Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle de 2002, sur la nécessité de créer une instance chargée de veiller au respect de la déontologie au sein de la presse, à Paris le 20 octobre 2001.

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Circonstance : 6èmes rencontres INA - Sorbonne, à Paris le 20 octobre 2001

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C'est une question insoluble, que les responsables politiques se posent constamment, généralement quand ils sont atteints par ce qu'ils considèrent comme une profonde injustice : le fait que les journalistes soulignent des faits qui les mettent injustement en cause.
Aujourd'hui, cette question est mise en lumière par les événements tragiques que nous sommes en train de vivre, particulièrement à la décision prise par le gouvernement américain de demander aux media américains de ne plus diffuser de messages de Ben Laden, avec comme prétexte que ces messages pourraient dissimuler des appels codés. En fait, la part des autorités américaines dans les actualités était réduite par l'espace et la force que représentaient les messages de Ben Laden. Le fait que la chaîne CNN soit équilibrée par Al-jazirah était le pendant, dans les media, de l'affrontement déclenché par les attentats du 11 septembre.
Après l'explosion de Toulouse, beaucoup de media se sont fait l'écho d'une information selon laquelle un ouvrier de l'usine, d'origine nord-africaine, portait plusieurs couches de sous-vêtements, ce qui était présenté par certains comme un des signes du destin de martyr dans la djihad. Le lendemain de cette nouvelle, j'étais dans des cités difficiles, à forte imprégnation musulmane, et j'ai pu constater que l'émotion était très forte, car les habitants pensaient : on va nous accuser de Toulouse aussi. Or, les caristes, par exemple, mettent habituellement plusieurs couches de sous-vêtements, car on ne peut pas mettre de vêtements par-dessus le bleu de travail. Il s'agit d'un événement de nature à créer des émotions très fortes dans l'opinion publique française, aussi bien que dans l'opinion publique musulmane. On voit donc que le fait de tout dire " entraîne des conséquences très importantes, qu'il peut mettre le feu à des situations tendues. C'est un exemple très récent, qui n'a pas l'ampleur systématique de la Guerre du Golfe, mais qui a des conséquences très fortes.
J'en viens à la vie privée, où les limites sont régulièrement franchies. Quand j'ai été dans ce cas, je me suis rendu compte qu'il fallait évacuer la réponse habituelle, qui est d'aller en justice, car c'est une réponse inadaptée. En effet, un grand journal du soir et un grand journal du dimanche ont écrit un jour que les relations que j'entretenais, quand j'étais ministre de l'Education nationale, avec la principale responsable d'un syndicat enseignant, étaient " coupables ". Si nous avions intenté un procès en diffamation, nous l'aurions évidemment gagné, mais après un temps tel que personne n'en aurait entendu parler et surtout, au lieu des 100 000 personnes qui avaient lu l'article, plusieurs millions auraient eu connaissance de cette affaire. La conclusion est donc que l'on est, dans un tel cas, totalement dépourvu : le risque est de faire plus de publicité à la malveillance. Avoir une approche purement juridique de ces affaires ne règle donc rien.
Mais le point le plus important et qu'il faut rappeler, c'est que seul l'exercice de la liberté de la presse a permis de faire reculer la corruption, la concussion, la prévarication, les abus de pouvoir. Avec toutes limites de la malhonnêteté, de la recherche de l'audience, de l'esprit partisan, qui existent aussi, la liberté de la presse est le principal appui d'une démocratie en bonne santé.
Une jurisprudence existe, appuyée sur la situation de guerre. La norme juridique existe déjà en partie (la propagation de fausses nouvelles) et il me paraît difficile de la rendre plus contraignante. Je suis persuadé que le travail principal doit être fait du côté de la déontologie et de l'affirmation de cette déontologie, par l'affirmation et la défense d'un certain nombre de règles. D'ailleurs, beaucoup de media possèdent déjà des comités chargés de défendre ces règles. Je propose de constituer un organisme déontologique, plus large qu'un journal ou qu'une chaîne, proche du comité de la carte de presse : une commission élue, venant du monde de la presse, chargée de veiller au respect des règles éthiques. Cela doit venir d'une conscience de ceux qui exercent cette mission, non de l'extérieur.
La démocratie repose sur la liberté de la presse, qui ne peut être contrainte ou régulée que de l'intérieur, par les journalistes eux-mêmes".
(Source http://www.udf.org, le 23 octobre 2001)