Texte intégral
Mme Pau-Langevin. Monsieur le président de la délégation à l'Outre-mer, Mesdames et Messieurs les parlementaires, les conseillers, les élus, Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous remercier Monsieur le président pour l'organisation de cette séance de travail consacrée aux Outre-mer dans l'agenda du Conseil qui comprend à la fois l'examen de deux avis, l'un sur la micro finance en outre-mer, que j'ai parcouru avec beaucoup d'intérêt, sous la responsabilité de Mme Crozemarie et l'autre sur l'insertion professionnelle et sociale des jeunes ultras marins du professeur Janky.
Ce débat d'actualité sur Mayotte me semble tout à fait opportun pour éclairer les réalités à la fois de ce département, souligner ses potentialités, ses ambitions, ses réussites, alerter sur les fractures et les défis et proposer des voies originales de développement adaptées à ces territoires.
L'apport de votre institution, Monsieur le président, est essentiel pour éclairer les choix de politique publique que nous sommes amenés à faire dans les Outre-mer, d'autant plus dans la période actuelle où les enjeux sont innombrables : économiques, sociaux, sociétaux et environnementaux aussi.
Ma responsabilité telle que je la perçois est d'essayer de limiter les effets de la crise dans ces sociétés déjà fragilisées par le chômage de masse qui affecte durablement leur cohésion sociale. Elle est aussi de favoriser les conditions d'une relance de l'activité économique, du renforcement de notre vivre ensemble et d'un développement équilibré de ces territoires pour ne pas hypothéquer l'avenir de la jeunesse.
La jeunesse, c'est une des priorités fixées par le Président de la République parce qu'elle incarne notre avenir collectif, notre espoir dans le futur.
Mayotte illustre à l'extrême ces enjeux avec 60 % de sa population qui a moins de vingt-cinq ans, des mutations profondes déjà engagées - qui déstabilisent fortement les fondements traditionnels de la société - un retard de développement avéré, et une pauvreté qui masque les avancées réelles dues à la départementalisation, ainsi qu'à la présence d'une forte proportion de population étrangère et une pression migratoire qui ne faiblit pas.
Ce constat et les dysfonctionnements qu'il engendre ont été rappelés par les acteurs de terrain que son Médecin du monde, le Secours catholique, les Apprentis d'Auteuil. Je souhaite saluer la qualité du travail au quotidien qu'ils accomplissent. J'ai eu l'occasion d'aller à Mayotte à diverses reprises et de visiter les installations qui sont faites pour accueillir les jeunes, les internats, les centres d'accueil de jour pour les enfants errant. Effectivement, la situation de la jeunesse à Mayotte et notamment de la jeunesse livrée à elle-même, isolée, nous préoccupe grandement.
De plus, comme vous le savez, Mayotte est française depuis 1841, mais est rattachée à la France depuis plus récemment. Je suis allée en Guyane samedi et en territoire amérindien l'on est frappé de voir les situations de pauvreté, les difficultés d'accès à la langue française.
Autant de maux qui caractérisent les sociétés dans les Outre-mer et qui exigent énormément d'efforts pour arriver à cette égalité réelle que nous appelons de nos voeux.
Il faut bien reconnaître qu'en 25 ans, la société mahoraise a réalisé des progrès et des rattrapages considérables. Par exemple, beaucoup d'établissements scolaires ont été construits.
Il faut parler des difficultés que rencontrent Mayotte et les jeunes mahorais mais il faut aussi se rendre compte que c'est une population en plein développement et en croissance exponentielle.
En matière de réussite éducative, nous avons rappelé avec conviction que tout enfant a droit à l'éducation et que tout enfant vivant sur le territoire mahorais doit être scolarisé. Une fois qu'on a dit cela, on se trouve confronté à une autre difficulté : les collèges accueillent 1 600 élèves, voire 1 900. Certains enfants ne bénéficient pas de la Sécurit sociale car leurs parents, en situation irrégulière, n'osent pas se manifester.
Il y a un autre problème : arriver à donner à manger à ces enfants. J'ai passé deux ans à essayer d'organiser une collation en faveur des enfants scolarisés à Mayotte. Mettre en relation ce que peut payer la Sécurité sociale avec le nombre d'enfants scolarisés est un véritable casse-tête.
Il est vrai que les difficultés sont considérables. Mais il y a aussi des bonnes volontés considérables dans les centres de jour où sont accueillis les enfants des rues, dans les établissements scolaires, où les enseignants essaient de prendre en charge les enfants ; certains adolescents ne sont jamais allés à l'école. Il faut signaler les problèmes, mais aussi tirer son chapeau à un grand nombre de personnes qui se donnent vraiment beaucoup de mal pour arriver à avancer dans la résolution des difficultés que rencontrent les enfants.
Les enfants doivent scolarisés. Oui, mais dans quelle classe ? Certains n'ont jamais été à l'école. Tels sont les problèmes pratiques considérables qu'il faut arriver à régler. On dit fréquemment que le conseil général, qui porte la responsabilité du social, pourrait en faire un peu plus. Je salue son représentant qui est aujourd'hui parmi nous. Le conseil général doit faire face aux besoins d'une population elle-même très pauvre.
L'État ne désintéresse pas de la situation. Le prochain contrat de plan État-région, avec Mayotte, sera celui où il y aura le plus d'argent par habitant. Nous avons réussi à faire arriver sur Mayotte des fonds européens en nombre considérable et les montants seront importants.
Toutefois, encore faut-il savoir comment ces crédits vont être mis en oeuvre. Il ne suffit pas d'avoir les crédits. Encore faut-il que les élus puissent avoir l'encadrement et les services nécessaires pour les mettre en oeuvre. Le professeur Janky l'a très justement rappelé. On peut avoir les fonds européens. Pour les utiliser, il faut suivre des procédures extrêmement sophistiquées. Si on ne les suit pas, on s'expose à un déremboursement.
Mayotte se trouve à la croisée des chemins. Compte tenu qu'elle est devenue un département à part entière et une région ultrapériphérique à part entière, elle est face à un destin qui est en train de changer.
Beaucoup de moyens seront mis en oeuvre pour que les Mahorais puissent accéder à l'égalité réelle. Pour cela, les collectivités locales ont besoin de cadres. Nous avons également besoin des associations. Si certaines, comme les Apprentis d'Auteuil et Médecins du monde, travaillent déjà sur place, notre réseau associatif local, certes de bonne volonté, demeure encore fragile. Nous avons beaucoup à faire pour que la vie des Mahorais puisse véritablement connaître une avancée significative au cours des prochaines années.
Le projet de loi de finances 2015 prévoit un effort budgétaire total de 807 M en faveur de Mayotte, le plus important de France en termes d'intensité de l'aide par habitant. L'objectif d'égalité sociale progresse. Là encore, il faut y aller progressivement afin que non seulement la société mahoraise ne soit pas déséquilibrée, mais aussi que les sociétés avoisinantes - très tentées de venir dans ce qui représente pour elles un Eldorado - ne se trouvent pas, elles aussi, en face d'un déséquilibre croissant.
Cela a été dit, Mayotte a besoin de travailler dans le cadre d'une coopération régionale plus satisfaisante, en particulier avec les Comores. Sinon Mayotte va récupérer toute la population des îles avoisinantes.
Nous avons besoin de garantir aux Mahorais l'égalité réelle à laquelle ils ont droit en tant que Français. Nous avons aussi besoin de ne pas brutaliser une société qui, face à des évolutions très rapides, me semble par moments un peu fragilisée.
Évidemment, nous allons entreprendre un travail de convergence avec le droit commun. De nombreuses ordonnances sont régulièrement prises afin que le droit social, notamment à Mayotte, puisse être rattrapé. Ce rattrapage est en cours. Le RSA a été revalorisé à 50 % de sa valeur nationale.
Depuis le 1er janvier 2015, le SMIC net a été aligné sur le SMIC national. Nous avons obtenu une forte revalorisation des prestations de restauration scolaire. Les choses sont en cours et il est aujourd'hui difficile d'aller beaucoup plus vite.
Vous avez rappelé l'importance de mettre en oeuvre un plan Jeunesse. Nous y travaillons avec les structures locales. Nous nous battons pour arriver à scolariser l'ensemble des jeunes et mettre sur pied les programmes de réussite éducative. Le plan de prise en charge des mineurs isolés existe ; même si ce phénomène demeure massif, il décroît lentement. D'ailleurs, j'ai salué le travail réalisé par vos trois associations. Je salue également le travail remarquable effectué par l'association Tama, initiée par le sénateur Swahili, qui prend en charge nombre d'enfants et ce dans des conditions remarquables.
Compte tenu de l'ampleur du problème, nous sommes encore loin du compte. Nous partageons avec vous la nécessité de construire des politiques publiques avec les jeunes et les Mahorais. Une dynamique jeune, lancée en février 2013, permet l'animation de comités de jeunes âgés de 14 à 30 ans, dans onze communes. Des rencontres mensuelles sont organisées par les professionnels et les élus.
Nous devons également veiller à accompagner techniquement et financièrement les associations gérant des accueils collectifs de mineurs. Par exemple, tout ce qui a été fait dans le cadre de la réussite scolaire a permis de faire en sorte que les nouveaux rythmes éducatifs s'appliquent à Mayotte. Un effort considérable a été mis sur pied pour rattraper le retard existant en termes de construction scolaire. Quelque 200 classes sortiront de terre pour permettre de scolariser les enfants.
L'État doit accompagner techniquement les élus. Faute de quoi il ne sera pas possible pour eux de franchir un pas aussi important.
J'ai rappelé tous les fonds, notamment européens, qui s'appliquent sur Mayotte. Je signale que Mayotte est aussi éligible au fonds d'échange à but culturel, éducatif et sportif, porté par mon ministère.
C'est un changement profond de la société mahoraise. Par conséquent, il convient d'ordonner toutes ces priorités. C'est pourquoi nous discutons actuellement avec les élus sur un plan intitulé « Mayotte 2025 ». C'est un travail passionnant qui nous permet d'ordonner les priorités et de mettre en musique les actions définies préalablement afin que Mayotte puisse avancer. La jeunesse et l'Agenda social font partie de ce document stratégique. Par cette action publique transparente et lisible, nous allons pouvoir essayer de prendre à bras le corps toutes les difficultés qui se posent sur Mayotte, et ainsi, faciliter l'adhésion aux politiques publiques qui peuvent paraître loin des préoccupations quotidiennes de ses concitoyens.
Évidemment, cet Agenda social que nous sommes en train de bâtir, en liaison avec les élus mahorais, se décline en trois volets principaux, ceux dont vous avez parlé : jeunesse, santé, cohésion sociale. Ce sont évidemment ces grands principes qui vont favoriser l'égalité des territoires ultramarins avec ceux de l'Hexagone.
Vous avez parlé dans vos questions d'un certain nombre de points particuliers. Mme Romouli-Zouhair notamment a évoqué la question foncière. Il est vrai que dans tous les Outre-mer la question des 50 pas géométriques pose des problèmes - je ne dirai pas insolubles, car rien n'est insoluble, on va forcément devoir y arriver - des problèmes importants, puisque les gens justement vivaient au bord de la mer, pêchaient, etc., Par conséquent, ce sont précisément les gens les plus modestes qui se sont installés au bord de la mer, à un endroit où juridiquement, depuis cette loi ancestrale sur les 50 pas géométriques, ils n'en ont pas le droit.
Aujourd'hui, comme vous l'avez dit, dans beaucoup d'Outre-mer on a créé des agences permettant de régulariser la situation de ces particuliers. À Mayotte, la démarche devra être la même : il y aura création d'un établissement public permettant de donner des titres aux gens, mais on part aussi d'une situation où les titres cadastraux n'étaient pas non plus une tradition.
Il faut donc que l'on reprenne tous ces sujets les uns avec les autres pour arriver à régler les situations.
Je ne reviens pas sur les expressions fortes des associations, leurs demandes concernant les jeunes : encore une fois vous rencontrez nos préoccupations ; nous travaillons vraiment main dans la main, et nous sommes heureux de pouvoir nous appuyer sur l'expérience de ces grandes associations pour aider les jeunes Mahorais à progresser dans la vie.
C'est vrai, Monsieur Durand, vous avez raison de dire qu'il faut un investissement important de l'État pour aider Mayotte à rattraper son retard. Je pense que les chiffres que j'ai pu vous donner vous montrent que nous sommes tous conscients de cette nécessité, et que l'effort financier est fait pour permettre ce rattrapage indispensable.
S'agissant de l'illettrisme, c'est aussi un des sujets, puisque on a parlé de construction de classes ; mais c'est vrai aussi qu'une des difficultés que nous rencontrons dans la scolarisation des jeunes Mahorais, c'est que pour la plupart, à la maison, ils ne parlent pas français. C'est un sujet que nous rencontrons ailleurs, puisque dans les autres Outre-mer nous avons un certain nombre de familles qui sont créolophones, et durant de longues années on a considéré que si l'on voulait que les enfants parlent correctement le français, il fallait surtout leur interdire de parler créole ou leur langue vernaculaire à la maison.
Aujourd'hui on en est revenu, et on se dit qu'au contraire il faut arriver à s'appuyer sur la langue que parle l'enfant, structurer sa pensée et son langage dans sa langue, et de là passer à la langue française. Mais pour les enseignants, c'est souvent une sorte de révolution culturelle. En Guyane, nous sommes allés visiter une école où l'on avait instauré ce système, et certains élus nous ont dit : on n'envoie pas nos enfants à l'école pour que vous leur appreniez à parler la langue locale. ; sans comprendre l'intérêt de ce passage par la langue que parle l'enfant et qu'il comprend, car c'est avant tout une question de le mettre en confiance, qu'il ne soit pas dans deux mondes très différents.
Cette question du langage que parle l'enfant est importante, mais il faut aussi se rendre compte qu'il faut que nous formions les enseignants à des techniques d'apprentissage du français langue étrangère.
On a aujourd'hui à Mayotte une double difficulté à ce sujet : il y a un manque crucial d'enseignants et un certain nombre d'enseignants sont originaires de Mayotte mais avaient été recrutés à des niveaux extrêmement modestes, il faudrait donc faire une formation continue suffisante pour qu'ils puissent aujourd'hui répondre aux exigences d'une formation moderne. Par ailleurs, comme on n'a pas à Mayotte d'université allant jusqu'à « bac plus 5 », on ne peut même pas recruter des enseignants à « bac plus 2 » comme on le fait pour les emplois d'avenir. Il faut donc que nous arrivions à résoudre ensemble ces questions, que nous arrivions à augmenter le niveau auquel on peut aller à l'université à Mayotte, au moins sur les lettres, de manière à ce que l'on puisse davantage former de professeurs locaux.
L'illettrisme : nous travaillons très bien avec la LCI. Il y a eu une année où c'était la Grande cause nationale et nous avons essayé de progresser mais il reste beaucoup de choses à faire.
Je crois qu'il est très bien que vous ayez passé cette après-midi à évoquer la situation de Mayotte. Nous savons que Mayotte doit affronter des enjeux redoutables, mais nous savons aussi que le fait d'avoir toute cette jeunesse, comme vous l'avez dit, dynamique, volontaire, qui a envie de s'en sortir, c'est aussi un atout et une richesse.
Nous progressons de manière pragmatique et mesurée. Nous savons bien que dans chacun des territoires des Outre-mer, nous avons un certain nombre de sujets à régler de la sorte, mais je suis persuadée que, en travaillant main dans la main avec les élus, avec une structure comme la vôtre - qui nous apporte le bénéfice de ses réflexions - avec les associations, nous allons arriver à progresser au rythme de chacun des territoires d'Outre-mer. C'est en tout cas une tâche tout à fait passionnante, et je vous remercie d'y prendre toute votre part.
(Applaudissements)
source http://www.lecese.fr, le 24 février 2015
Ce débat d'actualité sur Mayotte me semble tout à fait opportun pour éclairer les réalités à la fois de ce département, souligner ses potentialités, ses ambitions, ses réussites, alerter sur les fractures et les défis et proposer des voies originales de développement adaptées à ces territoires.
L'apport de votre institution, Monsieur le président, est essentiel pour éclairer les choix de politique publique que nous sommes amenés à faire dans les Outre-mer, d'autant plus dans la période actuelle où les enjeux sont innombrables : économiques, sociaux, sociétaux et environnementaux aussi.
Ma responsabilité telle que je la perçois est d'essayer de limiter les effets de la crise dans ces sociétés déjà fragilisées par le chômage de masse qui affecte durablement leur cohésion sociale. Elle est aussi de favoriser les conditions d'une relance de l'activité économique, du renforcement de notre vivre ensemble et d'un développement équilibré de ces territoires pour ne pas hypothéquer l'avenir de la jeunesse.
La jeunesse, c'est une des priorités fixées par le Président de la République parce qu'elle incarne notre avenir collectif, notre espoir dans le futur.
Mayotte illustre à l'extrême ces enjeux avec 60 % de sa population qui a moins de vingt-cinq ans, des mutations profondes déjà engagées - qui déstabilisent fortement les fondements traditionnels de la société - un retard de développement avéré, et une pauvreté qui masque les avancées réelles dues à la départementalisation, ainsi qu'à la présence d'une forte proportion de population étrangère et une pression migratoire qui ne faiblit pas.
Ce constat et les dysfonctionnements qu'il engendre ont été rappelés par les acteurs de terrain que son Médecin du monde, le Secours catholique, les Apprentis d'Auteuil. Je souhaite saluer la qualité du travail au quotidien qu'ils accomplissent. J'ai eu l'occasion d'aller à Mayotte à diverses reprises et de visiter les installations qui sont faites pour accueillir les jeunes, les internats, les centres d'accueil de jour pour les enfants errant. Effectivement, la situation de la jeunesse à Mayotte et notamment de la jeunesse livrée à elle-même, isolée, nous préoccupe grandement.
De plus, comme vous le savez, Mayotte est française depuis 1841, mais est rattachée à la France depuis plus récemment. Je suis allée en Guyane samedi et en territoire amérindien l'on est frappé de voir les situations de pauvreté, les difficultés d'accès à la langue française.
Autant de maux qui caractérisent les sociétés dans les Outre-mer et qui exigent énormément d'efforts pour arriver à cette égalité réelle que nous appelons de nos voeux.
Il faut bien reconnaître qu'en 25 ans, la société mahoraise a réalisé des progrès et des rattrapages considérables. Par exemple, beaucoup d'établissements scolaires ont été construits.
Il faut parler des difficultés que rencontrent Mayotte et les jeunes mahorais mais il faut aussi se rendre compte que c'est une population en plein développement et en croissance exponentielle.
En matière de réussite éducative, nous avons rappelé avec conviction que tout enfant a droit à l'éducation et que tout enfant vivant sur le territoire mahorais doit être scolarisé. Une fois qu'on a dit cela, on se trouve confronté à une autre difficulté : les collèges accueillent 1 600 élèves, voire 1 900. Certains enfants ne bénéficient pas de la Sécurit sociale car leurs parents, en situation irrégulière, n'osent pas se manifester.
Il y a un autre problème : arriver à donner à manger à ces enfants. J'ai passé deux ans à essayer d'organiser une collation en faveur des enfants scolarisés à Mayotte. Mettre en relation ce que peut payer la Sécurité sociale avec le nombre d'enfants scolarisés est un véritable casse-tête.
Il est vrai que les difficultés sont considérables. Mais il y a aussi des bonnes volontés considérables dans les centres de jour où sont accueillis les enfants des rues, dans les établissements scolaires, où les enseignants essaient de prendre en charge les enfants ; certains adolescents ne sont jamais allés à l'école. Il faut signaler les problèmes, mais aussi tirer son chapeau à un grand nombre de personnes qui se donnent vraiment beaucoup de mal pour arriver à avancer dans la résolution des difficultés que rencontrent les enfants.
Les enfants doivent scolarisés. Oui, mais dans quelle classe ? Certains n'ont jamais été à l'école. Tels sont les problèmes pratiques considérables qu'il faut arriver à régler. On dit fréquemment que le conseil général, qui porte la responsabilité du social, pourrait en faire un peu plus. Je salue son représentant qui est aujourd'hui parmi nous. Le conseil général doit faire face aux besoins d'une population elle-même très pauvre.
L'État ne désintéresse pas de la situation. Le prochain contrat de plan État-région, avec Mayotte, sera celui où il y aura le plus d'argent par habitant. Nous avons réussi à faire arriver sur Mayotte des fonds européens en nombre considérable et les montants seront importants.
Toutefois, encore faut-il savoir comment ces crédits vont être mis en oeuvre. Il ne suffit pas d'avoir les crédits. Encore faut-il que les élus puissent avoir l'encadrement et les services nécessaires pour les mettre en oeuvre. Le professeur Janky l'a très justement rappelé. On peut avoir les fonds européens. Pour les utiliser, il faut suivre des procédures extrêmement sophistiquées. Si on ne les suit pas, on s'expose à un déremboursement.
Mayotte se trouve à la croisée des chemins. Compte tenu qu'elle est devenue un département à part entière et une région ultrapériphérique à part entière, elle est face à un destin qui est en train de changer.
Beaucoup de moyens seront mis en oeuvre pour que les Mahorais puissent accéder à l'égalité réelle. Pour cela, les collectivités locales ont besoin de cadres. Nous avons également besoin des associations. Si certaines, comme les Apprentis d'Auteuil et Médecins du monde, travaillent déjà sur place, notre réseau associatif local, certes de bonne volonté, demeure encore fragile. Nous avons beaucoup à faire pour que la vie des Mahorais puisse véritablement connaître une avancée significative au cours des prochaines années.
Le projet de loi de finances 2015 prévoit un effort budgétaire total de 807 M en faveur de Mayotte, le plus important de France en termes d'intensité de l'aide par habitant. L'objectif d'égalité sociale progresse. Là encore, il faut y aller progressivement afin que non seulement la société mahoraise ne soit pas déséquilibrée, mais aussi que les sociétés avoisinantes - très tentées de venir dans ce qui représente pour elles un Eldorado - ne se trouvent pas, elles aussi, en face d'un déséquilibre croissant.
Cela a été dit, Mayotte a besoin de travailler dans le cadre d'une coopération régionale plus satisfaisante, en particulier avec les Comores. Sinon Mayotte va récupérer toute la population des îles avoisinantes.
Nous avons besoin de garantir aux Mahorais l'égalité réelle à laquelle ils ont droit en tant que Français. Nous avons aussi besoin de ne pas brutaliser une société qui, face à des évolutions très rapides, me semble par moments un peu fragilisée.
Évidemment, nous allons entreprendre un travail de convergence avec le droit commun. De nombreuses ordonnances sont régulièrement prises afin que le droit social, notamment à Mayotte, puisse être rattrapé. Ce rattrapage est en cours. Le RSA a été revalorisé à 50 % de sa valeur nationale.
Depuis le 1er janvier 2015, le SMIC net a été aligné sur le SMIC national. Nous avons obtenu une forte revalorisation des prestations de restauration scolaire. Les choses sont en cours et il est aujourd'hui difficile d'aller beaucoup plus vite.
Vous avez rappelé l'importance de mettre en oeuvre un plan Jeunesse. Nous y travaillons avec les structures locales. Nous nous battons pour arriver à scolariser l'ensemble des jeunes et mettre sur pied les programmes de réussite éducative. Le plan de prise en charge des mineurs isolés existe ; même si ce phénomène demeure massif, il décroît lentement. D'ailleurs, j'ai salué le travail réalisé par vos trois associations. Je salue également le travail remarquable effectué par l'association Tama, initiée par le sénateur Swahili, qui prend en charge nombre d'enfants et ce dans des conditions remarquables.
Compte tenu de l'ampleur du problème, nous sommes encore loin du compte. Nous partageons avec vous la nécessité de construire des politiques publiques avec les jeunes et les Mahorais. Une dynamique jeune, lancée en février 2013, permet l'animation de comités de jeunes âgés de 14 à 30 ans, dans onze communes. Des rencontres mensuelles sont organisées par les professionnels et les élus.
Nous devons également veiller à accompagner techniquement et financièrement les associations gérant des accueils collectifs de mineurs. Par exemple, tout ce qui a été fait dans le cadre de la réussite scolaire a permis de faire en sorte que les nouveaux rythmes éducatifs s'appliquent à Mayotte. Un effort considérable a été mis sur pied pour rattraper le retard existant en termes de construction scolaire. Quelque 200 classes sortiront de terre pour permettre de scolariser les enfants.
L'État doit accompagner techniquement les élus. Faute de quoi il ne sera pas possible pour eux de franchir un pas aussi important.
J'ai rappelé tous les fonds, notamment européens, qui s'appliquent sur Mayotte. Je signale que Mayotte est aussi éligible au fonds d'échange à but culturel, éducatif et sportif, porté par mon ministère.
C'est un changement profond de la société mahoraise. Par conséquent, il convient d'ordonner toutes ces priorités. C'est pourquoi nous discutons actuellement avec les élus sur un plan intitulé « Mayotte 2025 ». C'est un travail passionnant qui nous permet d'ordonner les priorités et de mettre en musique les actions définies préalablement afin que Mayotte puisse avancer. La jeunesse et l'Agenda social font partie de ce document stratégique. Par cette action publique transparente et lisible, nous allons pouvoir essayer de prendre à bras le corps toutes les difficultés qui se posent sur Mayotte, et ainsi, faciliter l'adhésion aux politiques publiques qui peuvent paraître loin des préoccupations quotidiennes de ses concitoyens.
Évidemment, cet Agenda social que nous sommes en train de bâtir, en liaison avec les élus mahorais, se décline en trois volets principaux, ceux dont vous avez parlé : jeunesse, santé, cohésion sociale. Ce sont évidemment ces grands principes qui vont favoriser l'égalité des territoires ultramarins avec ceux de l'Hexagone.
Vous avez parlé dans vos questions d'un certain nombre de points particuliers. Mme Romouli-Zouhair notamment a évoqué la question foncière. Il est vrai que dans tous les Outre-mer la question des 50 pas géométriques pose des problèmes - je ne dirai pas insolubles, car rien n'est insoluble, on va forcément devoir y arriver - des problèmes importants, puisque les gens justement vivaient au bord de la mer, pêchaient, etc., Par conséquent, ce sont précisément les gens les plus modestes qui se sont installés au bord de la mer, à un endroit où juridiquement, depuis cette loi ancestrale sur les 50 pas géométriques, ils n'en ont pas le droit.
Aujourd'hui, comme vous l'avez dit, dans beaucoup d'Outre-mer on a créé des agences permettant de régulariser la situation de ces particuliers. À Mayotte, la démarche devra être la même : il y aura création d'un établissement public permettant de donner des titres aux gens, mais on part aussi d'une situation où les titres cadastraux n'étaient pas non plus une tradition.
Il faut donc que l'on reprenne tous ces sujets les uns avec les autres pour arriver à régler les situations.
Je ne reviens pas sur les expressions fortes des associations, leurs demandes concernant les jeunes : encore une fois vous rencontrez nos préoccupations ; nous travaillons vraiment main dans la main, et nous sommes heureux de pouvoir nous appuyer sur l'expérience de ces grandes associations pour aider les jeunes Mahorais à progresser dans la vie.
C'est vrai, Monsieur Durand, vous avez raison de dire qu'il faut un investissement important de l'État pour aider Mayotte à rattraper son retard. Je pense que les chiffres que j'ai pu vous donner vous montrent que nous sommes tous conscients de cette nécessité, et que l'effort financier est fait pour permettre ce rattrapage indispensable.
S'agissant de l'illettrisme, c'est aussi un des sujets, puisque on a parlé de construction de classes ; mais c'est vrai aussi qu'une des difficultés que nous rencontrons dans la scolarisation des jeunes Mahorais, c'est que pour la plupart, à la maison, ils ne parlent pas français. C'est un sujet que nous rencontrons ailleurs, puisque dans les autres Outre-mer nous avons un certain nombre de familles qui sont créolophones, et durant de longues années on a considéré que si l'on voulait que les enfants parlent correctement le français, il fallait surtout leur interdire de parler créole ou leur langue vernaculaire à la maison.
Aujourd'hui on en est revenu, et on se dit qu'au contraire il faut arriver à s'appuyer sur la langue que parle l'enfant, structurer sa pensée et son langage dans sa langue, et de là passer à la langue française. Mais pour les enseignants, c'est souvent une sorte de révolution culturelle. En Guyane, nous sommes allés visiter une école où l'on avait instauré ce système, et certains élus nous ont dit : on n'envoie pas nos enfants à l'école pour que vous leur appreniez à parler la langue locale. ; sans comprendre l'intérêt de ce passage par la langue que parle l'enfant et qu'il comprend, car c'est avant tout une question de le mettre en confiance, qu'il ne soit pas dans deux mondes très différents.
Cette question du langage que parle l'enfant est importante, mais il faut aussi se rendre compte qu'il faut que nous formions les enseignants à des techniques d'apprentissage du français langue étrangère.
On a aujourd'hui à Mayotte une double difficulté à ce sujet : il y a un manque crucial d'enseignants et un certain nombre d'enseignants sont originaires de Mayotte mais avaient été recrutés à des niveaux extrêmement modestes, il faudrait donc faire une formation continue suffisante pour qu'ils puissent aujourd'hui répondre aux exigences d'une formation moderne. Par ailleurs, comme on n'a pas à Mayotte d'université allant jusqu'à « bac plus 5 », on ne peut même pas recruter des enseignants à « bac plus 2 » comme on le fait pour les emplois d'avenir. Il faut donc que nous arrivions à résoudre ensemble ces questions, que nous arrivions à augmenter le niveau auquel on peut aller à l'université à Mayotte, au moins sur les lettres, de manière à ce que l'on puisse davantage former de professeurs locaux.
L'illettrisme : nous travaillons très bien avec la LCI. Il y a eu une année où c'était la Grande cause nationale et nous avons essayé de progresser mais il reste beaucoup de choses à faire.
Je crois qu'il est très bien que vous ayez passé cette après-midi à évoquer la situation de Mayotte. Nous savons que Mayotte doit affronter des enjeux redoutables, mais nous savons aussi que le fait d'avoir toute cette jeunesse, comme vous l'avez dit, dynamique, volontaire, qui a envie de s'en sortir, c'est aussi un atout et une richesse.
Nous progressons de manière pragmatique et mesurée. Nous savons bien que dans chacun des territoires des Outre-mer, nous avons un certain nombre de sujets à régler de la sorte, mais je suis persuadée que, en travaillant main dans la main avec les élus, avec une structure comme la vôtre - qui nous apporte le bénéfice de ses réflexions - avec les associations, nous allons arriver à progresser au rythme de chacun des territoires d'Outre-mer. C'est en tout cas une tâche tout à fait passionnante, et je vous remercie d'y prendre toute votre part.
(Applaudissements)
source http://www.lecese.fr, le 24 février 2015