Texte intégral
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames les ministres,
Mesdames les Présidentes,
Mesdames et Messieurs,
Je souhaitais, avant de passer la parole à mon ami M. le Premier ministre, Edouard Balladur, vous dire quelques mots de cordiale bienvenue et saluer votre initiative à un triple titre. Votre collectif témoigne d'abord que les associations de femmes proches de l'opposition savent réaliser l'union : dans le contexte actuel, cela vaut d'être souligné. Une fois encore, l'exemple de la sagesse nous vient des femmes.
Votre initiative démontre également de manière éclatante -et je vous en remercie- que le Sénat n'est pas pour des associations de femmes, devenu un lieu infréquentable où il serait infamant d'être vu. Les opinions parmi vous sur le débat en cours peuvent être partagées. Votre démarche prouve en tout cas que vous n'êtes pas dupes du procès en sorcellerie ourdi contre le Sénat et que vous n'acceptez pas que les femmes soient instrumentalisées par un gouvernement qui cherche à les jeter dans les bras de la gauche et à ruiner ainsi le travail militant remarquable que vous avez accompli pendant tant d'années. Soyez-en remerciées.
Enfin, je veux relever que le thème que vous avez choisi n'est pas celui de la parité mais celui plus large de la modernisation de la vie politique. Il est une dérive fâcheuse de notre démocratie qui veut que faute de projet collectif, on ne s'adresse plus aux Français que comme des catégories électorales : aux jeunes , on parlera du chômage des jeunes, aux syndicats de policiers de l'indispensable répression, le lendemain aux syndicats de magistrats de la nécessaire prévention.
C'est cette démarche intéressée qui a conduit le parti socialiste à vouloir faire un " coup " à destination de l'électorat féminin, coup assez bien réussi en apparence puisque l'opposition est d'évidence dans un piège, partagée, d'une part, entre l'indignation à l'égard d'un procédé démagogique et d'une solution simpliste et, d'autre part, la crainte de ne pas arriver à expliquer sa position face à la pression médiatique savamment orchestrée.
Il y a longtemps que vos associations ont dépassé ce stade infantile du féminisme et ne se sentent pas seulement concernées par les problèmes de la condition féminine.
J'observe que ni Françoise Hostalier, ni Noëlle Dewavrin pour ne citer qu'elles -et je les salue- n'ont été cantonnées par leurs partis au rôle de défenseur de la femme. L'une a été au gouvernement chargé des enseignements scolaires, la seconde est le porte-parole redouté des professions juridiques dans son parti. Vous avez donc choisi, parce que vous participez pleinement à la vie de la Cité, de traiter dans son ensemble de la modernisation de la vie politique.
Cela étant, vous me permettrez, dans ce contexte brûlant, de vous dire un mot de ce qu'il est convenu d'appeler la parité. D'évidence, il y a un consensus sur l'objectif. D'évidence, la position du Sénat a été caricaturée de manière malveillante alors qu'il a voulu simplement rappeler que cet objectif légitime ne devait conduire ni aux quotas, incompatibles avec nos principes démocratiques, ni à la généralisation de la proportionnelle. Je suis certain que nous pouvons, sauf si le Gouvernement ne veut pas faire avancer la cause des femmes mais seulement " faire un coup ", trouver un compromis pour sortir rapidement de ce débat.
Je ne suis pas personnellement hostile, sinon à des quotas ou à des discriminations du moins à des mesures positives et spécifiques en faveur des femmes.
Il faut à présent que les femmes de l'opposition, quelles que soient leur opinions, saisissent l'occasion de ce débat pour faire entendre leur voix, et dire surtout que présenter la droite comme hostile à la cause des femmes, c'est un contresens historique. A la limite, on chercherait en France les avancées en ce domaine réalisées par des majorités de gauche : le vote des femmes, le divorce par consentement mutuel, l'autorité parentale conjointe, le droit à l'autonomie financière, la contraception, l'IVG, l'interdiction des discriminations salariales, tout cela, c'est la droite. C'est l'action aussi de beaucoup d'entre vous ici réunies. Ce n'est pas la gauche. D'ailleurs, si le Sénat venait à proposer dans les mois qui viennent des mesures utiles à l'amélioration de la condition féminine, je fais le pari qu'il ne serait pas suivi. Chacun se souvient par exemple de la diminution de l'Allocation de Garde d'enfants à domicile, mise en place par Edouard Balladur, véritable mesure en faveur de la liberté de choix des femmes. On peut parler de parité d'un côté et estimer que renvoyer les femmes à la maison, c'est un moyen comme un autre de dégonfler les statistiques du chômage. Ce n'est pas ma philosophie.
Je comprends que la gauche, qui accuse un tel retard dans le concret, sans doute surtout parce que la gauche a toujours craint que les femmes soient trop conservatrices, veuille se rattraper sur les symboles et les théories et, toute fière de sa nouvelle conversion, veuille s'arroger le monopole de la cause des femmes.
J'admire la gauche d'avoir ainsi voulu rattraper son retard historique et se mettre à l'école des femmes, surtout des femmes savantes mais je me demande si les Français ne vont pas finir par penser que la comédie tourne aux précieuses ridicules.
Je crois en effet que nos compatriotes ne sont pas dupes de ces faux débats. Il en est de la modernisation de la vie politique comme de la parité. Qui pourrait être contre ? J'attends avec curiosité celui qui plaidera pour la ringardisation. Si nous ne voulons pas d'une démocratie fantôme, sans élus et sans électeurs, commençons par ne plus nous réfugier derrière des mots creux, sans pensée et sans volonté. Il est trop facile de faire des effets d'annonce sur des concepts généreux mais, comme rien ne suit, les Français se dégoûtent d'un jeu cynique.
Les politiques qui nous gouvernent leur paraissent être comme ces personnes dont parle Voltaire pour lesquelles la parole ne sert qu'à déguiser la pensée. Un mot innocent cache un projet pervers. Derrière parité, il faut lire quota. Derrière modernisation, on nous demande souvent de mettre tout ce qui pourrait affaiblir l'opposition : la limitation excessive des cumuls, la réforme des modes de scrutins, l'affaiblissement du Sénat.
Est-ce que ces réformes sont vraiment celles auxquelles les Français pensent spontanément, dont ils éprouvent l'urgence absolue ? J'en doute. Les élus connaissent bien des sujets plus brûlants si l'on veut moderniser la vie publique et j'en énumérerai quelques uns : la sur-réglementation, la juridicisation excessive, la désuétude de la comptabilité publique qui paralyse l'action publique, l'absence d'un statut de l'élu, l'enchevêtrement des compétences locales, les délais de paiement des administrations, les horaires d'ouverture des services publics. Malheureusement ces sujets sont trop complexes pour se prêter à des sondages et il vaut mieux détourner le débat sur des sujets rebattus.
Il est à cet égard curieux de constater que ce sont encore une fois les élus et les parlementaires qui sont les boucs émissaires de l'échec du politique. Mais pourtant, cet échec n'est pas le leur, en tout cas pas celui des élus de base. Dans tous les ministères des ingénieurs, des technocrates, des pédagogues, des aménageurs ont imposé pendant des années à la classe politique, avec la complicité des médias fascinés et des gouvernements subjugués, souvent composés de technocrates, des options ruineuses et sans issue sous le regard consternés d'élus locaux et de parlementaires de base qui criaient casse-cou.
Et aujourd'hui, ce serait les mêmes, toujours prêts à inventer de nouvelles réformes pour avoir l'air dans le vent, qui viendraient montrer du doigt les élus qui étaient pourtant les seuls à avoir eu un peu de bon sens ?
Alors, mesdames et messieurs, si le gouvernement veut vraiment moderniser la vie publique, le Sénat sera enthousiaste et il pourra lui donner des idées et notamment l'idée de commencer par le pouvoir exécutif !
Je vous remercie.
(Source http://www.senat.fr, le 8 juin 1999)
Mesdames les ministres,
Mesdames les Présidentes,
Mesdames et Messieurs,
Je souhaitais, avant de passer la parole à mon ami M. le Premier ministre, Edouard Balladur, vous dire quelques mots de cordiale bienvenue et saluer votre initiative à un triple titre. Votre collectif témoigne d'abord que les associations de femmes proches de l'opposition savent réaliser l'union : dans le contexte actuel, cela vaut d'être souligné. Une fois encore, l'exemple de la sagesse nous vient des femmes.
Votre initiative démontre également de manière éclatante -et je vous en remercie- que le Sénat n'est pas pour des associations de femmes, devenu un lieu infréquentable où il serait infamant d'être vu. Les opinions parmi vous sur le débat en cours peuvent être partagées. Votre démarche prouve en tout cas que vous n'êtes pas dupes du procès en sorcellerie ourdi contre le Sénat et que vous n'acceptez pas que les femmes soient instrumentalisées par un gouvernement qui cherche à les jeter dans les bras de la gauche et à ruiner ainsi le travail militant remarquable que vous avez accompli pendant tant d'années. Soyez-en remerciées.
Enfin, je veux relever que le thème que vous avez choisi n'est pas celui de la parité mais celui plus large de la modernisation de la vie politique. Il est une dérive fâcheuse de notre démocratie qui veut que faute de projet collectif, on ne s'adresse plus aux Français que comme des catégories électorales : aux jeunes , on parlera du chômage des jeunes, aux syndicats de policiers de l'indispensable répression, le lendemain aux syndicats de magistrats de la nécessaire prévention.
C'est cette démarche intéressée qui a conduit le parti socialiste à vouloir faire un " coup " à destination de l'électorat féminin, coup assez bien réussi en apparence puisque l'opposition est d'évidence dans un piège, partagée, d'une part, entre l'indignation à l'égard d'un procédé démagogique et d'une solution simpliste et, d'autre part, la crainte de ne pas arriver à expliquer sa position face à la pression médiatique savamment orchestrée.
Il y a longtemps que vos associations ont dépassé ce stade infantile du féminisme et ne se sentent pas seulement concernées par les problèmes de la condition féminine.
J'observe que ni Françoise Hostalier, ni Noëlle Dewavrin pour ne citer qu'elles -et je les salue- n'ont été cantonnées par leurs partis au rôle de défenseur de la femme. L'une a été au gouvernement chargé des enseignements scolaires, la seconde est le porte-parole redouté des professions juridiques dans son parti. Vous avez donc choisi, parce que vous participez pleinement à la vie de la Cité, de traiter dans son ensemble de la modernisation de la vie politique.
Cela étant, vous me permettrez, dans ce contexte brûlant, de vous dire un mot de ce qu'il est convenu d'appeler la parité. D'évidence, il y a un consensus sur l'objectif. D'évidence, la position du Sénat a été caricaturée de manière malveillante alors qu'il a voulu simplement rappeler que cet objectif légitime ne devait conduire ni aux quotas, incompatibles avec nos principes démocratiques, ni à la généralisation de la proportionnelle. Je suis certain que nous pouvons, sauf si le Gouvernement ne veut pas faire avancer la cause des femmes mais seulement " faire un coup ", trouver un compromis pour sortir rapidement de ce débat.
Je ne suis pas personnellement hostile, sinon à des quotas ou à des discriminations du moins à des mesures positives et spécifiques en faveur des femmes.
Il faut à présent que les femmes de l'opposition, quelles que soient leur opinions, saisissent l'occasion de ce débat pour faire entendre leur voix, et dire surtout que présenter la droite comme hostile à la cause des femmes, c'est un contresens historique. A la limite, on chercherait en France les avancées en ce domaine réalisées par des majorités de gauche : le vote des femmes, le divorce par consentement mutuel, l'autorité parentale conjointe, le droit à l'autonomie financière, la contraception, l'IVG, l'interdiction des discriminations salariales, tout cela, c'est la droite. C'est l'action aussi de beaucoup d'entre vous ici réunies. Ce n'est pas la gauche. D'ailleurs, si le Sénat venait à proposer dans les mois qui viennent des mesures utiles à l'amélioration de la condition féminine, je fais le pari qu'il ne serait pas suivi. Chacun se souvient par exemple de la diminution de l'Allocation de Garde d'enfants à domicile, mise en place par Edouard Balladur, véritable mesure en faveur de la liberté de choix des femmes. On peut parler de parité d'un côté et estimer que renvoyer les femmes à la maison, c'est un moyen comme un autre de dégonfler les statistiques du chômage. Ce n'est pas ma philosophie.
Je comprends que la gauche, qui accuse un tel retard dans le concret, sans doute surtout parce que la gauche a toujours craint que les femmes soient trop conservatrices, veuille se rattraper sur les symboles et les théories et, toute fière de sa nouvelle conversion, veuille s'arroger le monopole de la cause des femmes.
J'admire la gauche d'avoir ainsi voulu rattraper son retard historique et se mettre à l'école des femmes, surtout des femmes savantes mais je me demande si les Français ne vont pas finir par penser que la comédie tourne aux précieuses ridicules.
Je crois en effet que nos compatriotes ne sont pas dupes de ces faux débats. Il en est de la modernisation de la vie politique comme de la parité. Qui pourrait être contre ? J'attends avec curiosité celui qui plaidera pour la ringardisation. Si nous ne voulons pas d'une démocratie fantôme, sans élus et sans électeurs, commençons par ne plus nous réfugier derrière des mots creux, sans pensée et sans volonté. Il est trop facile de faire des effets d'annonce sur des concepts généreux mais, comme rien ne suit, les Français se dégoûtent d'un jeu cynique.
Les politiques qui nous gouvernent leur paraissent être comme ces personnes dont parle Voltaire pour lesquelles la parole ne sert qu'à déguiser la pensée. Un mot innocent cache un projet pervers. Derrière parité, il faut lire quota. Derrière modernisation, on nous demande souvent de mettre tout ce qui pourrait affaiblir l'opposition : la limitation excessive des cumuls, la réforme des modes de scrutins, l'affaiblissement du Sénat.
Est-ce que ces réformes sont vraiment celles auxquelles les Français pensent spontanément, dont ils éprouvent l'urgence absolue ? J'en doute. Les élus connaissent bien des sujets plus brûlants si l'on veut moderniser la vie publique et j'en énumérerai quelques uns : la sur-réglementation, la juridicisation excessive, la désuétude de la comptabilité publique qui paralyse l'action publique, l'absence d'un statut de l'élu, l'enchevêtrement des compétences locales, les délais de paiement des administrations, les horaires d'ouverture des services publics. Malheureusement ces sujets sont trop complexes pour se prêter à des sondages et il vaut mieux détourner le débat sur des sujets rebattus.
Il est à cet égard curieux de constater que ce sont encore une fois les élus et les parlementaires qui sont les boucs émissaires de l'échec du politique. Mais pourtant, cet échec n'est pas le leur, en tout cas pas celui des élus de base. Dans tous les ministères des ingénieurs, des technocrates, des pédagogues, des aménageurs ont imposé pendant des années à la classe politique, avec la complicité des médias fascinés et des gouvernements subjugués, souvent composés de technocrates, des options ruineuses et sans issue sous le regard consternés d'élus locaux et de parlementaires de base qui criaient casse-cou.
Et aujourd'hui, ce serait les mêmes, toujours prêts à inventer de nouvelles réformes pour avoir l'air dans le vent, qui viendraient montrer du doigt les élus qui étaient pourtant les seuls à avoir eu un peu de bon sens ?
Alors, mesdames et messieurs, si le gouvernement veut vraiment moderniser la vie publique, le Sénat sera enthousiaste et il pourra lui donner des idées et notamment l'idée de commencer par le pouvoir exécutif !
Je vous remercie.
(Source http://www.senat.fr, le 8 juin 1999)