Texte intégral
(...)
Q - Les associations présentes à Calais affirment que les violences envers les forces de l'ordre ces derniers jours sont le résultat du désespoir des migrants, provoqué par votre volonté de rendre hermétique la frontière. Que répondez-vous ?
R - Il s'agit là d'une idée absurde qui ne tient pas compte des faits. Si la frontière n'était pas étanche, les Britanniques, qui ne sont pas dans Schengen, la rendraient infranchissable de leur côté. Et ces mêmes associations me reprocheraient alors de laisser les migrants mourir en nombre en prenant la mer, ou percutés par des trains. Vingt migrants ont déjà perdu la vie depuis le début de l'année dans ces tentatives de passage. Continuer à les encourager dans cette voie, comme le font certains acteurs, est totalement irresponsable.
Q - Vous étiez à Calais le 21 octobre. Depuis, plus de 500 personnes habitant la «jungle» ont été placées en centre de rétention. Selon les associations, la plupart sont libérées au bout de quelques jours. Quel est l'objectif de cette stratégie, qui semble coûteuse et inefficace ?
R - Il est important de répéter que nous faisons face à une crise mondiale et européenne, et pas à une situation circonscrite à Calais. Depuis début 2015, le nombre de migrants arrivés en Europe est équivalent à celui des cinq dernières années. Nous aurons en France environ 80.000 demandes d'asile à la fin de l'année, là où il y en avait 65.000 l'an dernier. La situation est donc maîtrisée.
Notre politique à Calais repose sur plusieurs axes. D'abord, nous luttons contre les passeurs. Mon objectif est de rendre ce passage étanche. Calais est une impasse, cela doit être compris.
Ensuite, je souhaite que tous ceux qui relèvent du statut de réfugié puissent l'obtenir en France. En 2013, il y avait 300 demandes d'asile à Calais. En 2014, 1.200. Et il y en a déjà eu 2.000 cette année. Lorsqu'il y a une intrusion dans le tunnel [sous la Manche] et que ceux qui sont interpellés sont en situation irrégulière ou que leur nationalité ne peut être établie, nous les plaçons en rétention. Il n'y a pas de singularité calaisienne dans la politique de lutte contre l'immigration irrégulière conduite par l'État. J'ai donné des instructions précises pour que ne soient pas éloignés à partir de Calais vers des centres de rétention [CRA] des migrants dont nous connaissons la nationalité et dont nous savons qu'ils ne sont pas éloignables [c'est-à-dire expulsés du territoire]. Dans les CRA, si la nationalité de la personne est établie et que cette dernière peut être éloignée, nous le faisons. Si elle ne peut pas l'être, ce qui est bien évidemment le cas pour les Syriens, nous demandons qu'elle ne soit pas maintenue en rétention et nous lui proposons l'asile.
Q - Depuis le 23 octobre, sur les 500 personnes placées en rétention, combien ont été effectivement expulsées ? Selon la Cimade, ce chiffre est très faible.
R - Nous avons procédé depuis le début de l'année à 1.532 éloignements du territoire français d'étrangers interpellés à Calais ou dans les alentours, dont 57 depuis le 23 octobre. Les éloignements sont ainsi en hausse sensible, de 9%, par rapport à 2014. Si nous renonçons à éloigner ceux qui sont en situation irrégulière, alors nous sapons les fondements même du droit d'asile.
Q - En août, vous avez annoncé la création de 1.500 places d'hébergement dans la «jungle», où vivaient alors 2.500 personnes. Cela n'était-il pas sous-dimensionné dès le départ ?
R - Concentrer toutes les difficultés, la misère et les précarités en faisant un grand camp à Calais est le contraire d'une ambition humanitaire. Ce n'est donc pas mon approche. Il faut y améliorer les conditions de vie, nous le faisons avec ces 1.500 places, un accompagnement sanitaire et des aménagements. Mais la bonne stratégie, c'est de vraiment mettre à l'abri dans des centres d'accueil partout en France. Depuis le 27 octobre, 1.000 personnes vivant dans la jungle ont été hébergées dans des «centres de répit» préalables au placement en centres d'accueil pour demandeurs d'asile. Ce n'est quand même pas rien. Ces solutions correspondent à un standard qui n'existe pas ailleurs dans l'Union européenne. On peut intégrer 6.000 ou 7.000 réfugiés dans un pays de 65 millions d'habitants. Je veux créer les conditions d'un vrai accueil humanitaire et de parcours réussis. C'est plus difficile, j'en conviens, que d'entretenir le démago-populisme.
Q - L'ONU et la Commission européenne estiment que les arrivées ne vont pas ralentir au cours des prochaines années. Le plan de relocalisation de 160.000 réfugiés peut-il être revu à la hausse ?
R - La situation ne peut pas perdurer. Il faut que deux objectifs soient atteints au sein de l'UE : que Frontex [l'Agence européenne de surveillance des frontières] soit en situation d'assurer efficacement le contrôle des frontières extérieures pour que les réseaux de passeurs soient démantelés et qu'une vraie politique européenne de retours permette de reconduire dans la dignité les migrants économiques qui ne peuvent rester dans l'UE.
Q - Les migrants économiques sont loin d'être la majorité de ceux qui arrivent aujourd'hui en Europe...
R - Cela reste la majorité des arrivées en Italie et des personnes originaires du Kosovo ou d'Albanie. Ces sujets, s'ils sont traités, permettraient d'alléger sensiblement la pression migratoire. Il faut aussi que le mandat confié à la Commission européenne, de dialoguer avec les pays tiers pour dynamiser les retours depuis l'UE, soit efficacement conduit et qu'une politique de co-développement ambitieuse voie le jour. Il faut enfin rehausser d'urgence les moyens du HCR.
Q - Pour convaincre les réfugiés syriens et irakiens de rester en Turquie et au Liban ?
R - J'ai vu, lors d'un récent déplacement au Liban, des personnes désespérées, qui sont bien souvent ingénieurs, médecins, étudiants. Nous continuerons bien sûr de protéger certaines personnes en France et en Europe, mais dans le même temps, si nous vidons ces pays de leurs compétences, comment se reconstruiront-ils demain ? On n'en est pas là. Mais il faut penser à l'avenir et éviter d'ajouter de l'exode à l'exode. L'Europe ne peut pas accueillir tous les réfugiés, cela n'est pas possible, car sinon nous aurons un problème politique majeur.
Q - Personne ne propose cela. Et la situation au Liban, qui accueille 1,5 million de réfugiés, soit le quart de sa population, est autrement plus délicate.
R - Oui, et j'ai salué, au Liban, la qualité de l'effort fourni par cet État face à cette situation exceptionnelle. Mais il y a une différence. Il accueille des réfugiés qui ont la volonté de retourner dans leur pays. Ici, la réalité est tout autre : accueillir en Europe rend la perspective du retour plus compliquée. Et nous devons créer les conditions d'une intégration de qualité dans la durée.
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source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 novembre 2015
Q - Les associations présentes à Calais affirment que les violences envers les forces de l'ordre ces derniers jours sont le résultat du désespoir des migrants, provoqué par votre volonté de rendre hermétique la frontière. Que répondez-vous ?
R - Il s'agit là d'une idée absurde qui ne tient pas compte des faits. Si la frontière n'était pas étanche, les Britanniques, qui ne sont pas dans Schengen, la rendraient infranchissable de leur côté. Et ces mêmes associations me reprocheraient alors de laisser les migrants mourir en nombre en prenant la mer, ou percutés par des trains. Vingt migrants ont déjà perdu la vie depuis le début de l'année dans ces tentatives de passage. Continuer à les encourager dans cette voie, comme le font certains acteurs, est totalement irresponsable.
Q - Vous étiez à Calais le 21 octobre. Depuis, plus de 500 personnes habitant la «jungle» ont été placées en centre de rétention. Selon les associations, la plupart sont libérées au bout de quelques jours. Quel est l'objectif de cette stratégie, qui semble coûteuse et inefficace ?
R - Il est important de répéter que nous faisons face à une crise mondiale et européenne, et pas à une situation circonscrite à Calais. Depuis début 2015, le nombre de migrants arrivés en Europe est équivalent à celui des cinq dernières années. Nous aurons en France environ 80.000 demandes d'asile à la fin de l'année, là où il y en avait 65.000 l'an dernier. La situation est donc maîtrisée.
Notre politique à Calais repose sur plusieurs axes. D'abord, nous luttons contre les passeurs. Mon objectif est de rendre ce passage étanche. Calais est une impasse, cela doit être compris.
Ensuite, je souhaite que tous ceux qui relèvent du statut de réfugié puissent l'obtenir en France. En 2013, il y avait 300 demandes d'asile à Calais. En 2014, 1.200. Et il y en a déjà eu 2.000 cette année. Lorsqu'il y a une intrusion dans le tunnel [sous la Manche] et que ceux qui sont interpellés sont en situation irrégulière ou que leur nationalité ne peut être établie, nous les plaçons en rétention. Il n'y a pas de singularité calaisienne dans la politique de lutte contre l'immigration irrégulière conduite par l'État. J'ai donné des instructions précises pour que ne soient pas éloignés à partir de Calais vers des centres de rétention [CRA] des migrants dont nous connaissons la nationalité et dont nous savons qu'ils ne sont pas éloignables [c'est-à-dire expulsés du territoire]. Dans les CRA, si la nationalité de la personne est établie et que cette dernière peut être éloignée, nous le faisons. Si elle ne peut pas l'être, ce qui est bien évidemment le cas pour les Syriens, nous demandons qu'elle ne soit pas maintenue en rétention et nous lui proposons l'asile.
Q - Depuis le 23 octobre, sur les 500 personnes placées en rétention, combien ont été effectivement expulsées ? Selon la Cimade, ce chiffre est très faible.
R - Nous avons procédé depuis le début de l'année à 1.532 éloignements du territoire français d'étrangers interpellés à Calais ou dans les alentours, dont 57 depuis le 23 octobre. Les éloignements sont ainsi en hausse sensible, de 9%, par rapport à 2014. Si nous renonçons à éloigner ceux qui sont en situation irrégulière, alors nous sapons les fondements même du droit d'asile.
Q - En août, vous avez annoncé la création de 1.500 places d'hébergement dans la «jungle», où vivaient alors 2.500 personnes. Cela n'était-il pas sous-dimensionné dès le départ ?
R - Concentrer toutes les difficultés, la misère et les précarités en faisant un grand camp à Calais est le contraire d'une ambition humanitaire. Ce n'est donc pas mon approche. Il faut y améliorer les conditions de vie, nous le faisons avec ces 1.500 places, un accompagnement sanitaire et des aménagements. Mais la bonne stratégie, c'est de vraiment mettre à l'abri dans des centres d'accueil partout en France. Depuis le 27 octobre, 1.000 personnes vivant dans la jungle ont été hébergées dans des «centres de répit» préalables au placement en centres d'accueil pour demandeurs d'asile. Ce n'est quand même pas rien. Ces solutions correspondent à un standard qui n'existe pas ailleurs dans l'Union européenne. On peut intégrer 6.000 ou 7.000 réfugiés dans un pays de 65 millions d'habitants. Je veux créer les conditions d'un vrai accueil humanitaire et de parcours réussis. C'est plus difficile, j'en conviens, que d'entretenir le démago-populisme.
Q - L'ONU et la Commission européenne estiment que les arrivées ne vont pas ralentir au cours des prochaines années. Le plan de relocalisation de 160.000 réfugiés peut-il être revu à la hausse ?
R - La situation ne peut pas perdurer. Il faut que deux objectifs soient atteints au sein de l'UE : que Frontex [l'Agence européenne de surveillance des frontières] soit en situation d'assurer efficacement le contrôle des frontières extérieures pour que les réseaux de passeurs soient démantelés et qu'une vraie politique européenne de retours permette de reconduire dans la dignité les migrants économiques qui ne peuvent rester dans l'UE.
Q - Les migrants économiques sont loin d'être la majorité de ceux qui arrivent aujourd'hui en Europe...
R - Cela reste la majorité des arrivées en Italie et des personnes originaires du Kosovo ou d'Albanie. Ces sujets, s'ils sont traités, permettraient d'alléger sensiblement la pression migratoire. Il faut aussi que le mandat confié à la Commission européenne, de dialoguer avec les pays tiers pour dynamiser les retours depuis l'UE, soit efficacement conduit et qu'une politique de co-développement ambitieuse voie le jour. Il faut enfin rehausser d'urgence les moyens du HCR.
Q - Pour convaincre les réfugiés syriens et irakiens de rester en Turquie et au Liban ?
R - J'ai vu, lors d'un récent déplacement au Liban, des personnes désespérées, qui sont bien souvent ingénieurs, médecins, étudiants. Nous continuerons bien sûr de protéger certaines personnes en France et en Europe, mais dans le même temps, si nous vidons ces pays de leurs compétences, comment se reconstruiront-ils demain ? On n'en est pas là. Mais il faut penser à l'avenir et éviter d'ajouter de l'exode à l'exode. L'Europe ne peut pas accueillir tous les réfugiés, cela n'est pas possible, car sinon nous aurons un problème politique majeur.
Q - Personne ne propose cela. Et la situation au Liban, qui accueille 1,5 million de réfugiés, soit le quart de sa population, est autrement plus délicate.
R - Oui, et j'ai salué, au Liban, la qualité de l'effort fourni par cet État face à cette situation exceptionnelle. Mais il y a une différence. Il accueille des réfugiés qui ont la volonté de retourner dans leur pays. Ici, la réalité est tout autre : accueillir en Europe rend la perspective du retour plus compliquée. Et nous devons créer les conditions d'une intégration de qualité dans la durée.
(...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 novembre 2015