Interview de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, à RTL le 9 octobre 2001, sur le soutien français à l'engagement militaire américain en Afghanistan, sur la coopération antiterroriste, sur les risques d'attentats en France et sur les mesures envisagées pour y faire face, enfin sur la proposition de loi supprimant le divorce pour faute.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief La majorité plurielle est secouée par un débat autour de l'engagement des Français auprès des Américains. Pourquoi un vote n'est-il pas organisé à l'Assemblée nationale sur cette question ?
- "Je crois que les positions ne sont pas encore tranchées. J'ai entendu Y. Cochet dire que la position des Verts n'était pas arrêtée."
Parce qu'il est au Gouvernement. N. Mamère et D. Voynet étaient plutôt assez clairs.
- "Voilà. Il faut un débat au Parlement. D'ailleurs, le Premier ministre s'y est engagé. Le problème, ce sera la forme. Dès aujourd'hui, la Commission de la Défense, qui va recevoir l'ensemble des ministres concernés, sera ouverte à tous les députés qui le veulent. On élargit en fait cette commission : il y a un premier débat assez large qui va s'opérer ce matin. C'est à l'issue de ce débat qu'on saura comment le Parlement organise lui-même, à la fois à l'Assemblée et au Sénat, il ne faut pas l'oublier - cette prise de parole et cet échange nécessaires."
Est-il envisageable qu'il y ait un vote ?
- "Dans l'état actuel des choses, ce n'est pas, à mon avis, nécessaire tout de suite, compte tenu de l'état actuel de l'engagement français. En revanche, s'il y avait des engagements différents, pourquoi pas. Il y a absolument besoin de toutes façons d'une cohésion du Parlement, de la cohésion de la nation dans ces cas-là. On n'obtient pas une cohésion s'il n'y a pas un débat, où les gens peuvent s'exprimer et dire leur position."
Donc, voter ?
- "Oui, pourquoi pas ? Mais je pense qu'il faut attendre le résultat de la commission d'aujourd'hui. On ne peut pas anticiper, et de plus, on ne peut malheureusement pas anticiper cette victoire."
Etes-vous d'accord avec V. Peillon, quand il dit que N. Mamère ou R. Hue ont des "réflexes pavloviens" quand ils sont contre la guerre ?
- "Je n'aurais pas dit cela, je n'aurais pas utilisé ce mot, je n'y avais pas pensé. Mais il est vrai que ce sont des réflexes. On est dans une situation exceptionnelle. Je comprends que l'on soit inquiets : on ne peut pas applaudir à un engagement militaire, même si on le justifie. C'est forcément source d'inquiétude, y compris pour ceux qui sont d'accord avec l'engagement. On ne peut pas demander des raisonnements "froids", on ne peut pas être froids. En revanche, il faut savoir si on est solidaires des Etat-Unis, si ces derniers sont en état de légitime-défense. Des questions auxquelles on a déjà répondu, au nom de la France. A partir de ce moment-là, on ne peut pas dire qu'on est solidaires et qu'ils sont en état de légitime-défense, et dire qu'on ne va pas avoir de réplique. En revanche, sur le périmètre de la riposte, sur la durée, sur la façon de s'engager, je crois que le débat est logique. Personne ne s'attendait à une sorte d'unanimisme sans force, sans passion et parfois sans une violence des mots."
R. Ramda, qui est considéré comme le financier du réseau qui a organisé les attentats en 1995-96 en France, devrait enfin être extradé après six ans de procédure ?
- "Oui, enfin."
Est-ce que c'est la conséquence des attentats du 11 septembre et la première expression de cette fameuse coopération antiterroriste que l'on entend beaucoup, mais dont on ne voit pas grand chose ?
- "Oui, je le pense. On avait déjà des signes importants, parce qu'avant l'été, j'avais reçu des représentants des magistrats britanniques, qui venaient vérifier les conditions du procès. Aussi bien J. Straw que monsieur Blunket maintenant, l'ancien et le nouveau ministre, s'étaient engagés à peser de tout leur poids dans cette procédure d'extradition. Mais vous savez qu'ils n'en tenaient qu'une partie. Je pense que la semaine dernière, après la réunion européenne, après l'engagement pour le mandat de l'arrêt européen, qui va donc complètement changer les relations en matière d'extradition pour le terrorisme, c'est vrai qu'il fallait être logique. J'ai beaucoup apprécié que le ministre signe cette extradition dès hier."
Et si l'avocat dépose un recours, ce qui est vraisemblable, cela veut dire que les délais peuvent aller jusqu'à quand ?
- "Je pense que l'instruction ira vite, car tout le monde va essayer d'y mettre du sien pour que les choses ne traînent plus, comme lors des premiers recours. Je souhaite que tout l'appareil judiciaire britannique nous aide. Car si ce procès commence sans Ramda, ce seront les victimes qui n'auront pas leur réparation. Aujourd'hui, compte tenu de la situation internationale, c'est extrêmement important qu'il revienne, qu'on l'entende en France et que, lorsque le procès sera ouvert, il soit là."
Craint-on aujourd'hui, des menaces d'attentats terroristes en France ?
- "Il y a toujours une crainte. La responsabilité de l'Etat n'est pas de faire peur, mais de tout faire pour qu'on minimise le danger ou qu'on l'annule. On a à nouveau une réunion, ce soir, sur le plan Vigipirate. On fera tout."
De nouvelles mesures sont-elles prévues ?
- "Il y a deux choses. D'une part, on fait l'état de la situation - le Premier ministre fait régulièrement l'état de la situation, avec ses ministres concernés. Et puis, compte tenu de l'engagement des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne actuellement, du soutien de la France, on fera le point aujourd'hui, voir si on a vraiment tout fait, si on peut prendre des nouvelles mesures."
Que peut-on rajouter ?
- "Ce sont les problèmes d'identification de lieux, les vérifications des systèmes et puis une préparation de mesures législatives. On a rencontré les parlementaires, et on a besoin, à la fois à la demande de la police et de la justice d'ailleurs, de quelques mesures supplémentaires, pour les fouilles de voitures par exemple ou pour les zones protégées des aéroports, qu'on ait des mesures encore plus efficaces."
Là aussi, une certaine gauche s'inquiète de ce type de mesure et elle les juge liberticide ?
- "Elle a raison de s'inquiéter. Il faut toujours s'inquiéter."
Vous êtes très gentille ! "Ils ont raison, mais il faut le faire" ?
- "Non, c'est ça le pouvoir et c'est ça le rôle du contre-pouvoir. Si personne ne s'était posé de questions sur ces mesures, je me serais inquiétée sur l'état des contre-pouvoirs en France. Mais, compte tenu de la situation, si on ne prenait pas de mesures spécifiques pour protéger les zones de bagages, par exemple, des aéroports, ou bien l'environnement des grandes manifestations où il y a beaucoup de public, nous serions responsables de non-assistance éventuelle à personne en danger. Face à une situation de danger, il faut répondre par des mesures fortes. Alors, effectivement, ce ne sont pas des mesures simples, mais cela doit être des mesures fortes."
Le contexte est difficile, mais "la vie continue" - comme le dit notamment le Président, hier, dans certaines circonstances. Et aujourd'hui, vous allez discuter du divorce. Il y a une proposition de loi qui "facilite" le divorce ? Parce que certains s'inquiètent de cette facilitation - il n'y aura plus de divorce pour faute. Est-ce que cela ne va pas être banalisé ?
- "Le divorce ne sera jamais banal, parce que c'est une histoire entre deux personnes, qui se sont engagées en se mariant et qui mettent fin à cet engagement, parfois avec un fort sentiment d'échec. Donc, ce n'est pas une banalisation et c'est une simplification. Plus de 80 % des personnes interrogées disent qu'il faut simplifier. Les procédures sont trop longues, trop lourdes. Et surtout, on rentre parfois dans une procédure avec l'idée qu'on peut s'arranger sur les conséquences du divorce, autant pour les biens que pour les enfants. Et puis les choses se passent mal, en particulier dans la procédure du divorce pour faute."
Il n'y aura plus de faute ?
- "Non. Il y a trop d'enquêtes chez les amis, les voisins, la famille, l'école. Tout le monde prend partie et la vie est difficile à reconstruire. Il n'y aura donc plus de divorce pour faute. En revanche, il y a un débat, parce que les associations, en particulier féministes, nous ont demandé de rendre étanche le divorce et la faute, pour éviter ce que je viens de dire, mais qu'il y ait une possibilité dans les cas très graves de stigmatiser une faute, et en particulier la violence. Parce que les femmes qui ont subi des violences ne veulent pas monnayer leur souffrance avec des dommages et intérêts, ou bien n'ont pas le courage d'avoir une deuxième procédure au pénal ou au civil. C'est donc un débat, parce que cette stigmatisation pour un juge sera peut-être difficile à prononcer. Mais il semble que ce soit encore nécessaire."

(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 10 octobre 2001)