Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec BFM TV le 24 août 2015, sur la lutte contre le terrorisme.

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Média : BFM TV

Texte intégral

Q - Nous sommes en direct avec Laurent Fabius, le ministre des affaires étrangères et du développement international. Bonsoir Laurent Fabius, merci beaucoup d'être en direct avec nous...
R - Avec plaisir.
Q - Vous ouvrez aujourd'hui la semaine des ambassadeurs, le rendez-vous traditionnel de la rentrée de la diplomatie française. À 100 jours de la COP21, la conférence sur le climat à Paris, vous avez innové dans ce rendez-vous, vous avez prévu par exemple des rendez-vous de speed-dating entre des ambassadeurs et des entrepreneurs pour développer la diplomatie économique, on va parler de toutes ces questions.
Q - Le terrorisme aujourd'hui est une menace permanente, est-ce que vous nous dites après l'attaque du THALYS : nous les Français, il faut qu'on apprenne à vivre avec maintenant ?
R ?- Là, que s'est-il passé ? Si j'avais à résumer, je dirais que le courage a évité le carnage. Et je veux - comme d'autres l'ont fait et ils ont eu raison - saluer le courage de tous ceux qui se sont interposés, qui est un courage magnifique. Mais la menace existe, elle existe dans tous les pays et donc elle existe aussi en France. Et il faut à la fois que l'État - il le fait à travers les actions du ministère de l'intérieur - fasse tout ce qu'il faut pour déjouer les réseaux - souvent ce sont des réseaux internationaux - et en même temps, il faut qu'il y ait une vie de vigilance individuelle. Bernard Cazeneuve l'a dit plusieurs fois, et je partage tout à fait son sentiment, là nous sommes dans une situation où il y a des menaces internationales, il n'y a quasiment aucun pays qui est épargné, et la France non plus n'est pas épargnée. Mais cela ne nous empêche pas de mettre tout en oeuvre pour limiter au maximum possible les risques.
Q - Chaque fois qu'on parle de fouilles aléatoires, quelqu'un dit «cela risque d'être discriminatoire, moi je préfère qu'on discrimine effectivement pour être efficace plutôt que de rester spectateur», voilà ce qu'a dit le secrétaire d'État aux transports, Alain Vidalies aujourd'hui pour justifier des fouilles plus fréquentes, par exemple dans les trains. Cela a beaucoup choqué, comment avez-vous reçu cette phrase ? La discrimination, est-ce que cela doit être possible dans la lutte contre le terrorisme ?
R - Je pense qu'il ne faut pas aborder de faux problèmes. Lorsqu'on a la possibilité d'endiguer le terrorisme, il faut faire tout ce qui est nécessaire, il ne faut pas se poser des problèmes théoriques. Là, je ne suis pas un spécialiste de ces questions mais si j'ai bien compris, il est très difficile de contrôler tous les voyageurs qui rentrent dans les trains, parce qu'on le fait pour les avions mais évidemment dans les trains, cela fait beaucoup plus de monde. Du coup, la durée d'attente serait beaucoup plus longue, enfin j'ai entendu les arguments. Mais cela n'empêche pas qu'il faut qu'il y ait, à la fois de la part de l'armée qui circule, de la police, des services toutes les mesures qui permettent de faire peur aux terroristes et puis de déjouer un certain nombre d'attentats.
Cela doit être fait dans des conditions qui soient acceptées par chacun, mais il faut agir. Vous connaissez la phrase de Hegel qui disait «celui-là, il a de belles mains mais il n'a pas de mains». Quand vous êtes en face de réseaux terroristes, puisque maintenant cela se passe ainsi, avec aussi l'existence de loups solitaires, il faut que la République dans le respect de ses principes - il n'est pas question d'abandonner ses principes - se donne tous les moyens de lutte.
Q - Est-ce que par exemple il faut revoir Schengen, on remarque que dans le Thalys, il n'y avait pas de contrôle alors que pour l'Eurostar - car il n'y a pas Schengen avec la Grande-Bretagne -, il y a des contrôles plus protecteurs. Est-ce qu'après cette attaque, il faut réviser Schengen ?
R - J'ai discuté de cela cet après-midi avec Bernard Cazeneuve que j'ai appelé en revenant de République tchèque. Et il me disait : «parfois, on fait un contresens, s'il n'y avait pas Schengen, il y a toute une série de contrôles qu'on ne pourrait pas avoir». Alors ce qu'il faut, c'est qu'il y ait une application de Schengen qui permette effectivement d'avoir ces contrôles. Par exemple, vous vous rappelez peut-être cette question du PNR - passenger name record -, c'est-à-dire qui permette qu'on ait des informations sur qui voyage en avion et que tout cela soit fait de manière internationale. Si on sortait de Schengen, il y a un certain nombre de gens qui le proposent, finalement le paradoxe c'est que cela nous laisserait démunis par rapport à cette lutte contre le terrorisme.
Ce qu'il faut, c'est à la fois que Schengen fonctionne, même s'il est possible que cela fonctionne mieux, qu'on ait davantage de renseignements, que cela aille plus vite, il faut le faire. C'est la position de Bernard Cazeneuve et je crois qu'il a raison. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 août 2015