Interview de M. Manuel Valls, Premier ministre, à RTL le 23 juillet 2015, sur le plan d'urgence en faveur des éleveurs français en difficulté.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

JEROME CHAPUIS
Bonjour Manuel VALLS.
MANUEL VALLS
Bonjour.
JEROME CHAPUIS
Malgré les mesures annoncées hier par votre gouvernement, le mouvement des agriculteurs se propage à d'autres régions : Rhône-Alpes, Auvergne, Bourgogne, Centre ; les principaux accès à Lyon sont bloqués ce matin. Que dites-vous aux éleveurs qui se trouvent actuellement sur les barrages et qui nous écoutent ?
MANUEL VALLS
Que le gouvernement entend depuis des mois, et encore davantage ces derniers jours, le mal-être, le désespoir, le cri de révolte même de ces agriculteurs et de ces éleveurs qui sont au coeur de notre économie, de notre agriculture, de notre industrie agroalimentaire, de nos paysages.
JEROME CHAPUIS
Mais pourquoi manifestent-ils après ? Au lendemain d'un plan d'urgence annoncé, il ne devrait plus y avoir de raison de manifester.
MANUEL VALLS
Les agriculteurs et les éleveurs ne demandent pas la Lune : ils veulent simplement récolter les fruits de leur travail. Ce qu'ils attendent - c'est leur première revendication, c'est leur priorité – c'est une augmentation des prix pour ce qui concerne le boeuf, pour ce qui concerne les bovins. Il y a eu un travail tout à fait considérable qui a été fait par le ministre de l'Agriculture, Stéphane LE FOLL, quand il a réuni l'ensemble des filières qui aujourd'hui sont en crise : celle du porc, celle du boeuf, celle du lait, pour permettre une augmentation des prix. Ce qui a été possible pour ce qui concerne le porc puisque le prix a augmenté à 1,38 euro ; l'objectif était 1,40 euro, on partait de très bas, 1,20 euro. Maintenant dans cette filière, même si elle est fragile, les choses vont mieux On est très attentif, bien sûr, au prix que donne encore ce matin le cadran de Plérin. Pour ce qui concerne la filière du boeuf, c'est plus compliqué parce que c'est une filière qui est beaucoup plus éclatée mais il faut, et c'est un appel que je lance de nouveau sur votre antenne, il faut et c'est essentiel que les prix augmentent dans cette filière du boeuf et que chacun prenne ses responsabilités, notamment les amateurs et les industriels. C'est ce que le rapport hier du médiateur, monsieur AMAND, a révélé, un rapport extrêmement lucide, très clair qui a été mis sur la table avec le ministre de l'Agriculture Stéphane LE FOLL, le ministre de l'Economie Emmanuel MACRON, l'ensemble de la profession. Je pense que les choses vont dans le bon sens mais chacun doit être conscient du rôle qu'il joue dans cette filière. Le gouvernement rassemble tout le monde mais il faut que chacun, abatteur et industriel, prenne pleinement leurs responsabilités et donc que les prix augmentent. C'est ce qu'attendent les éleveurs et notamment ceux qui aujourd'hui bloquent un certain nombre de nos routes.
JEROME CHAPUIS
On va revenir sur le diagnostic, les mesures et les responsabilités des uns et des autres. Une question quand même que se posent un certain nombre de nos auditeurs. Nous sommes à la veille d'un week-end de grands départs et des autoroutes importantes sont bloquées. Est-ce que c'est admissible ? Est-ce que la colère permet tout ? Qu'est-ce que vous dites aux éleveurs qui sont ce matin sur les barrages ?
MANUEL VALLS
Non, la colère ne permet pas tout et moi, j'espère que ces barrages vont être levés. J'ai demandé au ministre de l'Agriculture et au ministre de l'Intérieur d'adresser, ce qui a été fait ce matin, à l'ensemble des préfets les modalités de ce plan qui répond à la fois à l'urgence, mais aussi qui est un plan de long terme, de restructuration, de ces filières.
JEROME CHAPUIS
Mais est-ce que vous donnez des consignes de fermeté aux préfets pour que les axes soient débloqués ?
MANUEL VALLS
J'ai demandé à ce que les préfets rencontrent dans les heures qui viennent partout, dans tous les départements, l'ensemble de la profession pour expliquer dans les détails ce plan. Et ce que j'attends des organisations représentatives, mais des éleveurs eux-mêmes c'est qu'ils prennent connaissance de manière très précise du plan qui vise à la fois à améliorer la situation de trésorerie, ça c'est le plan d'urgence, mais aussi des mesures de moyens et de longs termes que le gouvernement a présenté, des mesures fortes et structurantes, nous allons y revenir pour développer les débouchés et que donc les barrages soient levés, parce qu'il ne faut pas pénaliser le pays, ceux qui partent en vacances, notre économie, ils le savent…
JEROME CHAPUIS
Pour vous ils n'ont plus de raison de manifester ?
MANUEL VALLS
Je ne dirai jamais cela, parce que moi je comprends encore une fois la détresse, le désespoir, on parle d'hommes, de femmes, d'éleveurs qui sont pris à la gorge, qui aujourd'hui…
JEROME CHAPUIS
Mais la détresse, elle permet la casse que l'on peut voir ici ou là, il y a des actions violentes qui sont parfois menées.
MANUEL VALLS
Je condamne toujours avec la plus grande fermeté la casse, la violence, mais encore une fois ce que j'attends des éleveurs, c'est qu'ils entendent ce que le gouvernement a mis sur la table, eux-mêmes attendent, non pas de la part du gouvernement, ce que le gouvernement attend également de la part des industriels et des abatteurs, c'est qu'il y ait une évolution des prix. Pour le boeuf, on avait prévu 20 centimes de hausse en quatre semaines, on est uniquement à 10 centimes, donc il faut progresser dans ce sens.
JEROME CHAPUIS
Alors qu'est-ce que vous faites par rapport à cette hausse des prix, parce qu'on rappelle que ces accords ont été signés il y a quelques semaines dans le bureau de votre ministre de l'Agriculture et que pour l'instant ils ne sont pas appliqués, est-ce qu'il peut y avoir des sanctions ?
MANUEL VALLS
Ils l'ont été pour ce qui concerne le porc, il est indispensable que pour ce qui concerne le boeuf, chacun joue son rôle dans une filière encore une fois qui est plus éclatée, qui est touchée évidemment par les défis de l'exportation. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé la création d'une plateforme pour l'exportation des viandes bovines et porcines, les opérateurs en seront les membres, ils pourront s'y organiser pour créer de véritables filières d'exportation durable et valoriser la viande française. Le président de la République a demandé à plusieurs ministres, Harlem DESIR, Mathias FEKL, Martine PINVILLE d'aller dans plusieurs pays. Harlem DESIR est en Grèce depuis hier soir, nous irons également en Turquie, au Liban, au Maroc, en Algérie parce qu'il faut aider…
JEROME CHAPUIS
En Russie comme vous le demande l'opposition ? En Russie comme vous le demande un certain nombre de responsables ?
MANUEL VALLS
Oui, mais là il y a, vous savez, la question de l'embargo, il y a une situation géopolitique en Ukraine qui est différente, mais en tout cas le gouvernement est totalement mobilisé pour soutenir cette filière qui doit évidemment se restructurer. Nous avons aussi décidé de généraliser dans les restaurations collectives d'Etat l'approvisionnement local dans le respect bien sûr du code des marchés publics. Le service des achats de l'Etat va renégocier tous les contrats d'approvisionnement, il faut consommer de la viande française, c'est une viande de qualité, c'est aussi là une manière d'aider sur le long terme la filière.
JEROME CHAPUIS
Sur cette question des cantines, on a entendu des maires ce matin expliquer, nous on veut bien acheter local, mais la législation, les règles européennes nous en empêchent, est-ce qu'il faut aller voir à Bruxelles la commission et dire, faites quelque chose, changeons les règles ?
MANUEL VALLS
Non, les règles permettent cela et permettent d'acheter français, de la viande française, plusieurs collectivités territoriales le font, d'autres ne le font pas pour des questions parfois de prix, mais dans le respect des marchés, je viens de vous le dire, c'est tout à fait possible et c'est pour cela que nous décidons de généraliser dans les restaurations collectives d'Etat l'approvisionnement local. Donc nous devons tous faire cet effort. Puis nous avons pris aussi des mesures pour développer ce qu'on appelle la contractualisation entre les producteurs, les transformateurs et la grande distribution. Dans ces filières des initiatives sont prises, mais le mouvement doit être encore une fois amplifié et consolidé avec des contrats qui comporteront des dispositions non seulement sur les quantités, mais les qualités, mais aussi le prix, les producteurs auront une plus grande visibilité sur leur rémunération.
JEROME CHAPUIS
Mais est-ce que l'une des pistes, ça ne pourrait pas être de réorienter le CICE en ciblant notamment l'agriculture qui exporte elle plutôt que des secteurs qui en ont moins besoin ?
MANUEL VALLS
L'agriculture française a bénéficié pour ce qui concerne la mise en oeuvre du CICE d'un milliard six cent millions d'euros, donc l'agriculture française a bénéficié, donc l'ensemble des entreprises, d'une hausse du coût du travail. Le gouvernement a pris à chaque fois ses responsabilités.
JEROME CHAPUIS
Il n'y a pas de problème de coût du travail dans l'agriculture française ?
MANUEL VALLS
Il y a d'une manière générale un problème du coût du travail, c'est pour cela que nous avons mis en place le CICE qui permet une baisse du coût du travail et le pacte de responsabilité et de solidarité qui permet une baisse de la fiscalité. Ce sont, je vous le rappelle, pour l'ensemble d'ailleurs de l'économie française, 40 milliards d'euros qui sont ainsi mis sur la table pour soutenir nos entreprises et donc cela concerne également l'agriculture française.
JEROME CHAPUIS
Vous entendez, il y a beaucoup de gens qui disent, au fond c'est tout un modèle qu'il faut réinventer nos agriculteurs ne sont pas armés dans la mondialisation et il faut les aider, il faut restructurer la totalité du secteur. Les mesures que vous avez annoncé hier, sont des mesures d'urgence, de court terme, est-ce qu'à long terme, est-ce qu'à la rentrée il ne peut pas y avoir d'autres initiatives ?
MANUEL VALLS
Nous avons fait les annonces importantes hier et on répond à la crise d'aujourd'hui, il fallait des mesures d'urgence…
JEROME CHAPUIS
Mais les crises de demain parce que ces crises, elles sont à répétition.
MANUEL VALLS
Oui, il fallait répondre de manière urgente à la crise actuelle puisque la situation, je vous l'ai dit il y a un instant, de trésorerie de nombreux éleveurs est particulièrement tendue à cause de la faiblesse des prix de vente, de leur production. C'est pour cela que nous avons agi sur des mesures de prise en charge d'intérêt d'emprunt, de remise gracieuse des taxes foncières…
JEROME CHAPUIS
Mais vous entendez bien Manuel VALLS, les marges, elles se reconstituent et ensuite elles sont grignotées, elles sont grignotées.
MANUEL VALLS
Nous avons décidé des reports de charges, des prêts garantis mais dans le plan, il y a des mesures de moyens et longs termes, des mesures fortes et structurantes pour développer les débouchés, des mesures pour développer la contractualisation entre les producteurs, les transformateurs et la grande distribution, des mesures qui vont encourager le dveloppement de la production d'énergie renouvelable et la transition énergétique. Donc oui il faut construire surtout l'avenir à long terme. Nous avons rétabli pleinement le dialogue avec le monde paysan, ils nous disent ça va dans le bon sens mais on attend désormais la mise en oeuvre et surtout des décisions de la part des industriels et des abatteurs concernant les prix. Moi, je leur dis très simplement nous allons mettre en oeuvre ce qu'on a dit, nous allons agir ensemble dans l'urgence et sur le long terme, parce que moi je pense aussi…
JEROME CHAPUIS
Si on vous entend bien les abatteurs et les industriels sont les premiers responsables aujourd'hui ?
MANUEL VALLS
Il ne s'agit pas uniquement d'accuser, moi ce que je souhaite comme le ministre de l'Agriculture, c'est que chacun prenne ses responsabilités, et que ce qui a été promis, les engagements qui ont été annoncés à la mi-juin, le 17 juin soient tenus. Parce que moi je pense aux agriculteurs, aux éleveurs, je pense aux jeunes agriculteurs, à la relève, ils sont une force pour le pays. Mon devoir, notre devoir, c'est de les encourager, parce que je crois que les valeurs par ailleurs portées par le monde paysan, sont au coeur du plan de soutien que nous avons dévoilé hier, elles sont la réponse…
JEROME CHAPUIS
Puisque que vous parlez de Stéphane LE FOLL, est-ce que votre gouvernement et votre ministre de l'Agriculture n'ont pas tardé à prendre la mesure de cette crise et de drame ?
MANUEL VALLS
Nous n'avons eu de cesse depuis trois ans, moi depuis que je suis Premier ministre et Stéphane LE FOLL est ministre de l'Agriculture depuis 2012, d'évoquer les problèmes du monde agricole.
JEROME CHAPUIS
Je vous pose la question parce que Stéphane LE FOLL avait prévu au départ de venir aujourd'hui seulement, enfin d'accueillir aujourd'hui seulement les agriculteurs à son ministère et il a dû se déplacer en urgence à Caen.
MANUEL VALLS
Lui comme moi, nous avons évoqué ce qui est une crise économique sociale et morale que traverse une partie du monde agricole. Si le 17 juin il y a donc plus d'un mois, il a réuni l'ensemble des acteurs des filières porcines, bovines et du lait, c'est précisément parce qu'il a pleinement conscience des difficultés, des défis pour le monde agricole. Jamais, jamais, un ministre de l'Agriculture n'avait ainsi réuni l'ensemble des acteurs pour faire évoluer les prix. Ce que nous avons obtenu de manière significative pour ce qui concerne le porc, ce que nous avons obtenu, mais c'est encore insuffisant, pour ce qui concerne le boeuf, pour ce qui concerne les bovins. Donc c'est dans cette filière mais aussi pour ce qui concerne le lait qu'il faut des évolutions. Il faut que les engagements soient tenus.
JEROME CHAPUIS
On a vu des panneaux « LE FOLL démission », est-ce qu'il peut rester à la fois ministre de l'Agriculture et porte-parole du gouvernement ?
MANUEL VALLS
Oui, ce n'est en rien incompatible, Stéphane LE FOLL agit comme ministre de l'Agriculture…
JEROME CHAPUIS
On l'entend des agriculteurs qui nous disent, il est trop présent dans les médias et pas assez présent à nos côtés.
MANUEL VALLS
C'est un faux débat, je ne vais pas ici vous donner le nombre de déplacements, de réunions que Stéphane LE FOLL tient, organise. Il connait parfaitement ses questions. Il a été formé dans ce monde de l'agriculture, il connait parfaitement les dossiers, mais encore une fois quand il s'agit de prix, et de prix mondiaux par exemple pour ce qui concerne le lait, nous sommes dans un marché ouvert. Je vous rappelle que pour ce qui concerne la filière laitière dont on ne parle pas beaucoup, ces dernières heures cette filière est concernée directement par cette crise puisque nous sommes sortis des quotas, puisque nous sommes sortis des quotas européens, décision qui avait été prise par la majorité précédente, contre l'avis des producteurs, contre l'avis des agriculteurs, là aussi nous agissons au niveau européen pour trouver les meilleures solutions. Nous sommes totalement mobilisés, pas seulement le ministre de l'Agriculture, mais l'ensemble du gouvernement.
JEROME CHAPUIS
Toute dernière question Manuel VALLS, est-ce qu'il est vrai, comme le raconte le Canard Enchainé cette semaine, que le président de la République a annoncé le plan d'urgence avant-hier, sans avoir consulté le gouvernement ?
MANUEL VALLS
Pas du tout, nous travaillons sur cette question-là depuis des semaines ensemble. La dernière fois que je suis venu ici sur RTL, il n'y a pas si longtemps, j'ai croisé Xavier BEULIN, nous avons, le président de la FNSEA, nous avons parlé de ces questions-là, nous sommes en contact permanent. Le président de la République, le ministre de l'Agriculture, moi-même, c'est ensemble que nous avons élaboré ce plan. Non, nous travaillons ensemble, il ne faut pas toujours croire ce que dit le Canard Enchainé.
JEROME CHAPUIS
Merci Manuel VALLS d'avoir été l'invité de RTL ce matin.Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 juillet 2015