Interview de M. Jack Lang, ministre de l'éducation nationale, à "France Inter" le 22 août 2001 sur le processus de Matignon pour la Corse, la situation économique, l'indemnité de rentrée scolaire, et l'Internet dans les établissement scolaires.

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Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson Les deux morts d'hier en Corse, dont l'un au moins serait proche de F. Santoni, alimentent les doutes sur la pérennité du processus de Matignon. A droite, on affirme que la représentativité des interlocuteurs du Gouvernement est mise en cause. A gauche, J.-P. Chevènement estime que ce processus a éclaté. C'est vrai qu'il y a de quoi être inquiet.
- "Il faut protester contre la violence naturellement et faire tout ce que nous pouvons pour l'extirper. Ce n'est pas une question d'aujourd'hui, c'est une question lancinante et ancienne. Il faut en finir avec les simplismes, les caricatures et les fantasmes. Que les dénonciateurs du Gouvernement aient le courage de se regarder dans un miroir, et de contempler dans le rétroviseur leur action antérieure ou plutôt leur incurie antérieure. Messieurs Pasqua et Debré préféraient, eux, négocier en secret avec des minorités violentes plutôt qu'avec l'Assemblée élue de Corse, comme nous l'avons fait. J.-P. Chevènement, que j'aime beaucoup, a connu une situation grave en Corse sous son règne. Aucun d'entre nous n'aurait songé à le prendre à partie quand s'est produit l'assassinat d'un haut serviteur de l'Etat ou lorsqu'un préfet a été arrêté. J.-P. Chevènement sait parfaitement, comme tous ces hommes politiques qui s'expriment en ce moment, combien cette situation n'est pas une situation facile mais ingrate. Elle réclame de l'entêtement, de l'obstination, de la patience, et l'esprit de responsabilité. Je dirais par ailleurs que, sans se jeter à la figure des comptabilités macabres, le nombre d'attentats sur la durée, a baissé depuis un an et est inférieur à ce qu'il était par le passé. L'assassinat de F. Santoni est un règlement de comptes et ne met aucunement en cause le plan Jospin. Quant à ce plan, parlons du fond ! C'est un plan qui vaut par lui-même, qui ne saurait être tributaire d'un acte criminel ou d'un règlement de comptes !"
Il y avait quand même dans le plan Jospin un donnant-donnant, c'est-à-dire plus d'autonomie contre le retour à la paix civile.
- "Certes, mais il comporte plusieurs phases. Nous sommes actuellement en train d'élaborer la loi elle-même, la première phase. Nous sommes encore loin de la deuxième phase. Le plan Jospin est un plan juste, raisonnable, solide, de bon sens. Il a été élaboré, à la différence de tous les plans antérieurs, dans la clarté, dans la transparence, avec les élus du suffrage universel de l'Assemblée de Corse, dont la majorité est entre les mains d'élus RPR et UDF. Quand j'entends monsieur Devedjian ou tel autre leader des conservateurs demander la dissolution de l'Assemblée de Corse - décidément, ce sont des amateurs de dissolutions d'Assemblées tenues par leurs propres amis - je me demande ce qu'ils veulent au juste ? Encourager la violence, donner la parole à la rue, aux bombes ou aux terroristes ?"
Sur la représentativité des interlocuteurs nationalistes ?
- "Cet accord a été élaboré en concertation avec une Assemblée élue, composée très largement de personnalités qui ne sont pas nationalistes et qui appartiennent précisément à l'UDF et au RPR. Encore une fois, le projet proposé par le Gouvernement est un projet modéré. Quand vous comparez avec l'ensemble des statuts des autres îles appartenant à des grands pays d'Europe - je pense à Madère, aux Açores, la Sardaigne, la Sicile,aux Baléares -, il faudrait déchirer ce plan modeste ?!"
Personnellement, vous seriez allé plus loin, vous qui vous occupez de la partie apprentissage des langues ?
- "On pourrait aller plus loin. Seulement, il faut tenir compte des traditions françaises, de notre système républicain. Et je crois que, précisément, le Premier ministre a imaginé une solution intelligente, adaptée et mesurée. Je dirais simplement aujourd'hui que nous devons cesser de faire de la Corse un fonds de commerce électoral facile ; que chacun fasse preuve du sens de l'Etat, du sens des responsabilité et de la mesure."
Bientôt la rentrée scolaire, demain la rentrée des ministres, déjà des préoccupations budgétaires avec une croissance qui bat de l'aile. N'êtes-vous pas inquiet pour votre propre budget et pour le pouvoir d'achat des familles ?
- "La santé économique de la France est bonne par comparaison avec tous les autres pays. Certes, il y a un ralentissement de la croissance, mais rappelez-vous, longtemps l'Allemagne avait damné le pion à la France. Aujourd'hui, nous sommes en avance et meilleurs que l'Allemagne pour l'emploi, pour le pouvoir d'achat, pour la réduction des dépenses publiques, pour l'inflation. Nous avons le taux d'inflation le plus faible d'Europe. La croissance française, cela est reconnu par les observateurs, est la locomotive de la croissance européenne. Le budget a été établi au mois de juillet, il sera maintenu. Pour ce qui concerne le pouvoir d'achat, il faut quand même avoir à l'esprit que trois mesures vont contribuer dans les prochains jours à l'augmenter. Premièrement, la baisse des impôts décidée par L. Fabius et L. Jospin. Dans quelques jours, je dis bien dans quelques jours, quand les Français recevront leurs feuilles d'impôts sur le revenu, ils pourront comparer pour la première fois, noir sur blanc, deux chiffres : le chiffre qu'ils auraient dû payer si le taux d'imposition avait été maintenu , et le chiffre beaucoup plus bas qu'ils paieront grâce aux mesures Jospin-Fabius. Deuxième mesure que 8 millions de français découvrirons noir sur blanc en septembre : la prime pour l'emploi, qui se traduira pour les uns par une baisse supplémentaire d'impôts, et pour les autres par un chèque variant entre 1500 et 3000 francs. Par ailleurs, S. Royal l'annonçait, hier, le triplement pour la troisième année consécutive de l'indemnité de rentrée scolaire."
Les associations familiales se plaignent que, compte tenu de l'augmentation des fournitures scolaires dans les grandes classes, cette charge ne soit pas couverte par l'allocation. Pensez-vous qu'il faudrait la moduler différemment ?
- "Je le pense. Je pense que dans le futur, il faudra moduler cette indemnité qui a été triplée par le gouvernement Jospin : plus faible pour l'enseignement primaire où il y a beaucoup moins de fournitures à réunir et plus importante dans l'enseignement secondaire. J'ajoute que, indépendamment de la prime dont nous parlons à l'instant, nous avons, l'an dernier, doublé pour les lycées professionnels l'allocation de prime d'équipement. Et d'ailleurs, beaucoup de régions viennent abonder cet effort."
Vous étiez à Hourtin, à l'Université de la communication que vous avez inaugurée, et vous avez annoncé la création "d'un campus numérique." C'est quoi ?
- "Cela fait partie de l'ensemble de la politique nationale qui a été décidée voici quatre ans à Hourtin par le Premier ministre. C'était un véritable changement de cap, volontaire, déterminé. Il était temps, grand temps que la France s'arrache à l'immobilisme et sonne l'heure de la mobilisation de l'ensemble du pays. Aujourd'hui, beaucoup de choses ont bougé, notamment à l'Education où l'ensemble des lycées et collèges sont équipés et connectés. Pour les écoles, ce sera fait dans le courant de l'année. Et puis, dans le même temps, nous voulons que notre enseignement supérieur puisse développer ce qu'on appelle "l'enseignement à distance", ce qu'on appelle "des campus numériques." Et dans quelques jours, là encore, la rentrée sera de ce point de vue favorable au développement d'Internet. Sept campus numériques pourront permettre à des étudiants du monde entier ..."
C'est une offre d'apprentissage ?
- "Une offre d'enseignement imaginée et proposée par des chercheurs, des universitaires français qui seront à la disposition d'étudiants et de chercheurs. Dans deux ans, ce seront 93 campus numériques qui auront été ainsi créés. Donc, l'université française se transforme, se modernise et va de l'avant. Nous continuerons cette année à multiplier les efforts. J'aurai l'occasion d'en reparler au moment de la rentrée elle-même dans 15 jours."
Puisque nous parlons d'Hourtin, vous avez, à l'occasion de votre venue dans cette région, reçu les chasseurs, vous les avez écoutés, vous leur avez dit que vous transmettriez leurs doléances directement au Premier ministre. Vous avez même dit, je crois : .".. à la personnalité politique compétente." C'est pas un peu vache pour monsieur Cochet ça ? !
- "Nous sommes un Gouvernement, une équipe, il y a un chef du Gouvernement, c'est le Premier ministre. Ils m'ont demandé de transmettre leurs observations au Premier ministre, j'ai été un messager fidèle. Y. Cochet accomplit avec beaucoup de talent son métier de ministre de l'Environnement dans un esprit de solidarité et de discipline, comme chacun des membres du Gouvernement. Mais en dernière instance, pour l'Education comme pour l'Environnement, pour la Culture comme pour l'Economie, dans un gouvernement républicain, le chef du gouvernement a le pouvoir final d'arbitrage et de décision. Et je sais que sur ce sujet, le Premier ministre a engagé un certain nombre de pourparlers avec l'Union européenne pour tenter d'assouplir un certain nombre de positions."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 22 août 2001)