Déclaration de M. Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur un projet de loi relatif au respect des embargos ou des mesures restrictives, à l'Assemblée nationale le 28 janvier 2016.

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Circonstance : Discussion d'un projet de loi sur le respect des embargos ou des mesures restrictives, à l'Assemblée nationale le 28 janvier 2016

Texte intégral


Monsieur le Président, Madame la Présidente et Monsieur le Rapporteur de la commission des affaires étrangères, Madame la Rapporteure pour avis de la commission de la défense et des forces armées, Mesdames et Messieurs les députés, le projet de loi soumis à votre adoption aujourd'hui est particulièrement important et attendu. Il vise à renforcer la législation française en vue d'assurer plus efficacement le respect des embargos ou des mesures restrictives que la France met en oeuvre dans le cadre de sa politique étrangère.
Ce projet de loi a été déposé au Sénat en février 2006 et adopté par lui le 10 octobre 2007. Transmis en 2007 à l'Assemblée nationale, il n'avait pas été inscrit à l'ordre du jour sous la précédente législature. Compte tenu de l'importance de ce sujet mais également de nos engagements internationaux, le gouvernement a décidé de relancer la procédure.
En effet, la France est aujourd'hui tenue d'appliquer des embargos ou des mesures restrictives à l'égard de près d'une vingtaine de pays ou entités, le plus souvent sur la base de résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et de décisions prises dans le cadre de l'Union européenne.
Les sanctions prises par les Nations unies ou l'Union européenne visent à priver les États ou entités visés de leurs moyens d'action ou de leurs ressources. Elles peuvent aller d'un embargo sur les armes dans le cadre d'un conflit à une interdiction des transactions liées à la non-prolifération nucléaire, en passant par le gel des avoirs dans le cadre de la lutte antiterroriste ou un embargo contre les ressources servant à financer les parties à un conflit. Ces sanctions sont utiles pour faire pression sur un État, afin de l'inciter à coopérer à un processus de règlement politique en cours. Elles sont utilisées de manière croissante, aussi bien par le Conseil de sécurité que par l'Union européenne.
Or, en l'état actuel de la législation française, la répression des violations d'embargos ne relève d'aucune disposition du droit pénal général. Le juge doit s'appuyer sur le droit pénal spécial relatif aux armes et matériels de guerre ou aux infractions à la réglementation douanière. Dès lors qu'elles touchent au commerce ou à l'exportation de matériels de guerre, les violations de ces embargos ou mesures restrictives peuvent être poursuivies sur la base de dispositions du code de la défense. Quant au code des douanes, il permet de sanctionner le transfert frauduleux de biens à double usage ou de nature civile.
Malheureusement, en matière de commerce d'armes et de matériels de guerre, statistiquement le plus concerné par les décisions d'embargos ou autres mesures restrictives, la législation ne permet pas de traiter de manière satisfaisante toutes les situations de violation. Par exemple, le transport de matériels de guerre entre un pays tiers et un pays soumis à un embargo ne peut pas être sanctionné pénalement. En outre, les opérations d'assistance technique et de formation, de plus en plus fréquemment visées dans les embargos internationaux, ne sont que très imparfaitement couvertes. Par ailleurs, les embargos ou autres mesures restrictives édictés par le Conseil de sécurité des Nations unies ou par le Conseil de l'Union européenne peuvent prévoir des interdictions ou des restrictions sur des biens ou des services ne relevant pas de la législation sur les matériels de guerre, dont la violation échappe donc largement à toute possibilité de sanctions pénales.
J'ajoute que le Conseil de sécurité des Nations unies, dans sa résolution 1196 adoptée le 16 septembre 1998, encourage chaque État membre à adopter des mesures législatives érigeant en infraction pénale la violation des embargos imposés par le Conseil.
Le présent projet de loi vise donc à créer une nouvelle incrimination, qui fera l'objet de l'article 437-1 du code pénal. Ce nouvel article donne une définition de ce qu'il faut entendre en droit interne par «embargo ou autres mesures restrictives». Ce texte vise aussi à couvrir de manière exhaustive l'ensemble des cas de violation d'embargo, quelle qu'en soit la nature et quel que soit le domaine d'activité concerné. Il propose ainsi d'instituer une incrimination générale de nature à permettre, dans tous les cas, la poursuite et le jugement des infractions.
L'extension de la notion d'embargo ou de mesure restrictive à des activités autres que commerciales ou financières permettra de couvrir tout un pan d'activités qui ne pouvaient jusqu'à présent faire l'objet de sanctions pénales. Elle concernera désormais également les actions de formation, de conseil ou d'assistance technique qui ne peuvent pas toujours être considérées comme des activités commerciales ou financières, notamment lorsqu'elles n'entraînent pas de contrepartie financière immédiate.
Ce projet de loi vise donc à nous conformer à nos obligations internationales, mais également à rendre l'un des outils de notre politique étrangère plus robuste et efficace afin de mieux lutter contre les trafics.
Compte tenu du rôle de la France dans ce domaine, notamment à travers l'adoption et la promotion du traité sur le commerce des armes, il est essentiel de mettre notre système législatif en cohérence avec les instruments que nous avons adoptés. C'est un impératif de sécurité internationale.
Ce texte nous donne aussi un outil supplémentaire pour inciter au respect du droit international, qui est facteur de paix et de résolution des conflits. Les embargos sur les armes et autres mesures restrictives ne sont certes pas des outils magiques, mais des instruments de pression dont l'histoire, notamment l'histoire récente, a montré qu'ils permettaient de faire revenir des parties à un conflit à la table des négociations ou de rappeler à leurs engagements internationaux des États qui ne s'y conformaient pas. L'accord historique conclu avec l'Iran sur la non-prolifération est un exemple.
Les sanctions sont toujours douloureuses et difficiles, pour le pays qui les subit comme pour ceux qui les décident, mais elles constituent aussi une alternative à la confrontation armée. Elles sont évidemment encadrées par le droit international. Cela nous engage donc à prendre, dans notre droit national, toute mesure visant à combattre et à faire poursuivre et condamner ceux qui violent les décisions que nous prenons, dans le cadre international, pour faire respecter le droit international. C'est pourquoi je vous demande, mesdames et messieurs les députés, de bien vouloir adopter le présent projet de loi.
(Interventions des parlementaires)
Mesdames, Messieurs, je remercie tous les orateurs qui ont expliqué l'importance de ce projet et je vais répondre à certaines questions plus précises qui ont été soulevées.
Vous voulez déduire de la rédaction du texte que les embargos doivent être décidés par la loi. Il faut être plus précis. Les embargos ou les mesures restrictives qui entraînent des sanctions à l'encontre de ceux qui les violent peuvent être décidés par la loi, mais il y a trois autres possibilités qui sont mentionnées : un acte pris sur le fondement du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou du traité sur l'Union européenne, un accord international régulièrement ratifié ou approuvé, et une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
Il se trouve qu'en France, les mesures de sécurité que nous avons eues à prendre relèvent de décisions de l'Union européenne ou de décisions prises dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous n'adoptons pas de loi tout seuls, nous agissons dans un cadre multilatéral, ou plurilatéral.
Le texte que vous allez adopter ne va pas nous obliger à tout prix à faire voter des lois sur des embargos.
Ces embargos, évidemment, il faut à chaque étape en évaluer l'efficacité et la pertinence.
Ce n'est jamais un but en soi de prendre des sanctions internationales, qu'elles soient de nature économique, qu'il s'agisse de restrictions, sur du matériel à usage dual ou strictement militaire, ou de sanctions individuelles, qui jouent aussi un rôle important, comme la restriction au droit de voyager ou la saisie des avoirs. Les restrictions sur le plan européen sont en général prises pour une durée délimitée et reconductible autant que nécessaire. Il ne s'agit pas de prendre des mesures pour isoler un pays sans s'interroger par la suite sur la nécessité de lever ou non les sanctions.
Pour beaucoup de pays, heureusement, la pression exercée permet de réengager une négociation internationale, afin de faire revenir le pays dans le respect de ses engagements internationaux, des règles internationales ou des libertés qu'il avait violées. C'est ainsi que des embargos ou des mesures de restriction sont levées. Cela a été le cas d'une grande partie des sanctions pour l'Iran, je l'ai déjà rappelé. Ce sera très rapidement le cas également de la Côte d'Ivoire, concernée depuis plusieurs années par des sanctions. Cela a été le cas pour la Biélorussie, dont une partie des sanctions ont été reconduites sur le plan juridique, mais suspendues dans leur application, compte tenu d'un certain nombre d'évolutions favorables, comme la libération de prisonniers.
Vous avez mentionné la situation de la Russie. Les sanctions sont liées à la mise en oeuvre des accords de Minsk, mais elles ne sont pas une fin en soi. Nous l'avons toujours dit, et cela est très clair dans le cadre de l'Union européenne et du format Normandie, au sein duquel la France et l'Allemagne aident la Russie et l'Ukraine à négocier : le respect des accords de Minsk, soit le rétablissement de relations normales de bon voisinage entre la Russie et l'Ukraine et l'apaisement de la situation dans l'est de l'Ukraine permettront de lever les sanctions. Elles ont été reconduites pour une durée de six mois, jusqu'au mois de juillet. Mais l'objectif très clair de l'Union européenne, en particulier de la France, c'est le respect des accords de Minsk. Nous serons d'accord pour dire que les sanctions ne sont pas une fin en soi.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2016