Déclaration de M. Michel Rocard, Premier ministre, sur l'agriculture guyanaise, les réfugiés politiques du Surinam et la réhabilitation du passé guyanais, Saint-Laurent-du-Maroni le 7 avril 1990.

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Circonstance : Déplacement officiel en Guyane du 6 au 8 avril 1990

Texte intégral

Monsieur le Député-Maire,
Votre commune et son arrondissement s'identifient pleinement à l'Histoire contemporaine de la Guyane.
Il n'est du pouvoir de personne de faire que ce qui s'est passé ici même au siècle dernier et encore au début de ce siècle n'ait pas eu lieu. Le sol, les pierres, les arbres, le fleuve, les paysages de cette région en portent encore, même en filigrane, le témoignage.
Vous avez choisi, M. le Député-Maire, d'assumer cette histoire et de la valoriser, de faire en sorte que ce qui était hier l'une des "portes de l'Enfer" soit aujourd'hui un lieu d'accueil et d'hospitalité. Vous avez eu raison. Et l'Etat vous a suivi puisque le camp de la Transportation a été classé à l'inventaire du patrimoine national en 1986, et qu'en 1988 un plan de réhabilitation a été élaboré.
Aujourd'hui, votre commune s'est rendue propriétaire du camp de la Transportation et les travaux de réhabilitation peuvent donc commencer. L'Armée vous apportera son concours, à travers une unité du Service militaire adapté, pour le nettoyage du terrain. Pour le reste, s'il faut revoir ou étaler dans le temps la participation de votre commune, dont je connais les difficultés financières, je n'y suis pas opposé.
M. LACROIX, préfet de la Guyane, explorera cette question avec vous et les autres collectivités locales, et fera au Ministre des DOM-TOM des propositions pour que la rénovation du camp de la Transportation s'engage dès cette année.
Assumer son histoire, ce n'est pas regarder vers le passé, c'est se tourner vers l'avenir. J'ai bien entendu, M. le Maire, votre souhait de voir SAINT-LAURENT-DU-MARONI et son arrondissement se développer sur le plan économique et j'ai été attentif aux projets que vous avez évoqués.
Le programme de solidarité du Plan Phèdre est une des réponses possibles à vos préoccupations. Le Plan Phèdre, qui doit beaucoup aux initiatives du Président du Conseil Général, est destiné à permettre une meilleure intégration de l'activité spatiale dans l'économie et la société guyanaises. Cela concerne les communes les plus proches du Centre Spatial Guyanais, bien entendu, mais cela doit aussi bénéficier à l'ensemble des communes du département. C'est le sens de ce programme de solidarité.
Parlons vrai, M. le Député-Maire : vous êtes de ceux qui ont accueilli, disons avec scepticisme, ce Plan Phèdre. Mon souhait est de vous montrer, par l'action qui sera conduite au cours des années à venir, que vos réserves n'étaient pas justifiées. Car je suis sûr que le Président du Conseil Général aura une volonté identique à la mienne. Et je voudrais dire ici, qu'au-delà des divergences politiques qui sont légitimes puisque nous sommes, et c'est notre fierté, un pays démocratique, nous sommes tous des élus de la République, et nous devons avoir le souci de travailler ensemble pour la justice sociale et le développement, le progrès et la solidarité !
Je voudrais dire un mot, à ce sujet, du développement de l'agriculture. J'ai pu survoler en venant les exploitations rizicoles de MANA et je regrette que mon emploi du temps ne m'ait pas permis de m'y arrêter, car j'aurais voulu pouvoir saluer plus longuement ce qui est aujourd'hui une incontestable réussite.
J'étais Ministre de l'Agriculture quand ont été prises les décisions qui, au-delà des premières expériences des années 1980, ont fait le pari d'une renaissance de la riziculture en Guyane. Quand on est Ministre, on voit souvent passer des dossiers que l'on perd de vue par la suite, et il est rare que l'on ait la chance de voir la concrétisation réussie de projets que l'on a aidés, soutenus, encouragés !
Aujourd'hui, avec plus de 16.000 tonnes sur 2.000 hectares, le riz est le troisième produit d'exportation de la Guyane française. Il a redonné vigueur au bourg et à la commune de MANA. Il a permis d'offrir des perspectives à SAINT-LAURENT-DU-MARONI, et j'ai bien noté, M. le Député-Maire, votre souhait de voir le port de SAINT-LAURENT retrouver davantage d'activité. L'exportation de riz est assurément un des débouchés qui peuvent être trouvés.
L'unité de production de semoule de manioc de l'UTAP, que j'ai pu visiter rapidement, témoigne aussi des capacités de développement des industries agro-alimentaires dans ce département. Je sais qu'il y a eu dans le passé beaucoup de projets, beaucoup d'expériences et beaucoup de désillusions, et que par conséquent, il faut être prudent.
L'exemple du riz, l'exemple des cultures maraîchères des H'Mongs montrent qu'il n'y a pas de fatalité de l'échec. Ces exemples doivent donner confiance aux producteurs de manioc pour qu'ils alimentent cette unité de transformation moderne et performante.
Un dernier mot, sur ces questions agricoles : en arrêtant en septembre 1989 un plan de modernisation de l'agriculture, après une large concertation avec les professionnels et les élus locaux, le Gouvernement a fait ce qui était de son devoir et de sa responsabilité pour permettre un redémarrage de ce secteur économique.
Des mesures de reconversion pour ceux qui souhaitaient arrêter leur activité, un allègement du passif et de la trésorerie pour les plus endettés, la possibilité de nouveaux prêts pour moderniser l'outil de production, la création d'un fonds de garantie ont été décidés.
Pour que ce plan se concrétise, il faut maintenant que la banque lui apporte son concours effectif et marque sa confiance dans l'agriculture guyanaise - ce qui lui sera d'autant plus facile, j'imagine, que la garantie de l'Etat lui est acquise.
Je voudrais maintenant, M. le Député-Maire, aborder un problème grave et douloureux que vous avez également évoqué, celui des personnes déplacées du Surinam et qui, depuis bientôt quatre ans, sont hébergés provisoirement dans des camps en Guyane française.
Je tenais, au cours de ma visite en Guyane, à me rendre auprès de ces personnes déplacées, ce que je viens de faire en visitant le camp de l'ACAROUANY.
A nos côtés, M. le Député-Maire, se trouvait également une délégation du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, conduite par M. Gordon LENNOX, coordonnateur pour l'Amérique Latine.
Je reviendrai sur l'importance de sa présence, que j'avais moi-même souhaitée.
Je mesure la charge que représente pour votre région le séjour sur son sol, prolongé depuis 1986, de plusieurs milliers de réfugiés.
Je sais les difficultés qui en découlent, sur le plan matériel, sur le plan social et parfois même sur le plan de la sécurité, pour la population des communes concernées et pour leurs responsables.
Je voudrais donc ici rendre un hommage solennel à tous les Guyanais et à leurs élus, ainsi qu'aux autorités civiles et militaires du département, pour l'accueil qu'ils ont réservé à des populations civiles qui fuyaient la guerre et son cortège de violences et de misères.
A travers eux, c'est la France toute entière qui s'honore une nouvelle fois de ses traditions d'asile et de protection.
Alors qu'une véritable guerre civile déchirait le pays voisin, des hommes, des femmes et des enfants se sont trouvés contraints à l'exil.
Il fallait les accueillir et leur offrir des moyens d'existence dignes en attendant que, la paix revenue dans leur région d'origine, ils puissent regagner leurs villages et reprendre une vie normale.
En faisant cela, notre pays a agi conformément à sa tradition et à sa vocation de puissance pacifique. Il a porté secours à ceux qui en avaient besoin, quand ils en avaient besoin et là où ils en avaient besoin.
Mais il n'a aucunement choisi de s'immiscer ou d'être mêlé à un conflit qui ne le concerne en rien.
A aucun moment. la France n'a considéré que cet état de fait pourrait se prolonger au-delà d'un délai raisonnable. Ce délai est aujourd'hui passé.
Je le dis bien haut : la France a fait son devoir, mais elle n'entend pas que s'installent définitivement sur son sol, dans des conditions précaires, des populations durablement déracinées.
Ce ne serait d'ailleurs pas l'intérêt du Surinam, dont nul ne peut croire qu'il aurait avantage à laisser se dégrader une situation intérieure qui interdit tout espoir de développement et coupe le pays de la communauté internationale.
Et qui pourrait comprendre qu'un pays poursuive longtemps une politique qui le conduirait à négliger - voire à abandonner - une partie de sa propre population ?
De plus, toute idée de prolonger la situation actuelle serait également contraire aux intérêts des personnes déplacées elles-mêmes, dont le mode de vie traditionnel a été bouleversé par leur départ du Surinam, comme par leur séjour dans les camps.
Si des conditions de vie aussi correctes que possible, et dignes, leurs sont assurées ici - j'ai pu moi-même m'en rendre compte -, il n'est pas raisonnable de penser que peuvent leur être garanties les mesures indispensables à leur développement économique, social et culturel comme à leur bien-être individuel.
Je le répète donc avec force : il est grand temps que ces hommes, ces femmes et ces enfants retrouvent avec leurs villages et leurs maisons, leur liberté et leur véritable identité.
Mais nous savons aussi que dans des situations pareilles il est difficile pour les réfugiés de surmonter la peur qui les a fait fuir.
C'est pourquoi, depuis bientôt deux ans, mon Gouvernement n'a pas ménagé ses efforts pour contribuer au retour de la paix au Surinam.
Notre chargé d'affaires à PARAMARIBO, ici présent, peut témoigner de la constance de notre action visant à promouvoir une réconciliation nationale sans exclusive, seule à même de garantir une paix civile durable.
Nous avons agi avec un souci permanent de non-ingérence, de respect de tous nos interlocuteurs et de préservation des fondements d'une politique de bon voisinage.
Vous savez qu'à notre initiative et avec notre assistance, des conversations de paix se sont tenues à KOUROU en juillet dernier.
Elles ont abouti à un accord et ouvert un processus de retour à la normale au Surinam.
Pourtant, ce processus reste inachevé et j'entends dire aujourd'hui que du fait de difficultés entre différentes autorités du pays, les accords passés ne pourraient être appliqués.
Je le déplore. Et je ne l'accepte pas.
Je tiens à réaffirmer ici que la France ne saurait comprendre que des délais supplémentaires soient exigés pour engager la mise en oeuvre des accords de KOUROU.
Le Gouvernement français croit à la sincérité du Surinam lorsque ce dernier affirme sa volonté de respecter ses engagements.
Le moment est donc venu pour lui de passer des paroles aux actes.
Il reste, et c'est un fait essentiel, que les affrontements qui se déroulaient de l'autre côté du Maroni ont cessé.
Nous pouvons donc, dès maintenant, envisager le retour dans leur région d'origine des personnes déplacées présentes en Guyane.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement français s'est rapproché du Haut Commissariat aux Réfugiés.
En plein accord avec lui, nous avons défini les conditions dans lesquelles les Surinamiens volontaires pour un retour pourraient bénéficier d'une assistance et d'un soutien matériel et financier.
Il ne suffit pas en effet que les réfugiés rentrent dans leurs villages. Il faut qu'ils y disposent de moyens de subsistance suffisants et de garanties de sécurité fiables.
Il s'agit pour eux d'y retrouver des raisons de croire et d'espérer en leur propre pays.
Pour y parvenir, il est indispensable que le Gouvernement Surinamien s'engage, résolument et durablement, aux côtés du Haut Commissariat aux Réfugiés. C'est de PARAMARIBO en effet que dépend l'essentiel.
La réunion, il y a quelques jours au Surinam, de la commission tripartite sur les réfugiés semble en avoir tracé la voie.
Il faut maintenant que les experts du Haut Commissariat aux Réfugiés puissent accéder aux sites de réinstallation et y travailler librement afin de mettre en place les premiers projets de développement.
Il faut aussi qu'ils puissent y emmener les responsables des camps afin que les volontaires au retour soient pleinement rassurés sur leur avenir au pays.
De notre côté, nous ne resterons pas inactifs.
En accord avec le Haut Commissariat aux Réfugiés, et conformément aux conventions internationales auxquelles la France est partie, le Gouvernement définira un statut provisoire s'appliquant aux réfugiés dès le début du processus devant aboutir à leur retour au Surinam.
En outre, les autorités civiles et militaires du département se mobiliseront pour soutenir, en Guyane, les personnels du H.C.R., et le Gouvernement dégagera les crédits nécessaires pour faciliter leurs efforts au Surinam.
A cet effet, nous avons déjà repris contact avec certains de nos amis de la Communauté Européenne et avec l'organisation des Nations Unies.
Je me suis d'ailleurs moi-même entretenu du problème, au début de la semaine, avec son Secrétaire Général, M. PEREZ de CUELLAR et avec le Premier ministre des Pays-Bas, mon ami Rund LUBBERS.
Tout est donc prêt pour que s'engage enfin le processus de retour volontaire des Surinamiens réfugiés en Guyane.
Quelles que soient les difficultés, ce processus devra être conduit à son terme.
Le Gouvernement s'y engage en tout cas aujourd'hui par ma voix, et avec une détermination dont personne ne saurait douter.
Voilà, M. le Député-Maire, le message que je voulais vous apporter pour confirmer à vos concitoyens, que même à sept mille kilomètres de distance, le Gouvernement est attentif au développement de la Guyane, de toute la Guyane, qui reste et qui entend rester, dans un environnement régional souvent troublé, une terre de paix, de prospérité et de progrès dans la justice.
Vive SAINT-LAURENT-DU-MARONI !
Vive la République !
Vive la France !