Déclaration de M. Michel Rocard, Premier ministre, sur l'insertion des personnes âgées, l'âge de la retraite et les personnes âgées dépendantes, Paris le 24 novembre 1989.

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Circonstance : Inauguration du salon "Retraite action" organisé par le magazine "Notre temps", à Paris le 24 novembre 1989

Texte intégral

Monsieur le ministre,
Monsieur le directeur-général
chers amis,
Je retiens de cette manifestation que vous avez su organiser avec talent, l'expression d'une extrême vitalité du monde des retraités dont les initiatives sont, à l'évidence, riches et foisonnantes.
Ce que vous nous montrez ici, ce que vous nous prouvez, c'est que le passage de la vie dite active à l'âge de la retraite n'est pas, ne doit pas être, synonyme de retrait social, de dépérissement individuel, de perte de richesse collective.
La démonstration est rassurante et porteuse d'espoir.
Notre société est en effet confrontée à un phénomène démographique sans précèdent dans notre histoire. Les plus de 60 ans sont aujourd'hui 10 millions, ils seront 12 millions dans 10 ans et près de 15 millions en l'an 2 000.
Il faut y voir le résultat d'un progrès social considérable, lié à l'amélioration des conditions de vie et de l'état de santé de la population.
Mais, à l'évidence, cette mutation pose à notre société de redoutables problèmes.
Tout d'abord, celui de l'intégration des retraités dans la vie sociale.
Ce que d'aucuns appellent les "nouveaux vieux" revendiquent une place nouvelle dans la société et l'exigence de leur reconnaissance est plus forte. Votre salon en témoigne. L'ensemble de la collectivité est interpellée.
Ensuite, celui de l'accueil et du soutien des personnes âgées dépendantes. Elles sont au nombre d'un million aujourd'hui. Elles seront sans doute le double dans 20 ans.
C'est un véritable défi auquel notre système de solidarité et de santé doit faire face et chacun d'entre nous est concerné.
Qui n'a pas un parent, un ami qu'il faut accueillir, soigner, accompagner au crépuscule de l'existence ?
Il nous appartient donc de prendre en compte ces réalités dans la conduite d'une politique publique de solidarité active à l'égard des plus âgés d'entre nous.
Cette politique ambitieuse de la vieillesse, je voudrais en rappeler rapidement les grandes lignes.
Mais tout d'abord, permettez-moi de faire une mise au point.
J'entends dire, ici et là, que le Gouvernement, à l'occasion de telle ou telle affaire, entend revenir sur le principe de la retraite à 60 ans.
Je n'imagine pas que la société française soit prête à toucher à ce droit, même s'il est de plus en plus clair que la retraite à 60 ans n'est pas toujours bien conforme à une bonne « gestion » de l'avancée en âge.
N'est-il pas souhaitable de favoriser une transition plus harmonieuse entre vie professionnelle et retraite, par exemple par la cessation progressive de l'activité ?
L'allongement de la durée de vie et l'amélioration générale du niveau de vie et de santé ne permettent-ils pas de travailler plus longtemps ?
La retraite à 60 ans n'est pas et ne doit pas devenir, en droit ou en fait, une obligation. C'est aujourd'hui clairement un droit, et le Gouvernement ne le remet pas en question.
Il reste que l'avenir de nos régimes de retraite suppose que la société française s'interroge collectivement sur les voies et moyens de leur pérennisation et, en particulier, sur la répartition des efforts nécessaires entre les actifs et les retraités.
De nombreux travaux et études d'experts ont dressé le constat et proposé des pistes d'action. C'est aujourd'hui à la société civile de s'exprimer sur ce sujet, tout autant qu'au Gouvernement.
Nous,aurons donc à en débattre le moment venu. S'il n'y a heureusement pas en ce domaine d'urgence extrême, il nous faut prendre garde cependant à préserver l'avenir et nous nous y emploierons.
I. La retraite est un droit : elle reste une liberté à investir
Les attentes des retraités sont nombreuses.
La perspective de la retraite est synonyme, pour beaucoup, comme nous le montrent les enquêtes d'opinion, d'aspirations à l'épanouissement personnel, à la multiplication des temps de loisirs et des temps de repos, à l'amplification des relations familiales et sociales.
Cette perception positif de la retraite est largement liée à l'amélioration du niveau de revenu moyen des retraités. Celui-ci a progressé de plus de 40 % en 15 ans.
Elle l'est sans doute également en raison du formidable développement, ces dernières années, de l'insertion des retraités dans la vie sociale.
On a assisté à un foisonnement associatif, dû à un investissement croissant des retraités, soit dans des associations à caractère général, soit dans des associations spécifiques du type des clubs de personnes âgées.
Mais je ne suis pas certain aujourd'hui que le potentiel d'énergie et de bonne volonté des personnes retraitées soit pleinement utilisé et que celles-ci soient satisfaites du degré de reconnaissance sociale qu'elles reçoivent.
Je ne peux donc que m'associer à votre message : la société a besoin de ses personnes âgées. Il faut renverser cette idée que la société n'a rien à attendre ou trop peu de ses retraités.
Je vois au moins trois raisons qui doivent conduire les collectivités publiques à favoriser concrètement cette transformation des mentalités.
Premièrement, les personnes âgées représentent un potentiel de solidarité de voisinage extraordinaire entre personnes âgées elle-même, à l'exemple du bénévolat dans les maisons de retraite ou, pour les personnes dépendantes, dans des associations de garde à domicile.
Vous avez bien montré, ici, l'importance de ces soutiens.
Ceux-ci peuvent être également inter-générationnels, qu'il s'agisse de la garde d'enfants, de l'alphabétisation, ou du soutien scolaire.
Je me souviens, qu'il y a un an, lorsque la loi sur le Revenu Minimum d'Insertion est entrée en application, c'est une grande organisation syndicale qui a proposé que ses jeunes puissent participer ainsi à l'action de solidarité en faveur des plus démunis.
Ensuite, je n'oublie pas que les personnes âgées représentent un potentiel de qualification et de savoir faire qui peut être valorisé notamment dans des activités ou au profit de besoins sociaux non directement solvables.
Trop souvent malheureusement ces dernières années, la politique de l'emploi s'est traduite par une perte de substance et de savoir faire dans les entreprises, sans que celui-ci puisse être valorisé à l'extérieur.
J'ai bien observé, au hasard des stands que nous avons visité, qu'il était possible d'utiliser ces compétences et ce volontariat au service de nobles causes.
Il y certes un problème de financement du volontariat. Les collectivités publiques peut être, les entreprises et le mécénat sans doute, devront dans les prochaines années s'engager plus activement dans ce domaine.
C'est le prix à payer pour une intégration dynamique, source de richesse collective et d'épanouissement personnel.
Troisième et dernier élément enfin, les personnes âgées sont la mémoire de notre société, notre ciment culturel.
J'ai remarqué avec intérêt que dans certains département, les retraités participaient à l'exercice de cette « mémoire vivante » sur l'Histoire, sur les conditions de vie, sur les conditions de travail d'une région ou d'un pays.
Une société ne peut vivre sans racines, et les personnes âgées sont nos racines. Ne l'oublions pas.
II. S'il nous faut donc agir de plus vigoureusement en plus activement pour que la cessation d'activité professionnelle n'aille pas de pair avec l'exclusion de la vie sociale, il nous faut faire en sorte également que la dépendance ne soit pas ultérieurement un autre facteur de rejet social.
Je disais tout à l'heure que la dépendance des personnes âgées est pour notre système de solidarité, pour notre système social, un des principaux défis des prochaines années.
600 000 personnes âgées très dépendantes nécessiteront en l'an 2000 une aide pluri-quotidienne ; 800 000 personnes âgées semi-dépendantes nécessiteront une aide pluri-hebdomadaire ; 500 000 personnes âgées seront occasionnellement dépendantes.
C'est dire l'ampleur des besoins à satisfaire et du chemin qu'il nous faudra parcourir, alors que les moyens sont déjà insuffisants, les modes de prise en charge parfois inadaptés à l'état sanitaire ou social de plus âgés.
Notre action s'oriente dans trois directions : d'une part, la diversification et l'accroissement des moyens du maintien à domicile.
Je vous rappelle que Monsieur le ministre chargé des personnes âgées a proposé au Parlement d'adopter une série de mesures visant à encourager la solidarité familiale et à maintenir les personnes âgées, notamment dépendantes, soit au sein de leur familles, soit dans des familles d'accueil.
Il s'agit pour l'essentiel de mesures d'exonération des charges sociales, ainsi que de mesures d'incitation fiscale.
Le Gouvernement accroit également l'effort en faveur de l'aide ménagère à domicile.
Ainsi, le fonds national d'action sociale de la Caisse nationale d'Assurance vieillesse progressera en 1990 de près de 7 % et permettra de faire face à une augmentation en volume de 3 % des heures d'aide ménagère, ainsi que de développement des actions nouvelles et innovantes.
Parallèlement, l'adaptation des établissements d'hébergement se poursuit.
Il faut en finir avec les hospices.
Je vous rappelle que j'ai engagé l'année dernière un programme de modernisation des hospices qui porte sur 50 000 lits, dont 35 000 seront modernisés d'ici à 1993 dans le cadre des contrats de plan entre l'Etat et les régions.
Enfin, nous avons décidé de sortir de la pénurie d'établissements médicalisés.
Nous allons ainsi créer des sections de cure médicale supplémentaires. Nous doublerons en 1990 le rythme des créations actuelles de 6 000 place par an grâce à une enveloppe supplémentaire de 350 millions de francs.
Dernier élément fondamental d'une politique d'hébergement, la réforme de la tarification des établissements devrait permettre une prise en charge cohérente et adaptée dans le même établissement jusqu'au dernier jour.
Ce problème sera examiné dans le cadre de la réforme hospitalière qui devrait venir en discussion au Parlement au printemps prochain.
Ce programme, comme vous le voyez, est consistant.
L'Etat, mais également et surtout les collectivités territoriales, notamment les départements, devront dans les prochaines années, accentuer cet effort et trouver les modes de financement adaptés à ce nouveau système de protection sociale.
Je voudrais, en conclusion, revenir sur l'importance pour notre société d'assurer une dynamique relationnelle entre générations.
Vous le savez, on agite souvent l'idée d'une guerre de générations ente les actifs, par exemple, qui supporteraient le poids des cotisations sociales et les retraités qui bénéficieraient de prestations.
Cette guerre serait avivée par l'éclatement des cellules familiales ou par les phénomènes de dé-cohabitation, les jeunes et les vieux ne se rencontrant plus.
Il nous faut nous garder prudemment des scénarios catastrophes, mais je suis profondément convaincu qu'il nous faut rester vigilants et simuler les échanges indispensables entre générations.Cet échange social est nécessaire. Il dépend de nous tous. Vous y contribuez et je vous en félicite.