Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Depuis deux jours, les membres du Gouvernement que j'ai l'honneur de diriger se succèdent devant vous pour vous expliquer comment la France se prépare à l'échéance européenne de 1992.
Ils l'ont fait, me dit-on, si bien que la tâche qui me revient de conclure est, en apparence, redoutable.
Vous comprendrez donc que je vous parle d'abord de la France d'aujourd'hui car, en réalité, le sujet est le même. L'Européen militant que je suis en est convaincu.
Il y a tout juste six mois, ce Gouvernement prenait ses fonctions au lendemain de la réélection du Président MITTERRAND. L'action que nous avons vigoureusement entreprise depuis lors vise à donner à notre pays plus d'efficacité et de compétitivité, tout en renforçant la solidarité et la cohésion sociale par la pratique du dialogue et la recherche de la justice. En effet, les unes ne vont pas sans les autres. C'est le sens profond des priorités que nous avons définies.
Première étape significative de cette politique : le plan pour l'emploi. La situation du marché du travail est préoccupante en France. Le taux de chômage est de plus de 10 %, les jeunes ont des difficultés à trouver leur premier emploi, le chômage de longue durée est répandu. L'emploi est ma toute première priorité économique. Les mesures adoptées en septembre illustrent une démarche nouvelle, parce qu'elles abordent le problème directement sous l'angle économique. En allégeant les cotisations sociales payées par les employeurs, j'ai voulu agir sur le coût d'embauche et plus encore sur les anticipations des chefs d'entreprise : on peut, on doit, prendre, en France, le risque d'embaucher, voilà le premier message que j'ai voulu faire passer. Il est évidemment trop tôt pour juger des résultats de ce plan. Cependant nous avons noté, en septembre, une diminution sensible du nombre des sans-emploi ; j'y vois un signal encourageant de redressement sur le marché du travail et la preuve qu'il faut saisir toutes les opportunités d'avancer dans cette voie.
Mais, parmi les exclus de la croissance, il en est dont la situation nécessite un traitement d'urgence et qui ont tout simplement besoin de survivre. C'est pour eux que nous avons créé le revenu minimum d'insertion, dont j'ai noté avec joie qu'il avait été voté à l'unanimité (moins deux voix ...) à l'Assemblée Nationale. Bon exemple de dialogue, n'est-ce pas ? La nécessité de la solidarité, lorsqu'elle est bien expliquée, ne s'impose pas qu'aux militants de gauche !
Autre étape marquante du dialogue, les négociations salariales : elles se sont conclues, hier, par la signature d'un accord dans la fonction publique. Il en va de même dans plusieurs grandes entreprises nationales. On attendait cela depuis plusieurs années. Ce retour à la procédure contractuelle me paraît de très grande portée. Pourquoi ?
Après plusieurs années où les salariés ont accepté des efforts considérables, l'embellie de la conjoncture a suscité des attentes excessives. Il faut donc que le Gouvernement explique sans cesse que toute tentation de relâchement mettrait en péril la nature même de la reprise et sa pérennité. C'est ce qu'il fait. Au cours des dernières semaines, des revendications ont été avancées par les organisations syndicales ; le refus de toute dérive de la consommation et des prix a été clairement manifesté par le Gouvernement. Mais le dialogue n'a pas été rompu, même s'il n'a pas toujours été facile. La négociation a abouti à des termes raisonnables : ils évitent toute idée de retour à l'indexation dont cette économie a trop souffert ; ils prévoient, à la fin de l'année prochaine, d'aborder la question du partage d'une richesse dont on aura pu vérifier qu'elle a été effectivement produite ; ils assurent, aussi, que les salaires les plus bas bénéficient davantage du partage des fruits de la croissance constatée. C'est la règle d'une bonne gestion, qui consiste à ne pas distribuer de pouvoir d'achat au-delà de ce que permet l'état actuel de l'économie, pour ne pas grever l'avenir. Une telle politique va de pair avec la volonté de rigueur sans faille dont le budget, acte majeur de la vie gouvernementale, porte témoignage.
L'Etat réduit son déficit de 15 milliards en le ramenant à 100 milliards de francs en 1989. De son côté, le collectif budgétaire de fin d'année prévoira environ 13 milliards de francs de désendettement. Les grandes entreprises nationales enregistrent une amélioration significative de leurs résultats. Au total, le "besoin de financement du secteur public" sera réduit de 3,5 % en 1985 à 1,6 % du PNB en 1989. La dépense privilégie comme il était nécessaire les actions porteuses d'avenir : éducation et recherche notamment ; du côté des recettes, ce sont les mesures en faveur de l'emploi - l'allègement du coût du travail - et de l'investissement - la réduction du taux de l'impôt sur les sociétés - qui priment, accompagnées par un volet TVA préparant l'harmonisation fiscale européenne.
Un mot, ici, peut-être, de l'impôt de solidarité sur la fortune, pour constater que la querelle idéologique qui a occupé plusieurs mois de notre vie politique, est close. J'en devine la raison : lorsqu'on élabore un projet équilibré, lorsqu'on se donne la peine d'en discuter, on fait avancer les choses. La politique spectacle n'y trouve pas son compte.
Tant mieux. Les affaires de la France et des Français, elles, s'y retrouvent. Je ne vois, pour moi, que des avantages à ce qu'on gère mieux et qu'on fasse moins de bruit.
Enfin, le Plan : c'est le moyen d'explorer les perspectives de moyen terme et de rechercher les voies du consensus. Aucun grand pays ne peut se passer de définir une stratégie pluriannuelle. C'est ce que nous appelons en France, avec un peu de solennité, le Plan. Le Gouvernement précédent avait sacrifié cet outil sur l'autel du libéralisme idéologique; j'ai choisi d'en faire un instrument de mobilisation pour mieux évaluer les adaptations que nécessite la perspective européenne. Modernisation des relations sociales dans l'entreprise, transformation des activités financières, recherche d'une meilleure productivité des services publics : voilà trois domaines dans lesquels les Commissions du Plan nous permettent progressivement d'y voir plus clair. Mais le Plan a pris aussi une autre dimension depuis les lois de décentralisation de 1982. La France a rompu alors avec son passé jacobin et centralisateur; les compétences des régions ont été élargies, ce sont désormais des partenaires à part entière. C'est pourquoi la recherche d'une bonne cohérence entre les décisions de l'Etat et l'action décentralisée revêt aujourd'hui une importance toute particulière. Le Gouvernement vient précisément de définir, à l'issue d'une longue procédure d'échanges avec les exécutifs régionaux, les termes des contrats qu'il propose aux régions pour assurer un développement équilibré du territoire en misant notamment sur deux types d'infrastructures : les transports et l'enseignement supérieur.
Dans tous ces domaines - emploi, solidarité, budget, salaires, plan - apparaît bien la cohérence de la politique fondée à la fois sur la rigueur et le dialogue. C'est leur combinaison qui nous permet de cheminer sur la ligne de crête où se trouve actuellement notre économie : un commerce extérieur fragile, une croissance rapide tirée par l'investissement et par l'exportation, et une progression modérée des coûts et des prix. J'insisterai sur ces deux derniers aspects qui constituent nos objectifs économiques pour les années à venir.
La France s'inscrit désormais clairement dans le groupe des pays où la hausse des coûts et des prix est très modérée : nos partenaires étrangers n'ont peut-être pas encore mesuré toute la valeur de la performance, tant elle paraissait hors de portée il y a cinq ans. Le glissement des prix est aujourd'hui inférieur chez nous à ce qu'il est dans la CEE ou aux Etats-Unis. Il s'agit maintenant de s'aligner sur les meilleures performances européennes, ce qui est décisif pour notre compétitivité extérieure.
Quant à l'objectif de croissance et d'emploi, il s'appuie sur la dynamique de l'investissement, qui renforce à terme nos performances à l'exportation. Les chiffres récents sont plus qu'encourageants. Avec 14 % de croissance dans l'industrie, l'investissement productif retrouve des niveaux que l'on n'avait pas connus depuis dix ans. Mais il reste beaucoup de chemin à faire. L'investissement doit continuer à progresser pendant plusieurs années à un rythme très supérieur à celui du PNB : il y va du rétablissement durable de notre équilibre extérieur.
Je voudrais maintenant expliquer pourquoi cet objectif de croissance soutenue de l'investissement est à notre portée.
La France possède des atouts dont ses chefs d'entreprise prennent conscience, tout comme leurs concurrents étrangers. A l'heure actuelle, les investissements étrangers directs dans notre pays s'élèvent, à près de 30 milliards de francs par an. Les investisseurs étrangers font des raisonnements de long terme. Ils savent que la France est le pays d'Europe dont la démographie, c'est-à-dire la richesse en hommes, est la mieux orientée. Que sa main d'oeuvre, qui est son meilleur talent, s'investit dans des domaines porteurs d'avenir : espace, aéronautique, télécommunications, nucléaire, agro-alimentaire, communication. Que les services de haute technologie comme les sociétés de services informatiques voient émerger des champions français. Que nos réseaux de transports rapides et de télécommunications sont mondialement reconnus.
Tous ces avantages, joints à une situation géographique privilégiée au coeur du grand marché européen, doivent être valorisés. Notre marché intérieur, notre capacité exportatrice font de nous des partenaires majeurs dans les échanges internationaux. Les stratégies internationales des entreprises françaises les conduisent à acquérir des positions plus fortes sur les marchés mondiaux. De même assistons-nous à des prises de participation étrangères, certaines de très grande taille, dans des entreprises françaises. Encore faudrait-il que la réciprocité existe au même degré dans tous les pays, particulièrement lorsqu'il y a offre publique d'achat... Quant à la création en France d'unités de production nouvelles par des investisseurs étrangers, elle exerce des effets favorables sur l'emploi, l'investissement et les comptes extérieurs. Le Gouvernement a récemment décidé que ces créations s'effectueraient librement, sans aucune formalité, comme chez nos partenaires.
Tous ces mouvements sont inhérents à une économie comme la nôtre, largement ouverte sur l'extérieur. Ils témoignent de sa bonne insertion dans la compétition internationale et constituent une source supplémentaire de croissance et de concurrence qui est la bienvenue.
Atteindre un haut degré de concurrence dans l'économie est une priorité. C'est la condition du fonctionnement efficace des marchés et de la stabilité des prix. C'est pourquoi le Gouvernement a engagé de multiples réformes pour élargir la concurrence dans les secteurs où elle est insuffisante, en supprimant les entraves qui existent de fait ou de droit et en sanctionnant les comportements anticoncurrentiels. La transparence, qui est un "bien collectif" permettant d'assurer la compétitivité des entreprises, sera renforcée dans les secteurs où les prix sont encore mal connus du consommateur, les conditions de vente opaques, ou les pratiques tarifaires discriminatoires. L'enjeu est considérable puisqu'il s'agit à la fois de mobiliser les entreprises françaises pour qu'elles tirent le meilleur parti du grand vent de la concurrence internationale, et de permettre aux consommateurs d'accéder aux meilleurs produits et services à moindre coût.
Cette politique s'inscrit aussi dans le cadre communautaire où nous plaidons pour que se constitue un ensemble de règles homogènes, claires et lisibles. Elle trouvera des applications dans de nombreux domaines tels que le contrôle des concentrations, l'ouverture des marchés publics, les normes techniques et la protection des consommateurs. L'Europe se dotera ainsi des règles de concurrence nécessaires au grand marché intérieur.
Autre atout, le perfectionnement des marchés et des services financiers. En quelques années, le marché monétaire, le cadre institutionnel de la Bourse, ont été profondément rénovés : de nouveaux marchés se sont ouverts (MATIF, plus récemment les marchés sur options d'actions, les marchés sur indices) qui dotent Paris de tous les outils des places financières les plus performantes. Le Parlement est saisi d'un projet de loi sur les organismes de placement collectifs et la création des fonds communs de créance; le financement de l'économie s'en trouvera facilité par un supplément de fluidité.
Parallèlement le Gouvernement est attaché à renforcer le contrôle et la sécurité des opérations, de façon à mieux protéger les épargnants; il étudie les mesures qui pourraient rendre plus claires les OPA, afin d'assurer leur transparence et leur caractère équilibré.
Cet effort de modernisation en profondeur, mené avec persévérance, porte ses fruits. Dès à présent, la qualité de nos services financiers se situe au meilleur niveau européen. Les techniques de marché les plus diversifiées sont disponibles pour répondre, en particulier, à toute la gamme des besoins des entreprises et leur permettre de couvrir des risques nouveaux. Le rôle de la place financière de Paris se renforce ; notre système bancaire et financier se prépare activement à la perspective clairement tracée de la liberté des mouvements de capitaux et de la libre prestation de services en Europe.
Ainsi se construit une économie moderne, aux règles claires et équitables. Dans le même temps, on voit progresser l'esprit d'entreprise, la volonté d'entreprendre, et tout particulièrement chez les jeunes. J'ai en tête un sondage récent selon lequel cinq millions de personnes souhaitent, aujourd'hui, dans ce pays, créer leur entreprise. C'est à leur intention que le Gouvernement vient de rétablir un régime d'exonération d'impôt pour les entreprises nouvellement créées. Nous voici loin de l'époque où tout bon Français rêvait de faire de son fils ou de sa fille un fonctionnaire ... Et si la modernisation, j'ai envie de dire la réhabilitation, de la Fonction publique, figure au premier rang des priorités de mon Gouvernement, cela ne m'empêche nullement de me réjouir de cette évolution qui révèle un dynamisme nouveau dans les comportements individuels.
Je crois vous avoir montré que la France a des atouts en Europe. Elle en a aussi pour l'Europe, puisque l'Europe délimite nos espoirs et nos ambitions. L'Europe se fait chaque jour sous nos yeux ou, plutôt, nous la faisons chaque jour. Depuis l'étape majeure qui a constitué l'Acte Unique, des décisions tout-à-fait fondamentales ont été prises ou sont près de l'être dans des domaines aussi importants que la reconnaissance mutuelle des diplômes, l'ouverture des marchés publics, les transports routiers et aériens, la libre prestation des services.
Certes, aujourd'hui, à mi-chemin de l'échéance 1992, il reste encore beaucoup à faire pour atteindre tous les objectifs que les gouvernements se sont assignés par l'Acte Unique.
Nous sommes au milieu du gué. Certains trouvent maintenant que l'eau devient bien froide et attendent chaque hésitation, chaque interrogation pour dire que la rive est de plus en plus lointaine.
Laissez-moi faire deux observations :
- 1992, c'est une logique d'ensemble. L'Acte Unique a défini six objectifs pour la relance : le marché intérieur, la capacité monétaire, la politique sociale, la cohésion économique et sociale, la recherche et le développement technologique, l'environnement.
Tout se tient.
Maintenant que nous avons décidé la libération des mouvements de capitaux, c'est pour nous une nécessité impérieuse que de renforcer le système monétaire européen et de mettre en place une politique monétaire commune vis-à-vis du yen et du dollar.
En même temps que nous ouvrons aux entreprises des libertés nouvelles, il nous faut encore construire cette Europe sociale qui, selon l'expression du Conseil Européen de Hanovre, doit profiter à tous les citoyens de la Communauté, en termes d'emploi et de démocratie économique et relancer le dialogue social, cette fois-ci au niveau européen.
Selon le voeu du Président de la République, nous allons édifier l'Europe de la culture, sans laquelle pour nos jeunes, pour nos opinions, 1992 ne serait qu'un projet froid et technocratique.
Cet espace sans frontières que nous organisons, il nous reste à le situer dans le monde. En supprimant définitivement tout protectionnisme à l'intérieur de nos frontières, nous n'entendons pas le renforcer à l'extérieur. Mais ces potentialités nouvelles que nous offrons à nos partenaires, comment pouvons-nous les trouver aussi, sur leurs propres marchés ?
Cette richesse accrue que nous attendons du grand marché, comment la concrétiser en un regain de solidarité avec les exclus de notre Société comme avec le Tiers Monde ?
- 1992 ce n'est pas d'un coup de baguette magique au soir du 31 décembre, les frontières qui s'effondrent et le grand marché qui apparaît.
C'est une construction continue, hier, aujourd'hui, demain, un effort méthodique et collectif des gouvernements. Toute libéralisation, toute suppression de frontières appelle d'abord la définition de règles du jeu claires et dynamiques et un partage équilibré des contraintes et des sacrifices.
Je fais confiance à l'avenir. Mesurer la distance qui nous reste à parcourir, connaître l'ampleur des enjeux, ce n'est pas renoncer aux objectifs, c'est au contraire accroître la détermination d'y parvenir et se donner les moyens de les atteindre.
Cette méthode-là, nous l'avons, nous Français, nous Européens, héritée de Jean Monnet, nous continuerons à l'appliquer pour le succès de 1992.
Mesdames, Messieurs,
Il en est de la construction européenne comme de l'évolution qu'elle nécessite pour la France. A trop vouloir discourir sur de grandes réformes symboliques, on court le risque de susciter des crispations et des conflits. Travailler, apporter des réponses concrètes, réfléchies et concertées aux vraies questions qui se posent, utiliser au mieux les possibilités dès qu'elles existent, voilà le principe qui guide mon action. Je ne vous ai pas offert, ce soir, d'envolées lyriques : si vous en éprouviez quelque déception, j'aurais le sentiment d'avoir bien travaillé.
Depuis deux jours, les membres du Gouvernement que j'ai l'honneur de diriger se succèdent devant vous pour vous expliquer comment la France se prépare à l'échéance européenne de 1992.
Ils l'ont fait, me dit-on, si bien que la tâche qui me revient de conclure est, en apparence, redoutable.
Vous comprendrez donc que je vous parle d'abord de la France d'aujourd'hui car, en réalité, le sujet est le même. L'Européen militant que je suis en est convaincu.
Il y a tout juste six mois, ce Gouvernement prenait ses fonctions au lendemain de la réélection du Président MITTERRAND. L'action que nous avons vigoureusement entreprise depuis lors vise à donner à notre pays plus d'efficacité et de compétitivité, tout en renforçant la solidarité et la cohésion sociale par la pratique du dialogue et la recherche de la justice. En effet, les unes ne vont pas sans les autres. C'est le sens profond des priorités que nous avons définies.
Première étape significative de cette politique : le plan pour l'emploi. La situation du marché du travail est préoccupante en France. Le taux de chômage est de plus de 10 %, les jeunes ont des difficultés à trouver leur premier emploi, le chômage de longue durée est répandu. L'emploi est ma toute première priorité économique. Les mesures adoptées en septembre illustrent une démarche nouvelle, parce qu'elles abordent le problème directement sous l'angle économique. En allégeant les cotisations sociales payées par les employeurs, j'ai voulu agir sur le coût d'embauche et plus encore sur les anticipations des chefs d'entreprise : on peut, on doit, prendre, en France, le risque d'embaucher, voilà le premier message que j'ai voulu faire passer. Il est évidemment trop tôt pour juger des résultats de ce plan. Cependant nous avons noté, en septembre, une diminution sensible du nombre des sans-emploi ; j'y vois un signal encourageant de redressement sur le marché du travail et la preuve qu'il faut saisir toutes les opportunités d'avancer dans cette voie.
Mais, parmi les exclus de la croissance, il en est dont la situation nécessite un traitement d'urgence et qui ont tout simplement besoin de survivre. C'est pour eux que nous avons créé le revenu minimum d'insertion, dont j'ai noté avec joie qu'il avait été voté à l'unanimité (moins deux voix ...) à l'Assemblée Nationale. Bon exemple de dialogue, n'est-ce pas ? La nécessité de la solidarité, lorsqu'elle est bien expliquée, ne s'impose pas qu'aux militants de gauche !
Autre étape marquante du dialogue, les négociations salariales : elles se sont conclues, hier, par la signature d'un accord dans la fonction publique. Il en va de même dans plusieurs grandes entreprises nationales. On attendait cela depuis plusieurs années. Ce retour à la procédure contractuelle me paraît de très grande portée. Pourquoi ?
Après plusieurs années où les salariés ont accepté des efforts considérables, l'embellie de la conjoncture a suscité des attentes excessives. Il faut donc que le Gouvernement explique sans cesse que toute tentation de relâchement mettrait en péril la nature même de la reprise et sa pérennité. C'est ce qu'il fait. Au cours des dernières semaines, des revendications ont été avancées par les organisations syndicales ; le refus de toute dérive de la consommation et des prix a été clairement manifesté par le Gouvernement. Mais le dialogue n'a pas été rompu, même s'il n'a pas toujours été facile. La négociation a abouti à des termes raisonnables : ils évitent toute idée de retour à l'indexation dont cette économie a trop souffert ; ils prévoient, à la fin de l'année prochaine, d'aborder la question du partage d'une richesse dont on aura pu vérifier qu'elle a été effectivement produite ; ils assurent, aussi, que les salaires les plus bas bénéficient davantage du partage des fruits de la croissance constatée. C'est la règle d'une bonne gestion, qui consiste à ne pas distribuer de pouvoir d'achat au-delà de ce que permet l'état actuel de l'économie, pour ne pas grever l'avenir. Une telle politique va de pair avec la volonté de rigueur sans faille dont le budget, acte majeur de la vie gouvernementale, porte témoignage.
L'Etat réduit son déficit de 15 milliards en le ramenant à 100 milliards de francs en 1989. De son côté, le collectif budgétaire de fin d'année prévoira environ 13 milliards de francs de désendettement. Les grandes entreprises nationales enregistrent une amélioration significative de leurs résultats. Au total, le "besoin de financement du secteur public" sera réduit de 3,5 % en 1985 à 1,6 % du PNB en 1989. La dépense privilégie comme il était nécessaire les actions porteuses d'avenir : éducation et recherche notamment ; du côté des recettes, ce sont les mesures en faveur de l'emploi - l'allègement du coût du travail - et de l'investissement - la réduction du taux de l'impôt sur les sociétés - qui priment, accompagnées par un volet TVA préparant l'harmonisation fiscale européenne.
Un mot, ici, peut-être, de l'impôt de solidarité sur la fortune, pour constater que la querelle idéologique qui a occupé plusieurs mois de notre vie politique, est close. J'en devine la raison : lorsqu'on élabore un projet équilibré, lorsqu'on se donne la peine d'en discuter, on fait avancer les choses. La politique spectacle n'y trouve pas son compte.
Tant mieux. Les affaires de la France et des Français, elles, s'y retrouvent. Je ne vois, pour moi, que des avantages à ce qu'on gère mieux et qu'on fasse moins de bruit.
Enfin, le Plan : c'est le moyen d'explorer les perspectives de moyen terme et de rechercher les voies du consensus. Aucun grand pays ne peut se passer de définir une stratégie pluriannuelle. C'est ce que nous appelons en France, avec un peu de solennité, le Plan. Le Gouvernement précédent avait sacrifié cet outil sur l'autel du libéralisme idéologique; j'ai choisi d'en faire un instrument de mobilisation pour mieux évaluer les adaptations que nécessite la perspective européenne. Modernisation des relations sociales dans l'entreprise, transformation des activités financières, recherche d'une meilleure productivité des services publics : voilà trois domaines dans lesquels les Commissions du Plan nous permettent progressivement d'y voir plus clair. Mais le Plan a pris aussi une autre dimension depuis les lois de décentralisation de 1982. La France a rompu alors avec son passé jacobin et centralisateur; les compétences des régions ont été élargies, ce sont désormais des partenaires à part entière. C'est pourquoi la recherche d'une bonne cohérence entre les décisions de l'Etat et l'action décentralisée revêt aujourd'hui une importance toute particulière. Le Gouvernement vient précisément de définir, à l'issue d'une longue procédure d'échanges avec les exécutifs régionaux, les termes des contrats qu'il propose aux régions pour assurer un développement équilibré du territoire en misant notamment sur deux types d'infrastructures : les transports et l'enseignement supérieur.
Dans tous ces domaines - emploi, solidarité, budget, salaires, plan - apparaît bien la cohérence de la politique fondée à la fois sur la rigueur et le dialogue. C'est leur combinaison qui nous permet de cheminer sur la ligne de crête où se trouve actuellement notre économie : un commerce extérieur fragile, une croissance rapide tirée par l'investissement et par l'exportation, et une progression modérée des coûts et des prix. J'insisterai sur ces deux derniers aspects qui constituent nos objectifs économiques pour les années à venir.
La France s'inscrit désormais clairement dans le groupe des pays où la hausse des coûts et des prix est très modérée : nos partenaires étrangers n'ont peut-être pas encore mesuré toute la valeur de la performance, tant elle paraissait hors de portée il y a cinq ans. Le glissement des prix est aujourd'hui inférieur chez nous à ce qu'il est dans la CEE ou aux Etats-Unis. Il s'agit maintenant de s'aligner sur les meilleures performances européennes, ce qui est décisif pour notre compétitivité extérieure.
Quant à l'objectif de croissance et d'emploi, il s'appuie sur la dynamique de l'investissement, qui renforce à terme nos performances à l'exportation. Les chiffres récents sont plus qu'encourageants. Avec 14 % de croissance dans l'industrie, l'investissement productif retrouve des niveaux que l'on n'avait pas connus depuis dix ans. Mais il reste beaucoup de chemin à faire. L'investissement doit continuer à progresser pendant plusieurs années à un rythme très supérieur à celui du PNB : il y va du rétablissement durable de notre équilibre extérieur.
Je voudrais maintenant expliquer pourquoi cet objectif de croissance soutenue de l'investissement est à notre portée.
La France possède des atouts dont ses chefs d'entreprise prennent conscience, tout comme leurs concurrents étrangers. A l'heure actuelle, les investissements étrangers directs dans notre pays s'élèvent, à près de 30 milliards de francs par an. Les investisseurs étrangers font des raisonnements de long terme. Ils savent que la France est le pays d'Europe dont la démographie, c'est-à-dire la richesse en hommes, est la mieux orientée. Que sa main d'oeuvre, qui est son meilleur talent, s'investit dans des domaines porteurs d'avenir : espace, aéronautique, télécommunications, nucléaire, agro-alimentaire, communication. Que les services de haute technologie comme les sociétés de services informatiques voient émerger des champions français. Que nos réseaux de transports rapides et de télécommunications sont mondialement reconnus.
Tous ces avantages, joints à une situation géographique privilégiée au coeur du grand marché européen, doivent être valorisés. Notre marché intérieur, notre capacité exportatrice font de nous des partenaires majeurs dans les échanges internationaux. Les stratégies internationales des entreprises françaises les conduisent à acquérir des positions plus fortes sur les marchés mondiaux. De même assistons-nous à des prises de participation étrangères, certaines de très grande taille, dans des entreprises françaises. Encore faudrait-il que la réciprocité existe au même degré dans tous les pays, particulièrement lorsqu'il y a offre publique d'achat... Quant à la création en France d'unités de production nouvelles par des investisseurs étrangers, elle exerce des effets favorables sur l'emploi, l'investissement et les comptes extérieurs. Le Gouvernement a récemment décidé que ces créations s'effectueraient librement, sans aucune formalité, comme chez nos partenaires.
Tous ces mouvements sont inhérents à une économie comme la nôtre, largement ouverte sur l'extérieur. Ils témoignent de sa bonne insertion dans la compétition internationale et constituent une source supplémentaire de croissance et de concurrence qui est la bienvenue.
Atteindre un haut degré de concurrence dans l'économie est une priorité. C'est la condition du fonctionnement efficace des marchés et de la stabilité des prix. C'est pourquoi le Gouvernement a engagé de multiples réformes pour élargir la concurrence dans les secteurs où elle est insuffisante, en supprimant les entraves qui existent de fait ou de droit et en sanctionnant les comportements anticoncurrentiels. La transparence, qui est un "bien collectif" permettant d'assurer la compétitivité des entreprises, sera renforcée dans les secteurs où les prix sont encore mal connus du consommateur, les conditions de vente opaques, ou les pratiques tarifaires discriminatoires. L'enjeu est considérable puisqu'il s'agit à la fois de mobiliser les entreprises françaises pour qu'elles tirent le meilleur parti du grand vent de la concurrence internationale, et de permettre aux consommateurs d'accéder aux meilleurs produits et services à moindre coût.
Cette politique s'inscrit aussi dans le cadre communautaire où nous plaidons pour que se constitue un ensemble de règles homogènes, claires et lisibles. Elle trouvera des applications dans de nombreux domaines tels que le contrôle des concentrations, l'ouverture des marchés publics, les normes techniques et la protection des consommateurs. L'Europe se dotera ainsi des règles de concurrence nécessaires au grand marché intérieur.
Autre atout, le perfectionnement des marchés et des services financiers. En quelques années, le marché monétaire, le cadre institutionnel de la Bourse, ont été profondément rénovés : de nouveaux marchés se sont ouverts (MATIF, plus récemment les marchés sur options d'actions, les marchés sur indices) qui dotent Paris de tous les outils des places financières les plus performantes. Le Parlement est saisi d'un projet de loi sur les organismes de placement collectifs et la création des fonds communs de créance; le financement de l'économie s'en trouvera facilité par un supplément de fluidité.
Parallèlement le Gouvernement est attaché à renforcer le contrôle et la sécurité des opérations, de façon à mieux protéger les épargnants; il étudie les mesures qui pourraient rendre plus claires les OPA, afin d'assurer leur transparence et leur caractère équilibré.
Cet effort de modernisation en profondeur, mené avec persévérance, porte ses fruits. Dès à présent, la qualité de nos services financiers se situe au meilleur niveau européen. Les techniques de marché les plus diversifiées sont disponibles pour répondre, en particulier, à toute la gamme des besoins des entreprises et leur permettre de couvrir des risques nouveaux. Le rôle de la place financière de Paris se renforce ; notre système bancaire et financier se prépare activement à la perspective clairement tracée de la liberté des mouvements de capitaux et de la libre prestation de services en Europe.
Ainsi se construit une économie moderne, aux règles claires et équitables. Dans le même temps, on voit progresser l'esprit d'entreprise, la volonté d'entreprendre, et tout particulièrement chez les jeunes. J'ai en tête un sondage récent selon lequel cinq millions de personnes souhaitent, aujourd'hui, dans ce pays, créer leur entreprise. C'est à leur intention que le Gouvernement vient de rétablir un régime d'exonération d'impôt pour les entreprises nouvellement créées. Nous voici loin de l'époque où tout bon Français rêvait de faire de son fils ou de sa fille un fonctionnaire ... Et si la modernisation, j'ai envie de dire la réhabilitation, de la Fonction publique, figure au premier rang des priorités de mon Gouvernement, cela ne m'empêche nullement de me réjouir de cette évolution qui révèle un dynamisme nouveau dans les comportements individuels.
Je crois vous avoir montré que la France a des atouts en Europe. Elle en a aussi pour l'Europe, puisque l'Europe délimite nos espoirs et nos ambitions. L'Europe se fait chaque jour sous nos yeux ou, plutôt, nous la faisons chaque jour. Depuis l'étape majeure qui a constitué l'Acte Unique, des décisions tout-à-fait fondamentales ont été prises ou sont près de l'être dans des domaines aussi importants que la reconnaissance mutuelle des diplômes, l'ouverture des marchés publics, les transports routiers et aériens, la libre prestation des services.
Certes, aujourd'hui, à mi-chemin de l'échéance 1992, il reste encore beaucoup à faire pour atteindre tous les objectifs que les gouvernements se sont assignés par l'Acte Unique.
Nous sommes au milieu du gué. Certains trouvent maintenant que l'eau devient bien froide et attendent chaque hésitation, chaque interrogation pour dire que la rive est de plus en plus lointaine.
Laissez-moi faire deux observations :
- 1992, c'est une logique d'ensemble. L'Acte Unique a défini six objectifs pour la relance : le marché intérieur, la capacité monétaire, la politique sociale, la cohésion économique et sociale, la recherche et le développement technologique, l'environnement.
Tout se tient.
Maintenant que nous avons décidé la libération des mouvements de capitaux, c'est pour nous une nécessité impérieuse que de renforcer le système monétaire européen et de mettre en place une politique monétaire commune vis-à-vis du yen et du dollar.
En même temps que nous ouvrons aux entreprises des libertés nouvelles, il nous faut encore construire cette Europe sociale qui, selon l'expression du Conseil Européen de Hanovre, doit profiter à tous les citoyens de la Communauté, en termes d'emploi et de démocratie économique et relancer le dialogue social, cette fois-ci au niveau européen.
Selon le voeu du Président de la République, nous allons édifier l'Europe de la culture, sans laquelle pour nos jeunes, pour nos opinions, 1992 ne serait qu'un projet froid et technocratique.
Cet espace sans frontières que nous organisons, il nous reste à le situer dans le monde. En supprimant définitivement tout protectionnisme à l'intérieur de nos frontières, nous n'entendons pas le renforcer à l'extérieur. Mais ces potentialités nouvelles que nous offrons à nos partenaires, comment pouvons-nous les trouver aussi, sur leurs propres marchés ?
Cette richesse accrue que nous attendons du grand marché, comment la concrétiser en un regain de solidarité avec les exclus de notre Société comme avec le Tiers Monde ?
- 1992 ce n'est pas d'un coup de baguette magique au soir du 31 décembre, les frontières qui s'effondrent et le grand marché qui apparaît.
C'est une construction continue, hier, aujourd'hui, demain, un effort méthodique et collectif des gouvernements. Toute libéralisation, toute suppression de frontières appelle d'abord la définition de règles du jeu claires et dynamiques et un partage équilibré des contraintes et des sacrifices.
Je fais confiance à l'avenir. Mesurer la distance qui nous reste à parcourir, connaître l'ampleur des enjeux, ce n'est pas renoncer aux objectifs, c'est au contraire accroître la détermination d'y parvenir et se donner les moyens de les atteindre.
Cette méthode-là, nous l'avons, nous Français, nous Européens, héritée de Jean Monnet, nous continuerons à l'appliquer pour le succès de 1992.
Mesdames, Messieurs,
Il en est de la construction européenne comme de l'évolution qu'elle nécessite pour la France. A trop vouloir discourir sur de grandes réformes symboliques, on court le risque de susciter des crispations et des conflits. Travailler, apporter des réponses concrètes, réfléchies et concertées aux vraies questions qui se posent, utiliser au mieux les possibilités dès qu'elles existent, voilà le principe qui guide mon action. Je ne vous ai pas offert, ce soir, d'envolées lyriques : si vous en éprouviez quelque déception, j'aurais le sentiment d'avoir bien travaillé.