peut faire de 20 à 30 % d'économies d'énergie simplement en s'organisant bien, en faisant des travaux d'isolation. Vous savez que le gouvernement a créé un crédit d'impôt pour que les Français puissent faire les travaux d'isolation et être remboursés à hauteur de 30 % de ces travaux. Ca donne du travail à la filière du bâtiment, aux entreprises et aux artisans du bâtiment et ça permet des économies d'énergie sur la facture. Ensuite il y a la montée en puissance des énergies renouvelables, ça, ce n'est pas politicien, ça c'est vraiment l'avenir de notre pays. L'indépendance énergétique aussi, vous voyez que le prix des carburants continue à remonter donc il faut vraiment que la France avance sur son indépendance énergétique grâce à l'énergie nucléaire d'un côté, ça on l'a déjà…
ROLAND SICARD
Ca reste une énergie d'avenir, vous l'avez dit.
SEGOLENE ROYAL
Ca reste une énergie d'avenir, mais il faut en baisser la part dans la production d'électricité pour monter en puissance sur les énergies renouvelables, énergies solaires, la géothermie, l'énergie marine des mers, l'hydraulique etc, parce que ce sont des énergies, d'abord qui seront de moins en moins coûteuses et puis qui sont renouvelables, qui sont donc conformes à la protection de l'environnement. Et puis il y a le traitement des déchets, comment est-ce qu'on transforme les déchets en matière première ? Alors bien évidemment il va y avoir des discussions au Sénat, mais je dois dire que le Sénat a fait un excellent travail dans sa commission de préparation de ce projet de loi et je vois que les choses évoluent parce que tout le monde est conscient aujourd'hui que pour à la fois protéger la facture, faire baisser les factures, créer des emplois, il y a 100 000 emplois que l'on peut créer dans ces filières de la croissance verte et protéger la planète aussi en inventant une société décarbonée, une économie décarbonée, à ce moment là on peut en effet construire notre futur commun.
ROLAND SICARD
Vous chapotez aussi le ministère des Transports.
SEGOLENE ROYAL
Oui.
ROLAND SICARD
Hier les négociations entre chauffeurs routiers et patrons routiers se sont retrouvées dans l'impasse, est-ce que l'Etat va intervenir avant qu'il y ait des blocages sur les routes ?
SEGOLENE ROYAL
L'Etat est toujours là pour essayer d'être médiateur, mais là c'est un conflit entre employeur et salarié, il y a des gros problèmes en effet, la crise économique aussi n'arrange rien puisqu'il y a une baisse du prix du transport et une concurrence féroce au niveau européen et des conditions de travail parfois très difficiles. Les entreprises de transport, les petites entreprises de transport ne font pas beaucoup de marge, et les conditions de travail des routiers sont des conditions de travail difficiles, donc c'est un conflit qui est difficile…
ROLAND SICARD
Ils veulent 5 % d'augmentation de salaire, est-ce que ça vous parait raisonnable ?
SEGOLENE ROYAL
Alors pour certaines entreprises c'est possible, pour d'autres c'est très difficile. Et donc il faut voir comment avec un certain nombre d'aménagement l'Etat pourrait aider à résoudre ce conflit. Donc c'est Alain VIDALIES, secrétaire d'Etat aux transports qui est en première ligne, qui fait un excellent travail sur ce sujet et les discussions vont continuer.
ROLAND SICARD
Est-ce que vous pensez qu'on peut éviter le blocage ?
SEGOLENE ROYAL
Il le faut, en période en plus de fragilité économique pour les entreprises, on ne peut pas se permettre un conflit routier, on ne peut pas se permettre de mettre des freins au développement économique du pays, donc il faut absolument trouver une solution.
ROLAND SICARD
Merci Ségolène ROYAL.Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 février 2015