Texte intégral
GUILLAUME DURAND
Nous sommes au coeur de l'actualité sur Radio Classique et sur LCI. Vous le savez, débat sur les frappes aériennes hier à l'Assemblée nationale, au Sénat et maintenant débat sur l'immigration et les quotas. Jean-Marie LE GUEN est donc le ministre chargé des relations avec le Parlement et il y a un conseil des ministres ce matin. Première question : les frappes aériennes dans quelques semaines, on vient de l'apprendre. Est-ce que vous êtes maintenant convaincu avec l'équipe gouvernementale que c'était une nécessité ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, bien sûr. C'était une nécessité qui vient moins de la situation militaire de Daech en Syrie. De ce point de vue d'une part, les frappes ont eu lieu sur le territoire irakien et elles ont eu les résultats pour l'instant qu'elles pouvaient obtenir, c'est-à-dire empêcher Daech de s'étendre en Irak. En même temps, si nous intervenons aujourd'hui en Syrie c'est avec un objectif parmi plus large mais un objectif beaucoup plus précis, c'est évidemment la problématique antiterroriste. C'est-à-dire que nous savons que Daech non seulement
GUILLAUME DURAND
Les centres de décision sont là-bas, et donc les six Mirage qui sont en Jordanie, les six Rafale qui sont aux Emirats Arabes, c'est pour frapper les centres de décision qui, par exemple, auraient pris la décision d'instrumenter le type du Thalys. C'est ça l'idée ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Il y a une idée qui tourne autour de ça.
GUILLAUME DURAND
Ce qui veut dire que vous avez des renseignements précis avant de frapper.
JEAN-MARIE LE GUEN
Il y a des renseignements qui ont été établis par les enquêtes qui ont eu lieu à la suite de tous les événements dramatiques que nous avons connus, et qui montrent bien vous l'avez vu d'ailleurs dans la presse, ce n'est pas une information particulière que très souvent il y avait un lien avec mise en mouvement, conseils, indications, peut-être même plus avec des centres d'initiation. Je ne crois pas qu'on peut parler de commandement, mais en tout cas des centres d'animation excusez-moi de prendre ce terme à défaut d'en trouver un plus précis qui se situeraient sur le territoire syrien et sur Daech. Si vous voulez pour faire simple pour que nos téléspectateurs comprennent, c'est peut-être moins une évolution militaro-diplomatique qu'un élément de la lutte antiterroriste comme vous le disiez.
GUILLAUME DURAND
Pourquoi on ne se coordonne pas avec les Américains parce que visiblement, Manuel VALLS a dit hier : « Oui, mais il y aura une sorte d'autonomie de la décision française ». Or maintenant, il y a quand même de plus en plus de voix qui disent : « On y va, on attaque et il faut se débarrasser de Daech, y compris sur le plan »
JEAN-MARIE LE GUEN
Ce que ne disent pas du tout les Américains.
GUILLAUME DURAND
Non, non. Mais pourquoi on ne se coordonne pas avec eux ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, on se coordonne avec eux dans tous les domaines : le renseignement, et cætera.
GUILLAUME DURAND
Oui, sauf dans la décision des frappes.
JEAN-MARIE LE GUEN
Voilà, parce que nous avons besoin de notre autonomie. Nous avons nos propres sujets plus précis que ceux des Américains. Comme vous le savez, les Américains sont en Amérique, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas exactement les mêmes préoccupations que les nôtres qui peuvent être plus aigües sur tel ou tel sujet. Deuxièmement, vous savez aussi que dans le jeu diplomatique qui se joue, nous n'avons pas exactement la même position que celle des Américains, s'agissant de la manière dont on doit agir en Syrie. Vous vous rappelez que nous étions d'accord avec les Américains et avec les Britanniques pour frapper le régime de Bachar el-ASSAD non seulement parce que ce régime tue son propre peuple, non seulement parce qu'il a joué beaucoup avec Daech et quelque part il contribue à l'entretenir, et troisièmement parce qu'il avait employé des armes de dissuasion inacceptables. Au dernier moment, les Américains se sont retirés et nous n'avons pas pu. Nous avons donc besoin d'une forme d'autonomie, ce qui ne veut pas dire « absence de coopération ».
GUILLAUME DURAND
Question : est-ce que c'est vrai que Laurent FABIUS était contre ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non. Je crois que là, franchement, quand vous avez un sujet aussi complexe
GUILLAUME DURAND
J'essaye d'expliquer sa réflexion qui n'est pas apparente puisqu'il ne s'est évidemment pas désolidarisé officiellement. Mais lui dit au fond, par ces frappes ciblées ou pas ciblées, on va affaiblir l'opposition à Bachar el-ASSAD et c'est quand même Bachar el-ASSAD, le responsable de tout.
JEAN-MARIE LE GUEN
Ça, c'est un raisonnement mais c'est surtout que l'approche de Laurent FABIUS est une approche et de ce point de vue, ça reste l'approche dominante j'allais dire de la position française c'est une approche diplomatique et politique. C'est de dire qu'on vaincra Daech quand nous aurons réussi à trouver une mise en accord de l'ensemble des forces qui sont autour de la Syrie et qui ont vocation à intervenir sur la Syrie. Là, si vous voulez, lui a une approche diplomatique et forcément Jean-Yves LE DRIAN ou Bernard CAZENEUVE ont une approche qui est plus opérationnelle et immédiate sur la question du terrorisme.
GUILLAUME DURAND
Franchement, beaucoup de gens considèrent dans la presse ce matin que François HOLLANDE fait ça aussi pour faire, entre guillemets, chef de guerre et essayer de reprsidentialiser sa situation. Vous avez vu ce petit sondage de Viavoice ce matin : quinze pourcents des Français considèrent que pour l'avenir, il ferait un bon président de la République, trente-huit pourcents pour Manuel VALLS. Je sais bien que c'est un peu passer du coq à l'âne, mais il y a beaucoup de gens qui considèrent qu'il y a des arrière-pensées dans tout ça.
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez, François HOLLANDE a montré dans des circonstances exceptionnelles son sens de la décision et de l'intervention sur les intérêts supérieurs de l'Etat. C'était au mois de janvier 2014 sur l'intervention au Mali.
GUILLAUME DURAND
D'accord, mais est-ce qu'il n'est pas en train d'essayer de valider une candidature par des actions internationales ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez, franchement ce sont de mauvais procès. Essayez de prêter aux femmes et aux hommes qui ont été élus par le peuple français une hauteur de vue un petit peu plus grande. Je ne vous dis pas qu'ici ou là, on ne regarde pas les aspects politiques, mais sur cette décision-là où on joue avec la diplomatie de la France, avec les intérêts de la France, avec la sécurité de la France, faites s'il-vous-plaît
GUILLAUME DURAND
Donc il ne frappe pas parce qu'il s'effondre ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais ça n'a rien à voir. Honnêtement, je préfère ne pas
GUILLAUME DURAND
Je dis ça avec un point d'interrogation.
JEAN-MARIE LE GUEN
Moi, je vous réponds avec un point d'exclamation : non !
GUILLAUME DURAND
Question : dans ce débat finalement au Parlement, on voit bien ce qui s'est passé avec Les Républicains qui tiennent là, je parle de l'immigration et de l'accueil des réfugiés une sorte de séminaire ce matin qui aboutira à un vote devant le bureau politique. Est-ce qu'il y a une vraie différence entre ce que vous proposez, ce que vous souhaitez et ce que souhaitent finalement Les Républicains et le Front national ? Elle est où la différence exactement ?
JEAN-MARIE LE GUEN
C'est une très bonne question et je vous remercie.
GUILLAUME DURAND
On a l'impression qu'avec ce qui s'est passé, tout ça est en train de se rapprocher considérablement.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, il y a des divergences absolues et des rapprochements qui existent. Le problème, c'est que les Républicains à ma connaissance nous verrons ce matin ne sont pas homogènes sur cette question. C'est-à-dire que nous, nous sommes d'abord pour la générosité.
GUILLAUME DURAND
Vingt-quatre mille, ce n'est pas non plus
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, on avait commencé avant et on ira peut-être au-delà de ça.
GUILLAUME DURAND
Et la différence ? Où est la différence ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Je dis la différence, elle est sur ceux qui veulent détricoter Schengen et ceux qui veulent les renforcer. Cette différence, elle n'est pas entre la gauche et la droite, elle passe même y compris à l'intérieur de l'UMP. Nous, nous pensons que premièrement, on doit faire face et on peut faire face avec un renforcement de Schengen, la fameuse question des hotspots, une capacité effectivement à mobiliser les frontières extérieures de l'Union, aller plus loin sur Frontex, intervenir en Méditerranée. Bref, tout ça c'est notre position, renforcer Schengen, et il y a à l'intérieur des Républicains et effectivement au Front national des gens qui veulent soit défaire Schengen, soit le déconstruire. Je pense que la position de Nicolas SARKOZY qui s'accroche à l'idée d'un Schengen II, c'est-à-dire un processus diplomatique qui prendrait des années d'une part, et deuxièmement qui déferait complètement la problématique de Schengen aboutirait à l'abandon de Schengen. L'Europe aujourd'hui, Guillaume DURAND, c'est deux choses : c'est l'euro et Schengen, c'est ça le projet européen tel qu'il fonctionne. Si on supprime Schengen, on supprimera la dynamique européenne et d'ailleurs, dans la foulée, c'est l'euro qui sera remis en cause.
GUILLAUME DURAND
Pardonnez-moi, je peux vous retourner la question. Peut-être que finalement l'idée européenne, la conscience européenne va exploser parce que justement, au fond vous considérez que l'Europe c'est l'euro et Schengen. Mais pour les gens, vous croyez que c'est motivant ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Les gens ne se rendent plus compte mais si on était obligé de recruter quelques dizaines de milliers de fonctionnaires, douaniers et policiers des frontières ; si pour aller demain en Espagne ou pour aller en Italie ou en Allemagne, alors qu'il y a des milliers, des dizaines de milliers de travailleurs français qui, par exemple, travaillent en Suisse, en Allemagne, au Luxembourg, et cætera ; si à chaque fois on rétablissait des contrôles aux frontières et que l'on mette des heures pour passer les frontières, on ne sait plus ce que c'est. Vous avez connu ça, moi aussi.
GUILLAUME DURAND
D'accord, mais il y a des situations exceptionnelles. Là, vous avez neuf mille personnes qui ont essayé de passer de Hongrie en Allemagne en une seule journée.
JEAN-MARIE LE GUEN
Attendez ! Il faut et il est parfaitement légitime premièrement de maîtriser et c'est pour ça que nous demandons ces fameux hotspots, c'est-à-dire des centres où les gens qui veulent rentrer en Europe viennent et disent : « Voilà mes raisons, voilà mon identité », qu'il y ait un contrôle
GUILLAUME DURAND
Le Front national vous répond à cela qu'il y a soixante-quinze pourcents des gens qui ne sont pas des réfugiés politiques. Il y avait un grand article du New York Times il y a quatre jours montrant finalement par téléphone portable que les familles se disaient : « Allons en Europe ».
JEAN-MARIE LE GUEN
Bien sûr. Attendez, mais nous reconduisons à la frontière. Vous l'avez dit vous-même, vingt-quatre mille. Attendez, Guillaume DURAND. Vingt-quatre mille personnes accueillies en droit d'asile, on est très loin de l'envahissement dénoncé ni même d'ailleurs de la réponse à tous ceux qui veulent rentrer en Europe. C'est-à-dire qu'il y aura des reconductions à la frontière pour les raisons que vous dites. Nous sommes pour le droit d'asile qui est un droit individuel et qui doit être marqué par des gens qui sont victimes d'un système politique ou de la guerre. Nous ne sommes pas pour accueillir une immigration économique, c'est tout à fait clair. Il y aura de très nombreuses, des dizaines de milliers de reconduites à la frontière.
GUILLAUME DURAND
Le hasard a fait qu'hier j'ai regardé Le Grand Journal et j'ai vu Robert MENARD, maire de Béziers ; ce n'est pas votre tasse de thé, on le sait. Qu'a-t-il dit ? Il va voir des gens évidemment, tout le monde se moque de lui et le critique qui effectivement sont des retoqués du droit d'asile mais qui n'ont jamais été reconduits à la frontière. MENARD, ce n'est pas la table de la loi mais au moins, c'est un élu local.
JEAN-MARIE LE GUEN
On n'a pas attendu monsieur MENARD pour savoir
GUILLAUME DURAND
Ça veut dire qu'on ne les raccompagne pas.
JEAN-MARIE LE GUEN
Guillaume DURAND, vous savez bien que nous avons réformé le droit d'asile. Pourquoi ? Parce que le droit d'asile tel qu'il existait auparavant y compris du temps de monsieur SARKOZY était tellement encombré d'un point de vue bureaucratique. C'est que les demandeurs attendaient deux ans, cinq ans, pour avoir une réponse. Nous avons mis en place une loi cet été qui va permettre d'avoir une réponse en six mois ou en neuf mois. C'est-à-dire que nous avons d'ailleurs accéléré la capacité à faire le retour de ceux qui étaient les déboutés du droit d'asile. Donc nous sommes tout à fait conscients de ça et nous n'avons cessé depuis 2012 d'augmenter les capacités pas d'accueil mais de traitement des dossiers pour justement faire la part entre ceux qui ont le droit à l'accueil et ceux qui n'y ont pas droit.
GUILLAUME DURAND
François HOLLANDE doit se représenter ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, je crois. Il est en situation.
GUILLAUME DURAND
Avec la bérézina des sondages ? Quinze pourcent !
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais écoutez, les Français choisiront. Aujourd'hui, tout le monde critique tout le monde. On est dans un système, la France, je reconnais qu'il y a des difficultés mais surtout des interrogations sur l'avenir. Tout ça, je le comprends. Mais aujourd'hui, tout le monde critique tout le monde, très bien. Vous-même, moi-même, tout le monde est critiqué, c'est normal. On va un peu trop loin. Aujourd'hui le président de la République, lui, il essuie toutes les difficultés de l'heure, on le rend responsable. S'il y a des problèmes de migration, c'est sa faute ; s'il y a la guerre et s'il y a le terrorisme, c'est de sa faute.
GUILLAUME DURAND
Mais il est président de la République !
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais il n'a pas une baguette magique ! Vous n'avez pas élu Merlin l'enchanteur. Il n'est pas arrivé pour dire qu'il allait simplement regarder les choses et que les choses allaient se transformer. Soyons adultes, on sait qu'on est dans un monde difficile. On sait qu'on est dans un monde difficile et donc il ne faut pas s'étonner qu'on demande des efforts, de la mobilisation et puis les Français choisiront. S'ils croient qu'il y a des échappatoires, s'ils croient que c'est retourner aux frontières, s'ils croient que c'est en faisant une guerre civile entre les Français dits de souche et les autres, s'il faut séparer entre les chrétiens et les protestants comme propose madame LE PEN, ou s'il ne faut accueillir que des chrétiens et pas d'autres comme le propose tel ou tel élu UMP
GUILLAUME DURAND
A Roanne.
JEAN-MARIE LE GUEN
A Roanne, exactement. Si on croit que c'est comme ça que la France va avancer, alors les Français voteront pour ça mais il ne faudra pas qu'ils s'étonnent après de connaître les désillusions à laquelle toujours l'extrême droite a conduit dans l'histoire nos pays.
GUILLAUME DURAND
Jean-Marie LE GUEN est ministre des Relations avec le Parlement et il considère que François HOLLANDE n'est pas Merlin l'enchanteur. Merci et bonne journée à vous.Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 septembre 2015
Nous sommes au coeur de l'actualité sur Radio Classique et sur LCI. Vous le savez, débat sur les frappes aériennes hier à l'Assemblée nationale, au Sénat et maintenant débat sur l'immigration et les quotas. Jean-Marie LE GUEN est donc le ministre chargé des relations avec le Parlement et il y a un conseil des ministres ce matin. Première question : les frappes aériennes dans quelques semaines, on vient de l'apprendre. Est-ce que vous êtes maintenant convaincu avec l'équipe gouvernementale que c'était une nécessité ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, bien sûr. C'était une nécessité qui vient moins de la situation militaire de Daech en Syrie. De ce point de vue d'une part, les frappes ont eu lieu sur le territoire irakien et elles ont eu les résultats pour l'instant qu'elles pouvaient obtenir, c'est-à-dire empêcher Daech de s'étendre en Irak. En même temps, si nous intervenons aujourd'hui en Syrie c'est avec un objectif parmi plus large mais un objectif beaucoup plus précis, c'est évidemment la problématique antiterroriste. C'est-à-dire que nous savons que Daech non seulement
GUILLAUME DURAND
Les centres de décision sont là-bas, et donc les six Mirage qui sont en Jordanie, les six Rafale qui sont aux Emirats Arabes, c'est pour frapper les centres de décision qui, par exemple, auraient pris la décision d'instrumenter le type du Thalys. C'est ça l'idée ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Il y a une idée qui tourne autour de ça.
GUILLAUME DURAND
Ce qui veut dire que vous avez des renseignements précis avant de frapper.
JEAN-MARIE LE GUEN
Il y a des renseignements qui ont été établis par les enquêtes qui ont eu lieu à la suite de tous les événements dramatiques que nous avons connus, et qui montrent bien vous l'avez vu d'ailleurs dans la presse, ce n'est pas une information particulière que très souvent il y avait un lien avec mise en mouvement, conseils, indications, peut-être même plus avec des centres d'initiation. Je ne crois pas qu'on peut parler de commandement, mais en tout cas des centres d'animation excusez-moi de prendre ce terme à défaut d'en trouver un plus précis qui se situeraient sur le territoire syrien et sur Daech. Si vous voulez pour faire simple pour que nos téléspectateurs comprennent, c'est peut-être moins une évolution militaro-diplomatique qu'un élément de la lutte antiterroriste comme vous le disiez.
GUILLAUME DURAND
Pourquoi on ne se coordonne pas avec les Américains parce que visiblement, Manuel VALLS a dit hier : « Oui, mais il y aura une sorte d'autonomie de la décision française ». Or maintenant, il y a quand même de plus en plus de voix qui disent : « On y va, on attaque et il faut se débarrasser de Daech, y compris sur le plan »
JEAN-MARIE LE GUEN
Ce que ne disent pas du tout les Américains.
GUILLAUME DURAND
Non, non. Mais pourquoi on ne se coordonne pas avec eux ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, on se coordonne avec eux dans tous les domaines : le renseignement, et cætera.
GUILLAUME DURAND
Oui, sauf dans la décision des frappes.
JEAN-MARIE LE GUEN
Voilà, parce que nous avons besoin de notre autonomie. Nous avons nos propres sujets plus précis que ceux des Américains. Comme vous le savez, les Américains sont en Amérique, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas exactement les mêmes préoccupations que les nôtres qui peuvent être plus aigües sur tel ou tel sujet. Deuxièmement, vous savez aussi que dans le jeu diplomatique qui se joue, nous n'avons pas exactement la même position que celle des Américains, s'agissant de la manière dont on doit agir en Syrie. Vous vous rappelez que nous étions d'accord avec les Américains et avec les Britanniques pour frapper le régime de Bachar el-ASSAD non seulement parce que ce régime tue son propre peuple, non seulement parce qu'il a joué beaucoup avec Daech et quelque part il contribue à l'entretenir, et troisièmement parce qu'il avait employé des armes de dissuasion inacceptables. Au dernier moment, les Américains se sont retirés et nous n'avons pas pu. Nous avons donc besoin d'une forme d'autonomie, ce qui ne veut pas dire « absence de coopération ».
GUILLAUME DURAND
Question : est-ce que c'est vrai que Laurent FABIUS était contre ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non. Je crois que là, franchement, quand vous avez un sujet aussi complexe
GUILLAUME DURAND
J'essaye d'expliquer sa réflexion qui n'est pas apparente puisqu'il ne s'est évidemment pas désolidarisé officiellement. Mais lui dit au fond, par ces frappes ciblées ou pas ciblées, on va affaiblir l'opposition à Bachar el-ASSAD et c'est quand même Bachar el-ASSAD, le responsable de tout.
JEAN-MARIE LE GUEN
Ça, c'est un raisonnement mais c'est surtout que l'approche de Laurent FABIUS est une approche et de ce point de vue, ça reste l'approche dominante j'allais dire de la position française c'est une approche diplomatique et politique. C'est de dire qu'on vaincra Daech quand nous aurons réussi à trouver une mise en accord de l'ensemble des forces qui sont autour de la Syrie et qui ont vocation à intervenir sur la Syrie. Là, si vous voulez, lui a une approche diplomatique et forcément Jean-Yves LE DRIAN ou Bernard CAZENEUVE ont une approche qui est plus opérationnelle et immédiate sur la question du terrorisme.
GUILLAUME DURAND
Franchement, beaucoup de gens considèrent dans la presse ce matin que François HOLLANDE fait ça aussi pour faire, entre guillemets, chef de guerre et essayer de reprsidentialiser sa situation. Vous avez vu ce petit sondage de Viavoice ce matin : quinze pourcents des Français considèrent que pour l'avenir, il ferait un bon président de la République, trente-huit pourcents pour Manuel VALLS. Je sais bien que c'est un peu passer du coq à l'âne, mais il y a beaucoup de gens qui considèrent qu'il y a des arrière-pensées dans tout ça.
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez, François HOLLANDE a montré dans des circonstances exceptionnelles son sens de la décision et de l'intervention sur les intérêts supérieurs de l'Etat. C'était au mois de janvier 2014 sur l'intervention au Mali.
GUILLAUME DURAND
D'accord, mais est-ce qu'il n'est pas en train d'essayer de valider une candidature par des actions internationales ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez, franchement ce sont de mauvais procès. Essayez de prêter aux femmes et aux hommes qui ont été élus par le peuple français une hauteur de vue un petit peu plus grande. Je ne vous dis pas qu'ici ou là, on ne regarde pas les aspects politiques, mais sur cette décision-là où on joue avec la diplomatie de la France, avec les intérêts de la France, avec la sécurité de la France, faites s'il-vous-plaît
GUILLAUME DURAND
Donc il ne frappe pas parce qu'il s'effondre ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais ça n'a rien à voir. Honnêtement, je préfère ne pas
GUILLAUME DURAND
Je dis ça avec un point d'interrogation.
JEAN-MARIE LE GUEN
Moi, je vous réponds avec un point d'exclamation : non !
GUILLAUME DURAND
Question : dans ce débat finalement au Parlement, on voit bien ce qui s'est passé avec Les Républicains qui tiennent là, je parle de l'immigration et de l'accueil des réfugiés une sorte de séminaire ce matin qui aboutira à un vote devant le bureau politique. Est-ce qu'il y a une vraie différence entre ce que vous proposez, ce que vous souhaitez et ce que souhaitent finalement Les Républicains et le Front national ? Elle est où la différence exactement ?
JEAN-MARIE LE GUEN
C'est une très bonne question et je vous remercie.
GUILLAUME DURAND
On a l'impression qu'avec ce qui s'est passé, tout ça est en train de se rapprocher considérablement.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, il y a des divergences absolues et des rapprochements qui existent. Le problème, c'est que les Républicains à ma connaissance nous verrons ce matin ne sont pas homogènes sur cette question. C'est-à-dire que nous, nous sommes d'abord pour la générosité.
GUILLAUME DURAND
Vingt-quatre mille, ce n'est pas non plus
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, on avait commencé avant et on ira peut-être au-delà de ça.
GUILLAUME DURAND
Et la différence ? Où est la différence ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Je dis la différence, elle est sur ceux qui veulent détricoter Schengen et ceux qui veulent les renforcer. Cette différence, elle n'est pas entre la gauche et la droite, elle passe même y compris à l'intérieur de l'UMP. Nous, nous pensons que premièrement, on doit faire face et on peut faire face avec un renforcement de Schengen, la fameuse question des hotspots, une capacité effectivement à mobiliser les frontières extérieures de l'Union, aller plus loin sur Frontex, intervenir en Méditerranée. Bref, tout ça c'est notre position, renforcer Schengen, et il y a à l'intérieur des Républicains et effectivement au Front national des gens qui veulent soit défaire Schengen, soit le déconstruire. Je pense que la position de Nicolas SARKOZY qui s'accroche à l'idée d'un Schengen II, c'est-à-dire un processus diplomatique qui prendrait des années d'une part, et deuxièmement qui déferait complètement la problématique de Schengen aboutirait à l'abandon de Schengen. L'Europe aujourd'hui, Guillaume DURAND, c'est deux choses : c'est l'euro et Schengen, c'est ça le projet européen tel qu'il fonctionne. Si on supprime Schengen, on supprimera la dynamique européenne et d'ailleurs, dans la foulée, c'est l'euro qui sera remis en cause.
GUILLAUME DURAND
Pardonnez-moi, je peux vous retourner la question. Peut-être que finalement l'idée européenne, la conscience européenne va exploser parce que justement, au fond vous considérez que l'Europe c'est l'euro et Schengen. Mais pour les gens, vous croyez que c'est motivant ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Les gens ne se rendent plus compte mais si on était obligé de recruter quelques dizaines de milliers de fonctionnaires, douaniers et policiers des frontières ; si pour aller demain en Espagne ou pour aller en Italie ou en Allemagne, alors qu'il y a des milliers, des dizaines de milliers de travailleurs français qui, par exemple, travaillent en Suisse, en Allemagne, au Luxembourg, et cætera ; si à chaque fois on rétablissait des contrôles aux frontières et que l'on mette des heures pour passer les frontières, on ne sait plus ce que c'est. Vous avez connu ça, moi aussi.
GUILLAUME DURAND
D'accord, mais il y a des situations exceptionnelles. Là, vous avez neuf mille personnes qui ont essayé de passer de Hongrie en Allemagne en une seule journée.
JEAN-MARIE LE GUEN
Attendez ! Il faut et il est parfaitement légitime premièrement de maîtriser et c'est pour ça que nous demandons ces fameux hotspots, c'est-à-dire des centres où les gens qui veulent rentrer en Europe viennent et disent : « Voilà mes raisons, voilà mon identité », qu'il y ait un contrôle
GUILLAUME DURAND
Le Front national vous répond à cela qu'il y a soixante-quinze pourcents des gens qui ne sont pas des réfugiés politiques. Il y avait un grand article du New York Times il y a quatre jours montrant finalement par téléphone portable que les familles se disaient : « Allons en Europe ».
JEAN-MARIE LE GUEN
Bien sûr. Attendez, mais nous reconduisons à la frontière. Vous l'avez dit vous-même, vingt-quatre mille. Attendez, Guillaume DURAND. Vingt-quatre mille personnes accueillies en droit d'asile, on est très loin de l'envahissement dénoncé ni même d'ailleurs de la réponse à tous ceux qui veulent rentrer en Europe. C'est-à-dire qu'il y aura des reconductions à la frontière pour les raisons que vous dites. Nous sommes pour le droit d'asile qui est un droit individuel et qui doit être marqué par des gens qui sont victimes d'un système politique ou de la guerre. Nous ne sommes pas pour accueillir une immigration économique, c'est tout à fait clair. Il y aura de très nombreuses, des dizaines de milliers de reconduites à la frontière.
GUILLAUME DURAND
Le hasard a fait qu'hier j'ai regardé Le Grand Journal et j'ai vu Robert MENARD, maire de Béziers ; ce n'est pas votre tasse de thé, on le sait. Qu'a-t-il dit ? Il va voir des gens évidemment, tout le monde se moque de lui et le critique qui effectivement sont des retoqués du droit d'asile mais qui n'ont jamais été reconduits à la frontière. MENARD, ce n'est pas la table de la loi mais au moins, c'est un élu local.
JEAN-MARIE LE GUEN
On n'a pas attendu monsieur MENARD pour savoir
GUILLAUME DURAND
Ça veut dire qu'on ne les raccompagne pas.
JEAN-MARIE LE GUEN
Guillaume DURAND, vous savez bien que nous avons réformé le droit d'asile. Pourquoi ? Parce que le droit d'asile tel qu'il existait auparavant y compris du temps de monsieur SARKOZY était tellement encombré d'un point de vue bureaucratique. C'est que les demandeurs attendaient deux ans, cinq ans, pour avoir une réponse. Nous avons mis en place une loi cet été qui va permettre d'avoir une réponse en six mois ou en neuf mois. C'est-à-dire que nous avons d'ailleurs accéléré la capacité à faire le retour de ceux qui étaient les déboutés du droit d'asile. Donc nous sommes tout à fait conscients de ça et nous n'avons cessé depuis 2012 d'augmenter les capacités pas d'accueil mais de traitement des dossiers pour justement faire la part entre ceux qui ont le droit à l'accueil et ceux qui n'y ont pas droit.
GUILLAUME DURAND
François HOLLANDE doit se représenter ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, je crois. Il est en situation.
GUILLAUME DURAND
Avec la bérézina des sondages ? Quinze pourcent !
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais écoutez, les Français choisiront. Aujourd'hui, tout le monde critique tout le monde. On est dans un système, la France, je reconnais qu'il y a des difficultés mais surtout des interrogations sur l'avenir. Tout ça, je le comprends. Mais aujourd'hui, tout le monde critique tout le monde, très bien. Vous-même, moi-même, tout le monde est critiqué, c'est normal. On va un peu trop loin. Aujourd'hui le président de la République, lui, il essuie toutes les difficultés de l'heure, on le rend responsable. S'il y a des problèmes de migration, c'est sa faute ; s'il y a la guerre et s'il y a le terrorisme, c'est de sa faute.
GUILLAUME DURAND
Mais il est président de la République !
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais il n'a pas une baguette magique ! Vous n'avez pas élu Merlin l'enchanteur. Il n'est pas arrivé pour dire qu'il allait simplement regarder les choses et que les choses allaient se transformer. Soyons adultes, on sait qu'on est dans un monde difficile. On sait qu'on est dans un monde difficile et donc il ne faut pas s'étonner qu'on demande des efforts, de la mobilisation et puis les Français choisiront. S'ils croient qu'il y a des échappatoires, s'ils croient que c'est retourner aux frontières, s'ils croient que c'est en faisant une guerre civile entre les Français dits de souche et les autres, s'il faut séparer entre les chrétiens et les protestants comme propose madame LE PEN, ou s'il ne faut accueillir que des chrétiens et pas d'autres comme le propose tel ou tel élu UMP
GUILLAUME DURAND
A Roanne.
JEAN-MARIE LE GUEN
A Roanne, exactement. Si on croit que c'est comme ça que la France va avancer, alors les Français voteront pour ça mais il ne faudra pas qu'ils s'étonnent après de connaître les désillusions à laquelle toujours l'extrême droite a conduit dans l'histoire nos pays.
GUILLAUME DURAND
Jean-Marie LE GUEN est ministre des Relations avec le Parlement et il considère que François HOLLANDE n'est pas Merlin l'enchanteur. Merci et bonne journée à vous.Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 septembre 2015