Déclaration de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur l'annulation de la dette des pays pauvres et l'aide publique au développement, Paris, le 5 octobre 2001.

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Circonstance : Journée de l'Internationale Socialiste pour l'annulation de la dette, à Paris, le 5 octobre 2001

Texte intégral

Il ne m'appartient pas de résumer les travaux de cette journée, je me contenterai de revenir sur les points d'accord qui ressortent de nos débats concernant l'annulation de la dette des pays pauvres.
L'annulation de cette dette est d'abord un acte moral.
Elle vise à régler la dette du Nord à l'égard du Sud, comme la rencontre de Durban l'a rappelé. Il ne s'agit pas seulement d'effacer le colonialisme, mais de gommer l'inégalité dans l'échange, dans la division du travail ou des capitaux et aussi et surtout dans l'accès aux ressources naturelles.
C'est aussi un acte de justice par rapport à des démocraties souvent naissantes qui sont contrariées, entravées dans leur développement, incapables d'assumer la dette qui a été contractée par des dictatures auxquelles elles ont péniblement succédé.
C'est ensuite un acte économique pour favoriser le développement du Sud, mais aussi la croissance du Nord. Il ne s'agit pas d'un jeu d'écriture. Il ne s'agit pas d'un jeu bancaire où l'on allègerait momentanément un fardeau pour mieux assurer au créancier le remboursement final. Nous voulons engager une dynamique économique et sociale, avec une finalité humaine.
L'annulation de la dette des pays pauvres est enfin un acte politique qui répond au défi de la régulation du monde. Nous voulons cette régulation dans les échanges de marchandises - c'est notamment l'enjeu des négociations de l'OMC.
Nous voulons cette régulation pour la circulation des capitaux, via une entrave posée à la spéculation. Nous voulons encore cette régulation pour l'aide au développement et enfin pour la paix, car la mondialisation, ce ne sont pas simplement les marchés, ce sont aussi les conflits, c'est aussi la guerre. C'est pourquoi nous voulons nous inscrire dans la campagne qui a été engagée par les ONG pour l'annulation de la dette des pays les plus pauvres.
Certes, des progrès ont été accomplis au cours des dix dernières années sur l'allègement de la dette des pays pauvres : le dispositif de Toronto, dès 1988, le sommet de Cologne en 2000, ou cette initiative dite des pays pauvres très endettés (PPTE).
La France elle-même a essayé d'être motrice en ce sens : elle avait suivi elle aussi cette démarche multilatérale des PPTE et y a ajouté un volet bilatéral. Mais comme nous l'avons tous constaté, c'est à la fois insuffisant et inapproprié : en définitive, tout cela converge vers une dette soutenable, mais la dette soutenable est une dette durable, ce que nous ne souhaitons pas.
Ce que nous voulons engager dans cette réunion aujourd'hui est un mouvement qui créerait des conditions permettant aux générations politiques dans les pays en développement d'assurer enfin leur avenir sans être alourdies par un fardeau impossible à soulever. Il nous faut pour cela aller plus loin, plus vite et plus fort.
Plus loin parce que nous avons affaire non pas à un changement de degré, en allégeant un peu plus, mais il s'agit bien, comme il a été dit, d'annuler et d'introduire un nouveau mécanisme que l'on pourrait appeler le "contrat de désendettement-développement" ; il ne s'agit en effet pas simplement de désendetter, mais de développer.
Notre idée pourrait être la suivante : le service de la dette serait transformé en avoir pour l'Etat bénéficiaire ; cet avoir serait affecté aux investissements fondamentaux, notamment dans les domaines de l'éducation et de la santé, afin de redonner aux Etats les capacités de développer des politiques publiques dans des services vitaux.
Il s'agirait donc d'un devoir immédiat pour les pays les plus riches, les pays du Nord : annuler la dette sans pour autant que cela soit fait sur les crédits de l'aide publique au développement. En effet, si nous nous engagions sur cette dernière voie, il ne s'agirait que d'un troc contestable : on décide d'annuler une créance irrécouvrable, mais aussi de ne plus donner.
Il s'agit donc d'annuler et de donner, ainsi de faire en sorte que cette annulation soit le premier acte d'un mécanisme de développement.
Pour les pays les plus pauvres il s'agit d'obtenir enfin le droit à l'avenir, en ayant les moyens de leur autonomie.
Bien sûr il faut poser des critères politiques ; il serait trop simple pour les uns comme pour les autres de les écarter.
Pour les uns il s'agit de ne pas encourir le reproche de pratiquer une nouvelle tutelle ou un néocolonialisme.
Pour les autres, au nom de la liberté de tous et des Etats à disposer d'eux-mêmes, il s'agit le plus souvent de couvrir des dictatures ou des utilisations illégales de l'argent ainsi donné.
Oui, il faut poser les critères politiques. Ils sont simples, ils sont ceux que nous avons posés au plan universel : la Démocratie et les Droits de l'Homme.
Il faut aller plus vite. Compte tenu de l'urgence des situations, les procédures aujourd'hui sont beaucoup trop lentes.
Pendant ce temps où nous engageons des procédures, où nous ré échelonnons, où nous retardons, où nous faisons des moratoires, les remboursements continuent de s'accumuler.
Enfin il faut aller plus fort, pas simplement en annulant les dettes bilatérales de chaque Etat à l'égard d'un autre, mais en annulant les dettes multilatérales. C'est en ce sens que l'intervention du représentant de la Banque Mondiale a été importante. Il s'agit maintenant de procéder aussi à ce mouvement-là au niveau des institutions internationales, qu'il faut -bien entendu- défendre et même renforcer.
Il ne s'agit pas uniquement des dettes bilatérales, donc, ni simplement des pays les plus pauvres : il faut aussi annuler une partie de la dette des pays émergents qui sont surendettés.
J'ai à ce propos retenu deux soucis :
Le premier est de préserver la signature et donc le crédit de ces pays, car il y aura toujours des emprunts et des services bancaires ; il ne s'agit pas aujourd'hui de penser que les pays les plus pauvres ou les pays émergents pourront faire l'impasse sur le crédit bancaire. Pour assurer notre propre croissance et notre propre développement nous avons utilisé, quelquefois abusé, au prix de l'inflation, du crédit. Pourquoi faudrait-il en priver les plus pauvres ? Il s'agit donc par l'annulation de la dette de préserver les capacités d'emprunts des pays qui pourraient être bénéficiaires.
Le deuxième souci est de créer des instances d'arbitrage, des lieux où ne figureraient pas, comme au Club de Paris, que les pays créanciers. Il faudrait donc que soient présents les pays débiteurs - c'est indispensable -, les pays créanciers - c'est normal -, mais aussi des arbitres qui pourraient faire en sorte que l'annulation de la dette se fasse dans l'intérêt bien compris des uns et des autres.
J'ai enfin retenu la proposition qui a été faite de mettre à l'ordre du jour non seulement de l'Internationale Socialiste - même si c'est le premier acte -, mais de l'ensemble des pays du monde la question de l'annulation de la dette dans le cadre d'une conférence internationale. Il nous faut prendre ce mot d'ordre : préparons une conférence internationale sur la dette, conférence qui pourrait mettre à son ordre du jour les mécanismes dont nous venons de parler.
Je terminerai en disant que cette réunion est à la fois un point d'arrivée par rapport à la campagne que nous avons engagée, après d'autres, mais aussi un point de départ par rapport aux échéances internationales qui nous attendent. Nous n'aurons fini, chers amis et chers camarades, qu'une fois l'objectif atteint.
Pour ce combat, il faut être exemplaire.
C'est pourquoi je me réjouis que nous ayons pu ici parler, non seulement les représentant des pays du Nord et des pays du Sud, Socialistes pour l'essentiel, mais aussi les acteurs de la communauté internationale, que ce soient des personnalités engagées dans des mouvements d'ONG ou des acteurs des institutions internationales.
Nous devons dans ce combat être citoyens, puisque c'est un combat qui intéresse l'ensemble de la planète. Il s'agit en effet d'un processus plus large ; il ne s'agit pas aujourd'hui seulement de s'arrêter à la question de l'annulation de la dette mais de l'engager dans le mouvement pour le développement.
Nous voulons les uns et les autres un monde plus juste.
Pour les Socialistes français, ce monde plus juste sera un élément du projet que nous présenterons devant les électeurs à l'occasion des campagnes électorales qui viennent.
J'ai toujours dit, et je le pense encore davantage après les événements du 11 septembre, que les thèmes de politique étrangère sont devenus aujourd'hui des thèmes de politique intérieure, que les questions du monde sont des questions nationales, que les questions de conflits, de paix, de guerres, de faim, de misère sont aujourd'hui des questions domestiques. Elles nous touchent directement, à la fois égoïstement par les conséquences qu'elles ont sur notre sol, mais aussi politiquement au sens de notre propre responsabilité.
Il m'est dit que d'autres dans la vie politique française -et je ne m'en plains pas !, pourraient dans cette campagne électorale qui arrive mettre, eux aussi, au fronton de leurs meetings cette question de l'annulation de la dette. Tout est évidemment possible, surtout en France et surtout pour cette campagne électorale qui vient. Si au moins nous avions pu, nous les progressistes, donner cette idée à d'autres, y compris aux conservateurs, ce serait finalement déjà un beau succès.
En effet, ce qui compte n'est pas tant le sort de tel ou tel gouvernement ou de telle ou telle formation politique ; ce qui compte aujourd'hui est le sort du monde.
La politique, c'est finalement gérer le possible, c'est vrai, mais en faisant reculer l'impossible.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 15 octobre 2001)