Texte intégral
M. Védrine viendra cet après-midi vous informer des discussions du déjeuner, notamment des contacts avec M. Jukanovic et M. Rugova et des débats sur le Kosovo.
Pour ce qui me concerne, je retiens des discussions de ce matin essentiellement deux sujets. D'une part, la discussion sur la Charte des droits fondamentaux, d'autre part les premières discussions sur la réforme des institutions européennes.
Sur la Charte des droits fondamentaux, je crois que les choses progressent bien. Comme vous le savez, c'est une idée qui est proposée par la présidence allemande mais à laquelle nous avions réfléchi nous-mêmes de notre côté, qui consiste à codifier un certain nombre de droits des Européens dans une Charte, des droits fondamentaux. Dans notre esprit, - et j'ai pu constater ce matin que c'était une opinion largement partagée -, il s'agit à la fois des droits individuels mais aussi des droits économiques et sociaux. Je pense qu'il y a désormais un large accord sur les objectifs, sur la procédure, sur le calendrier.
Sur les objectifs, il s'agit de mettre bout à bout, à la fois les droits existants et des droits nouveaux, dont on voudrait affirmer l'accès à tous les Européens. Sur la procédure, je crois qu'il commence à se faire un accord sur le point de savoir qu'il s'agit d'une procédure essentiellement parlementaire. Il y aurait donc un comité de rédaction en quelque sorte, qui regrouperait à la fois des membres issus des parlements nationaux et du Parlement européen, le recours à des experts issus des gouvernements, et probablement des juristes. Pour notre part, nous pensons qu'il ne faudrait pas, à ce stade, mêler directement les représentants des gouvernements parce qu'on ne doit pas dépouiller le Conseil de ses prérogatives. Mais ce point est encore en discussion.
Pour ce qui est du calendrier, le travail pourrait commencer dès l'automne et la Charte pourrait être élaborée dans le courant du premier semestre 2000, ce qui voudrait dire, à ce moment-là que la ratification de la Charte, son adoption plutôt, par les trois institutions serait faite sous la présidence française. Nous y sommes bien sûr prêts, tout en ne fixant pas de date butoir. La France serait tout à fait heureuse de présider à l'adoption d'une telle Charte.
Sur les institutions, je crois que là-encore que les discussions progressent. Nous avons maintenant clairement l'idée qu'il y a besoin de se concentrer dans un premier temps, au cours d'une première CIG, sur les trois questions qui n'ont pas trouvé de solution à Amsterdam, à savoir : l'effectif de la Commission, l'extension du vote à la majorité qualifiée et la repondération des voix au Conseil. J'ai pu dire qu'il semblait très important de s'arrêter sur ces points-là. Si on essaie de couvrir immédiatement trop de sujets, si on veut reposer toutes les questions, soulevées non seulement par Amsterdam, mais aussi par l'idée d'une Europe à 20 et plus dans l'avenir, alors, à ce moment-là, en gagnant en extension, on risque de perdre en cohérence et de retarder le processus. Je crois que notre objectif n'est pas de donner aux pays candidats un signal négatif, c'est au contraire de montrer qu'ils vont adhérer dans une Union qui fonctionne et de faire aussi en sorte que ses institutions puissent être réformées avant la conclusion des négociations d'adhésion. Donc, concentrons-nous sur les trois reliquats d'Amsterdam, éventuellement sur quelques questions connexes mais qui sont directement liées.
Sur la procédure, il y a un accord franco-allemand qui ne fait pas encore l'accord des autres sur l'opportunité de confier la préparation de la réflexion institutionnelle à un comité des sages. Nous pensons qu'il faudrait, dans un premier temps, qu'un comité des sages en nombre restreint - trois nous paraîtraient être le bon nombre, mais cela pourrait sans drame être cinq, puisse travailler sous la présidence finlandaise à une réflexion à la fois sur ces trois reliquats mais aussi au-delà de cela pour une perspective plus lointaine de fonctionnement efficace de l'Union européenne. Les Allemands partagent ce point de vue. C'est la proposition que s'apprête à faire la présidence. Il est vrai que d'autres délégations émettent d'autres suggestions, notamment l'idée d'avoir un groupe de représentants personnels qui pourraient se pencher sur ces questions institutionnelles. Pour notre part, nous sommes réticents, - plus que réticents -, à l'idée d'un nouveau groupe Vestendorp. L'expérience a montré que dans ce cas-là, chacun accumule ses revendications nationales et que le processus de décision, loin d'être facilité par une décantation au préalable est au contraire alourdi. Je crois que la thèse franco-allemande progresse, mais, pour être honnête, elle a encore des progrès à faire d'ici Cologne pour recueillir l'assentiment général. Cela dit, c'est la proposition de la présidence et c'est important.
Sur le calendrier, l'idée que tout cela se terminerait par une CIG conclue sous présidence française, semble faire l'unanimité. Pour ma part, j'ai indiqué que là encore, nous étions tout à fait prêts à conclure sous présidence française, à condition bien sûr que les travaux aient bien avancé avant et donc, qu'il faudrait décider de ce point à l'issue des travaux préparatoires conclus sous présidence finlandaise.
Sur ces deux sujets, Charte des droits fondamentaux et réflexions institutionnelles, nous pourrons prendre, j'en suis sûr, des décisions à Cologne. Ce sont deux sujets qui devraient aboutir sous la présidence française ; c'est donc un mandat que nous nous apprêtons à recevoir en bout de course.
Q - (A partir de quand et jusqu'où travaillerait ce comité ?)
R - Il travaillerait à partir de Cologne, à mon sens, jusqu'à la fin de la présidence finlandaise ou au début de la présidence portugaise. A ce moment-là, s'ouvrirait une Conférence intergouvernementale qui pourrait - je raisonne toujours au conditionnel, c'est-à-dire, à condition que tout cela progresse bien - être conclue sous présidence française.
Q - (Sur la valeur juridique de la Charte et sur la deuxième CIG)
R - Je crois que c'est un point qu'il faut décider après. C'est en fonction de l'évolution des travaux, de leur valeur, de leur capacité à leur donner une grande force qu'on peut leur donner une valeur juridique plus ou moins forte, leur conférer ou pas une valeur de Traité. Je me refuse à préjuger du statut juridique final de cette Charte. En même temps, je crois qu'il faudrait que, pour que ce texte soit un texte fort, qu'il ait plus qu'une valeur déclaratoire mais nous verrons au fur et à mesure.
Pour ce qui est de la deuxième CIG, je ne raisonne pas exactement comme cela. Je crois que, plus on concentre la thématique, plus on est capable de traiter vite les trois reliquats d'Amsterdam, plus on prépare l'élargissement de façon efficace, et en même temps, rapide. J'ai la conviction que si l'on recommence un exercice global, si l'on remet tout sur le métier, alors, à ce moment-là, on court le risque de la dilution d'une part, aussi le risque de l'inaboutissement. On risque, enfin, de perdre du temps et donc de donner un signal négatif. C'est pourquoi je crois que, effectivement, il faut une première CIG pour répondre concrètement aux questions qui sont encore sur la table après Amsterdam, pour faire en sorte que l'Union sorte de la paralysie de certains de ses mécanismes de décision. Pour le reste, d'autres processus peuvent être envisagés, par exemple pour l'Europe de la défense ou des questions plus globales. C'est pourquoi je crois qu'il n'est pas mauvais que dans le mandat des Sages, tel que nous l'envisageons, il y ait aussi une dimension plus prospective et qu'eux-mêmes soient capables de nous suggérer des voies et moyens pour poursuivre la discussion après. C'est une CIG que je conçois comme très opérationnelle.
Enfin, sur la personnalité des Sages, à mon sens, ce sont bien sûr des personnalités niveau Conseil européen, passé ou présent, mais c'est à la présidence, encore une fois, de faire des propositions en ce sens-là.
Q - (Sur les coordinations renforcées)
R - Concentrons-nous sur les trois reliquats d'Amsterdam, ce qui n'exclut pas de traiter quelques points connexes mais encore une fois, n'ouvrons pas la boîte de Pandore de l'Europe du futur. C'est une autre alternative de faire ainsi, mais je suis persuadé pour le coup, que nous en reprenons pour plusieurs années et repartons pour de très grandes difficultés.
Q - (Sur les droits fondamentaux, par exemple le droit à l'avortement ?)
R - Ecoutez, je n'ai pas d'idée préconçue sur cette Charte. Enfin, je vois bien ce qu'elle peut être. Il s'agit, d'une part, de codifier toute une série de droits que nous avons en commun qui tiennent à notre appartenance, à toute une série d'organismes, à l'ONU, au Conseil de l'Europe, etc. etc.... - Droits de l'Homme je dirais. Il s'agit ensuite d'évoquer toute une série de droits qui sont les droits du citoyen européen et enfin de poser des droits nouveaux : droits à la santé, droits au logement, droits aux revenus. Dans ce contexte-là, comment situe-t-on le droit à l'avortement ? Honnêtement, nous verrons bien. On ne peut pas, là encore, préjuger de la fin de discussion. Cela ne me choquerait pas, c'est un droit qui existe en France. En même temps, il faut trouver un consensus européen là-dessus.
Je souhaite que ce soit un texte progressiste si c'est cela le sens de la question. Il faut plutôt l'alignement des droits par le haut que par le bas.
Q - Vous avez dit que plusieurs pays sont hostiles aux Sages ?
R - Je n'ai pas dit que plusieurs pays étaient hostiles. Je dirais plutôt que plusieurs pays se sont dit favorables à l'idée d'un groupe de représentants personnels. Je crois qu'il y a derrière ça, l'idée que chacun veut avoir son mot à dire tout simplement. On imagine que les Sages représenteront un équilibre politique, un équilibre entre grands et petits, et donc qu'ils ne souhaitent pas forcément confier leur part de réflexion à des Sages. C'est un réflexe qu'on peut imaginer - il ne me paraît pas bon, très honnêtement. Je suis persuadé, - vous imaginez bien qu'il y a déjà des noms qui circulent, en fouillant, vous les trouverez - qu'on peut trouver une représentativité de Sages, forte, qui donnera plus de poids à leurs réflexions et dans laquelle chacun pourra se faire entendre.
Q - (Sur le CIG)
R - Autant, pour être honnête, je concède que l'idée d'un Comité des Sages ne fait pas l'unanimité, autant je crois que l'idée d'avoir une première CIG concentrée sans faire encore tout à fait l'unanimité, - les Espagnols et les Portugais sont assez réservés -, progresse largement. Je crois que tout le monde a bien compris qu'il ne fallait pas charger la barque si on veut aller vite et bien.
Q - (Sur la réforme des institutions et la défense européenne)
R - Sur la première question, je pense qu'il y a eu une prise de conscience depuis Amsterdam qui est très claire dans tous les gouvernements par le simple fait que la question soit aujourd'hui à l'agenda alors qu'elle était au départ refusée. Les Français, les Italiens, les Belges, ont les premiers posé la question, puis, petit à petit, chacun a pris conscience que cette réforme institutionnelle était nécessaire. Je crois ensuite que chacun en a identifié les données et que chacun en a identifié les thèmes. A partir de ce moment-là, je pense que si on se centre encore une fois sur une problématique assez pragmatique, on doit pouvoir aboutir sans très grande difficulté sur ces trois sujets-là ; chacun doit bien sûr bouger par rapport aux positions d'Amsterdam, on ne va pas recommencer exactement la même chose. Vous vous doutez bien que, par exemple, pour ce qui nous concerne, nous avons compris que proposer une Commission à huit membres n'était pas aujourd'hui réaliste, - on peut comprendre pourquoi certains ne la veulent pas. Sur la pondération des voix, les uns et les autres devront évoluer et que les troisièmes devront évoluer sur la majorité qualifiée. On voit à peu près comment se profile cette négociation-là. Je pense, qu'en nous donnant un an là-dessus, on est loin d'être dans l'insurmontable. Je crois que c'est tout à fait viable.
Sur la défense européenne, nous faisons confiance à la présidence allemande pour aborder le sujet à Cologne. Nous avons bien sûr des discussions avec elle sur ce terrain-là : nous souhaitons qu'il y ait des avancées réelles et pragmatiques. Pas purement institutionnelles ; que ce soit la défense européenne elle-même qui avance dans l'esprit de Saint-Malo, dans l'esprit aussi d'Amsterdam, qui, je vous le rappelle, prévoyait l'intégration de l'Union de l'Europe occidentale dans l'Union européenne. Qu'on n'essaie pas de monter un dispositif institutionnel très complexe, mais qu'on traite de coopération pragmatique, c'est un peu la vision française.
Q - (Sur le Pacte pour l'emploi)
R - On n'en n'a pas parlé au CAG. Comme vous le savez, ce Pacte européen pour l'emploi sera préparé à partir d'un rapport conjoint des ministres de l'Economie et des Finances et des ministres des Affaires sociales. On en a parlé par exemple dans une réunion du gouvernement jeudi soir. Il faut encore améliorer les propositions qui sont sur la table pour donner une véritable ambition, à la fois sur le fond et sur les procédures.
Q - (Sur le nombre des Commissaires)
R - Encore une fois, nous ne sommes pas dans la négociation. Je dis simplement que chacun doit avoir pris conscience de ce qui avait pu bloquer à Amsterdam et donc il faudra que chacun bouge. Je prends un exemple. Nous n'allons pas avoir une position sans doute aussi maximaliste sur ce terrain-là que nous l'avions à Amsterdam. C'est une évidence.
Q - Sur le rôle de la défense. Qu'attendez-vous de Cologne ?
R - Nous en reparlerons un peu plus en détail. Mais ce que je veux dire maintenant, c'est que nous ne souhaitons pas que l'approche de Cologne soit une approche purement institutionnelle. Nous souhaitons qu'on insiste sur les aspects de coopération pragmatique et que l'on marque une volonté politique, qu'on soit davantage dans la filiation de Saint-Malo qu'en train d'élaborer un nouveau traité.
Q - Est-ce une coopération pragmatique, coopération renforcée dans le cadre du Traité, est-ce que c'est autre chose ?
R - Je vous renvoie encore une fois à Saint-Malo. Pour nous, c'est la problématique que nous souhaitons voir se poursuivre.
Q - Sur la nouvelle Commission, quand la France fera-t-elle connaître les noms de ses Commissaires ? Les Britanniques ont déjà fait connaître leur choix et en France, on continue à avoir la grande foire aux noms... On le dira quand ?
R - On le dira quand on nous le demandera
Q - Et bien je vous le demande...
R - Non, je parle du président de la Commission. On y travaille, on y réfléchit, il n'y a pas de grande foire aux noms, aujourd'hui, il y a peu de noms, il y a une très "short list".
Q - Quand on compare votre très "short list" avec la liste britannique qui circule actuellement, les Britanniques ont manifestement choisi des noms de personnalités politiques d'envergure.
R - Sur la "short list" française, pour l'instant, il n'y a pas vraiment de nom de personnalités politiques d'envergure. C'est très techno sans que ce soit négatif. Je vous laisse la responsabilité de vos jugements sur ces personnalités de grande valeur qui sont évoquées parfois...
Q - Mais entre un haut fonctionnaire et un ancien ministre justement, lequel peut être le senior Commissaire ?
R - Je pense très honnêtement par rapport à cela, que ce n'est pas - je ne dis pas cela par rapport à une situation existant, ayant existé, ou devant exister -, je dis cela dans l'absolu, - par rapport à cela que doit être formée la Commission. C'est en fonction de la compétence de ses membres, de l'organisation que le président souhaitera de sa propre Commission, que doivent être répartis les portefeuilles et non pas au nom de tel ou tel statut dans une vie antérieure. Encore une fois, n'y voyez pas une allusion à un nom, ou deux noms que l'on donne. Je pense que tout est possible et que c'est une discussion qui se déroulera autour du président de la Commission et de la Commission nommée.
Q - (Sur un candidat PESC)
R - Il n'y a pas de candidat français pour M. PESC à l'heure où je vous parle.
Q - (Sur l'OMC)
R - Il y a eu un tour de table ce matin qui n'a pas été conclusif. Mandat a été donné à la Commission de poursuivre les études et les contacts. Il s'est dégagé une idée unanimement partagée de s'orienter vers la recherche de compensations et non pas d'une guerre commerciale avec les Américains. On y reviendra ultérieurement.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 1999)
Pour ce qui me concerne, je retiens des discussions de ce matin essentiellement deux sujets. D'une part, la discussion sur la Charte des droits fondamentaux, d'autre part les premières discussions sur la réforme des institutions européennes.
Sur la Charte des droits fondamentaux, je crois que les choses progressent bien. Comme vous le savez, c'est une idée qui est proposée par la présidence allemande mais à laquelle nous avions réfléchi nous-mêmes de notre côté, qui consiste à codifier un certain nombre de droits des Européens dans une Charte, des droits fondamentaux. Dans notre esprit, - et j'ai pu constater ce matin que c'était une opinion largement partagée -, il s'agit à la fois des droits individuels mais aussi des droits économiques et sociaux. Je pense qu'il y a désormais un large accord sur les objectifs, sur la procédure, sur le calendrier.
Sur les objectifs, il s'agit de mettre bout à bout, à la fois les droits existants et des droits nouveaux, dont on voudrait affirmer l'accès à tous les Européens. Sur la procédure, je crois qu'il commence à se faire un accord sur le point de savoir qu'il s'agit d'une procédure essentiellement parlementaire. Il y aurait donc un comité de rédaction en quelque sorte, qui regrouperait à la fois des membres issus des parlements nationaux et du Parlement européen, le recours à des experts issus des gouvernements, et probablement des juristes. Pour notre part, nous pensons qu'il ne faudrait pas, à ce stade, mêler directement les représentants des gouvernements parce qu'on ne doit pas dépouiller le Conseil de ses prérogatives. Mais ce point est encore en discussion.
Pour ce qui est du calendrier, le travail pourrait commencer dès l'automne et la Charte pourrait être élaborée dans le courant du premier semestre 2000, ce qui voudrait dire, à ce moment-là que la ratification de la Charte, son adoption plutôt, par les trois institutions serait faite sous la présidence française. Nous y sommes bien sûr prêts, tout en ne fixant pas de date butoir. La France serait tout à fait heureuse de présider à l'adoption d'une telle Charte.
Sur les institutions, je crois que là-encore que les discussions progressent. Nous avons maintenant clairement l'idée qu'il y a besoin de se concentrer dans un premier temps, au cours d'une première CIG, sur les trois questions qui n'ont pas trouvé de solution à Amsterdam, à savoir : l'effectif de la Commission, l'extension du vote à la majorité qualifiée et la repondération des voix au Conseil. J'ai pu dire qu'il semblait très important de s'arrêter sur ces points-là. Si on essaie de couvrir immédiatement trop de sujets, si on veut reposer toutes les questions, soulevées non seulement par Amsterdam, mais aussi par l'idée d'une Europe à 20 et plus dans l'avenir, alors, à ce moment-là, en gagnant en extension, on risque de perdre en cohérence et de retarder le processus. Je crois que notre objectif n'est pas de donner aux pays candidats un signal négatif, c'est au contraire de montrer qu'ils vont adhérer dans une Union qui fonctionne et de faire aussi en sorte que ses institutions puissent être réformées avant la conclusion des négociations d'adhésion. Donc, concentrons-nous sur les trois reliquats d'Amsterdam, éventuellement sur quelques questions connexes mais qui sont directement liées.
Sur la procédure, il y a un accord franco-allemand qui ne fait pas encore l'accord des autres sur l'opportunité de confier la préparation de la réflexion institutionnelle à un comité des sages. Nous pensons qu'il faudrait, dans un premier temps, qu'un comité des sages en nombre restreint - trois nous paraîtraient être le bon nombre, mais cela pourrait sans drame être cinq, puisse travailler sous la présidence finlandaise à une réflexion à la fois sur ces trois reliquats mais aussi au-delà de cela pour une perspective plus lointaine de fonctionnement efficace de l'Union européenne. Les Allemands partagent ce point de vue. C'est la proposition que s'apprête à faire la présidence. Il est vrai que d'autres délégations émettent d'autres suggestions, notamment l'idée d'avoir un groupe de représentants personnels qui pourraient se pencher sur ces questions institutionnelles. Pour notre part, nous sommes réticents, - plus que réticents -, à l'idée d'un nouveau groupe Vestendorp. L'expérience a montré que dans ce cas-là, chacun accumule ses revendications nationales et que le processus de décision, loin d'être facilité par une décantation au préalable est au contraire alourdi. Je crois que la thèse franco-allemande progresse, mais, pour être honnête, elle a encore des progrès à faire d'ici Cologne pour recueillir l'assentiment général. Cela dit, c'est la proposition de la présidence et c'est important.
Sur le calendrier, l'idée que tout cela se terminerait par une CIG conclue sous présidence française, semble faire l'unanimité. Pour ma part, j'ai indiqué que là encore, nous étions tout à fait prêts à conclure sous présidence française, à condition bien sûr que les travaux aient bien avancé avant et donc, qu'il faudrait décider de ce point à l'issue des travaux préparatoires conclus sous présidence finlandaise.
Sur ces deux sujets, Charte des droits fondamentaux et réflexions institutionnelles, nous pourrons prendre, j'en suis sûr, des décisions à Cologne. Ce sont deux sujets qui devraient aboutir sous la présidence française ; c'est donc un mandat que nous nous apprêtons à recevoir en bout de course.
Q - (A partir de quand et jusqu'où travaillerait ce comité ?)
R - Il travaillerait à partir de Cologne, à mon sens, jusqu'à la fin de la présidence finlandaise ou au début de la présidence portugaise. A ce moment-là, s'ouvrirait une Conférence intergouvernementale qui pourrait - je raisonne toujours au conditionnel, c'est-à-dire, à condition que tout cela progresse bien - être conclue sous présidence française.
Q - (Sur la valeur juridique de la Charte et sur la deuxième CIG)
R - Je crois que c'est un point qu'il faut décider après. C'est en fonction de l'évolution des travaux, de leur valeur, de leur capacité à leur donner une grande force qu'on peut leur donner une valeur juridique plus ou moins forte, leur conférer ou pas une valeur de Traité. Je me refuse à préjuger du statut juridique final de cette Charte. En même temps, je crois qu'il faudrait que, pour que ce texte soit un texte fort, qu'il ait plus qu'une valeur déclaratoire mais nous verrons au fur et à mesure.
Pour ce qui est de la deuxième CIG, je ne raisonne pas exactement comme cela. Je crois que, plus on concentre la thématique, plus on est capable de traiter vite les trois reliquats d'Amsterdam, plus on prépare l'élargissement de façon efficace, et en même temps, rapide. J'ai la conviction que si l'on recommence un exercice global, si l'on remet tout sur le métier, alors, à ce moment-là, on court le risque de la dilution d'une part, aussi le risque de l'inaboutissement. On risque, enfin, de perdre du temps et donc de donner un signal négatif. C'est pourquoi je crois que, effectivement, il faut une première CIG pour répondre concrètement aux questions qui sont encore sur la table après Amsterdam, pour faire en sorte que l'Union sorte de la paralysie de certains de ses mécanismes de décision. Pour le reste, d'autres processus peuvent être envisagés, par exemple pour l'Europe de la défense ou des questions plus globales. C'est pourquoi je crois qu'il n'est pas mauvais que dans le mandat des Sages, tel que nous l'envisageons, il y ait aussi une dimension plus prospective et qu'eux-mêmes soient capables de nous suggérer des voies et moyens pour poursuivre la discussion après. C'est une CIG que je conçois comme très opérationnelle.
Enfin, sur la personnalité des Sages, à mon sens, ce sont bien sûr des personnalités niveau Conseil européen, passé ou présent, mais c'est à la présidence, encore une fois, de faire des propositions en ce sens-là.
Q - (Sur les coordinations renforcées)
R - Concentrons-nous sur les trois reliquats d'Amsterdam, ce qui n'exclut pas de traiter quelques points connexes mais encore une fois, n'ouvrons pas la boîte de Pandore de l'Europe du futur. C'est une autre alternative de faire ainsi, mais je suis persuadé pour le coup, que nous en reprenons pour plusieurs années et repartons pour de très grandes difficultés.
Q - (Sur les droits fondamentaux, par exemple le droit à l'avortement ?)
R - Ecoutez, je n'ai pas d'idée préconçue sur cette Charte. Enfin, je vois bien ce qu'elle peut être. Il s'agit, d'une part, de codifier toute une série de droits que nous avons en commun qui tiennent à notre appartenance, à toute une série d'organismes, à l'ONU, au Conseil de l'Europe, etc. etc.... - Droits de l'Homme je dirais. Il s'agit ensuite d'évoquer toute une série de droits qui sont les droits du citoyen européen et enfin de poser des droits nouveaux : droits à la santé, droits au logement, droits aux revenus. Dans ce contexte-là, comment situe-t-on le droit à l'avortement ? Honnêtement, nous verrons bien. On ne peut pas, là encore, préjuger de la fin de discussion. Cela ne me choquerait pas, c'est un droit qui existe en France. En même temps, il faut trouver un consensus européen là-dessus.
Je souhaite que ce soit un texte progressiste si c'est cela le sens de la question. Il faut plutôt l'alignement des droits par le haut que par le bas.
Q - Vous avez dit que plusieurs pays sont hostiles aux Sages ?
R - Je n'ai pas dit que plusieurs pays étaient hostiles. Je dirais plutôt que plusieurs pays se sont dit favorables à l'idée d'un groupe de représentants personnels. Je crois qu'il y a derrière ça, l'idée que chacun veut avoir son mot à dire tout simplement. On imagine que les Sages représenteront un équilibre politique, un équilibre entre grands et petits, et donc qu'ils ne souhaitent pas forcément confier leur part de réflexion à des Sages. C'est un réflexe qu'on peut imaginer - il ne me paraît pas bon, très honnêtement. Je suis persuadé, - vous imaginez bien qu'il y a déjà des noms qui circulent, en fouillant, vous les trouverez - qu'on peut trouver une représentativité de Sages, forte, qui donnera plus de poids à leurs réflexions et dans laquelle chacun pourra se faire entendre.
Q - (Sur le CIG)
R - Autant, pour être honnête, je concède que l'idée d'un Comité des Sages ne fait pas l'unanimité, autant je crois que l'idée d'avoir une première CIG concentrée sans faire encore tout à fait l'unanimité, - les Espagnols et les Portugais sont assez réservés -, progresse largement. Je crois que tout le monde a bien compris qu'il ne fallait pas charger la barque si on veut aller vite et bien.
Q - (Sur la réforme des institutions et la défense européenne)
R - Sur la première question, je pense qu'il y a eu une prise de conscience depuis Amsterdam qui est très claire dans tous les gouvernements par le simple fait que la question soit aujourd'hui à l'agenda alors qu'elle était au départ refusée. Les Français, les Italiens, les Belges, ont les premiers posé la question, puis, petit à petit, chacun a pris conscience que cette réforme institutionnelle était nécessaire. Je crois ensuite que chacun en a identifié les données et que chacun en a identifié les thèmes. A partir de ce moment-là, je pense que si on se centre encore une fois sur une problématique assez pragmatique, on doit pouvoir aboutir sans très grande difficulté sur ces trois sujets-là ; chacun doit bien sûr bouger par rapport aux positions d'Amsterdam, on ne va pas recommencer exactement la même chose. Vous vous doutez bien que, par exemple, pour ce qui nous concerne, nous avons compris que proposer une Commission à huit membres n'était pas aujourd'hui réaliste, - on peut comprendre pourquoi certains ne la veulent pas. Sur la pondération des voix, les uns et les autres devront évoluer et que les troisièmes devront évoluer sur la majorité qualifiée. On voit à peu près comment se profile cette négociation-là. Je pense, qu'en nous donnant un an là-dessus, on est loin d'être dans l'insurmontable. Je crois que c'est tout à fait viable.
Sur la défense européenne, nous faisons confiance à la présidence allemande pour aborder le sujet à Cologne. Nous avons bien sûr des discussions avec elle sur ce terrain-là : nous souhaitons qu'il y ait des avancées réelles et pragmatiques. Pas purement institutionnelles ; que ce soit la défense européenne elle-même qui avance dans l'esprit de Saint-Malo, dans l'esprit aussi d'Amsterdam, qui, je vous le rappelle, prévoyait l'intégration de l'Union de l'Europe occidentale dans l'Union européenne. Qu'on n'essaie pas de monter un dispositif institutionnel très complexe, mais qu'on traite de coopération pragmatique, c'est un peu la vision française.
Q - (Sur le Pacte pour l'emploi)
R - On n'en n'a pas parlé au CAG. Comme vous le savez, ce Pacte européen pour l'emploi sera préparé à partir d'un rapport conjoint des ministres de l'Economie et des Finances et des ministres des Affaires sociales. On en a parlé par exemple dans une réunion du gouvernement jeudi soir. Il faut encore améliorer les propositions qui sont sur la table pour donner une véritable ambition, à la fois sur le fond et sur les procédures.
Q - (Sur le nombre des Commissaires)
R - Encore une fois, nous ne sommes pas dans la négociation. Je dis simplement que chacun doit avoir pris conscience de ce qui avait pu bloquer à Amsterdam et donc il faudra que chacun bouge. Je prends un exemple. Nous n'allons pas avoir une position sans doute aussi maximaliste sur ce terrain-là que nous l'avions à Amsterdam. C'est une évidence.
Q - Sur le rôle de la défense. Qu'attendez-vous de Cologne ?
R - Nous en reparlerons un peu plus en détail. Mais ce que je veux dire maintenant, c'est que nous ne souhaitons pas que l'approche de Cologne soit une approche purement institutionnelle. Nous souhaitons qu'on insiste sur les aspects de coopération pragmatique et que l'on marque une volonté politique, qu'on soit davantage dans la filiation de Saint-Malo qu'en train d'élaborer un nouveau traité.
Q - Est-ce une coopération pragmatique, coopération renforcée dans le cadre du Traité, est-ce que c'est autre chose ?
R - Je vous renvoie encore une fois à Saint-Malo. Pour nous, c'est la problématique que nous souhaitons voir se poursuivre.
Q - Sur la nouvelle Commission, quand la France fera-t-elle connaître les noms de ses Commissaires ? Les Britanniques ont déjà fait connaître leur choix et en France, on continue à avoir la grande foire aux noms... On le dira quand ?
R - On le dira quand on nous le demandera
Q - Et bien je vous le demande...
R - Non, je parle du président de la Commission. On y travaille, on y réfléchit, il n'y a pas de grande foire aux noms, aujourd'hui, il y a peu de noms, il y a une très "short list".
Q - Quand on compare votre très "short list" avec la liste britannique qui circule actuellement, les Britanniques ont manifestement choisi des noms de personnalités politiques d'envergure.
R - Sur la "short list" française, pour l'instant, il n'y a pas vraiment de nom de personnalités politiques d'envergure. C'est très techno sans que ce soit négatif. Je vous laisse la responsabilité de vos jugements sur ces personnalités de grande valeur qui sont évoquées parfois...
Q - Mais entre un haut fonctionnaire et un ancien ministre justement, lequel peut être le senior Commissaire ?
R - Je pense très honnêtement par rapport à cela, que ce n'est pas - je ne dis pas cela par rapport à une situation existant, ayant existé, ou devant exister -, je dis cela dans l'absolu, - par rapport à cela que doit être formée la Commission. C'est en fonction de la compétence de ses membres, de l'organisation que le président souhaitera de sa propre Commission, que doivent être répartis les portefeuilles et non pas au nom de tel ou tel statut dans une vie antérieure. Encore une fois, n'y voyez pas une allusion à un nom, ou deux noms que l'on donne. Je pense que tout est possible et que c'est une discussion qui se déroulera autour du président de la Commission et de la Commission nommée.
Q - (Sur un candidat PESC)
R - Il n'y a pas de candidat français pour M. PESC à l'heure où je vous parle.
Q - (Sur l'OMC)
R - Il y a eu un tour de table ce matin qui n'a pas été conclusif. Mandat a été donné à la Commission de poursuivre les études et les contacts. Il s'est dégagé une idée unanimement partagée de s'orienter vers la recherche de compensations et non pas d'une guerre commerciale avec les Américains. On y reviendra ultérieurement.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 1999)