Interview de M. Christian Eckert, secrétaire d'Etat au budget, à "Europe 1" le 10 février 2015, sur l’évasion fiscale mise en place par la filiale helvétique de la banque britannique HSBC.

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Média : Europe 1

Texte intégral

THOMAS SOTTO
Jean-Pierre ELKABBACH, vous recevez Christian ECKERT, secrétaire d'Etat au Budget. Messieurs, c'est à vous !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et surtout, un des meilleurs connaisseurs de la fraude, déjà, en juillet 2013, Christian ECKERT, vous révéliez le chiffre de 100.000 tricheurs mondiaux du fisc. Bienvenue Christian ECKERT. Bonjour.
CHRISTIAN ECKERT
Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
106.000 au moins, non ?
CHRISTIAN ECKERT
Oui, au moins, parce que comme tout ce qui est dissimulé, c'est toujours difficile de le quantifier.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et quand on dit qu'il y a 20.000 milliards d'euros qui seraient cachés au fisc, à l'échelle mondiale ?
CHRISTIAN ECKERT
C'est la même réponse, en tout cas, ce sont des sommes importantes, elles peuvent concerner des particuliers, mais aussi des entreprises. Je crois qu'en la matière, on a changé de braquet, et c'est justement ce qui est en train de se passer et de remonter au grand jour, même si des choses étaient connues et publiées d'ailleurs, je rappelle que ce rapport de juillet a été publié, commenté, diffusé à l'Assemblée nationale.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous n'avez rien appris en lisant Le Monde et mes confrères internationaux ?
CHRISTIAN ECKERT
Assez peu de choses, mais il est bien aussi que le grand public puisse être sensibilisé ; ça met la pression sur tout le monde…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien, mais heureusement qu'ils sont là pour qu'on le sache.
CHRISTIAN ECKERT
Oui, c'est utile, parce que ça met la pression sur tout le monde, ça met la pression sur les banques, ça met la pression sur un certain nombre d'Etats, dont la complaisance est connue.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc l'administration fiscale avait et a les noms de beaucoup plus que les 3.000 Français qui ont été concernés et qui sont cités ?
CHRISTIAN ECKERT
L'administration fiscale ne cesse de lutter contre la fraude, elle a utilisé les fichiers de monsieur FALCIANI qui avaient été saisis par la justice française, le procureur de MONTGOLFIER à l'époque. Et sur cette liste de contribuables, elle a mené plus de 2.300 enquêtes fiscales, et je le dis tout de suite, transmis plus de 100 dossiers à la justice.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et donc Hervé FALCIANI vous a rendu un sacré service ?
CHRISTIAN ECKERT
Et bien entendu, Hervé FALCIANI a été utile, nous avons d'ailleurs travaillé avec lui, ce que les gens ignorent souvent, c'est que ces fichiers étaient complètement cryptés, et c'est avec l'aide d'Hervé FALCIANI que nous avons pu y avoir accès.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous défendez les lanceurs d'alertes, et il faut les protéger, peut-être les encourager à raconter ce qu'ils savent, parce qu'il y a de l'argent et des milliards d'enjeux ?
CHRISTIAN ECKERT
Oui, Hervé FALCIANI a été protégé par la France, y compris physiquement, parce qu'il avait reçu des menaces, et sans tomber dans l'excès, toutes les informations qui peuvent nous être transmises, à partir du moment où elles sont obtenues de façon légale, seront et sont utilisées par l'administration fiscale et par la justice…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez écouté Nicolas FORISSIER tout à l'heure, avec Thomas SOTTO, à l'époque des banques françaises, dit-il, on en fait autant.
CHRISTIAN ECKERT
Ecoutez, les banques françaises ne sont pas évidemment couvertes et protégées par le secret bancaire, la grande différence, c'est que le secret bancaire est une pratique qu'en Suisse et dans d'autres pays, l'administration fiscale peut enquêter auprès des banques françaises, elles ne peuvent leur dissimuler aucun nom, aucun compte, et c'est un travail qui est largement fait par l'administration…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et comme disait Nicolas FORISSIER, il s'interrogeait, il se disait : est-ce qu'il ne faut pas indemniser un jour ou l'autre les lanceurs d'alertes, parce qu'ils rendent un service à la société ?
CHRISTIAN ECKERT
C'est une question, la France ne le fait pas, à la différence de certains pays d'ailleurs…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Elle pourrait ?
CHRISTIAN ECKERT
L'Allemagne, moi, j'ai rencontré mes homologues allemands, lorsque j'étais parlementaire, l'Allemagne paie l'obtention d'un certain nombre de fichiers. Nous avons encore des obstacles juridiques et constitutionnels pour le faire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu'il est vrai, Christian ECKERT, qu'à Bercy, ou en tout cas les services d'Etat ont bloqué ou peut-être bloquent encore les enquêtes et la publication des noms que vous connaissez, l'Etat est complice ?
CHRISTIAN ECKERT
Non, l'administration ne bloque aucune enquête, mais elle bloque effectivement la publication des noms, puisque la publication des noms est couverte par la pratique du secret fiscal…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous les connaissez ?
CHRISTIAN ECKERT
L'administration les connaît, et je peux avoir accès à ces informations lorsqu'il s'agit de sommes particulièrement élevées ou de personnalités particulièrement connues.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous n'êtes pas choqué quand on apprend que USBC (sic) a blanchi de l'argent des trafics d'armes, de la drogue, des tueurs colombiens et mexicains, qu'elle a même fermé les yeux sur les organisations et les milliardaires privés suspectés de liens avec des terroristes, que même, comme dira Le Monde aujourd'hui, des financeurs de BEN LADEN étaient planqués chez HSBC.
CHRISTIAN ECKERT
Mais bien sûr que nous sommes choqués, il est normal que les Français soient choqués. L'administration française et la justice française s'est intéressée aux ressortissants français qui avaient des comptes dissimulés chez HSBC. Elle ne peut pas se saisir de situations pour autant de situations de Belges, de diamantaires ou de Marocains. Il s'agit pour l'administration, et surtout pour le pouvoir politique, de travailler avec ses homologues des autres pays, c'est ce que Michel SAPIN fait d'ailleurs en ce moment même à Istanbul, au G20, c'est ce que nous faisons à l'intérieur de la communauté européenne, je vous rappelle quand même que HSBC est mise en examen, tout comme UBS, il n'y a eu aucune complaisance du gouvernement…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
UBS, c'est l'Union des Banques Suisses…
CHRISTIAN ECKERT
Oui, bien sûr…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Elle va être sanctionnée.
CHRISTIAN ECKERT
Bien sûr, enfin, elle va être sanctionnée, c'est à la justice…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Elle a eu une amende…
CHRISTIAN ECKERT
Pour l'instant, elle n'a eu qu'une amende administrative relativement modeste, 50 millions d'euros. Mais elle est poursuivie par la justice. Il appartient à la justice de se prononcer, les opérations sont en cours. HSBC est mise en examen depuis le mois de novembre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous souhaitez qu'elle soit condamnée à titre d'exemple.
CHRISTIAN ECKERT
Bien sûr, mais nous sommes d'ailleurs, l'Etat s'est porté partie civile dans l'affaire HSBC…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et Christian ECKERT, vous êtes sûr que ça ne va pas se terminer, pour éviter des procès, par des transactions à l'amiable entre amis, là ?
CHRISTIAN ECKERT
Non, écoutez, les transactions, elles sont de toute façon couvertes par des procédures judiciaires, il appartient aux juges, si la banque le souhaite d'ailleurs, il faut d'abord que la banque reconnaisse sa culpabilité, pour l'instant, elle n'a pas décidé de le faire, il appartient à la justice de se prononcer…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais elle a nettoyé sa filiale suisse, mais par exemple, une des stars des démocrates américaines, la sénatrice Elizabeth WARREN, a été acclamée récemment quand elle a dit – je la cite – combien de milliards de dollars faut-il blanchir ? Combien d'embargos faut-il violer pour qu'on envisage enfin de fermer une banque commerciale, elle citait HSBC, la banque britannique, on pourrait dire peut-être UBS, etc. ; est-ce que vous partagez, vous, cette rigueur tranchante ?
CHRISTIAN ECKERT
Oui, moi, je considère que l'autorité de contrôle prudentielle et de régulation, ce qu'on appelle l'ACPR, c'est-à-dire, sous l'égide d'ailleurs de la BANQUE DE FRANCE, est une autorité administrative qui peut le cas échéant aller jusqu'à retirer des agréments à certaines banques.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Christian ECKERT, aujourd'hui, les guichets sont-ils ouverts en France pour les repentis de la dernière heure ?
CHRISTIAN ECKERT
Ecoutez, nous avons un service qui régularise ceux qui souhaitent se régulariser, nous avons reçu actuellement plus de 35.000 dossiers, c'est considérable, on a triplé le nombre d'agents, parce que…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a de l'argent à récupérer, là, c'est bon ça !
CHRISTIAN ECKERT
Parce que les gens qui ont… on a le droit d'avoir des comptes à l'étranger, la seule chose qu'il faut faire, c'est le déclarer, dire d'où vient l'argent, et donner les informations pour que cet argent soit imposé au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez révélé que le redressement des fraudeurs a rapporté 300 millions d'euros…
CHRISTIAN ECKERT
Ceux de HSBC…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comme c'est bon pour les caisses de l'Etat, vous en attendez encore, encore ?
CHRISTIAN ECKERT
Ecoutez, le STDR, le service auquel je faisais référence, a encaissé à peine moins de deux milliards en 2015, et nous en attendons un peu plus de deux milliards en 2016.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Au total, la fraude en France chaque année, c'est combien ?
CHRISTIAN ECKERT
Les redressements aussi bien au titre de la TVA que la fraude des entreprises et des particuliers, c'est autour de 18 milliards d'euros par an.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Plus les deux milliards ?
CHRISTIAN ECKERT
Plus les deux milliards, oui…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça fait vingt milliards par an.
CHRISTIAN ECKERT
Une vingtaine de milliards, oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Lundi prochain aura lieu à Paris et à Pontoise les premiers procès pour fraudes fiscales, je le cite au passage, ou pour blanchiment par exemple de la famille NINA RICCI. Est-ce qu'on a vraiment tourné la page ? C'est fini ou on continue ?
CHRISTIAN ECKERT
Non, c'est un travail de longue haleine, c'est un travail… là, on parle beaucoup des particuliers, mais il y a également un énorme travail à faire sur les grandes entreprises, les multinationales…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les GOOGLE, AMAZON…
CHRISTIAN ECKERT
GOOGLE, les STARBUCKS, les AMAZON, avec nos voisins, avec les Etats-Unis, avec lesquels nous avons des accords, mais il faudra le faire aussi avec les Belges, les Luxembourgeois, au sein de l'Union…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est de l'argent ?
CHRISTIAN ECKERT
Ah, ça sera de l'argent, mais c'est de l'argent qui est légitime, tous les Français doivent être égaux devant l'impôt, il n'y a pas de raison que certains y échappent, et c'est le travail que nous conduisons avec le Parlement d'ailleurs, avec un durcissement des règles qui est considérable, et inégalé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pas de cadeau. Un mot, on en parlait avec Thomas, la Cour des comptes dénonce le fonctionnement des agences de l'eau. Elles avantageraient les plus gros pollueurs au détriment des particuliers, comme dit Le Parisien. Industriels et agriculteurs, qui sont influents, sont de plus en plus exonérés, comment vous allez y remédier ?
CHRISTIAN ECKERT
Oui, j'ai d'ailleurs évoqué ce sujet avec Ségolène ROYAL hier, je pense que les contributions aux agences de l'eau, c'est uniquement ou presque exclusivement – vous l'avez dit – les particuliers, les usagers, il y a lieu de rééquilibrer les choses, oui, les agriculteurs, les entreprises, c'est un travail que nous conduisons.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On aurait pu vous demander si vous, votre fils ou votre fille, vous demandait : papa, peut-on placer demain nos économies à HSBC ? Qu'est-ce que vous diriez ? Ou à UBS ou…
THOMAS SOTTO
Sous le matelas…
CHRISTIAN ECKERT
Qu'il y a de très bonnes banques françaises, je crois que ça, c'est plus intéressant, c'est plus moral peut-être, en tout cas, en ce qui concerne HSBC.
THOMAS SOTTO
Merci…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Elles sont plus solides !
THOMAS SOTTO
Merci Christian ECKERT d'être venu en direct sur Europe 1 ce matin.
CHRISTIAN ECKERT
Merci à vous.
THOMAS SOTTO
Demain, c'est François FILLON, qui connaît bien Vladimir POUTINE, qui sera votre invité, Jean-Pierre, pour « L'interview politique d'Europe 1 », à 08h20. Bonne journée !
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 février 2015