Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, dans "Le Monde" le 14 février 2015, sur la réaction du gouvernement suite aux révélations SwissLeaks.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Q - Quelle a été la réaction du gouvernement français aux révélations SwissLeaks ?
R - Je ne suis pas de ceux qui considèrent que de telles informations doivent rester dans l'ombre. Au contraire, la lumière aide à la prise de conscience. La France a été la première à lancer une instruction judiciaire à l'encontre de HSBC, la première aussi à se porter partie civile. L'administration ira jusqu'au bout de l'examen des situations personnelles. De son côté, la justice, qui a été saisie des cas les plus choquants, mènera à bien ses instructions. Plusieurs procès vont par ailleurs s'engager. Dont l'un est sur le point de commencer (le procès de l'héritier de Nina Ricci, prévu le 16 février).
Q - Comment va s'organiser la coopération internationale ?
R - Avant les révélations de lundi 9 février, nous avions échangé nos données avec 16 pays, qui souhaitaient connaître les noms de leurs redevables : États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Allemagne, Italie, Espagne, Pays-Bas, Belgique, Irlande, Grèce, Finlande, Argentine, Japon, Australie, Inde, Nouvelle-Zélande. Depuis, nous avons été sollicités par huit autres pays, dans le cadre de nos accords de coopération bilatéraux, dont l'Autriche. Nous allons leur transmettre les données.
Q - Que pensez-vous de la polémique au Royaume-Uni sur la lenteur des autorités à exploiter la liste HSBC transmise par la France ?
R - Je n'ai pas compris les remarques des autorités britanniques. Les données sur HSBC leur ont été transmises en 2010, dans le cadre des conventions bilatérales qui nous lient. Rien ne leur a été dit depuis. Ces conventions restreignent effectivement l'usage des informations à des fins fiscales. Mais, si le fisc britannique veut déposer plainte, il peut parfaitement le faire. La suite est une affaire de coopération judiciaire.
Q - Êtes-vous satisfait de l'amorce d'un débat politique en Suisse et d'une plus forte coopération avec la France ?
R - C'est une très bonne chose de constater que la Suisse s'interroge sur la démarche et les méthodes employées par HSBC. La Confédération fait beaucoup d'efforts en matière de coopération administrative fiscale. L'an dernier, j'avais ouvertement fait part à mon homologue du caractère insatisfaisant de nos échanges. Or, sur les 519 demandes de renseignements (sur des contribuables français) restées pendantes lors de ma visite en juin, 90 % ont reçu une réponse. Mon souhait est d'atteindre 100 %.
Q - Qu'attendez-vous de la mise en examen de la banque UBS pour blanchiment aggravé de fraude fiscale ?
R - Quelle que soit l'issue de l'instruction judiciaire, l'État exigera une juste réparation du manque à gagner fiscal. Dans le contexte d'aujourd'hui, où les États, quels qu'ils soient, demandent beaucoup aux contribuables, il n'est pas admissible que certains cherchent à échapper à l'impôt, au détriment de tous ceux qui s'en acquittent, y compris d'ailleurs des plus riches. Des pratiques jusqu'à présent tolérées ne sont plus acceptables.
Q - Dans l'affaire HSBC, y a-t-il eu défaillance du contrôle bancaire ?
R - HSBC Private Bank est établie en Suisse, donc contrôlée par les autorités de régulation suisses. Le débat sur l'éventuelle défaillance du contrôle leur appartient. En France, les banques ont l'obligation de signaler à Tracfin (service de renseignement financier rattaché à Bercy) les transactions suspectes du point de vue du blanchiment et du financement du terrorisme. L'ACPR, qui est l'autorité de contrôle des banques, est aussi compétente sur ces deux domaines. J'entends lui demander d'être plus présente sur ce terrain.
Q - Comment mieux lutter contre les sociétés-écrans ?
R - La France est très active pour mettre fin au secret bancaire. La généralisation des échanges automatiques d'informations est une avancée majeure pour imposer la transparence. L'enjeu dans les prochains mois sera d'empêcher que des particuliers et des entreprises échappent à l'impôt à travers des sociétés-écrans et autres montages offshore. Je profiterai de la loi sur la transparence de la vie économique, dont je suis chargé, pour inscrire dans le droit français l'obligation de révéler l'identité des bénéficiaires de ces sociétés.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2015