Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Messieurs les Bâtonniers,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui. Je ne remplace pas celles et ceux qui seront peut-être à vos côtés durant la journée, j'en ai conscience, et ne voyez là aucun message politique, mais je voulais être là parce que nous nous sommes beaucoup parlé durant ces derniers mois et j'ai bon espoir que nous nous parlerons encore beaucoup dans les mois qui viennent.
Vous l'avez rappelé tout au long de votre discours, Monsieur le Président, vous avez ce goût pour la liberté et je le partage. Alors ça donne beaucoup de responsabilités la liberté, sinon ça ne s'exerce même pas. Ça devient un ensemble vide. Cette responsabilité, nous la partageons et c'est de ça dont je suis venu vous parler aujourd'hui.
D'abord celle qui fait votre quotidien, le coeur de votre mission. J'ai entendu vos confrères à l'entrée de cette salle, j'ai entendu des propos constructifs, une volonté de bien faire et d'assurer cette mission du droit, et en particulier celle de l'accessibilité du droit. Vous pouvez compter sur moi pour porter cette préoccupation et les points d'équilibre qui m'ont été soumis. Je les entends et je crois que c'est la volonté de tout le gouvernement, et au premier titre de la garde des Sceaux, de trouver des solutions intelligentes et adaptées pour trouver un financement pérenne à cette mission.
Ensuite, la responsabilité, c'est d'accompagner les mutations de la société en gardant les principes et les fondamentaux de votre profession mais en actant le fait que la société change, et avec elle l'économie, et que de nouvelles réalités apparaissent qu'il nous faut saisir et accompagner. C'est à cette condition que le goût de la liberté doit s'exprimer, en tout cas qu'il devient quelque chose.
Nous avons pendant plusieurs mois débattu ; je ne sais pas si nous avons obtenu un point de consensus sur tous les sujets, je crois que non. Mais en tout cas, l'idée que je me fais de la réforme, ce n'est ni un passage en force qui n'écouterait personne, ni l'assurance permanente que chacune et chacun soit content, car ce serait la garantie dans notre beau pays de ne finalement pas faire grand-chose.
Nous avons beaucoup échangé avec vous, avec les services de ma collègue Christiane TAUBIRA, avec l'administration. Plusieurs missions parlementaires se sont saisies des sujets qui étaient les nôtres et je crois que nous avons obtenu au final un point d'équilibre, même si vous n'en partagez tous les aspects. Je voudrais ici revenir sur quelques-uns des points que vous avez évoqués et les équilibres que la loi pour l'activité, la croissance et l'égalité des chances économiques a permis d'obtenir avec une recherche constante : celle d'offrir à nos concitoyens et nos entreprises l'accès le plus large, le plus ouvert au droit ; de donner à votre profession les moyens d'assurer la sécurité juridique à nos concitoyens ; et enfin de préserver le modèle français du droit parce que je sais que vous y êtes attaché et j'y suis attaché avec vous. Il n'y a pour moi dans la modernisation de votre profession aucune fascination pour d'autres modèles.
Vous avez parlé d'abord, et je dois confier qu'en entrant dans ces sujets, j'ai fait moi-même une découverte, de la séparation définie par l'ordonnance de 1945 entre les professions du droit et du chiffre. J'ai découvert cette réalité. Vous l'avez évoquée tout à l'heure et vous avez été applaudi par vos confrères. C'est assez fascinant. C'est assez fascinant parce que ce texte n'a pas redonné matière à l'un pour avoir réduit le périmètre de l'autre, il a simplement clarifié les modes d'exercice, en particulier de la profession d'expert-comptable, qui n'étaient plus conformes à l'ordonnance de 1945.
Faut-il s'en étonner. Entre nous, non. Fallait-il avoir tant d'émotion autour de cette discussion ? Entre nous, non. Nous avons simplement permis par la notification purement rédactionnelle de l'ordonnance de 1945 d'assurer le cadre juridique qui fait qu'un expert-comptable peut, par exemple, produire une feuille de paie pour un client qui ne serait pas un client pour lequel il a un mandat pour d'autres missions d'expertise-comptable. Ça ne me semble pas honnêtement enlever beaucoup de matière aux avocats qui, à ma connaissance, ont rarement fait ce travail. Ça n'est pas l'idée, me semble-t-il, que vous vous faites de votre profession.
Ensuite la postulation territoriale. Je comprends que ça ait contrarié. C'est d'ailleurs pour ça que nous nous sommes donnés du temps puisqu'elle entrera en vigueur en août 2016. Mais somme toute, nous ne faisons là qu'accompagner une réforme de 2011. On aurait pu dire comme dans d'autres matières dans le pénal ou la justice commerciale qu'il n'y avait plus de postulation à avoir dans le monde où on vit. Mais considérer que la postulation territoriale devait faire fi de la réforme de 2011 qui avait conduit à supprimer les avoués, entre nous à l'heure où nous vivons, c'est déraisonnable.
Alors il faut trouver, et nous les avons cherchées ensemble, les voies et moyens de préserver les équilibres, mais qu'on n'aille pas m'expliquer que c'est mettre cul par-dessus tête la profession. Parce qu'être libre, c'est regarder les choses en face. Cette réforme de 2011, vous l'avez voulue et accompagnée. Vous ne pourrez pas dire : « On l'a fait partiellement parce que la fin de la réforme ne nous intéresse pas ». Comment expliquer que certains axes de la postulation qui existent encore au sein même d'un TGI pour nos concitoyens et nos entreprises n'ont plus de sens à l'heure où nous nous parlons et j'y reviendrai encore un peu tout à l'heure.
Par la discussion, nous avons maintenu des matières au niveau du TGI : des saisies immobilières, l'aide juridictionnelle et la cour d'appel, pour le reste, à organiser jusqu'à l'été prochain ; donc c'est en août 2016 que cette réforme rentrera en vigueur.
Pour les bureaux secondaires, la discussion parlementaire, puisque vous savez que ce n'était pas initialement dans le projet du gouvernement, a voulu porter et là je crois par souci de préserver des équilibres et en particulier des équilibres des CARPA et des équilibres des barreaux. A vous de lui donner une possibilité supplémentaire, à la fois de contribuer au barreau et à son barreau secondaire et puis, en effet, de participer aux charges de ce barreau. J'entends, et vous m'avez fait part des contraintes qui sont les vôtres, il faut trouver les voies et moyens d'exercer ce que les parlementaires ont voulu mettre dans la loi mais qui me paraît aussi relever du bon sens. Aurions-nous oublié ce point que, je crains, d'aucuns nous auraient reproché d'avoir permis à la profession de créer des bureaux secondaires, jouant des stratégies non-coopératives dans certains barreaux ?
Sur les conventions d'honoraires, vous avez dit que beaucoup le faisaient ; c'est maintenant dans la loi parce que c'est un critère de transparence, de bons services et la loi a prévu le cadre d'intervention des agents de la DGCCRF dans le strict respect du secret professionnel, comme cela est fait d'ores et déjà pour les médecins par exemple. Je n'ai jamais eu de recours contre les vérifications de ces services qui sont proportionnés mais qui sont la garantie pour que la loi soit respectée. Il est de la responsabilité du législateur de ne pas se dessaisir de tout au bénéfice des ordres. Donc je sais l'importance de votre entourage, je sais en effet que tout cela est respecté et suivi mais la loi prévoit un cadre. Il est strict, il est proportionné et je peux vous garantir ici et j'en serai le garant avec vous que l'intervention de mes services se fera dans le strict respect du secret professionnel.
Ensuite, votre esprit taquin sans doute vous a conduit à mentionner je prenais des notes en vous écoutant les avocats en entreprise. Là je dois dire que c'est une autre découverte que j'ai faite en côtoyant votre profession. C'est, et je ne dis pas ça par provocation pour votre voisin Marseillais, la polyphonie corse qui s'exprime à plein quand on arrive sur ce sujet. Je crois que de semaine en semaine, parfois les mêmes interlocuteurs me disaient qu'ils étaient pour puis contre selon les équilibres de la profession et de la dernière réunion qu'ils venaient de tenir. Je rappelle que cette réforme des avocats d'entreprise avait conduit à un rapport quasi-conclusif, de mémoire en 2007, remis sur la table en 2009, poussé par une partie de la profession, en particulier le barreau de Paris et quelques autres, il y a quelques mois.
Ce n'est pas de la provocation, c'est juste que parfois on a du mal à trouver votre nord magnétique, mais c'est le charme de cette profession, vous l'avez évoqué. Et ce goût pour la liberté donne une science de la dissidence, je l'ai observée. Je pense fondamentalement que nous n'avons pas traité le problème. Fallait-il le faire par un avocat en entreprise ? Si j'en avais eu la conviction chevillée au corps, j'aurais été au bout des choses, vous me connaissez. Mais je pense que le problème qui est le nôtre, c'est quand même une situation où de plus en plus de grands groupes français font appel à des avocats anglo-saxons pour pouvoir échanger des pièces entre avocats
Donc là aussi la nature nous rattrape et l'organisation collective nous rattrape. Je ne voudrais pas que le modèle français et que les meilleurs avocats français qui pourraient occuper ces fonctions en soient exclus sous prétexte qu'on n'a pas apporté la bonne réponse. Et que pour être maintenant secrétaire général ou directeur juridique ou general counsel comme on dit en bon français de ces groupes, il faille être avocat. Ça n'a pas beaucoup de sens. Maintenant, on le voit bien, ça ne vaut que pour quelques entreprises, celles qui ont à échanger des actes, des pièces dans le monde entier et principalement dans le monde anglo-saxon. Sans doute faut-il trouver une réponse plus chirurgicale qui ne donne pas le sentiment de contrevenir aux principes mêmes d'organisation de la profession où elle fera apparaître qu'il y a un risque systémique qui pourrait concerner toutes les entreprises. Ça n'a aucun sens de créer un avocat d'entreprise dans la plupart des PME et des ETI.
Il nous faut trouver, et là je pense que la profession a une vraie responsabilité par son organisation collective, la bonne réponse à ce problème parce que cela participe de la compétitivité du modèle d'avocat français et je pense que c'est très important. Mais j'ai bien noté que ces avocats d'entreprise ne recueillaient pas une majorité des suffrages ; en tout cas, cela restait un objet parce qu'il touchait à vos principes fondamentaux, et c'est pourquoi nous l'avons écarté.
Pour ce qui est de l'interprofessionnalité, elle est une chance incroyable en particulier pour les jeunes. Ce que la loi permet, c'est qu'elle donne un cadre pour avancer et vous avez ma garantie que nous le ferons ensemble durant les prochains mois puisque d'ici aux mois de février et mars prochains, les ordonnances seront prises. Elles mettront en oeuvre ces différentes inter-professionnalités d'exercice simple d'une profession puis l'interprofessionnalité avec plusieurs professions du droit et du chiffre. Dans les deux cas, les ouvertures du capital ne sont permises que si elles sont détenues par des professionnels du droit. L'interprofessionnalité des professions du droit, il faut que ce soient les professionnels eux-mêmes qui détiennent le capital. J'ai entendu ou lu beaucoup de choses là-dessus. C'est la défense du modèle français, là où la justice européenne reconnaît de plus en plus l'arrivée de formes juridiques de cabinets, qu'elles soient d'ailleurs allemandes ou anglo-saxonnes. Ce ne sont pas les professionnels du droit qui sont les détenteurs du capital. Donc je crois que c'est une condition pour que les professionnels du droit dans l'ensemble puissent créer des structures à l'échelle, qui se développent, en étant eux-mêmes propriétaires du capital mais en ayant une capacité d'action, de financement supérieur.
Pour ce qui est de l'interprofession entre le droit et le chiffre, nous avons strictement réduit cette ouverture aux professions du chiffre qui ne l'auraient pas ouvertes parce que les règles ne sont pas les mêmes. Je veux ici pleinement vous rassurer.
Notre réforme a vocation à rentrer en vigueur au printemps prochain, elle est à mes yeux, pour les plus jeunes, pour nos territoires, un vrai moyen de modernisation des conditions d'exercice. Elle permet d'offrir aux entreprises comme aux particuliers une offre plus large, plus simple, un accès plus moderne.
La loi Croissance et Activité a aussi permis d'avoir une rémunération au succès, qui changera les pratiques dans le bon sens.
Elle a permis l'ouverture, madame la présidente, des offices d'avocat au conseil qui est également une chance pour la profession. Les parlementaires ont entendu cette disposition qui ne faisait pas partie du texte initial, nous avons proportionné je crois cette ouverture pour qu'elle ne déstabilise pas les professionnels en place et j'y serai très vigilant, et la Garde des Sceaux également.
Enfin, je reviens ici sur l'un des sujets de discussion : la loi Croissance et Activité a créé un fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice, nous reviendrons en loi de finances sur les modalités du financement, qui pour la première fois reconnait que les autres professions du droit, en particulier les professions règlementées, doivent contribuer au financement.
Et je crois que ça va d'ailleurs totalement dans le sens de votre proposition. Pour la première fois on reconnait que quand on est un professionnel du droit, qui plus est un officier public ministériel, il n'est pas anormal qu'à partir d'un certain niveau d'actes on contribue à l'effort collectif et à l'accès au droit de tous, parce que ça relève de l'intérêt général.
Je rappellerais enfin que c'est par cette loi que nous introduisons la possibilité pour les CARPA d'obtenir notamment les financements en provenance des actions de groupe, ce que la loi Consommation nous avait déjà permis. C'est là aussi pour la stabilité de la profession un élément important.
Voilà les points que je voulais rappeler qui concernent cette loi Croissance et Activité, dont vous avez traduit une partie des désaccords que nous partageons ou des éléments que nous avons pu échanger.
Elle s'est attachée aussi à moderniser notre profession et là-dessus je veux vous rassurer, ce n'est pas parce qu'une profession est davantage règlementée qu'elle n'a pas fait l'objet d'une modernisation aussi vigoureuse.
Certains avaient pris les devants et s'étaient modernisés en se débarrassant eux-mêmes de toute exclusivité d'actes, les experts comptables dont vous nous avez parlé, et d'autres l'ont moins fait.
Le choix qui a été fait dans ce texte ne permet pas de revisiter l'exclusivité de certains actes juridiques. Et donc nous n'avons pas poursuivi un mouvement qui avait été entamé en 2009 contribuant à créer l'acte d'avocat, qu'il faut faire vivre, mais plutôt en demandant à chacune de ces professions d'avoir plus de transparence, plus d'ouverture dans l'accès, plus de justice dans la fixation des tarifs, et donc de moderniser les cadres de son fonctionnement.
En tout cas, je tiens à vous remercier une fois encore pour cette invitation aujourd'hui qui nous permet d'avoir ces échanges et pour le dialogue avec vous-même et votre prédécesseur que j'ai pu avoir pendant de longs mois.
Mais vous l'avez en fait compris dans votre propos introductif, ce n'est pas terminé, et ma présence aujourd'hui se justifie aussi par le fait que je suis profondément convaincu que nous devons collectivement continuer à nous adapter à ce monde qui va.
La loi ne va pas tout prévoir, ça n'a pas de sens. Ce n'est pas la loi qui fait les changements, et l'attachement que vous avez vous-mêmes à moderniser votre profession le montre et c'est formidable. Mais la loi doit parfois adapter les cadres lorsqu'ils créent des contraintes qui interdisent aux professionnels, aux acteurs de l'économie de se moderniser, de se transformer.
Et ma conviction c'est qu'aujourd'hui la pierre angulaire de notre système judiciaire, c'est l'avocat, que l'acteur principal de la sécurité juridique c'est l'avocat, or que cette profession, au-delà de ce dont nous venons de parler, elle est face à d'immenses défis liés à la révolution numérique et que choisir le statu quo, considérer que vous avez déjà apporté toutes les réponses, c'est faire une véritable erreur. Parce qu'il y a un gigantesque marché du droit qui est en train d'éclore aujourd'hui sur internet, devant nous. On pense, on est là tous ensemble à La Mutualité, que tout va bien se passer, mais pendant que nous parlons, la vague est partie. Alors on peut décider comme les trois petits singes de ne rien voir, de ne rien entendre et ne rien dire. J'ai peur que ce réveil soit douloureux et je considère que ma responsabilité, c'est de partager avec vous ces constats pour y apporter les bonnes solutions.
Des sites internet permettent aujourd'hui de saisir directement les tribunaux pour des petits litiges à faible coût qui ne nécessitent pas de passer par un avocat alors même que vous savez bien que la pratique consistait à aller voir un avocat quand bien même le recours à celui-ci n'était pas obligatoire et qu'on créait ainsi une relation de confiance et que la profession conduisait ainsi son travail.
Des sites proposent aujourd'hui de monter ou de se joindre à des actions de groupe en collectant des mandats d'action en justice, ils sont plusieurs et ce ne sont pas les moindres. De plus en plus de sites proposent de délivrer des documents juridiques à un moindre coût dans des délais les plus brefs : production de statut de création d'entreprise, de contrat d'embauche, de transfert du siège social. C'est aujourd'hui.
Sans doute demain, il y aura encore d'autres innovations dont je n'ai même pas idée au moment où je vous parle.
La révolution numérique, elle en train d'investir le secteur du droit.
(Coupure son) une demande, un besoin parce que celles et ceux qui ont cette capacité élevée rencontrent un besoin chez nos concitoyens ou chez nos chefs d'entreprise. Et ils avancent. Et les règlementations que nous poserons elles sont toujours contournées par les acteurs. Et je peux vous dire ici, qu'il ne faut pas penser une seule seconde que la réponse à ces sujets, elle se fera en constituant une forme d'HADOPI du droit ou une ligne Maginot de la profession juridique. On peut essayer, si vous voulez faire des groupes de travail sur le sujet, ça n'est pas ma recommandation principale !
Le vrai problème, c'est que cette révolution se fasse sans nous, sans nous et donc sans que nous soyons en capacité de garantir la qualité des actes, la sécurité juridique de ce qui se fait, la réalité, la pertinence de ce modèle français ; et lorsque les avocats investissent le numérique pour ce faire, ils préfèrent aujourd'hui se faire omettre, abandonner leur qualité et leur droit. C'est ça la réalité dont nous parlons.
Et donc ces barrières qui vous empêchent d'y participer, elles ne viennent pas de la loi forcément, elles sont protéiformes. Il y a des limitations, des interdictions faites au référencement des sites tenus par des avocats. Qu'à cela ne tienne ! L'avocat qui veut faire ces innovations se fait omettre et il y va ! L'interdiction faite aux avocats de déposer et de porter des noms de domaine, même réponse. L'interdiction d'afficher des activités dominantes, l'obligation faite aux avocats de rencontrer physiquement leurs clients, devra être revue surtout dans la perspective de l'arrivée des identifiants numériques ou de l'identité numérique. Je cite quelques exemples d'output mais qui montrent qu'il y a une formidable modernisation de la profession à penser ensemble en garantissant vos principes fondamentaux, auxquels vous êtes légitimement attachés. Mais en l'occurrence qu'est-ce qui relève d'un attachement qui garantit l'exercice de ces missions et une volonté de se réfugier derrière ces derniers pour ne pas voir le changement se faire ? Parce qu'aujourd'hui, chaque jour, vous avez des collègues qui quittent cette profession pour pouvoir innover.
L'enjeu, ce n'est pas donc pas seulement de s'adapter, de lancer une forme de course à la modernisation, c'est de faire de vous des acteurs à part entière du numérique et c'est aussi d'utiliser ces nouvelles opportunités pour déployer des relations juridiques qui soient plus simples, plus fluides, et parfois plus dématérialisées parce que c'est pertinent.
Et voilà pourquoi dans le cadre de la stratégie sur les nouvelles opportunités économiques, je souhaite vivement que nous puissions ouvrir ensemble et avec le ministère de la Justice au moins deux pistes de réflexion. Mais je serai à l'écoute de toutes les autres pistes que vous voudrez me proposer et que vous voudrez porter en la matière.
La première piste, c'est qu'il me semble que nous devrions réfléchir à déployer au plus vite l'identité numérique. Ça ne dépend pas de vous. Je citais des points qui pour beaucoup dépendent de votre organisation, ça ça dépend de nous. Mais il faut le faire ensemble.
Nous devrions très vite être capables de développer et d'étendre l'usage de l'identité numérique, c'est un procédé qui offre la plus haute garantie possible à tous les acteurs et que leur interlocuteur numérique soit bien la personne justement qu'elle prétend être.
Cette identité, elle sera liée également à la signature électronique. Et on en a besoin pour tout un tas d'actes qui relèvent de votre activité, qui relèvent parfois de l'exercice de mission de service public. Et la technologie existe. Des pays l'ont déjà déployée ou sont en train de le faire. Et nous serions en mesure de le faire vite et bien.
Et cette identité comme identifiant numérique des entreprises changerait profondément les relations entre les parties. Elle rendrait possible la dématérialisation totale des procédures, des transmissions et des actes entre parties de droit et entre professionnels du droit ; elle permettrait la saisine numérique des avocats au contentieux ; la signification électronique ; la preuve numérique ; la création de référentiels de jurisprudence à disposition des professionnels et des particuliers. J'ai bien conscience que ça représenterait une petite révolution. Je ne suis pas en train de dire que tout est facile, il faut justement appréhender l'ensemble des conséquences que tout ça aura. Mais nous devons le faire ensemble, c'est un devoir, pour voir ce qu'il convient d'ouvrir, ce qu'il convient de fermer, mais il faut tout considérer.
La deuxième piste que nous pourrions explorer c'est celle du parachèvement du régime de la preuve numérique. Si l'écrit sur support électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier, il existe aujourd'hui un véritable décalage entre la valeur juridique du document numérique et l'usage quotidien qui en est fait.
En plus de ça, la force probante ne concerne pas le passé, c'est-à-dire les stocks papier qui peuvent être numérisés et c'est aussi un point très concret qu'il nous faut résoudre. Et sur ce sujet, il me paraît aussi particulièrement utile d'avancer et de sécuriser les choses. Parce que sinon ce continent qui s'ouvre se fera sans que nous en ayons posé les règles et donc avec des risques de fragilité absolument majeurs.
Sur tous ces sujets je veux pouvoir avancer avec vous et avec le ministère de la Justice, et non pas dans un esprit qui consiste à dire « des réformes s'imposent à nous et nous devons réagir » mais en ayant conscience que sur beaucoup de ces aspects nous sommes parfois collectivement à constater des changements qui sont en train de se faire auxquels nous devons trouver un cadre collectif qui soit pertinent. Et donc c'est dans cette aventure que j'aimerais que pour les prochains mois, nous puissions ensemble nous lancer.
Vous l'avez compris, Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, ma conception de la réforme ne change pas. Il faut avancer parce que le monde avance beaucoup plus vite que nous. Il faut avancer si nous croyons à nos valeurs, à la force de notre modèle, de nos principes, mais pour qu'il réussisse, non pas pour les défendre de manière passéiste. Et la réforme, elle se fait ensemble. Parfois en partageant des désaccords, et en ayant le courage de se les dire, de les affronter, en considérant que l'ambigüité ne permet pas de répondre à tous les sujets et que parfois il vaut mieux avoir un désaccord clair et partagé dans le respect que des ambigüités durables, au risque de se réveiller groggy.
Mais avec cette même volonté, celle de continuer à rester libre, parce que vous êtes attachés à ça, et moi aussi, et celle de réussir dans ce monde qui s'ouvre devant nous parce qu'être libre seul dans son coin c'est beaucoup moins intéressant.
Et au fond, la question qui nous est posée, c'est celle de savoir si ensemble on veut être progressiste ou conservateur. On fait toujours des erreurs dans la vie, mais moi je garde, chevillée au corps, une très belle formule de Chesterton qui disait que la différence entre les progressistes et les conservateurs c'est que les progressistes sont prêts à prendre des risques afin de commettre de nouvelles erreurs pour réparer celles du passé. Et les conservateurs ne veulent simplement pas bouger pour préserver les erreurs faites hier.
Merci pour votre attention.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 16 octobre 2015
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Messieurs les Bâtonniers,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui. Je ne remplace pas celles et ceux qui seront peut-être à vos côtés durant la journée, j'en ai conscience, et ne voyez là aucun message politique, mais je voulais être là parce que nous nous sommes beaucoup parlé durant ces derniers mois et j'ai bon espoir que nous nous parlerons encore beaucoup dans les mois qui viennent.
Vous l'avez rappelé tout au long de votre discours, Monsieur le Président, vous avez ce goût pour la liberté et je le partage. Alors ça donne beaucoup de responsabilités la liberté, sinon ça ne s'exerce même pas. Ça devient un ensemble vide. Cette responsabilité, nous la partageons et c'est de ça dont je suis venu vous parler aujourd'hui.
D'abord celle qui fait votre quotidien, le coeur de votre mission. J'ai entendu vos confrères à l'entrée de cette salle, j'ai entendu des propos constructifs, une volonté de bien faire et d'assurer cette mission du droit, et en particulier celle de l'accessibilité du droit. Vous pouvez compter sur moi pour porter cette préoccupation et les points d'équilibre qui m'ont été soumis. Je les entends et je crois que c'est la volonté de tout le gouvernement, et au premier titre de la garde des Sceaux, de trouver des solutions intelligentes et adaptées pour trouver un financement pérenne à cette mission.
Ensuite, la responsabilité, c'est d'accompagner les mutations de la société en gardant les principes et les fondamentaux de votre profession mais en actant le fait que la société change, et avec elle l'économie, et que de nouvelles réalités apparaissent qu'il nous faut saisir et accompagner. C'est à cette condition que le goût de la liberté doit s'exprimer, en tout cas qu'il devient quelque chose.
Nous avons pendant plusieurs mois débattu ; je ne sais pas si nous avons obtenu un point de consensus sur tous les sujets, je crois que non. Mais en tout cas, l'idée que je me fais de la réforme, ce n'est ni un passage en force qui n'écouterait personne, ni l'assurance permanente que chacune et chacun soit content, car ce serait la garantie dans notre beau pays de ne finalement pas faire grand-chose.
Nous avons beaucoup échangé avec vous, avec les services de ma collègue Christiane TAUBIRA, avec l'administration. Plusieurs missions parlementaires se sont saisies des sujets qui étaient les nôtres et je crois que nous avons obtenu au final un point d'équilibre, même si vous n'en partagez tous les aspects. Je voudrais ici revenir sur quelques-uns des points que vous avez évoqués et les équilibres que la loi pour l'activité, la croissance et l'égalité des chances économiques a permis d'obtenir avec une recherche constante : celle d'offrir à nos concitoyens et nos entreprises l'accès le plus large, le plus ouvert au droit ; de donner à votre profession les moyens d'assurer la sécurité juridique à nos concitoyens ; et enfin de préserver le modèle français du droit parce que je sais que vous y êtes attaché et j'y suis attaché avec vous. Il n'y a pour moi dans la modernisation de votre profession aucune fascination pour d'autres modèles.
Vous avez parlé d'abord, et je dois confier qu'en entrant dans ces sujets, j'ai fait moi-même une découverte, de la séparation définie par l'ordonnance de 1945 entre les professions du droit et du chiffre. J'ai découvert cette réalité. Vous l'avez évoquée tout à l'heure et vous avez été applaudi par vos confrères. C'est assez fascinant. C'est assez fascinant parce que ce texte n'a pas redonné matière à l'un pour avoir réduit le périmètre de l'autre, il a simplement clarifié les modes d'exercice, en particulier de la profession d'expert-comptable, qui n'étaient plus conformes à l'ordonnance de 1945.
Faut-il s'en étonner. Entre nous, non. Fallait-il avoir tant d'émotion autour de cette discussion ? Entre nous, non. Nous avons simplement permis par la notification purement rédactionnelle de l'ordonnance de 1945 d'assurer le cadre juridique qui fait qu'un expert-comptable peut, par exemple, produire une feuille de paie pour un client qui ne serait pas un client pour lequel il a un mandat pour d'autres missions d'expertise-comptable. Ça ne me semble pas honnêtement enlever beaucoup de matière aux avocats qui, à ma connaissance, ont rarement fait ce travail. Ça n'est pas l'idée, me semble-t-il, que vous vous faites de votre profession.
Ensuite la postulation territoriale. Je comprends que ça ait contrarié. C'est d'ailleurs pour ça que nous nous sommes donnés du temps puisqu'elle entrera en vigueur en août 2016. Mais somme toute, nous ne faisons là qu'accompagner une réforme de 2011. On aurait pu dire comme dans d'autres matières dans le pénal ou la justice commerciale qu'il n'y avait plus de postulation à avoir dans le monde où on vit. Mais considérer que la postulation territoriale devait faire fi de la réforme de 2011 qui avait conduit à supprimer les avoués, entre nous à l'heure où nous vivons, c'est déraisonnable.
Alors il faut trouver, et nous les avons cherchées ensemble, les voies et moyens de préserver les équilibres, mais qu'on n'aille pas m'expliquer que c'est mettre cul par-dessus tête la profession. Parce qu'être libre, c'est regarder les choses en face. Cette réforme de 2011, vous l'avez voulue et accompagnée. Vous ne pourrez pas dire : « On l'a fait partiellement parce que la fin de la réforme ne nous intéresse pas ». Comment expliquer que certains axes de la postulation qui existent encore au sein même d'un TGI pour nos concitoyens et nos entreprises n'ont plus de sens à l'heure où nous nous parlons et j'y reviendrai encore un peu tout à l'heure.
Par la discussion, nous avons maintenu des matières au niveau du TGI : des saisies immobilières, l'aide juridictionnelle et la cour d'appel, pour le reste, à organiser jusqu'à l'été prochain ; donc c'est en août 2016 que cette réforme rentrera en vigueur.
Pour les bureaux secondaires, la discussion parlementaire, puisque vous savez que ce n'était pas initialement dans le projet du gouvernement, a voulu porter et là je crois par souci de préserver des équilibres et en particulier des équilibres des CARPA et des équilibres des barreaux. A vous de lui donner une possibilité supplémentaire, à la fois de contribuer au barreau et à son barreau secondaire et puis, en effet, de participer aux charges de ce barreau. J'entends, et vous m'avez fait part des contraintes qui sont les vôtres, il faut trouver les voies et moyens d'exercer ce que les parlementaires ont voulu mettre dans la loi mais qui me paraît aussi relever du bon sens. Aurions-nous oublié ce point que, je crains, d'aucuns nous auraient reproché d'avoir permis à la profession de créer des bureaux secondaires, jouant des stratégies non-coopératives dans certains barreaux ?
Sur les conventions d'honoraires, vous avez dit que beaucoup le faisaient ; c'est maintenant dans la loi parce que c'est un critère de transparence, de bons services et la loi a prévu le cadre d'intervention des agents de la DGCCRF dans le strict respect du secret professionnel, comme cela est fait d'ores et déjà pour les médecins par exemple. Je n'ai jamais eu de recours contre les vérifications de ces services qui sont proportionnés mais qui sont la garantie pour que la loi soit respectée. Il est de la responsabilité du législateur de ne pas se dessaisir de tout au bénéfice des ordres. Donc je sais l'importance de votre entourage, je sais en effet que tout cela est respecté et suivi mais la loi prévoit un cadre. Il est strict, il est proportionné et je peux vous garantir ici et j'en serai le garant avec vous que l'intervention de mes services se fera dans le strict respect du secret professionnel.
Ensuite, votre esprit taquin sans doute vous a conduit à mentionner je prenais des notes en vous écoutant les avocats en entreprise. Là je dois dire que c'est une autre découverte que j'ai faite en côtoyant votre profession. C'est, et je ne dis pas ça par provocation pour votre voisin Marseillais, la polyphonie corse qui s'exprime à plein quand on arrive sur ce sujet. Je crois que de semaine en semaine, parfois les mêmes interlocuteurs me disaient qu'ils étaient pour puis contre selon les équilibres de la profession et de la dernière réunion qu'ils venaient de tenir. Je rappelle que cette réforme des avocats d'entreprise avait conduit à un rapport quasi-conclusif, de mémoire en 2007, remis sur la table en 2009, poussé par une partie de la profession, en particulier le barreau de Paris et quelques autres, il y a quelques mois.
Ce n'est pas de la provocation, c'est juste que parfois on a du mal à trouver votre nord magnétique, mais c'est le charme de cette profession, vous l'avez évoqué. Et ce goût pour la liberté donne une science de la dissidence, je l'ai observée. Je pense fondamentalement que nous n'avons pas traité le problème. Fallait-il le faire par un avocat en entreprise ? Si j'en avais eu la conviction chevillée au corps, j'aurais été au bout des choses, vous me connaissez. Mais je pense que le problème qui est le nôtre, c'est quand même une situation où de plus en plus de grands groupes français font appel à des avocats anglo-saxons pour pouvoir échanger des pièces entre avocats
Donc là aussi la nature nous rattrape et l'organisation collective nous rattrape. Je ne voudrais pas que le modèle français et que les meilleurs avocats français qui pourraient occuper ces fonctions en soient exclus sous prétexte qu'on n'a pas apporté la bonne réponse. Et que pour être maintenant secrétaire général ou directeur juridique ou general counsel comme on dit en bon français de ces groupes, il faille être avocat. Ça n'a pas beaucoup de sens. Maintenant, on le voit bien, ça ne vaut que pour quelques entreprises, celles qui ont à échanger des actes, des pièces dans le monde entier et principalement dans le monde anglo-saxon. Sans doute faut-il trouver une réponse plus chirurgicale qui ne donne pas le sentiment de contrevenir aux principes mêmes d'organisation de la profession où elle fera apparaître qu'il y a un risque systémique qui pourrait concerner toutes les entreprises. Ça n'a aucun sens de créer un avocat d'entreprise dans la plupart des PME et des ETI.
Il nous faut trouver, et là je pense que la profession a une vraie responsabilité par son organisation collective, la bonne réponse à ce problème parce que cela participe de la compétitivité du modèle d'avocat français et je pense que c'est très important. Mais j'ai bien noté que ces avocats d'entreprise ne recueillaient pas une majorité des suffrages ; en tout cas, cela restait un objet parce qu'il touchait à vos principes fondamentaux, et c'est pourquoi nous l'avons écarté.
Pour ce qui est de l'interprofessionnalité, elle est une chance incroyable en particulier pour les jeunes. Ce que la loi permet, c'est qu'elle donne un cadre pour avancer et vous avez ma garantie que nous le ferons ensemble durant les prochains mois puisque d'ici aux mois de février et mars prochains, les ordonnances seront prises. Elles mettront en oeuvre ces différentes inter-professionnalités d'exercice simple d'une profession puis l'interprofessionnalité avec plusieurs professions du droit et du chiffre. Dans les deux cas, les ouvertures du capital ne sont permises que si elles sont détenues par des professionnels du droit. L'interprofessionnalité des professions du droit, il faut que ce soient les professionnels eux-mêmes qui détiennent le capital. J'ai entendu ou lu beaucoup de choses là-dessus. C'est la défense du modèle français, là où la justice européenne reconnaît de plus en plus l'arrivée de formes juridiques de cabinets, qu'elles soient d'ailleurs allemandes ou anglo-saxonnes. Ce ne sont pas les professionnels du droit qui sont les détenteurs du capital. Donc je crois que c'est une condition pour que les professionnels du droit dans l'ensemble puissent créer des structures à l'échelle, qui se développent, en étant eux-mêmes propriétaires du capital mais en ayant une capacité d'action, de financement supérieur.
Pour ce qui est de l'interprofession entre le droit et le chiffre, nous avons strictement réduit cette ouverture aux professions du chiffre qui ne l'auraient pas ouvertes parce que les règles ne sont pas les mêmes. Je veux ici pleinement vous rassurer.
Notre réforme a vocation à rentrer en vigueur au printemps prochain, elle est à mes yeux, pour les plus jeunes, pour nos territoires, un vrai moyen de modernisation des conditions d'exercice. Elle permet d'offrir aux entreprises comme aux particuliers une offre plus large, plus simple, un accès plus moderne.
La loi Croissance et Activité a aussi permis d'avoir une rémunération au succès, qui changera les pratiques dans le bon sens.
Elle a permis l'ouverture, madame la présidente, des offices d'avocat au conseil qui est également une chance pour la profession. Les parlementaires ont entendu cette disposition qui ne faisait pas partie du texte initial, nous avons proportionné je crois cette ouverture pour qu'elle ne déstabilise pas les professionnels en place et j'y serai très vigilant, et la Garde des Sceaux également.
Enfin, je reviens ici sur l'un des sujets de discussion : la loi Croissance et Activité a créé un fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice, nous reviendrons en loi de finances sur les modalités du financement, qui pour la première fois reconnait que les autres professions du droit, en particulier les professions règlementées, doivent contribuer au financement.
Et je crois que ça va d'ailleurs totalement dans le sens de votre proposition. Pour la première fois on reconnait que quand on est un professionnel du droit, qui plus est un officier public ministériel, il n'est pas anormal qu'à partir d'un certain niveau d'actes on contribue à l'effort collectif et à l'accès au droit de tous, parce que ça relève de l'intérêt général.
Je rappellerais enfin que c'est par cette loi que nous introduisons la possibilité pour les CARPA d'obtenir notamment les financements en provenance des actions de groupe, ce que la loi Consommation nous avait déjà permis. C'est là aussi pour la stabilité de la profession un élément important.
Voilà les points que je voulais rappeler qui concernent cette loi Croissance et Activité, dont vous avez traduit une partie des désaccords que nous partageons ou des éléments que nous avons pu échanger.
Elle s'est attachée aussi à moderniser notre profession et là-dessus je veux vous rassurer, ce n'est pas parce qu'une profession est davantage règlementée qu'elle n'a pas fait l'objet d'une modernisation aussi vigoureuse.
Certains avaient pris les devants et s'étaient modernisés en se débarrassant eux-mêmes de toute exclusivité d'actes, les experts comptables dont vous nous avez parlé, et d'autres l'ont moins fait.
Le choix qui a été fait dans ce texte ne permet pas de revisiter l'exclusivité de certains actes juridiques. Et donc nous n'avons pas poursuivi un mouvement qui avait été entamé en 2009 contribuant à créer l'acte d'avocat, qu'il faut faire vivre, mais plutôt en demandant à chacune de ces professions d'avoir plus de transparence, plus d'ouverture dans l'accès, plus de justice dans la fixation des tarifs, et donc de moderniser les cadres de son fonctionnement.
En tout cas, je tiens à vous remercier une fois encore pour cette invitation aujourd'hui qui nous permet d'avoir ces échanges et pour le dialogue avec vous-même et votre prédécesseur que j'ai pu avoir pendant de longs mois.
Mais vous l'avez en fait compris dans votre propos introductif, ce n'est pas terminé, et ma présence aujourd'hui se justifie aussi par le fait que je suis profondément convaincu que nous devons collectivement continuer à nous adapter à ce monde qui va.
La loi ne va pas tout prévoir, ça n'a pas de sens. Ce n'est pas la loi qui fait les changements, et l'attachement que vous avez vous-mêmes à moderniser votre profession le montre et c'est formidable. Mais la loi doit parfois adapter les cadres lorsqu'ils créent des contraintes qui interdisent aux professionnels, aux acteurs de l'économie de se moderniser, de se transformer.
Et ma conviction c'est qu'aujourd'hui la pierre angulaire de notre système judiciaire, c'est l'avocat, que l'acteur principal de la sécurité juridique c'est l'avocat, or que cette profession, au-delà de ce dont nous venons de parler, elle est face à d'immenses défis liés à la révolution numérique et que choisir le statu quo, considérer que vous avez déjà apporté toutes les réponses, c'est faire une véritable erreur. Parce qu'il y a un gigantesque marché du droit qui est en train d'éclore aujourd'hui sur internet, devant nous. On pense, on est là tous ensemble à La Mutualité, que tout va bien se passer, mais pendant que nous parlons, la vague est partie. Alors on peut décider comme les trois petits singes de ne rien voir, de ne rien entendre et ne rien dire. J'ai peur que ce réveil soit douloureux et je considère que ma responsabilité, c'est de partager avec vous ces constats pour y apporter les bonnes solutions.
Des sites internet permettent aujourd'hui de saisir directement les tribunaux pour des petits litiges à faible coût qui ne nécessitent pas de passer par un avocat alors même que vous savez bien que la pratique consistait à aller voir un avocat quand bien même le recours à celui-ci n'était pas obligatoire et qu'on créait ainsi une relation de confiance et que la profession conduisait ainsi son travail.
Des sites proposent aujourd'hui de monter ou de se joindre à des actions de groupe en collectant des mandats d'action en justice, ils sont plusieurs et ce ne sont pas les moindres. De plus en plus de sites proposent de délivrer des documents juridiques à un moindre coût dans des délais les plus brefs : production de statut de création d'entreprise, de contrat d'embauche, de transfert du siège social. C'est aujourd'hui.
Sans doute demain, il y aura encore d'autres innovations dont je n'ai même pas idée au moment où je vous parle.
La révolution numérique, elle en train d'investir le secteur du droit.
(Coupure son) une demande, un besoin parce que celles et ceux qui ont cette capacité élevée rencontrent un besoin chez nos concitoyens ou chez nos chefs d'entreprise. Et ils avancent. Et les règlementations que nous poserons elles sont toujours contournées par les acteurs. Et je peux vous dire ici, qu'il ne faut pas penser une seule seconde que la réponse à ces sujets, elle se fera en constituant une forme d'HADOPI du droit ou une ligne Maginot de la profession juridique. On peut essayer, si vous voulez faire des groupes de travail sur le sujet, ça n'est pas ma recommandation principale !
Le vrai problème, c'est que cette révolution se fasse sans nous, sans nous et donc sans que nous soyons en capacité de garantir la qualité des actes, la sécurité juridique de ce qui se fait, la réalité, la pertinence de ce modèle français ; et lorsque les avocats investissent le numérique pour ce faire, ils préfèrent aujourd'hui se faire omettre, abandonner leur qualité et leur droit. C'est ça la réalité dont nous parlons.
Et donc ces barrières qui vous empêchent d'y participer, elles ne viennent pas de la loi forcément, elles sont protéiformes. Il y a des limitations, des interdictions faites au référencement des sites tenus par des avocats. Qu'à cela ne tienne ! L'avocat qui veut faire ces innovations se fait omettre et il y va ! L'interdiction faite aux avocats de déposer et de porter des noms de domaine, même réponse. L'interdiction d'afficher des activités dominantes, l'obligation faite aux avocats de rencontrer physiquement leurs clients, devra être revue surtout dans la perspective de l'arrivée des identifiants numériques ou de l'identité numérique. Je cite quelques exemples d'output mais qui montrent qu'il y a une formidable modernisation de la profession à penser ensemble en garantissant vos principes fondamentaux, auxquels vous êtes légitimement attachés. Mais en l'occurrence qu'est-ce qui relève d'un attachement qui garantit l'exercice de ces missions et une volonté de se réfugier derrière ces derniers pour ne pas voir le changement se faire ? Parce qu'aujourd'hui, chaque jour, vous avez des collègues qui quittent cette profession pour pouvoir innover.
L'enjeu, ce n'est pas donc pas seulement de s'adapter, de lancer une forme de course à la modernisation, c'est de faire de vous des acteurs à part entière du numérique et c'est aussi d'utiliser ces nouvelles opportunités pour déployer des relations juridiques qui soient plus simples, plus fluides, et parfois plus dématérialisées parce que c'est pertinent.
Et voilà pourquoi dans le cadre de la stratégie sur les nouvelles opportunités économiques, je souhaite vivement que nous puissions ouvrir ensemble et avec le ministère de la Justice au moins deux pistes de réflexion. Mais je serai à l'écoute de toutes les autres pistes que vous voudrez me proposer et que vous voudrez porter en la matière.
La première piste, c'est qu'il me semble que nous devrions réfléchir à déployer au plus vite l'identité numérique. Ça ne dépend pas de vous. Je citais des points qui pour beaucoup dépendent de votre organisation, ça ça dépend de nous. Mais il faut le faire ensemble.
Nous devrions très vite être capables de développer et d'étendre l'usage de l'identité numérique, c'est un procédé qui offre la plus haute garantie possible à tous les acteurs et que leur interlocuteur numérique soit bien la personne justement qu'elle prétend être.
Cette identité, elle sera liée également à la signature électronique. Et on en a besoin pour tout un tas d'actes qui relèvent de votre activité, qui relèvent parfois de l'exercice de mission de service public. Et la technologie existe. Des pays l'ont déjà déployée ou sont en train de le faire. Et nous serions en mesure de le faire vite et bien.
Et cette identité comme identifiant numérique des entreprises changerait profondément les relations entre les parties. Elle rendrait possible la dématérialisation totale des procédures, des transmissions et des actes entre parties de droit et entre professionnels du droit ; elle permettrait la saisine numérique des avocats au contentieux ; la signification électronique ; la preuve numérique ; la création de référentiels de jurisprudence à disposition des professionnels et des particuliers. J'ai bien conscience que ça représenterait une petite révolution. Je ne suis pas en train de dire que tout est facile, il faut justement appréhender l'ensemble des conséquences que tout ça aura. Mais nous devons le faire ensemble, c'est un devoir, pour voir ce qu'il convient d'ouvrir, ce qu'il convient de fermer, mais il faut tout considérer.
La deuxième piste que nous pourrions explorer c'est celle du parachèvement du régime de la preuve numérique. Si l'écrit sur support électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier, il existe aujourd'hui un véritable décalage entre la valeur juridique du document numérique et l'usage quotidien qui en est fait.
En plus de ça, la force probante ne concerne pas le passé, c'est-à-dire les stocks papier qui peuvent être numérisés et c'est aussi un point très concret qu'il nous faut résoudre. Et sur ce sujet, il me paraît aussi particulièrement utile d'avancer et de sécuriser les choses. Parce que sinon ce continent qui s'ouvre se fera sans que nous en ayons posé les règles et donc avec des risques de fragilité absolument majeurs.
Sur tous ces sujets je veux pouvoir avancer avec vous et avec le ministère de la Justice, et non pas dans un esprit qui consiste à dire « des réformes s'imposent à nous et nous devons réagir » mais en ayant conscience que sur beaucoup de ces aspects nous sommes parfois collectivement à constater des changements qui sont en train de se faire auxquels nous devons trouver un cadre collectif qui soit pertinent. Et donc c'est dans cette aventure que j'aimerais que pour les prochains mois, nous puissions ensemble nous lancer.
Vous l'avez compris, Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, ma conception de la réforme ne change pas. Il faut avancer parce que le monde avance beaucoup plus vite que nous. Il faut avancer si nous croyons à nos valeurs, à la force de notre modèle, de nos principes, mais pour qu'il réussisse, non pas pour les défendre de manière passéiste. Et la réforme, elle se fait ensemble. Parfois en partageant des désaccords, et en ayant le courage de se les dire, de les affronter, en considérant que l'ambigüité ne permet pas de répondre à tous les sujets et que parfois il vaut mieux avoir un désaccord clair et partagé dans le respect que des ambigüités durables, au risque de se réveiller groggy.
Mais avec cette même volonté, celle de continuer à rester libre, parce que vous êtes attachés à ça, et moi aussi, et celle de réussir dans ce monde qui s'ouvre devant nous parce qu'être libre seul dans son coin c'est beaucoup moins intéressant.
Et au fond, la question qui nous est posée, c'est celle de savoir si ensemble on veut être progressiste ou conservateur. On fait toujours des erreurs dans la vie, mais moi je garde, chevillée au corps, une très belle formule de Chesterton qui disait que la différence entre les progressistes et les conservateurs c'est que les progressistes sont prêts à prendre des risques afin de commettre de nouvelles erreurs pour réparer celles du passé. Et les conservateurs ne veulent simplement pas bouger pour préserver les erreurs faites hier.
Merci pour votre attention.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 16 octobre 2015