Interview de Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat au numérique, à "Europe 1" le 16 avril 2015, sur les reproches d'atteinte à la concurrence faits par la Commission européenne à l'encontre de l'entreprise google.

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Média : Europe 1

Texte intégral

JULIE LECLERC
La Commission européenne accuse le géant GOOGLE d'abus de position dominante, en clair de faire la pluie et le beau temps sur Internet. GOOGLE est-il devenu aujourd'hui beaucoup trop puissant ? C'est la question qui fâche de sept heures et quart sur Europe 1.
THOMAS SOTTO
Et pour y répondre, je reçois Axelle LEMAIRE, Secrétaire d'Etat chargée du Numérique. Bonjour.
AXELLE LEMAIRE
Bonjour.
THOMAS SOTTO
Vous êtes en direct de Berne puisque vous accompagnez François HOLLANDE à l'occasion de sa visite d'Etat en Suisse. Axelle LEMAIRE, la Commission européenne attaque GOOGLE mais l'Europe aujourd'hui peut-elle vraiment se passer du géant américain ?
AXELLE LEMAIRE
Je pense que ce n'est pas comme ça qu'il faut se poser. La manière dont la Commission européenne l'aborde est la bonne, c'est de savoir si une entreprise comme GOOGLE qui est en position dominante sur certains secteurs dont le moteur de recherche aujourd'hui abuse de sa position dominante avec des effets néfastes pour la libre concurrence et pour les consommateurs. La question, elle est là. Elle n'est pas de savoir si les usagers ont besoin ou pas de GOOGLE. Il s'agira de répondre objectivement à l'atteinte à la concurrence.
THOMAS SOTTO
Mais est-ce que GOOGLE n'est pas un peu « coupable » entre guillemets de son succès ? Finalement si les concurrents ne sont pas au niveau, c'est leur problème ; il y en a des concurrents : YAHOO!, BING, QWANT le français.
AXELLE LEMAIRE
Pour les moteurs de recherche, il y a des concurrents qui ont beaucoup, beaucoup de mal à faire leur place puisqu'en France, plus de 95 % des parts de marché sur le moteur de recherche sont occupées par GOOGLE. Ce qu'on appelle les plateformes numériques comme Google, mais il y en a d'autres, elles ont des stratégies de diversification des services qu'elles proposent. Donc quand on parle de GOOGLE, on parle du moteur de recherche mais on parle aussi de tous les services spécialisés de la cartographie, du magasin d'applications pour son téléphone portable, d'une plateforme d'accès à des vidéos, de la messagerie électronique Gmail, des services en Cloud, de la traduction et puis du shopping. C'est sur la fonction Shopping que la Commission européenne a décidé de concentrer ses griefs en considérant que GOOGLE aujourd'hui a des pratiques discriminatoires puisque l'entreprise favoriserait ses propres comparateurs de prix dans les résultats de recherche qui apparaissent lorsqu'on fait une recherche sur Google Shopping.
THOMAS SOTTO
En novembre dernier, des députés européens ont demandé carrément un démantèlement de GOOGLE. Est-ce que vous êtes de cet avis ? Est-ce qu'il faut aller jusque-là aujourd'hui ? Est-ce qu'il faut démantibuler un peu la pieuvre ?
AXELLE LEMAIRE
Ce qui est certain, c'est que la Commission européenne a changé de stratégie. Elle a retourné sa stratégie et ça n'arrive pas par hasard. Ça arrive d'abord avec une nouvelle Commission européenne ; ça arrive alors que certains Etats membres, dont la France et le gouvernement français, et ce depuis longtemps, demandent que la question de la loyauté des plateformes soient inscrites à l'agenda de la Commission européenne. Parce qu'on considère aujourd'hui que les règles classiques traditionnelles, qui s'appliquaient à des industries lourdes du droit de la concurrence, ont de la difficulté à appréhender les pratiques commerciales de ces nouveaux acteurs numériques. D'ailleurs pendant cinq ans, la Commission a essayé de trouver une conciliation avec GOOGLE et puis finalement, aujourd'hui ils font le constat qu'il faut rentrer dans la phase contentieuse.
THOMAS SOTTO
Pardon mais sur le démantèlement, il faut aller jusque-là éventuellement ? Il faut au moins se poser la question du démantèlement de GOOGLE ?
AXELLE LEMAIRE
Moi, je suis plutôt d'avis qu'on se pose la question du point de vue du droit de la concurrence : est-ce qu'il est respecté ou pas ? La question du démantèlement, elle arriverait peut-être en bout de course, en bout de chaîne. Elle se posera peut-être mais en tout cas, ce n'est pas opportun à ce stade.
THOMAS SOTTO
En février dernier, il y a donc deux mois, Barack OBAMA a dit : « Ce qui est décrit comme des positions nobles et justes est un moyen de favoriser des intérêts commerciaux ». Est-ce qu'il n'y aurait pas une forme de protectionnisme européen derrière tout ça ? Est-ce que ce n'est pas ça la vraie raison qui fait qu'on veut mettre peut-être six milliards d'euros d'amende à GOOGLE ?
AXELLE LEMAIRE
Non, pas du tout. C'est plutôt l'inverse. C'est-à-dire qu'on veut s'assurer qu'il y ait un libre accès au marché ; on veut s'assurer que les entreprises puissent faire leur travail, qu'elles soient européennes et étrangères et le reproche de protectionnisme qu'on entend souvent de la part des Américains en ce moment, du gouvernement américain, il ne s'applique absolument pas à l'Union européenne qui, au contraire, a plutôt été très bon élève en la matière. On est allé très loin dans l'application de la libre concurrence.
THOMAS SOTTO
On dit un peu trop parfois d'ailleurs. On dit qu'on ne se protège pas assez.
AXELLE LEMAIRE
On est les parfaits élèves pour appliquer la libre concurrence à nos entreprises européennes sur le territoire européen avec des conséquences sur l'emploi dans nos pays, mais il faudrait ne pas appliquer ces règles à des acteurs qui sont extracommunautaires. Aujourd'hui, on dit simplement que la libre concurrence doit s'appliquer à tout le monde.
THOMAS SOTTO
Mais franchement Axelle LEMAIRE, si GOOGLE était une entreprise française ou avec un drapeau européen qui cartonne dans le monde, vous tiendriez le même discours aujourd'hui ? La Commission tiendrait le même discours ou on dirait : « Bravo, c'est un champion » ?
AXELLE LEMAIRE
Moi, je suis persuadée qu'aujourd'hui, le droit de la concurrence s'applique mal au numérique. En anglais, on dit « The winner takes it all, the first takes it all » : le premier qui arrive sur le marché, il prend tout. Et donc, c'est vrai que ça rend l'arrivée des nouveaux entrants très compliquée, très difficile et ça nuit notamment aux jeunes pousses, aux start-ups, aux entreprises innovantes et puis aux consommateurs aussi qui ont un manque de lisibilité sur la manière dont les moteurs de recherche référencent les résultats.
THOMAS SOTTO
Et si par exemple ça avait été un Français, vous diriez : « On va faire de la place aux Chinois. On va faire de la place aux Américains » sincèrement ?
AXELLE LEMAIRE
Ce n'est pas du tout comme ça que la question est posée. Non, je pense que très franchement le reproche de protectionniste, il est mal placé. C'est exactement l'inverse. Les entreprises européennes, elles sont face à des obligations de régulation de libre-concurrence entre elles qui sont les plus élevées du monde et très franchement, les marchés protectionnistes sont plutôt en Chine aujourd'hui, ils ne sont pas en Europe.
THOMAS SOTTO
Ce n'est donc pas l'Europe qui a un problème avec les nouveaux modèles économiques : UBER interdit dans certains pays, une taxe anti-Google en Espagne ou en Allemagne, on cherche des poux à Facebook. On n'est pas face à la vieille Europe qui se recroqueville, qui a un peu peur ?
AXELLE LEMAIRE
Non. Ça, c'est exactement ce que les Américains veulent laisser croire.
THOMAS SOTTO
Je n'ai pas eu Barack OBAMA au téléphone, je vous promets.
AXELLE LEMAIRE
Il ne faut pas mélanger toutes les questions. La question d'UBER qui répond, comme très souvent les entreprises du numérique, à un problème qui était que les consommateurs avaient le sentiment que la qualité des services fournis par les taxis n'était pas optimale et que le marché était fermé, ils se sont engouffrés dans la brèche simplement. On ne peut pas le faire à n'importe quel prix, on ne peut pas le faire sans respecter le droit du travail, on ne peut pas le faire de manière frontale sans respecter la situation individuelle de chauffeurs de taxi qui ont acheté des licences à prix d'or et qui aujourd'hui sont endettés. Le rôle des gouvernements, c'est de trouver un équilibre pour accepter l'arrivée de ces nouveaux entrants. UBER n'est absolument pas interdit en France.
THOMAS SOTTO
Merci Axelle LEMAIRE d'avoir été en direct sur Europe 1 ce matin. On entend que vous n'excluez pas à terme si c'est nécessaire un démantèlement de GOOGLE. C'est une piste. Merci, on vous rend à la visite officielle en Suisse avec François HOLLANDE. Merci et bonne journée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 avril 2015