Entretien de M. Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec l'agence de presse slovène STA le 25 janvier 2016, sur l'Union européenne et la crise des réfugiés.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement en Slovénie pour le lancement de la stratégie alpine de l’Union européenne, le 25 janvier 2016

Média : Actualités du Conseil national de l'information statistique - STA

Texte intégral


Q - Donald Tusk disait que nous n'avions plus que deux mois pour trouver une solution à la crise migratoire si nous voulons sauver l'espace Schengen. Comment pouvons-nous éviter son effondrement ? Que peuvent faire les États membres de l'Union européenne dans ce moment crucial ?
R - L'Union européenne est confrontée à une crise des réfugiés, mais aussi au défi du terrorisme. Ces deux urgences mettent en jeu sa crédibilité et sa capacité à la fois à protéger ceux qui relèvent de l'asile, à contrôler ses frontières extérieures communes et à coopérer dans la lutte contre le terrorisme. C'est pourquoi nous sommes absolument convaincus que la priorité est de mettre en oeuvre toutes les décisions annoncées et prises au cours des Conseils européens et des conseils justice et affaires intérieures (JAI), concernant à la fois la mise en place des «hotspots» et des procédures de vérification de l'identité de ceux qui se présentent aux frontières.
Il faut également faire en sorte que les procédures de retour de ceux qui n'ont pas droit à la protection internationale puissent être mises en oeuvre. Cela commence à être le cas, mais ce n'est pas encore suffisant. Cela suppose bien sûr de conclure des accords de réadmission avec les pays d'origine et de transit. Nous avons engagé des coopérations dans ce sens avec la Turquie d'une part et les pays d'Afrique au sommet de La Valette d'autre part. Nous devons aussi apporter un appui aux pays frontaliers de la Syrie, qui accueillent plusieurs millions de réfugiés : la Turquie, mais aussi la Jordanie et le Liban pour qu'ils puissent accueillir ces réfugiés dans des conditions décentes. C'est pour cela que l'Union européenne a pris des engagements envers le Haut-Commissariat aux Réfugiés de l'ONU et le programme alimentaire mondial (PAM), ainsi qu'envers chacun de ces pays. Ces engagements doivent être respectés.
Il y a aussi le système de relocalisation des réfugiés qui ont droit à la protection internationale à partir des «hotspots» en Italie et Grèce, avec une première répartition de 160.000 personnes sur les deux prochaines années. Je pense qu'il faut accélérer l'accueil de ces réfugiés et ne pas attendre deux ans. Pour l'instant cela a été beaucoup trop long.
C'est l'ensemble de ces procédures qui doit permettre de préserver l'espace Schengen. Nous avons mis en place un espace de liberté de circulation, mais nous n'avons pas vraiment assuré le contrôle aux frontières extérieures communes terrestres et maritimes. L'Europe était mal préparée pour faire face à cette crise.
Les questions les plus importantes auxquelles est confrontée l'Union européenne aujourd'hui sont des questions de sécurité, mais elle n'a pas été bâtie pour cela. Ses fondements sont économiques. Or, ce sera sur ces questions de sécurité que l'Europe sera jugée par les citoyens. Si dans les prochains mois, nous ne mettons pas en place l'ensemble de ces procédures, alors nous risquons de voir Schengen voler en éclats.
La Commission a présenté le 15 décembre dernier une série de propositions très concrètes sur le contrôle des frontières, qui va jusqu'à la mise en place de gardes-frontières européens, parce que nous ne pouvons pas dire que c'est à un seul pays, la Grèce ou l'Italie, d'assurer le contrôle des frontières. Il faut donc donner beaucoup plus de moyens à l'agence Frontex, dont il faut par ailleurs revoir le mandat. Il doit y avoir des réserves, du personnel spécialisé, mobilisable dans les États membres quand il y a une urgence.
La Commission va prochainement présenter une autre série de propositions sur les «frontières intelligentes», notamment sur les assurances que les contrôles des documents et de l'identité se fassent de manière très fiable, car il y a eu en Syrie et en Irak des vols de dizaines de milliers de passeports par l'État islamique qui peuvent être attribués à des combattants étrangers. Nous devons donc renforcer les équipements et le recours aux fichiers européens comme ceux d'Europol, d'Eurodac et le système d'information Schengen. Il n'y a que si nous mettons en place toutes ces procédures que nous pourrons maintenir la confiance dans l'espace Schengen et préserver cet acquis de la construction européenne.
Q - Que perdra l'Union européenne si on perd Schengen ?
R - Nous perdrions à la fois l'espace de liberté de circulation, qui est un acquis très important de l'intégration européenne, et un espace de coopération, car Schengen est aussi un système de coopération policière et judiciaire entre tous les pays qui y participent. Mais il faut pour cela que chaque État membre utilise pleinement les règles et le potentiel de ce système. Il faut aussi réviser un certain nombre de dispositions du code Schengen pour permettre des contrôles systématiques à l'entrée dans la zone Schengen, y compris pour les ressortissants européens. Il faut gérer Schengen avec beaucoup plus de fermeté, moins de naïveté peut-être, en tout cas plus d'efficacité. C'est la condition pour préserver les acquis de Schengen.
Q - La France a mis en place des contrôles aux frontières après les attentats à Paris. Combien de temps ceux-ci vont-ils rester en place ?
R - Les contrôles aux frontières seront maintenus aussi longtemps que cela sera nécessaire pour la lutte contre le terrorisme. Lors des récents attentats à Paris, mais aussi lors des attaques en janvier contre Charlie hebdo et contre l'hyper casher, l'enquête - qui est encore en cours - indique que plusieurs de ces terroristes ont franchi les frontières, non seulement pour revenir de Syrie, mais aussi entre des pays de l'Union européenne, comme entre la Belgique et la France. Nous devons donc être extrêmement vigilants et mettre en oeuvre l'ensemble des mesures de contrôle aux frontières extérieures communes pour rétablir la plus grande sécurité à l'intérieur de l'espace Schengen.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 janvier 2016