Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à Radio Shalom le 23 mai 1999, sur le conflit du Kosovo, l'élection de M. Ehud Barak en Israël et la restauration de l’état de droit en Corse.

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Circonstance : Parution de l'essai de M. Pierre Moscovici intitulé "Au coeur de l'Europe" au Pré aux Clercs en mai 1999

Média : Radio Shalom

Texte intégral

Q - Merci, Monsieur le Ministre délégué, chargé des Affaires européennes d'avoir bien voulu répondre à l'invitation du Grand Débat de Radio Shalom. Nous voici donc avec vous au coeur de l'Europe, pour reprendre le titre de l'ouvrage d'entretiens avec Henri de Bresson, que vous venez de publier aux éditions du Pré aux Clercs. Vous vous y proclamez culturellement européen mais absolument pas "euro-béa". Alors, avec Karen Chouchana de Radio Shalom, nous aurons bien besoin de votre euroréalisme pour essayer de comprendre ce qui se passe. Ce qui se passe d'abord avec cette guerre au Kosovo où l'on ne saisit ni la cohérence ni l'autonomie des Européens qui semblent partagés, pour ne pas dire divisés. Va-t-on vers un engagement terrestre ? De quelle force ? Ou faut-il encore croire en une solution diplomatique, laquelle ? Vous, Pierre Moscovici, n'avez-vous pas l'impression que l'idée même de défense européenne recule sinon en France, du moins, chez nos voisins ? Nous sommes, il faut le rappeler, en campagne électorale ; vous affirmez dans votre livre que nous allons assister à la première vraie campagne européenne. Ne vous êtes-vous pas un peu imprudemment avancé ? Qu'est-ce qui peut faire exister cette campagne européenne dans sa dernière ligne droite ? Ce sera ma première question.
R - Vous savez, on écrit des livres et puis les événements tranchent. C'est vrai que les élections européennes sont toujours difficiles, ce sont les élections lors desquelles les Français s'abstiennent le plus, peut-être d'abord parce qu'ils perçoivent l'Europe comme assez éloignée d'eux, ensuite parce qu'il y a un mode de scrutin qui me paraît toujours inadapté : la proportionnelle nationale ne mobilise pas vraiment les foules parce qu'il n'y a pas vraiment de proximité entre le futur élu et l'électeur. Et puis, il y a des circonstances, c'est vrai que...
Q - Vous exprimez d'ailleurs votre regret, dans le livre
R - Oui, tout à fait. Je crois qu'il aurait fallu réformer le mode de scrutin et il faudra le réformer à nouveau parce qu'il faut absolument que les élus soient élus dans des régions...
Q - La Région, c'est la circonscription qui semble vous satisfaire ...
R - Oui, car sinon on n'y voit rien. Pas dans les régions actuelles mais dans les grandes régions qui sont d'ailleurs à l'échelle de l'Europe. Je suis élu d'une région, la Franche-Comté, 20 millions d'habitants, qui ne pèse pas par rapport à un Land allemand. Donc, il faudra un jour avoir de vraies régions françaises. Mais, deux éléments rendent plus difficiles, c'est vrai, les élections européennes : d'abord le poids psychologique que fait peser la crise du Kosovo et ensuite la décomposition de la droite qui l'empêche de mener une campagne symétrique. Mais, pour ce que l'on observe, la campagne des Socialistes se passe bien. Il y a du monde, la mobilisation est convenable, d'ailleurs les sondages sont aussi très bons, ce qui prouve que les Socialistes sont un môle de stabilité aujourd'hui dans ce pays et par rapport à l'Europe. Donc, je ne suis nullement pessimiste et je pense que cette campagne va se déclencher maintenant dans les trois dernières semaines. Nous avons cette semaine un meeting avec Lionel Jospin, Tony Blair, Gerhard Schröder, Massimo d'Alema, une mobilisation que nous seuls pouvons faire et qui montre aussi l'enjeu de cette campagne : donner une cohérence à la politique en Europe. Il y a le débat entre Nicolas Sarkozy et François Hollande la semaine prochaine. Comme toujours, c'est dans les 15 derniers jours que tout va se cristalliser mais je suis plutôt optimiste.
Q - Je reviens quelques instants sur le grand meeting dont vous venez de parler. Il semblerait que Jack Lang qui a été chargé d'organiser cette manifestation ait eu un peu de mal à réunir toutes ces grandes pointures sociales démocrates européennes. Schröder a beaucoup hésité. Est-ce un peu le reflet de vos divisions ? Vous n'avez pas tout à fait la même vision de l'Europe ?
R - Non, ce n'est pas du tout le reflet de la division, c'est quelque chose de très matériel. Vous savez, pour réunir 6 ou 7 Premiers Ministres dans un meeting un soir, honnêtement, compte tenu de leurs contraintes d'agenda, ce n'est pas facile ; mais, je crois que tout le monde sera là et encore une fois, nous sommes seuls capables de le faire. J'aimerais bien voir les droites européennes réunies. D'abord, la droite française ne l'est pas elle-même. Ils se battent les uns les autres, pour avoir l'aval du seul leader conservateur européen qui est M. Aznar, un jour Nicolas Sarkozy y va, le lendemain, c'est François Bayrou qui y va, ... Au contaire, les gauches sont assez liées. Nous avons nos différences, je ne les nie pas ; nous ne sommes pas des Sociaux-démocrates allemands, nous ne sommes pas des Travaillistes du New Labour ; nous ne sommes pas attirés autant par le centre que les uns et les autres le sont mais en même temps, ensemble, nous faisons tourner l'Europe dans un sens plus favorable à la croissance et à l'emploi. Réfléchissez une seconde à cela. Dans les années 80, il y avait à peu près des gouvernements conservateurs partout. Il y avait des politiques libérales partout. A l'époque, c'était des régulations, des privatisations, des marchés uniques. C'était le mot d'ordre. Et cela coïncidait avec des gouvernements libéraux. Aujourd'hui, nous sommes à a fin des années 90. Manifestement il y a eu des excès dans l'autre sens, il y a un besoin de sécurité, il y a un besoin de régulation, un besoin d'orientation volontaire de l'Europe et des gouvernements socialistes et sociaux-démocrates très largement répandus dans l'Europe. Et pour moi, ces deux mouvements, un mouvement de fond et un mouvement de choix politique ne sont pas, bien sûr, dûs au hasard. Ils le doivent à la nécessité.
Q - Précisément, quel est le message que vous, Socialistes, vous souhaitez faire passer ? Tout de même, entre la Corse et le Kosovo, le message européen a du mal à traverser ? ...
R - Je ne l'ai pas nié mais le message que nous souhaitons faire passer est celui d'un tournant de l'Europe en cette fin de siècle. Quand on y réfléchit, nous avons devant nous des défis absolument incroyables. Allons-nous réunifier l'Europe ou pas avec les pays d'Europe centrale et orientale ? Allons-nous ou non bâtir une Europe de la Défense ? Sommes-nous enfin capables de bâtir l'Europe sociale pour l'emploi que nous souhaitons ? Voulons-nous ou pas nous doter d'institutions ? Et nous souhaitons avancer sur ces 4 terrains-là, c'est un message de cohérence que nous souhaitons faire passer. Oui, nous voulons une Europe-"puissance" face aux Etats-Unis, ou en tout cas au même niveau que les Etats-Unis. Nous voulons une Europe politique, nous voulons une Europe citoyenne, nous voulons une Europe volontaire et c'est cela, au fond, qui nous caractérise aujourd'hui. C'est ce message global, une Europe européenne mais une Europe forte, une Europe rassemblée. Je crois que c'est un message qui, malgré tout, malgré les circonstances de l'actualité, commence à passer.
Q - Mais alors Daniel Cohn-Bendit reprochait dans les colonnes du journal Le Monde au Parti socialiste sa "frilosité", je le cite, sur l'Europe et il ajoutait d'ailleurs "C'est scandaleux d'avoir dit que le fédéralisme n'était pas une solution pour l'Europe". C'était vous qu'il visait directement, Pierre Moscovici ? Vous seriez "fédéraliste comme la majorité des députés européens, à l'inverse du Premier ministre" précise-t-il.
R - Il est très gentil de penser à ma place, de savoir mieux que moi ce que je suis. Non, je crois qu'il y a un peu une obsession dans cette campagne, c'est Jean-Pierre Chevènement. Pour lui, Jean-Pierre Chevènement est partout. Je le dis d'autant plus que moi je n'ai pas spécialement approuvé les propos de Jean-Pierre Chevènement sur Daniel Cohn-Bendit au début janvier. Mais il ne faut pas non plus partir dans l'autre sens. Il voit Jean-Pierre Chevènement partout et il s'imagine que le parti socialiste, pour une annonce électorale, a vendu son âme pour une sorte de plat de lentilles. Je vous dis franchement, cela n'a aucun sens ! Le Mouvement des Citoyens est plutôt venu vers nous. C'est vrai aussi que nous avons fait des pas dans l'autre sens. Surtout, les choses se sont rapprochées et je maintiens - et c'est ma conviction - que le fédéralisme intégral à la Bayrou - et c'était Bayrou que je visais - n'est effectivement pas la solution pour l'emploi fédéraliste. C'est déléguer à peu près tous les pouvoirs souverains au niveau d'un centre : c'est la justice, c'est la défense, c'est la politique bien sûr, c'est la monnaie, nous l'avons fait et avec un budget très, très conséquent. Je prétends qu'il y a de plus en plus d'éléments fédéraux dans l'Europe, dans ce sens-là, je ne suis pas gêné par la fédéralisme. Il doit y en avoir de plus en plus. Je ne suis pas au Mouvement des Citoyens, je n'ai pas envie d'y adhérer, je ne souhaite pas que la Nation fasse tout. Mais en même temps, il y a des éléments nationaux qui sont extrêmement importants, qui font qu'on doit être capable de dire non, de dire non à l'AMI, de dire non au New Transatlantic Market, au libre-échangisme avec les Etats-Unis et il y a des choses qu'on ne peut pas faire dans une fédération. Prenons l'exemple de la défense européenne. Je connais l'Europe, on ne fera pas une défense fédérale en Europe, ne serait-ce que parce qu'il y a des pays neutres.
Q - Comment faire une défense commune sans passer par un pouvoir centralisé ?
R - Je ne dis pas qu'il ne faut pas de pouvoir centralisé mais ce pouvoir ne sera pas un pouvoir fédéral européen et je poursuis là-dessus. Quand vous avez l'Autriche, l'Irlande, les Pays scandinaves qui sont des pays neutres, comment faites-vous ? Vous les mettez dedans ? Mais alors, à ce moment-là, quelle est la chaîne efficace de décision ? Vous les laissez dehors et à ce moment-là, ils ne sont pas associés du tout. Donc, il faut bâtir autre chose, c'est-à-dire une forme de coopération pragmatique dans laquelle on coordonne les budgets de Défense nationale, les industries de Défense nationale, on met en place une chaîne de commandements militaires et politiques ; mais y viennent ceux qui le veulent et c'est quand même quelque chose qui sera demain largement intergouvernemental. Qui peut imaginer qu'on pourrait engager les troupes françaises par une sorte de "secure" européen, chef d'état-major qui serait basé à Bruxelles ? Cela n'a aucun sens ! Et donc, je maintiens que ma conviction est que le fédéralisme -comme on en parlait il y a 50 ans- n'est pas la solution. Et ceux qui y reviennent aujourd'hui... je n'ai pas dit un mot sur Daniel Cohn-Bendit, je ne vais pas commencer aujourd'hui, c'est une liste de gauche amie, et puis en plus, je le connais bien. C'est vrai qu'on a eu de longues discussions, on partageait presque, enfin, on était côte à côte au Parlement européen pendant des années, mais le fédéralisme à la Bayrou, non, ce n'est pas la solution. Lui au fond, s'est saisi d'un slogan pour en faire.., comment dire, le "totem" de sa campagne pour la présidentielle de 2002, c'est tout. Je crois que sa conviction se limite à cela.
Q - On évoquait l'Europe de la Défense, on a du mal à y voir clair, ça va sans doute changer dans quelques instants. Comment peut-on progresser sur cette idée-là tout en maintenant la nécessité de l'OTAN ? Comment peut-on avancer sur deux pieds qui semblent, à priori, contradictoires ?
R - D'abord, tout à l'heure vous avez dit que l'ordre de la Défense reculait, en tout cas qu'on pouvait en avoir le sentiment dans cette crise-là. Ce n'est pas mon sentiment. Moi, j'ai le sentiment que le Kosovo nous montre -c'est vrai- certaines lacunes de l'Europe et en même temps, nous y ramène avec une très, très grande puissance. Je fais des réunions pour la liste de François Hollande, je suis sur le terrain, je vois des gens qui disent : "pourquoi n'est-on pas capable de faire cela nous-mêmes" ? C'est vrai que la question de l'OTAN est une question extraordinairement présente, non seulement dans la gauche mais je pense aussi dans la majorité du peuple français. C'est vrai qu'on voit à partir de là que la Défense européenne n'est pas une réalité aujourd'hui. Mais on le savait, même si les Européens sont plus unis qu'ils ne l'ont jamais été. Je participe à des Conseils des ministres européens, les Conseils européens. Ils se passent bien. Nous avons , l'Europe est plus présente, par exemple, en Bosnie et tout cela a été fait plus vite. Sur le plan diplomatique, c'est Hubert Védrine et Robin Cook qui ont animé la Réunion de Rambouillet. Mais en même temps, je crois qu'il y a une prise de conscience formidable qui s'opère en ce moment et la question de la Défense européenne que nous ne nous sommes pas posée au fond depuis 45 ans, c'est-à-dire depuis l'échec de la CED, maintenant nous nous la posons. Mais j'observe un peu le contraire de ce que vous disiez tout à l'heure, c'est-à-dire une prise de conscience chez les Anglais évidemment, chez les Allemands, chez d'autres encore, chez les Espagnols et même dans les pays neutres, que l'on ne peut pas rester totalement à l'écart de cette problématique. Donc, je suis pour une double chaîne de commandement, une chaîne à l'intérieur de l'OTAN, une sorte de pilier européen de la Défense dans le cadre de l'OTAN. C'est nécessaire car l'OTAN est une réalité. Nous y sommes depuis 1949 et en même temps, c'est une chaîne autonome de commandement, de telle façon que l'on puisse sortir de l'alternative un peu douloureuse : soit, ne rien faire quand il se passe des choses inacceptables sur le continent européen - et on ne pouvait pas ne rien faire - soit, être toujours, admettons, dans un système dont la clef unique est détenue par les Américains.
Q - Enfin, on est dans l'OTAN sans y être, tout en y étant, ce qui fait qu'on a tous les inconvénients sans avoir les avantages...
R - Je ne dirai pas cela, non. On y est, on pourrait aussi renverser la phrase en disant qu'on a quelques avantages sans en avoir les inconvénients...
Q - Vous diriez cela ?
R - Pas exactement, mais je crois qu'on n'en a pas tous les inconvénients. Nous sommes très écoutez dans cette affaire. Il faut quand même voir que lorsque des décisions sont prises - même si il y a beaucoup de bavures, il faut être très, très vigilants, il y en a eu trop - il y a une consultation, notamment, du chef d'Etat-major de l'armée française. Nous ne sommes pas la cinquième roue du carrosse, ce n'est pas le général Wesley Clark qui décide absolument tout seul de tout. Mais, nous sommes dans l'OTAN, depuis 1949 ; nous n'en sommes jamais sortis. Simplement, nous sommes sortis du commandement militaire intégré qui fonctionne en temps de paix. Quand on est en temps de guerre évidemment, on met en place une chaîne de commandement. Nous sommes dans cette chaîne de commandement. Donc, nous y sommes mais en même temps, quand nous faisons nos plans, quand nous élaborons notre programmation militaire, quand nous mettons en place nos forces, c'est nous-mêmes qui le décidons.
Q - Etes-vous d'accord pour dire que l'Europe telle que vous l'espérez devra se définir d'abord et avant tout par son indépendance par rapport aux Etats-Unis ?
R - Non, pour moi, ce n'est pas la problématique principale. Je ne suis pas anti-américain, je ne suis pas obsédé par les Américains, je pense qu'ils sont nos amis, nos alliés mais qu'ils ne doivent pas être nos maîtres. C'est comme cela que je résumerais ma position. Ce sont nos amis depuis toujours, nous étions à leurs côtés dans leur Guerre d'Indépendance. Evidemment, ils ont libéré l'Europe avec nous en 1917, en 1945 ; mais ils ne doivent pas être nos maîtres parce que ce n'est pas à eux de décider à notre place, ce n'est pas à eux de fournir les solutions - qu'elles soient politiques, civiles, économiques - sur notre continent. Donc, ce n'est pas une question d'indépendance, c'est une question d'autonomie. Nous devons être capables de nous exprimer par nous-mêmes sur le même plan qu'eux, sur le même pied qu'eux et c'est l'enjeu de l'Europe-"puissance" : qu'il y ait, au fond, une autre puissance que l'hyper-puissance américaine. Mais, je ne mets pas cela dans un rapport d'antagonisme. Nous serons toujours les alliés des Américains, je l'espère, sinon on serait dans une situation un peu curieuse. Que l'Europe s'affirme et qu'elle ne soit pas obsédée par un autre, qu'elle ne s'affirme pas toujours en référence à un autre. Je suis pour l'identité européenne, je ne suis pas pour une espèce de programme commun réduit aux acquêts : " A bas les Américains !".
Q - Pierre Moscovici, vous savez comme moi qu'il y a un vieux fond à gauche, qui a ses lettres de noblesse d'ailleurs, anti-américain. Certaines manifestations l'attestent. Toute la gauche est venue à maturité politique via le combat anti-impérialiste et il y a quelque chose qui se poursuit aujourd'hui ...
R - C'est une certaine gauche, je la connais, j'en ai été. Mais en même temps, non, je ne crois pas que ce soit le fond des choses et notamment cela n'a jamais été la thèse des Socialistes tout de même. Alors être contre l'impérialisme, oui ; voir de l'impérialisme partout, non. Il y a une puissance aujourd'hui qui est hégémonique, une hyper-puissance américaine. Il faut en limiter l'impact mais ne raisonnons pas dans ces termes-là ou alors soyons conséquents. Dire que nous ne sommes plus dans l'OTAN, que l'on est tout seul, etc. C'est un peu la thèse paléo-gaulliste ou une certaine forme de gauche, effectivement, mais qui n'est pas, à mon avis, la forme la plus pertinente aujourd'hui.
Q - Le niveau du débat va légèrement baisser, vous m'en excuserez Pierre Moscovici, je voudrais revenir sur les sondages. Quand on les observe, on note que les listes qui progressent le plus sont celles de Charles Pasqua à droite et celle de Robert Hue à gauche. Comment interprétez-vous ces données ?
R - Là, je suis un peu surpris par ce que vous dites, parce que les sondages sont très contradictoires. J'avais plutôt l'impression que la liste de Charles Pasqua qui avait démarré...
Q - à 13 %...
R - Non, non, elle est maintenant à 7,5 dans certains sondages. Donc, il y a une baisse extraordinairement forte de cette liste, je crois, au contraire, qui tient au fait que cette liste a correspondu à une crise au sein du mouvement gaulliste. La crise ne s'est pas résorbée mais, en même temps, Charles Pasqua n'a pas su incarner fort bien ce mouvement-là et c'était aussi la crise du Front national et il y a probablement, me semble-t-il, aujourd'hui dans les sondages, un certain nombre d'électeurs qui semblent retourner à " leur maison ". Et leur maison, hélas, c'est la maison de Le Pen. Je ne trouve pas la campagne de Charles Pasqua très convaincante et si j'avais un peu d'argent à miser, je n'en miserais pas beaucoup sur lui. Bon, mais c'est un point de vue personnel...
Q - Vous ne la trouvez pas convaincante dans sa technique ou bien au fond parce que vous pensez que les anti-européens, quels qu'ils soient, ont perdu beaucoup de terrain ces derniers temps ?
R - Tout d'abord, il était parti sur un pied gauche-droite, et maintenant, il a tourné, c'est droite-extrême droite car tout de même, quand il a Marie-France Garaud qui revient de Belgrade, en troisième sur sa liste ou Jean-Charles Marchiani qui a été préfet à Toulon dans les circonstances que l'on connaît, plutôt que Max Gallo ou d'autres, son appel à gauche a totalement échoué. Mais, il s'est largement tourné à l'intérieur et Philippe de Villiers est carrément à droite. Il a un peu déporté sa liste. Il s'interdit le rassemblement souverainiste qu'il souhaitait. La deuxième chose, c'est que les thèmes de cette campagne sont des thèmes extraordinairement passéistes ; le souverainisme à la Pasqua, pour moi, c'est fini. Non pas que je ne sois pas attaché à la souveraineté, non pas que je ne sois pas attaché à la Nation, mais une thèse qui consiste à dire "l'Europe, ça n'existe pas, il ne faut rien en faire..." etc., etc., est une thèse qui n'a aucun avenir et je pense que les Français le sentent. Et sur la forme, c'est une campagne extraordinairement molle. C'est vrai qu'au fond elle n'a qu'un programme, c'est : "A bas Jacques Chirac". Cela interdit peut-être de compter cette liste dans la majorité présidentielle ou dans l'opposition présidentielle. C'est à peu près son seul mérite. Quant à Robert Hue, bon, nous verrons mais c'est vrai que les intentions de vote en faveur du Parti communiste paraissent extraordinairement stables. Pour répondre à votre question sur le fond, je ne pense pas que les listes souverainistes ou anti-intervention au Kosovo etc. soient des listes en progrès. Je ne le crois vraiment pas et je ne crois pas, honnêtement, que l'avenir soit là.
Q - Pierre Moscovici, avant la pause, puisqu'il nous reste deux minutes, j'aimerais bien que vous arbitriez un débat qui est à droite et en même temps pas seulement à droite : deux listes se revendiquent du Président de la République, François Bayrou et Nicolas Sarkozy. Au fond, laquelle, selon vous, représente le mieux la politique européenne du Président de la République ? Mais n'est-ce pas une troisième qui la représente le mieux, c'est-à-dire la vôtre, celle du Parti socialiste et l'identité de vue entre le chef de l'Etat et vous est-elle démontrée au quotidien ?
R - Heureusement ! Nous sommes dans une situation qui est originale, la cohabitation, qui nous oblige à mener une politique étrangère et une politique européenne au nom de la France et elle se définit avec le Président de la République, je dirai même parfois autour de lui. Pour autant, ce n'est pas uniquement sa politique puisque c'est une politique qui est partagée. Cela dit, les partis c'est encore autre chose que le pouvoir exécutif. Ce qui est vrai, c'est qu'il y a un embarras fondamental pour le parti RPR-Démocratie Libérale par rapport au Président de la République, que Philippe Seguin avait ressenti, à tel point qu'il en est parti. Nicolas Sarkozy, ce n'est pas le genre à lâcher un morceau de pouvoir. Donc, il reste. Il n'empêche que le voilà écartelé entre la nécessité de soutenir la politique européenne d'un Président de la République qui, c'est vrai, n'a pas l'air de se sentir mal sur ce plan-là avec ce gouvernement et le fait d'essayer de ramener un électorat gaulliste, souverainiste que guigne Charles Pasqua sur des thématiques beaucoup plus nationalistes... Résultat : la campagne de Nicolas Sarkozy est difficile car il vit cette contradiction intensément. Et, c'est vrai, c'est toujours un plaisir et un sourire pour nous, que de les voir se disputer un bout de la "Vraie Croix" alors qu'ils n'arrivent pas, manifestement, à arriver à poser une campagne avec des thèmes forts et des thèmes qui leur soient propres.
Q - Nous retrouvons Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des Affaires européennes et auteur, rappelons-le, d'un livre d'entretien qui vient de sortir, "Au coeur de l'Europe". Nous avons longuement parlé de la campagne européenne, de ce qui pouvait la parasiter et notamment, ce qui s'est passé en Corse. Discussion de la motion de censure déposée par la droite mardi prochain. Va-t-on en fini, si j'ose dire, avec la Corse, à votre avis, à cette occasion-là ? Ou bien, au fond, cela va-t-il encore relancer le débat gauche-droite et peut-être même créer quelques dégâts pour la majorité ?
R - Ecoutez, l'expression "en finir avec la Corse" ne me paraît pas heureuse. Il y a beaucoup de problèmes en Corse, des problèmes qu'il va falloir traiter, qui continuent d'être là. Ce n'est pas parce qu'il y a eu cette affaire extraordinairement malheureuse qu'il faut oublier l'Etat de droit, qu'il faut oublier la nécessité de restaurer en Corse une prospérité économique, une cohésion sociale, de trouver des solutions politiques et, c'est aussi la tâche du nouveau préfet, M. Lacroix. C'est aussi la tâche du gouvernement. Donc, il continuera. Mais pour le reste, je crois que nous attendons cette motion de censure avec beaucoup de sérénité et de tranquillité car les tentatives un peu pathétiques qu'a mis en oeuvre la droite pour essayer de prouver la responsabilité de tel ou tel membre du gouvernement, voire du Premier Ministre, qui était directement visé dans cette affaire-là, à mon avis, ont fait long feu. Les Français ont bien compris,dans cette affaire, qu'il y avait eu une dérive locale, grave, que le gouvernement n'y était pas impliqué, que le chef du gouvernement notamment - comme les autres d'ailleurs - avait eu une très grande intégrité. Je crois d'ailleurs que son passage sur TF1 montrait son authenticité, sa sincérité sur ce dossier-là. Il s'est déclaré blessé. Je crois que c'était vrai car cela représente, honnêtement, tout le contraire de ce qu'il fait depuis des années et des années dans la vie politique. Je le fréquente depuis 15 ans, j'ai senti, c'est vrai, ce sentiment mais : "c'est le contraire de ce que je suis". Voilà un peu ce qu'il a fait passer. Je crois que ce message a été bien compris. Et par ailleurs, le gouvernement a eu une attitude, sur le fond du dossier, qui a été d'une parfaite cohérence : 1) Dissolution du GPS. 2) On a nommé très vite un nouveau préfet après avoir mis fin aux fonctions de M. Bonnet ; c'était nécessaire à partir du moment où il a été mis en examen. 3) La justice continue son travail avec une diligence qui n'a pas toujours été facilitée par le passé, on n'ose pas imaginer ce qui se serait passé si cela avait été un autre gouvernement, à quel point les choses auraient été étouffées. Je crois que cette attitude cohérente est là et donc, dans le débat de motion de censure, nous allons opposer la cohérence de notre attitude à leur bilan ; il y a quelques petites choses à rappeler : la sincérité qui est la nôtre par rapport à des formes plus compliquées d'attitude dans le passé. Je crois que cela se passera bien. Cela ne mettra pas fin aux problèmes en Corse. Mais, il faut que la justice puisse travailler. Nous n'avons pas fini de parler de tout cela. Nous n'avons aucune volonté d'étouffer mais cela montrera à quel point la droite a fait un usage polémique, politicien et souvent assez bas de cette affaire. Peut-être, justement, parce qu'elle est en difficulté dans l'Europe. Elle a senti une aubaine et, à mon avis, elle s'est trompée et elle continue de se tromper. Cette motion de censure, d'ailleurs, vient comme un cheveu sur la soupe.
Q - Mais, certains responsables politiques de droite, notamment Nicolas Sarkozy, trouvent pour le moins étrange que l'on puisse arrêter aujourd'hui les responsables présumés de l'assassinat du préfet Erignac, à deux jours de la discussion de censure.
R - C'est l'exemple même de ce que je disais il y a une seconde, c'est-à-dire de l'usage à des fins politiques de problèmes qui sont des problèmes extraordinairement graves. Comment le responsable, le premier responsable du premier parti d'opposition peut-il avoir comme seule réaction - alors que la justice et la police semblent mettre en cause, je suis prudent, parce qu'il y a toujours dans cette affaire là des règles à observer, les responsables de l'assassinat du préfet Erignac - comment sa seule réaction peut-elle être : "Cela tombe bien pour la gauche !" ? Enfin franchement, il devrait se réjouir ! C'est la seule réaction possible ! Ce qui s'est passé en Corse est quand même extraordinairement grave ! C'est vrai qu'il y a eu cet incendie de Paillote mais quand même ! Ce préfet Bonnet a fait du travail sur le terrain mais pourquoi était-il là ? Il était là parce que son prédécesseur a été assassiné et je crois que le premier devoir d'un Républicain, quand on réussit... enfin, quand on commence à réussir, à élucider cette affaire de l'assassinat du préfet Erignac, serait de se réjouir. Que fait Nicolas Sarkozy ? Il met la responsabilité sur la gauche. C'est sa conception de la politique et honnêtement, ce n'est pas tout à fait réjouissant. Croyez-moi, cela se voit comme le nez au milieu de la figure. Les Français regardent le comportement de la droite dans cette affaire et je pense que plus elle continue dans cette voie-là, plus elle s'enfonce.
Q - Quand on interroge les gens, quand on se déplace, on enregistre des réactions assez surprenantes. Il y a une équivoque inverse de ce que vous dites, de ce que dit la droite aussi, à savoir beaucoup de sympathie pour le préfet Bonnet et même un peu d'irritation contre la manière sévère dont le gouvernement le traite pour un "feu de paillote" (je cite). On trouve aussi des gens qui considèrent qu'il est inadmissible que le ministère de la Défense n'ait pas pris en charge les frais de défense des gendarmes mis en cause. Enfin, il y a toute une série d'attitudes du gouvernement qu'on lui reproche pour un excès de rigorisme peut-être ?
R - Je préfère cet excès de rigorisme là à l'excès de laxisme dont on nous taxe par ailleurs. Non, je crois qu'il s'agit d'une forme de rigueur politique. On a beaucoup "glosé" sur la responsabilité mais dans cette affaire, les responsabilités ont été respectées. Quand des gendarmes mettent le feu à une paillote, alors qu'ils sont chargés de faire respecter la loi républicaine, il est quand même logique qu'on le leur reproche. S'il s'avérait, je suis très prudent, qu'un préfet avait donné des ordres dans cette affaire-là, il serait logique qu'on le lui reproche. A partir du moment où un préfet est incarcéré, mis en examen, il est logique qu'on mette fin à ses fonctions et qu'on le nomme. Il est logique aussi, et je crois que c'est ce que l'on attend de nous, qu'on recherche les dysfonctionnements, tous les dysfonctionnements. Mais derrière tout cela, il y a aussi quelque chose à quoi il faut faire attention : il faut faire attention en Corse, au sentiment de ras-le-bol de beaucoup de Français - j'allais dire de la métropole - mais en tout cas du continent, qui semblent penser que cette île n'est plus tout à fait dans une situation de droit, que parfois même elle n'est plus tout à fait française. Je souhaite que l'on mette fin à ce hiatus entre le continent et la Corse, c'est-à-dire qu'on retrouve des solutions d'Etat de droit en Corse, qu'on renoue les fils du dialogue, qu'on sorte de cette situation d'ambiguïté pour que ne naissent pas un sentiment anti-corse. Je crois qu'il est très important que, de part et d'autre, on retrouve une politique qui permette de montrer que la Corse est en France et que la France doit être fière de la Corse.
Q - Mais pensez-vous pouvoir y arriver ? Cette situation n'est pas nouvelle en Corse, elle perdure depuis des années et des années.
R - Il y a un défi à relever, sans aucun doute, mais c'est vrai que ce que vous dites explique assez largement pourquoi l'offensive de la droite a échoué : il y a eu une sorte de ras-le-bol par rapport à des pratiques. La paillote elle-même, franchement... évidemment, il ne fallait pas y mettre le feu et c'est une faute très lourde, c'est une dérive très grave mais en même temps, cette paillote devait être détruite. C'était la loi. Pas comme cela, entendons nous bien. Donc, il faut sortir du système où on a, d'un côté, des indulgences et de l'autre côté, des manquements à la loi, pour revenir à une situation de respect intégral de l'Etat de droit, à la fois sur le fond et dans la forme. Je crois que, maintenant, il y a encore une fois un nouveau préfet qui est chargé de cela. Je crois qu'il en a le profil, à la fois parce que c'est un homme extrêmement rigoureux et aussi parce que c'est un homme de dialogue. Et le Premier Ministre ira, le moment venu, en Corse pour tenir aux Corses, je pense, un discours de rassemblement et un discours d'avenir.
Q - Et pour relancer la discussion sur l'autonomie ou bien faut-il attendre encore un peu pour cela ?
R - Honnêtement, je pense que dans la situation qui est celle de la Corse aujourd'hui, tout ce qui peut sembler - même si l'autonomie n'est pas l'indépendance - donner un écho aux thèses indépendantistes est, pour le moins, mal venu et participe, une fois encore, dans la bouche de certains responsables de la droite - de ce que je disais à l'instant, c'est-à-dire de l'exploitation "à côté de la plaque" de ce qui doit être traité avec beaucoup de sérieux et de gravité. Cette situation corse, encore une fois l'assassinat d'un préfet, la mise en examen d'un autre, exige une sorte de sursaut et non pas des soubresauts.
Q - Pierre Moscovici, vous êtes un des hommes au coeur du dossier Kosovo aussi. Que se passe-t-il aujourd'hui ? Voilà que maintenant, les responsables de l'OTAN nous disent que l'efficacité des frappes aériennes n'est pas garantie et qu'il faudrait songer à renforcer les forces terrestres. On parle de 50.000 hommes en Macédoine. Ca veut dire quoi ? Que la diplomatie a échoué ou est en train d'échoué ou bien que l'on prépare les deux à la fois ? Pouvez-vous nous dire les choses un peu clairement sans dévoiler, bien entendu, des secrets d'Etat ?
R - Je crois que l'attitude de la France doit être celle d'une très grande constance. Nous avons décidé cet engagement. Cet engagement est un engagement au nom de la justice et c'est un engagement aérien et cela n'est pas fait par hasard. C'est une forme de pression militaire et politique qui est opérée sur le régime militaire et répressif de M. Milosevic. Cela prend du temps. Il y a aussi des bavures graves, certaines sont dramatiques, quand on voit qu'on bombarde un hôpital, un village, un marché ; d'autres sont stupides, comme le bombardement de l'ambassade de Chine au moment même où ils ont besoin de la Chine, dans le concert du Conseil de sécurité. Mais en même temps, ce que nous avons choisi, c'est clairement cela, c'est une forme de pression militaire et politique et pas l'engagement terrestre, au sens où on l'entend parfois, c'est-à-dire la guerre. Nous ne faisons pas la guerre, nous sommes dans un conflit. L'engagement terrestre comporte, on le sait, des risques tout autres : d'abord, des risques de pertes humaines, civiles et militaires beaucoup plus importantes et deuxièmement, un risque de contamination régionale. Il existe, parce que si on entrait au Kosovo ou si on voulait aller en Yougoslavie, il faut pénétrer par des pays voisins, la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie etc. C'est une toute autre conséquence. Et enfin, que feraient les Russes dans cette affaire-là ? C'est pour cela que nous, depuis le départ, depuis plusieurs semaines, nous disons : "Il faut poursuivre dans la stratégie actuelle, il faut poursuivre notre stratégie actuelle". Je crois que c'est une stratégie qui, contrairement à ce qu'on lit ici ou là, finit par payer ses fruits parce qu'on voit bien qu'il y a du côté de Milosevic maintenant, des recherches un peu différentes. Il y a eu le départ de Rugova, il y a des échos qui ont été donnés à des propositions du G8, c'est-à-dire des Occidentaux et des Russes ensemble. Je pense qu'est en train de se cristalliser quelque chose. Et le deuxième pied de notre action, c'est l'action diplomatique qui reste fondamentale pour la France et je ne crois pas qu'elle soit en train d'échouer, au contraire...
Q - Elle s'enlise ?
R - Non, on y travaille. Que se passe-t-il ? Le G8 a pris une résolution à Huit - y compris les Russes, et c'est très important - qui est très proche des cinq principes proposés par le Secrétaire général de l'OTAN. Ensuite, il y a des émissaires multiples qui sont sur le terrain, M. Tchernomyrdine, l'émissaire russe, M. Ahtisaari, l'émissaire de l'Union européenne, des émissaires du Secrétaire général de l'ONU, M. Kukan et M. Bildt et enfin, il y a un travail qui est opéré - mais qui ne s'enlise pas, simplement, ce n'est pas simple-, dans le cadre du Conseil de sécurité de l'ONU, pour l'élaboration d'une résolution du Conseil de sécurité. Je veux dire avec force que, pour nous, cette résolution du Conseil de sécurité de l'ONU est la clé de tout le problème. Et aujourd'hui, des discussions ont beaucoup avancé mais elles se cristallisent sur un point :quelle force de sécurité ? Ce qui est un point évidemment difficile, important, mais je pense que nous allons y arriver et je le souhaite. J'ai l'impression que nous sommes à un moment tout à fait décisif dans ce conflit, dans cette crise. Et pour cela, honnêtement, je crois qu'il ne faut pas changer de pied, mais au contraire, poursuivre avec beaucoup d'obstination, beaucoup de fermeté.
Q - Oui, mais que fait-on si les Etats-Unis, comme ils semblent déterminés à le faire, s'engagent dans une opération terrestre ?
R - Je me refuse absolument à commenter ce genre de scénario de politique fiction. Il n'y a pas de détermination affichée de tel ou tel, il y a des rumeurs, des on-dit, etc. Nous sommes dans le cadre d'une opération qui est une opération de l'OTAN et donc, je ne parle pas d'opération des Etats-Unis, ce n'est pas la même chose.
Q - Alors, quelle force de sécurité ? Vous disiez que c'était le sujet en discussion difficile. Pouvez-vous être un peu plus explicite ? C'est la composition de cette force de sécurité...
R - C'est toujours un peu les mêmes systèmes, c'est-à-dire : est-ce l'ONU qui pilote - et cela renvoie à la notion du Conseil de sécurité ; est-ce des forces de l'OTAN - et cela, évidemment, peut être contesté par les Yougoslaves, peut-être par les Russes - ; est-ce des forces autour de l'OTAN, des forces russes, etc. C'est ce type de discussion-là que l'on a.
Q - Pouvez-vous aussi nous éclairer sur un point...?
R - En tout cas, je veux dire que ce n'est pas le moment de changer. Je pense, qu'au contraire, quelque chose est en train de se passer.
Q - Oui, pouvez-vous nous éclairer sur un point : à savoir comment cela se passe-t-il entre le Président de la République et le Premier Ministre ? Avez-vous trouvé désormais des procédures qui font que c'est réglé comme du papier à musique et que tout dysfonctionnement, tout malentendu, tout désaccord peut être géré...
R - Il n'y a eu aucun malentendu, aucun désaccord depuis le début de cette crise entre le Président de la République et le Premier Ministre, qui sont en contact constant. Je ne suis pas dans le bureau mais je crois qu'ils se parlent souvent. Il y a donc des échanges qui sont aussi faits par leurs collaborateurs, il y a des réunions de ministres, soit de quelques ministres autour du Président et du Premier Ministre, soit ce qu'on appelle des conseils restreints où nous sommes un peu plus, c'est-à-dire toujours Hubert Védrine et Alain Richard, et parfois Charles Josselin et moi-même avec les chefs militaires. J'ai observé, pour avoir été présent plusieurs fois dans ces réunions, qu'effectivement d'une part ils sont assez spontanément sur la même thèse, et d'autre part, ils trouvent tout à fait les moyens d'être d'accord. Donc, franchement, la France parle d'une seule voix dans cette affaire et elle le fait sans aucune difficulté. Dans cette affaire-là, on voit bien d'ailleurs comment fonctionne la Constitution de cohabitation entre le Président de la République - chef des Armées - et le Premier Ministre qui dirige aussi ces Forces militaires.
Q - Une dernière chose sur ce dossier : vous qui connaissez bien Lionel Jospin et aussi Jacques Chirac, on a toujours dit que la guerre était la seconde nature de Jacques Chirac, qu'il avait grandi avec la guerre d'Algérie et que Lionel Jospin avait un rapport, comment dire, presque étranger avec la guerre. Cette fois-ci s'est-il familiarisé, si j'ose dire, avec cette chose-là ? Est-ce que lui aussi a un investissement très fort comme Jacques Chirac ?
R - Je pense qu'il a un investissement personnel et psychologique extraordinairement fort. Comme il l'a dit lui-même, il y passe beaucoup de son temps. A un moment donné, je pense que cela occupait presque la moitié de son temps. Maintenant, c'est forcément un peu moins, car on est dans une phase où les choses continuent vers des dénouements, des fils de la solution pacifique. Je l'ai observé à la fois très préoccupé par cela, très investi et formidablement sérieux dans la conduite de ce conflit qui exigeait, effectivement, des positions au millimètre, qu'elles soient militaires ou diplomatiques. Mais je crois que les deux ont eu honnêtement des raisonnements, des réactions extrêmement parallèles. J'ai le souvenir de leur réaction sur l'engagement terrestre. J'ai vu deux hommes qui, avec des chemins différents, dans leur vie personnelle, avec des cheminements intellectuels différents, arrivaient exactement sur le même point et je trouve cela honnêtement plutôt rassurant.
Q - L'élection en Israël la semaine dernière, victoire écrasante d'Ehud Barak sur Benyamin Netanyahu. On a beaucoup parlé du côté militaire d'Ehud Barak, du flou concernant ses intentions de paix. Voyez-vous en lui un homme de paix et avez-vous l'espoir que ce processus reprendra au point où il a été laissé par Itzhak Rabbin et Shimon Perez ?
R - Bien sûr, en tant que membre du gouvernement mais aussi en tant qu'homme de gauche, je me réjouis tout à fait de la victoire d'Ehud Barak, une victoire très large qui prouve le besoin de changement qui, aussi, condamnait certaines dérives antérieures, c'est clair. Mais ce n'est pas uniquement un vote négatif. Par sa force, c'est tout de même un appel à la paix extraordinairement fort et ce que nous attendons, effectivement, de M. Barak, c'est de faire progresser le processus de paix. Il a du travail, il faut qu'il forme un gouvernement, la coalition n'est pas simple, le sujet est extraordinairement compliqué, mais les premiers signaux qu'il a donnés nous paraissent tout à fait positifs et je pense que la filiation qu'on évoque souvent d'Ehud Barak avec Rabbin, est positive, rassurante, forte et qu'il aura à coeur de poursuivre dans cette voie-là et, bien sûr, nous l'approuverons, nous le soutiendrons. C'est notamment ce que Lionel Jospin a pu lui dire il y a peu de jours.
Q - Les relations entre l'Union européenne et Israël ont subi quelques ratés, si je peux dire, pendant le mandat Netanyahu. La France va-t-elle militer pour que cette coopération économique reprenne ou allez-vous attendre des premiers résultats ?
R - La question qui est pendante est celle de la signature de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël mais vous aurez observé que le Premier Ministre - dans une réponse à une question d'actualité, dès mardi, à l'Assemblée nationale - a déclaré que nous voulions jouer un rôle positif en la matière. Pour ce qui me concerne, je souhaite que la France joue un rôle positif dans la signature de l'accord d'union d'association entre l'Union européenne et Israël et que nous puissions le ratifier le plus vite possible. Nous travaillons dans le sens d'une ratification la plus rapide possible de l'accord d'association Union européenne-Israël.
Q - Pierre Moscovici, il nous reste juste une minute.Y aura-t-il un changement de gouvernement après les élections européennes ?
R - Je ne vois vraiment pas...
Q - Il n'y a pas de raison ? L'équipe est bien, elle est équilibrée ?
R - Je ne suis pas le Premier ministre et je ne suis pas bien placé pour cela mais moi, j'ai l'impression qu'on a un gouvernement qui fonctionne bien et nous attendons le résultat des élections sans appréhension majeure...
Q - Un bon résultat, ce serait quoi ? Etre en tête tout simplement ?
R - En tête largement quand même pour confirmer l'audience du gouvernement. Je crois qu'on peut l'espérer. Mais honnêtement, les élections européennes concernent l'Europe, c'est d'abord un test européen, c'est d'abord donner de la force à notre Parlement européen, c'est ensuite un test politique national,mais subsidiairement. Donc, je ne vois pas pourquoi elle constituerait, pour le gouvernement, une échéance particulière. Il n'y a, en plus, pas de ministre candidat. Donc, je ne vois vraiment pas pourquoi, sauf si le Premier ministre éprouve une insatisfaction dont il ne nous a pas fait part, nous changerions de gouvernement maintenant.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 1999)