Déclaration de M. François Mitterrand, candidat du PS à l'élection présidentielle de 1981, au Symposium international sur la science et la culture, sur les propositions socialistes sur la culture, Paris le 19 mars 1981

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Circonstance : Symposium international sur la science et la culture le 19 mars 1981 à Paris

Texte intégral

Au cours du Symposium International sur la science et la culture qui s'est déroulé à Paris le 19 mars 1981, F. MITTERRAND a fait les propositions suivantes :
I) Propositions destinées à amplifier l'oeuvre et le rayonnement de l'UNESCO :
Ces propositions sont inspirées par la volonté de populariser ses principes et son oeuvre dans l'opinion publique nationale et internationale.
- Popularisation de l'UNESCO dans l'opinion internationale :
Ne peut-on reprendre l'idée de Léon BLUM de représentation tripartite des Etats à l'UNESCO ?
A l'image de l'organisation internationale du travail (O.I.T.) où la délégation de chaque Etat est composée de trois types de représentants (un représentant du gouvernement, un représentant des syndicats, un représentant des organisations patronales), peut-on imaginer un système similaire pour l'UNESCO ? La délégation de chaque Etat comprendrait certes un représentant du gouvernement, mais aussi deux représentants qualifiés, choisis par les forces culturelles et scientifiques du pays. Ainsi un pont serait jeté entre l'Organisation internationale et le mouvement intellectuel de chaque nation.
Ne peut-on imaginer la convocation d'Etats Généraux de la Culture Mondiale à la préparation desquels seraient associés les nommes de culture et de science, les éducateurs et les chercheurs du monde entier ?
- Popularisation de l'UNESCO dans l'opinion nationale française.
La multiplication à travers tout le pays de clubs "AMITIE-UNESCO". Sous le drapeau fraternel de l'Organisation se réuniraient dans chaque ville les représentants de toutes les communautés nationales et internationales (je pense notamment aux travailleurs immigrés), les représentants des communautés religieuses et tous ceux - étudiants, éducateurs, intellectuel - qui voudraient participer à la propagation du message UNESCO. Ces Club "AMITIE-UNESCO" ("plusieurs demeures dans la maison de mon père") seraient le lieu d'un nouveau dialogue des cultures.
Pourquoi ne pas imaginer, en accord avec l'Etat et la Ville de Paris, une extension des locaux qui attribuerait à l'UNESCO la totalité de l'Arc de cercle qui, Place de Fontenoy, le sépare de l'Ecole Militaire. Ainsi serait établi l'un des axes spatiaux les plus riches de symboles : face à l'UNESCO et à l'autre extrémité, le Palais de Chaillot où fut proclamée la déclaration Universelle des Droits de l'Homme en 1948 ; au milieu, le Chomos de Mars où furent célébrées les fêtes du premier anniversaire de la prise de la Bastille, et enfin l'UNESCO.
2) Changement social et création.
Si demain je suis élu Président de la République, je prendrai deux initiatives :
I - L'Etablissement d'un pacte national pour la culture.
Pacte solennel de nos engagements mutuels, elle sera le fruit de deux mois de consultations de l'ensemble des professions intellectuelles, qui établiront leurs "cahiers de désirs et de propositions".
2 - Création d'un conseil national pour la science et culture, directement rattaché à la présidence de la république : trop de cloisons séparent les disciplines, notamment entre les sciences et l'art. Je souhaite les associés dans une réflexion commune. L'écoute poétique du monde est sans doute complémentaire de son observation scientifique.
Les caractéristiques de ce Conseil National seraient d'être permanent trans-disciplinaire et international.
Il se fixe des missions telles que :
A) Ausculter, radiographier, comprendre notre temps ; ce sera un observatoire du monde ;
B) Imaginer les solutions de notre futur ; ce sera un (mot illisible) d'ides. Imaginer de nouvelles fonctions, de nouveaux horizons ;
C) Informer le plus large public possible ; ce sera un informateur du peuple.
Les plus hauts responsables de la république seront associés, à ces travaux. La même importance sera assignée du Conseil National pour la science et la culture qu'aux instances de planification économique ou militaire.
Dois-je compléter mes propositions par une autre proposition à l'adresse de mes amis de l'Internationale socialiste.
La paix, l'économie, la politique fut l'objet principal de nos rencontres.
Je souhaite qu'à l'avenir la culture, y occupe une rencontre. Je souhaite qu'à l'avenir la culture y occupe une place importante. La réunion d'aujourd'hui en ouvre le chemin. Je suggère à mes amis la création d'un "conseil culturel de l'internationale sociales. Je propose aussi que ses mémores ne se recrutent pas seulement parmi les dirigeants politiques, mais aussi parmi les intellectuels, les savants et les créateurs de chacun de nos pays.
Cependant, il ne suffit pas de consulter, il faut aussi vouloir, et notre ambition est grande. Nous (mot illisible) au pays un véritable (mot illisible) ceci de la culture.
Un vaste dessein mobilisateur des énergies et des talents. Mettre en mouvement les intelligences et les coeurs, donner souffle et élan à toutes les formes de vie.
a) Un changement social : le chômage, ce ne sont pas seulement des statistiques, c'est d'abord une offense à la vie : forces de travail en friches, usines à la ferraille, terres désertées, cerveaux inemployés. Et je pense notamment à tous ces jeunes. Non, on ne peut pas barrer la route à ceux qui ont vingt ans, leur voler leur jeunesse et blesser leur espérance.
b) Un changement d'éthique : inverser la hiérarchie des valeurs : au centre de nos préoccupations, l'homme d'abord et non le profit de quelques uns. Vaincre le chômage, c'est un changement culturel qui passe lui-même par un changement de politique culturelle.
Précisément, quels seraient les axes d'une autre politique de la culture et de la science ?
Il s'agit tout d'abord de tourner le dos aux méthodes présentes.
Aujourd'hui les velléités succèdent aux caprices : plans mirobolants sans lendemain, gadgets sans avenir, rapports sans suite, cinq ministres de la Culture en sept ans.
En vérité, aucun dessein d'ensemble :
* les chapitres culturels ont été supprimés du Plan ;
* le budget de la Culture et le budget de la Recherche sont les Cendrillons du budget de l'Etat ; "le budget des menus plaisirs" comme disait Jean Vilar.
La clef de voûte d'une autre politique :
Trois maîtres-mots ; trois commandements ; un triptyque dont chaque élément commande les deux autres :
* Réensemencer ;
* Décentraliser ;
* Créer.
a) réensemencer
Gouverner l'avenir et non en être le jouet. Pour ce faire, concevoir un immense effort d'éducation artistique et scientifique à travers le pays, à l'école et hors de l'école. Je ne veux pas citer de chiffres. Je vous renvoie à l'excellent rapport Moreau au Conseil économique et social.
Il faut simplement multiplier par dix l'effort national.
Il nous faut être aujourd'hui les Jules Ferry d'un nouvel apprentissage des sensibilités et des techniques... Je proposerai donc au parlement l'adoption d'une grande ici-programme sur l'éducation artistique et technique.
Réensemencer : c'est aussi une grande politique de la lecture publique, une politique audacieuse des programmes télévisés, orientés vers l'éducation, la connaissance et la formation du goût public, c'est redonner l'amour du beau dans sa ville dans son habitat, dans sa vie, c'est multiplier les groupes amateurs ; c'est ouvrir largement les portes de l'école aux artistes et aux techniciens.
Réensemencer, c'est réintroduire l'art au coeur de la vie et non l'utiliser comme cache-misère.
b) Décentraliser : Déversaillisez, ce serait plus juste, car la centralisation date de Louis XIV, décentraliser, irriguer.
Là encore, les solutions sont connues. Il suffit de les vouloir :
- une télévision et des radios décentralisées par l'affectation de vrais moyens de production à chacune région.
Pourquoi ne pas imaginer, à l'exemple de la R.F.A, qu'une grande partie des programmes nationaux ne soient pas fabriqués et conçus à Paris, mais imaginés par chaque région. Ainsi tel soir Bordeaux s'adresserait à la France entière tel autre soir ce serait Strasbourg ou Lyon. Ainsi notre télévision serait-elle un instrument de dialogue entre les provinces.
De l'émulation entre régions naitraient de nouvelles formes, de nouveaux talents, de nouvelles idées.
- L'implantation, à travers le territoire d'une multitude de foyers de création et d'instituts de recherche.
Cessons de tenir pour normales les anomalies, un exemple parmi tant d'autres. Est-il convenable au moment où l'art lyrique connaît un tel regain de faveur que seul l'Opéra de Paris (lui-même insuffisamment subventionné) bénéficie du concours de l'Etat. Entendez moi bien. Je ne propose surtout pas qu'on déshabille Paul pour habiller Pierre. En l'occurrence que l'on déshabille Bernard (LEFORT), ce soir présent, pour habiller Gaston (DEFFERRE). Je veux que l'un et l'autre soient confortablement vêtus.
c) Créer
Inventer, imaginer
Delà nos deux (?) précédentes, y contribuent. Mais il faut faire mieux encore et inventer ensemble le siècle à venir.
Laisser le temps au temps : oui. Mais ne pas perdre de temps pour prendre de vitesse les multinationales de l'audiovisuel et s'emparer de leurs techniques avant qu'elles ne s'emparent de nos consciences.
Mettre en chantier des réalisations de référence
Si le rôle premier appartient aux créateurs et aux chercheurs, il importe aussi que l'Etat soit lui-même inventeur de quelques réalisations de portée nationale ou internationale. Quelques projets :
1) Création d'une cité internationale de la musique "Le Beaubourg de la musique".
A l'image du Royal Festival Hall de Londres, mois adapté et rajeuni, je propose la création d'un vaste ensemble abritant tout à la fois : un nouvel opéra, une salle de musique contemporaine, des ateliers d'expérimentation électro-acoustique, des salles de répétition, un auditorium.
Hospitalière à toutes les formes de la musique (classique ou moderne, populaire ou savante) et à tous les publics.
Cette maison de la musique fonctionnera 24 heures sur 24 : comme le feu des vestales, la musique y brûlera jour et nuit. Je crois savoir que le projet enthousiasme plusieurs créateurs : Rolf liebermann, Bernard Lefort, Pierre Boulez, Yannis Xenakis et beaucoup d'autres.
Outre son originalité, ce projet répond à un besoin criant : Paris est la capitale d'Europe la plus pauvre en équipements musicaux.
2) Une école européenne du cinéma
3) Une école européenne du chant :
Il s'agirait simplement ici en accord avec Bernard Lefort d'étendre le champ d'action de son excellente école.
4) Une académie franco-latine :
Haut lieu de propagation des langues et des cultures latines. Ne pas oublier que le bloc culturel latin représente plus de 600 millions d'habitants. La présidence pourrait en être confiée à L. SENGHOR.
5) Une exposition nationale pour le bicentenaire de la Révolution Française. La préparation d'une grande exposition nationale non seulement parisienne mais décentralisée dans les régions pourra transformer toute la France de 1985 à 1989 en un immense musée vivant animé de la révolution.
Il faudrait des années de préparation et d'incitation, notamment grâce au corps enseignant, pour que dans chaque ville et chaque village les greniers s'ouvrent sur les vieux papiers de famille, les jeunes préparent des spectacles d'animation et pour organiser des circuits touristiques tournant à travers toutes ces régions qui reviendront historiques.Sous la présidence de mon conseiller scientifique , F. GROS, directeur de l'Institut Pasteur et Professeur au collège de France, un groupe de travail prépare un plan national pour la recherche scientifique.