Tribune de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, dans "Le Figaro" du 11 mai 2015, sur l'accueil des migrants en provenance de Libye, intitulée "Immigration".

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La Méditerranée est aujourd'hui au coeur d'une crise humaine d'une exceptionnelle gravité. Plus de 1.700 personnes y ont déjà perdu la vie en 2015, victimes des trafiquants qui n'hésitent pas, après les avoir rançonnés, à envoyer les migrants sur des embarcations de fortune. Le Conseil européen, réuni en urgence le 23 avril, a pris des mesures concernant notamment le triplement des moyens dédiés à l'agence Frontex, le renforcement de notre coopération avec les pays d'origine et de transit, et la lutte contre les filières de passeurs, la solidarité envers les pays européens de premier accueil comme l'Italie ou la Grèce. La France, conformément à sa vocation, s'est portée aux avant-postes de cette mobilisation européenne et continuera à le faire.
Chacun sait qu'il y a parmi ces migrants des réfugiés fuyant les crises régionales et des persécutions terribles dont des populations entières font l'objet au Proche-Orient. Ni l'Europe, ni la France ne peuvent rester aveugles à cette réalité. C'est pourquoi il est plus que jamais urgent de moderniser notre système de l'asile, afin de nous donner les moyens d'accueillir sereinement ceux qui relèvent de notre protection. C'est la raison d'être du projet de loi sur l'asile, examiné au Sénat après avoir été adopté à une large majorité, dépassant les clivages partisans, à l'Assemblée nationale en décembre dernier.
L'urgence de la situation nous oblige. Face aux drames qui se jouent en Méditerranée, face aux défis que l'accueil des migrants pose aux sociétés européennes, évitons les postures et les polémiques partisanes. Une triple exigence de vérité, d'humanité et de responsabilité s'impose à tous les républicains.
Dire la vérité aux Français, c'est d'abord ne pas leur dissimuler la réalité des mouvements migratoires auxquels l'Europe est confrontée. Le chaos régnant en Libye a entraîné, depuis la fin de l'année 2013, un flux migratoire inédit à travers la Méditerranée, par son importance et sa durée, avec plus de 200 000 arrivées en Italie. Mais la France n'est pas, pour l'heure, le point d'arrivée d'une déferlante migratoire qui la concernerait par priorité. Le fait que la demande d'asile ait, dans le même temps, diminué en France alors qu'elle augmentait partout en Europe est, à cet égard, éloquent.
Nous avons également un devoir d'humanité à l'égard des migrants fuyant les persécutions et les guerres qui cherchent asile sur notre sol. Ce devoir nous commande de réformer en profondeur nos procédures d'asile, dont chacun connaît les graves défaillances. D'une part, le doublement du nombre des demandes entre 2007 et 2012 n'a suscité en son temps aucune réaction, si bien que la durée moyenne de traitement d'une demande d'asile a fini par atteindre en France près de deux ans. Cette longue attente nuit à la fois à la bonne intégration dans la société française des réfugiés et à notre capacité à reconduire les déboutés. D'autre part, les demandeurs sont traités de façon très inégale. Certains d'entre eux sont hébergés en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada) et bénéficient d'un suivi administratif, social et juridique approprié grâce à l'engagement des travailleurs sociaux, dont tout le monde loue la qualité. D'autres, en revanche, trouvent place dans des hébergements d'urgence, voire des campements de fortune. Cette situation n'est pas davantage tolérable.
Ce diagnostic est connu, et le gouvernement n'est plus dans le constat, mais dans l'action. Il a considérablement accru les moyens de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) pour raccourcir drastiquement les délais de traitement. Il a mobilisé l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) et les préfectures afin de mettre en place un guichet unique qui facilitera l'accueil des demandeurs. Il a créé 4 000 places supplémentaires en Cada en deux ans et se fixe l'objectif d'en ouvrir 5 000 de plus d'ici à 2017, afin que ce type d'hébergement soit enfin la norme pour les demandeurs d'asile accueillis en France. L'adoption de la loi asile est maintenant indispensable pour amplifier ces changements dont chacun reconnaît la nécessité.
La responsabilité commande également de ne pas éluder la question délicate des déboutés du droit d'asile. Des résultats ont déjà été obtenus depuis 2012 - faut-il rappeler que les éloignements contraints ont atteint l'année dernière leur plus haut niveau depuis 2006 - mais demeurent insuffisants. C'est pourquoi le gouvernement a proposé des mesures pour rendre plus efficaces nos procédures de retour des étrangers en situation irrégulière, dans un projet de loi relatif aux droits des étrangers qui sera débattu à partir de l'été prochain.
Face à des enjeux migratoires importants, ma conviction est que la place existe pour une réponse républicaine et équilibrée. Nous le voyons à Calais où l'ouverture d'un centre d'accueil de jour pour les migrants et la facilitation de l'accès au statut de réfugié en France pour ceux qui y ont droit vont de pair avec l'organisation des éloignements pour ceux qui n'en relèvent pas, la fermeture des squats en centre-ville et le démantèlement des filières de passeurs.
Une politique fondée sur de tels principes et de tels objectifs, qui n'affaiblit pas l'asile mais le fortifie pour le faire vivre face à ces défis, doit rassembler tous les républicains. La réforme de l'asile ne doit plus attendre.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mai 2015