Texte intégral
Madame la Présidente-Directrice générale de France Médias Monde,
Monsieur le Directeur général de TV5Monde,
Monsieur le Directeur général du site Slate.fr,
Monsieur le Secrétaire général de Reporters sans frontières,
Mesdames et Messieurs,
Il y a quatre mois, toute la rédaction de Charlie Hebdo était décimée pour avoir voulu exercer sa liberté d'expression, par la voie, aimable ou insolente, du rire et de la dérision. Il y a peu, c'est la chaîne de télévision TV5Monde, qui crée des ponts entre tous les francophones du monde, qui a été bâillonnée. À travers ces médias, ce sont des valeurs qui ont été ciblées.
Ces attaques visaient la République en son cœur et l'attachement de la France à la liberté de la presse, d'opinion et d'expression. Les Français ont montré de façon exceptionnelle leur détermination à défendre ces libertés. Ils ont été soutenus par des gouvernements et des citoyens du monde entier, le 11 janvier dernier. Quatre mois plus tard, la célébration de la journée internationale de la Liberté de la presse prend donc, aujourd'hui, une résonance toute particulière.
Nous avons voulu placer cette journée sous le signe de «la liberté d'expression sur internet» qui va beaucoup conditionner l'avenir de la presse et des métiers de l'information. Entre menaces terroristes et censure d'États, l'exercice de la profession de journaliste, de cyber-journaliste ou de blogueur est soumis à des risques dans les zones de conflits. Comment les aider à protéger leurs sources et leurs outils, tout en respectant les libertés fondamentales, comment lutter contre l'extrémisme violent dont l'idéologie se propage sur internet et menace leur capacité de travailler et parfois leur vie?
C'est tout le sens de notre rencontre aujourd'hui, et je voudrais rappeler ici l'engagement du gouvernement et du ministère des affaires étrangères et du développement international en ce sens.
D'abord, la défense de la liberté d'opinion et d'expression est un pilier de notre diplomatie au soutien des droits de l'Homme.
Le respect de cette liberté fondamentale, ce n'est pas une «valeur» française, que l'on chercherait à imposer aux autres. C'est un «droit universel». Informer, être informé, expliquer les faits, les opinions, les convictions et en débattre, c'est un besoin partagé par tous. Dans un monde de plus en plus complexe, ce besoin est devenu une nécessité absolue. Le droit à la liberté d'expression est indissociable de tous les autres droits. Il en est même la mesure.
Depuis la déclaration universelle des droits de l'Homme, ce droit est une obligation légale qui s'impose aux États.
La France défend la liberté de la presse à l'ONU, à l'UNESCO au Conseil de l'Europe, à l'OSCE.
Elle appuie des résolutions qui protègent les journalistes et s'attaquent à l'impunité des crimes dont ils sont victimes. Faut-il le rappeler, 90% des crimes commis dans le monde contre les journalistes demeurent impunis. Pour sensibiliser les opinions publiques sur ce sujet, la France a obtenu à l'Assemblée générale des Nations unies la création d'une journée internationale pour «la lutte contre l'impunité des crimes commis contre les journalistes». Elle est célébrée chaque 2 novembre en mémoire de l'assassinat de deux journalistes de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
Notre action pour défendre la liberté d'expression et d'opinion a des traductions concrètes dans notre politique de développement. Nous venons en appui à ceux qui dans le monde aident les journalistes à travailler dans les meilleures conditions. Au Burkina Faso, par exemple, où j'étais la semaine dernière, la France finance la formation des journalistes pour couvrir les futures élections présidentielles. En Afrique et au Proche et Moyen-Orient, notre pays participe au suivi de la liberté de la presse et à l'aide d'urgence aux journalistes en danger dans près de 40 pays.
Je voudrais saluer sur ce point l'action et rappeler le soutien de la France à l'ONG Reporters sans frontières, présente à nos côtés aujourd'hui, et qui chaque jour forme des journalistes pour contourner la cyber-censure.
La France soutient également la pluralité médiatique à travers l'action de l'agence française de coopération médias, CFI. En accompagnant de nouvelles générations de journalistes citoyens à travers le monde, CFI contribue au développement d'une presse professionnelle, plurielle et libre, indissociable des processus de démocratisation qui émergent.
Nous saluons par exemple le lancement du projet d'«incubateur des médias syriens» qui a ouvert ses portes en septembre 2014, et renforce la diffusion d'informations fiables pour les populations.
La liberté d'expression, c'est aussi la liberté d'expression culturelle et la promotion d'échanges culturels internationaux. C'est par le biais de l'Institut français que la France concrétise cette action. En 2012, l'Institut français, en partenariat avec CFI, a lancé sa première édition du projet «SafirLab». Ce programme soutient les projets de jeunes citoyens issus du monde arabe, dans le domaine de la société civile et des médias. Je les ai reçus il y a quelques mois à Paris. Près d'une centaine d'entre eux ont déjà pu développer des initiatives en faveur de la liberté d'expression au sein de leurs sociétés.
Mesdames et Messieurs,
Face à la multiplication des conflits qui prennent pour cible les populations civiles, il y a, plus que jamais aujourd'hui un risque vital à exercer la mission d'information dans certaines zones. Je pense au photographe Rémi Ochlik décédé et à Edith Bouvier blessée par les bombes du régime syrien à Homs. Je pense également aux victimes du terrorisme obscurantiste : Ghislaine Dupont et Claude Verlon, Camille Lepage, James Fley, ou Steven Sotloff. Je ne saurais malheureusement citer tous ces journalistes disparus dans l'exercice de leur métier.
Je pense aussi aux journalistes locaux, mais aussi à ces «fixeurs» avec qui vous travaillez, moins visibles, mais qui paient pourtant le plus lourd tribut.
Les terroristes attaquent aussi la liberté de la presse en utilisant le web, les réseaux sociaux, les forums. Avec les professionnels du secteur, il nous faut trouver des réponses adaptées. Ce sera l'objet de la première table ronde consacrée à la liberté de la presse face aux conflits et à la menace terroriste.
Aujourd'hui, les territoires nouveaux de l'espace numérique affolent les régimes les plus répressifs. Rendus plus vulnérables par des réseaux sous haute surveillance, les cyber-journalistes qui y opèrent font face à des menaces nouvelles. En Russie, en Biélorussie, en Chine, en Turquie, au Vietnam, en Érythrée... les blogueurs sont les premières victimes de la censure, du harcèlement, de l'enfermement, des persécutions judiciaires, jusque parfois, l'inadmissible peine capitale.
Pour y répondre, une approche technique est indispensable : il faut rendre anonymes les transmissions, chiffrer, dissimuler ses sources, délocaliser les serveurs de données... Le web offre ces possibilités qu'explorent RSF ou CFI pour accompagner les journalistes en danger. Cette question sera au cœur de la deuxième table ronde qui sera consacrée à la liberté d'expression face aux États «ennemis d'internet».
Pour reprendre les mots du président de la République au lendemain de l'attentat qui a endeuillé la France en janvier dernier, «la liberté de la presse est un combat permanent ; elle n'est jamais acquise, cette liberté». C'est ce combat qui rassemble, ici, tous ceux qui vont succéder à la tribune et que je voudrais remercier vivement de leur présence.
Permettez-moi pour finir d'avoir une pensée pour l'un de nos partenaires constant et fidèle, Martine Anstett, qui a consacré toute sa carrière à la défense des droits de l'Homme au ministère des affaires étrangères, au Haut-Commissariat aux droits de l'Homme des Nations unies et, dernièrement, à l'Organisation internationale de la Francophonie. Elle aurait dû être des nôtres pour cet évènement, comme toujours, mais nous a quittés brutalement il y a quelques jours. Nous pensons tous très fort à elle aujourd'hui et à sa famille.
Je voudrais aussi, avant de lancer les discussions, remercier l'ensemble de nos partenaires, tout particulièrement France Médias Monde, France 24 et MCD, TV5 Monde, Slate.fr, France Culture, RFI et CFI ainsi que RSF pour leur contribution et leur présence actives ainsi que tous les professionnels des médias qui ont répondu présents aujourd'hui.
Je vous souhaite à tous de fructueux travaux.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 mai 2015