Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "France Inter" le 14 août 2015, sur le maintien des priorités budgétaires du gouvernement.

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Média : France Inter

Texte intégral

PIERRE WEILL
Notre invité ce matin, Michel SAPIN, le ministre des Finances et des Comptes publics. Bonjour Monsieur SAPIN.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
PIERRE WEILL
Croissance zéro au deuxième trimestre, en France, qu’est-ce qui n’a pas marché ?
MICHEL SAPIN
On vient de parler des statistiques chinoises, les statistiques françaises sont évidemment le reflet de la vérité, elles sont établies par un organisme indépendant, l’INSEE. Si on veut regarder cette vérité il faut regarder d’ailleurs les deux chiffres successifs, celui du premier trimestre…
PIERRE WEILL
0,6 %.
MICHEL SAPIN
Qui a été révisé, à l’instant, à 0,7 %, et le chiffre du deuxième trimestre qui est la stabilité, et donc, si on veut regarder les choses en face il faut regarder de combien la France a vu croître sa richesse, au premier semestre de cette année, c'est-à-dire de l’ordre de 0,7 %, exactement comme l’Allemagne. On vient d’avoir à l’instant les chiffres de l’Allemagne, exactement comme l’Allemagne. C’est vrai que le chiffre du deuxième trimestre, comme ça, peut paraître décevant, moi j’aurai préféré 0,1 ou 0,2 % de croissance, mais comme…
PIERRE WEILL
Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
MICHEL SAPIN
On était monté très très haut au premier trimestre, et on a continué à rester à ce niveau, très élevé, au deuxième trimestre. Ce que je constate, simplement, c’est que nous avons ce qu’on appelle, ce que les statisticiens appellent un « 0,8 % d’acquis de croissance. » Pour le dire autrement, même s’il ne se passe plus rien – ce qui ne sera pas le cas – nous avons, aujourd'hui, acquis 0,8 % de croissance au cours de cette année 2015. C’est la première fois, depuis 3 ans, que nous avons un chiffre de cette nature. Ce qui veut dire quoi ? Ce qui veut dire qu’au-delà des à-coups d’un trimestre sur l’autre, la France est en reprise d’activité, la France est en reprise de croissance, et nous avons absolument besoin de cette croissance. Je pense que vous vous en souvenez, moi j’avais fixé comme objectif de croissance, pour 2015, 1 %, cet objectif de 1 % sera atteint. C’est beaucoup plus que les années précédentes, mais c’est encore insuffisant, c’est pour ça qu’il faut continuer.
PIERRE WEILL
Insuffisant pour faire baisser le chômage ?
MICHEL SAPIN
Insuffisant en termes de reprise de l’investissement, même si l’investissement reprend, là, dans les derniers chiffres l’investissement des entreprises reprend. C’est indispensable. Vous ne pouvez pas créer des emplois si vous n’avez pas de l’investissement supplémentaire, s’il n’y a pas des machines supplémentaires, s’il n’y a pas, d’une manière ou d’une autre, une capacité pour ces entreprises à embaucher en plus. Donc, l’investissement a repris. Mais pour que le chômage recule vraiment, recule sûrement, pas simplement un mois par rapport à un autre, oui, il faut une croissance supérieure à 1 %, et c’est ce que nous visons, bien entendu, vers la fin de l’année, et l’année prochaine, puisqu’il faudra à peu près 1,5 % de croissance. Pour l’instant tous ces chiffres, qui sont des chiffres un peu éloignés des gens, ce sont des chiffres qui correspondent aux objectifs que nous nous sommes fixés, avec ces chiffres le chômage reculera.
PIERRE WEILL
Chômage, une baisse crédible, vous y croyez à partir de quand, précisément ?
MICHEL SAPIN
Je ne veux pas qu’on recommence avec ce qu’on nous a beaucoup reproché, je peux comprendre qu’on nous l’ait reproché, en fixant une date, en disant « à la fin de cette année il y aura une inversion de la courbe, ou de ceci, ou de cela. » Tout l’objectif, de notre politique, c’est de faire en sorte que les entreprises soient plus fortes, aient plus de capacités pour investir, de manière à ce qu’elles créent des emplois, c’est ça l’objectif. D’ailleurs, si vous regardez des chiffres qui vont tomber…
PIERRE WEILL
Et franchement, vous y croyez ce matin, avec une croissance nulle, 0 pour le deuxième trimestre en France ?
MICHEL SAPIN
Il faut faire attention aux chiffres. Si vous dites croissance nulle, vous allez donner le sentiment d’une France à l’arrêt, la réalité n’est pas celle-là. La réalité c’est que vous êtes à un niveau, pour le premier semestre, qui est de 0,7, 0,8 %, au-dessus de celui de l’année précédente. C’est la première fois, je reviens sur ce point. On a 2012, quasiment 0 de croissance, 2013, quasiment 0 de croissance, 2014, 0,2 % de croissance, avec des chiffres comme ça, le chômage ne peut qu’augmenter. C’est la première fois, la première année, que la croissance reprend en France, c’est ça qu’il faut regarder en face.
PIERRE WEILL
Les économistes disent que pour faire baisser le chômage il faudrait une croissance de 1,5 %, on en est loin.
MICHEL SAPIN
On est sur le chemin. On n’y est pas encore, mais on est sur le chemin. Les économistes d’ailleurs disaient, il y a 10 ans, qu’il fallait 2,5 % de croissance, ils sont arrivés aujourd'hui à 1,5 % de croissance, je crois qu’ils ont raison, c’est à peu près le chiffre qu’il convient d’atteindre. Nous serons, je pense, à la fin de cette année, sur un rythme de cet ordre-là, 1,5 % de croissance. C’est pour ça qu’il faut continuer les politiques qui sont les nôtres, parce que tout ça ne tombe pas du ciel, tout ça ne tombe pas uniquement par hasard, on a mis en place ce qu’on appelle le CICE, on a mis en place le Pacte de responsabilité, c'est-à-dire des capacités données aux entreprises pour investir et ensuite embaucher.
PIERRE WEILL
Donc, pas de changement de politique. Vous le savez, Michel SAPIN, le Parti socialiste a adopté fin juillet un rapport demandant une inflexion de la ligne économique du gouvernement en faveur des ménages et des collectivités, par exemple avec des baisses d’impôts pour relancer la consommation, ça pourrait peut-être relancer la croissance. Est-ce que vous allez changer ?
MICHEL SAPIN
Il est parfaitement légitime de s’interroger sur quel est le meilleur moyen pour faire qu’il y ait plus d’investissements et plus d’emplois, c’est notre objectif à tous, et c’est tout à fait normal que, les uns ou les autres, dans la majorité ou dans l’opposition, fassent des remarques sur ce point. Mais il y a une chose dont je suis certain, c’est que si nous voulons réussir, il ne faut pas zigzaguer, il ne faut pas changer tout le temps de politique. Changer tout le temps de politique c’est la certitude de donner le tournis aux acteurs économiques et aux chefs d’entreprise, et à partir de là de n’obtenir aucun résultat. Donc, la première des priorités c’est de maintenant le cap. Nous avons une politique qui permet de redonner aux entreprises, année après année, de l’ordre de 10 milliards de capacités d’investissement, leurs comptes sont en train de se redresser, ce qu’on appelle leurs marges, sont en train de se redresser, ce n’est pas le moment d’arrêter. Qu’il faille infléchir…
PIERRE WEILL
On peut maintenir le cap et ajuster.
MICHEL SAPIN
Absolument. Qu’il faille infléchir, ajuster, essayer de faire en sorte que les mesures soient les plus efficaces possible, qu’elles permettent le plus possible la reprise de l’investissement et le plus possible la reprise de l’emploi, ça c’est légitime, mais, par contre, je ne suis pas favorable à ce que l’on vienne prendre, si je puis dire, sur ce qui était destiné aux entreprises, pour le transformer en baisses d’impôts pour les ménages. Cette année, oui. Je vous rappelle que là, en ce moment, arrivent, ou plus exactement n’arrivent plus, pour certains, des feuilles d’impôts, qui sont à la baisse et parfois même à la suppression de l’impôt sur le revenu. Est-ce que vous savez qu’il y a, en ce moment, 9 millions de ménages, français, qui voient, sur leurs avis d’imposition, leur impôt baisser, ou même être supprimé ? C’est plus de 2 milliards de pouvoir d’achat supplémentaire, dont les Français vont se rendre compte, là, maintenant, et c’est, évidemment, un effort utile en faveur des ménages.
PIERRE WEILL
Michel SAPIN, y aura-t-il, dans le budget 2016, de nouvelles baisses d’impôts ?
MICHEL SAPIN
Je pense qu’il faut déjà que nous essayons de conforter les objectifs qui sont les nôtres. Nos objectifs aujourd’hui c’est quoi ? Financer les priorités de la Nation. Priorité de la Nation, la sécurité, nous avons augmenté les budgets sécurité, pour lutter contre le terrorisme, à l’intérieur comme à l’extérieur de la France. La priorité c’est l’éducation et la jeunesse, nous continuons à augmenter les budgets de l’éducation et de la jeunesse et, en particulier, de l’Education nationale avec des créations de postes de professeurs supplémentaires. Il faut aussi continuer à diminuer nos déficits. Là, cette année, en 2015, je me suis fixé un déficit de 3,8 %, c’est mieux que ce que nous demande la Commission, nous allons atteindre ce déficit de 3,8 % par rapport au PIB, c’est la première fois depuis des années et des années que nous allons atteindre notre objectif. Donc il faut financer la baisse de nos déficits et il faut continuer à financer la baisse des charges pour les entreprises. C’est ça la clé de notre politique et ça qu’il faut continuer à faire.
PIERRE WEILL
Donc pas de nouvelles baisses d’impôts en 2016 ?
MICHEL SAPIN
Nous verrons en 2016, où nous en serons, mais moi je ne veux pas tirer d’échec sur l’avenir, je ne veux pas annoncer, aujourd'hui, des décisions que nous ne serions pas capables de prendre ou de tenir en toute responsabilité. Il y a déjà un effort considérable, là, pour 9 millions de foyers fiscaux, c’est ça qui va être, je dirais l’actualité fiscale de cette rentrée, 9 millions de foyers, sur 37 millions, 9 millions de foyers qui voient leurs impôts diminuer, c’est déjà beaucoup.
PIERRE WEILL
Michel SAPIN, que pensez-vous de l’accord sur un plan d’aide globale à la Grèce de 86 milliards d’euros sur 3 ans, en contrepartie elle doit mener de nombreuses réformes structurelles, vous approuvez ce plan ?
MICHEL SAPIN
Oui, c’est un plan pour lequel nous nous sommes beaucoup battus, vous le savez, le président de la République, François HOLLANDE, le Premier ministre, moi-même, dans de très très nombreuses réunions, au cours des mois de mai, juin, début juillet, jusqu’au 13 juillet, nous nous sommes battus pour faire adopter le principe de ce plan. Là, nous sommes passés du principe aux modalités de mise en oeuvre de ce plan, nous allons devoir l’examiner cet après-midi…
PIERRE WEILL
A Bruxelles.
MICHEL SAPIN
C’est la solidarité, les 85 milliards, c’est la solidarité que nous devons à la Grèce, pour permettre à l’ensemble de la zone euro de retrouver de la stabilité, de la confiance, et y compris à notre économie française, d’être dans la confiance.
PIERRE WEILL
Il n’y aura plus de plan d’aide à la Grèce, c’est le dernier ?
MICHEL SAPIN
C’est toujours très difficile de le dire ainsi, en tous les cas, ce plan, il est conçu pour réussir. Mais, je disais ça c’est la solidarité, la solidarité ça ne marche qu’avec la responsabilité, et le gouvernement grec en ce moment, je le dis clairement, prend ses responsabilités. Prend totalement ses responsabilités, comme jamais aucun gouvernement, en Grèce, n’a su, jusqu’à présent, prendre ses responsabilités, dans la décision de faire des économies, dans la décision – certains diraient « enfin ! » - de percevoir l’impôt, dans la décision de mettre en oeuvre des réformes qui soient des réformes en profondeur, pour permettre à l’économie grecque de reprendre son activité.
PIERRE WEILL
Michel SAPIN, pourquoi on ne dit pas franchement que la Grèce ne pourra jamais rembourser sa dette et qu’il faudra en effacer une grande partie ?
MICHEL SAPIN
Parce que ce n’est pas exact, par contre il est exact qu’il est nécessaire de reprofiler, de retravailler, la dette grecque. Il faut faire attention, il y a une différence entre…
PIERRE WEILL
Reprofiler ?
MICHEL SAPIN
Oui, je vais vous expliquer. Si je vous dis, vous avez acheté un appartement, je vous dis « voilà, on va annuler votre dette », vous allez être tout content, vous allez dire « tiens, j’ai eu mon appartement gratuit », mais enfin, ceux qui vous auront prêté de l’argent, eux, ne seront peut-être pas tout à fait contents. Je rappelle que ceux qui ont prêté de l’argent, ceux qui vont prêter de l’argent, à la Grèce, c’est vous et moi, ce sont les contribuables européens, ce n’est pas un méchant banquier, venu de nulle part, et qui veut faire de l’argent sur le dos de la Grèce, non, c’est la solidarité qui est arrivée là. Donc, nous devons dire aux Grecs « ce que vous avez emprunté, vous devrez le rembourser », mais pas dans n’importes quelles conditions.
PIERRE WEILL
Intégralement ?
MICHEL SAPIN
Pas dans n’importes quelles conditions. Dans un prêt il y a des intérêts, je pense qu’il faut que ces intérêts soient le plus faibles possible et le plus tard possible. Dans un prêt il y a des échéances, à quelle date doit-on le rembourser, et ça je pense qu’il faut l’aménager, pour que cela permette à la Grèce de retrouver de la respiration, de l’oxygène, de l’activité. Parce que, en Grèce, comme ailleurs, ils ne s’en sortiront que par la croissance retrouvée et par l’emploi.
PIERRE WEILL
Sur combien de temps ?
MICHEL SAPIN
C’est des choses dont nous aurons à discuter au cours du mois d’octobre, c’est la contrepartie nécessaire, légitime, des efforts que, aujourd'hui, la Grèce est en train de voter.
PIERRE WEILL
Michel SAPIN, le ministre des Finances, est notre invité ce matin, il reste avec nous dans ce studio pour répondre à vos questions, et à d’autres questions de la rédaction.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 août 2015