Interview de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du gouvernement, à "France 2" le 3 février 2016, sur la persistance des difficultés dans le secteur agricole et la nécessité d'une régulation aux niveaux européen et international.

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Média : France 2

Texte intégral


WILLIAM LEYMERGIE
L'heure des « 4 vérités », ce matin Roland SICARD reçoit Stéphane LE FOLL, le ministre de l'Agriculture et porte-parole du gouvernement.
ROLAND SICARD
Bonjour à tous, bonjour Stéphane LE FOLL.
STEPHANE LE FOLL
Bonjour.
ROLAND SICARD
La crise agricole continue, les agriculteurs sont encore mobilisés, et pourtant il y a eu des plans, deux plans depuis l'été, un milliard engagé. Qu'est-ce qui ne marche pas ?
STEPHANE LE FOLL
Qu'est-ce qui est le plus compliqué ? C'est que c'est une crise de marchés. Je regardais hier la publication des chiffres de la FAO, les prix alimentaires dans le monde, dans le monde, en 2015, ont baissé de 16 %, c'est-à-dire sont revenus au niveau de 2009. En Europe…
ROLAND SICARD
Autrement dit, c'est pas un problème spécifiquement français.
STEPHANE LE FOLL
Oui, et ce que je voudrais dire ce matin, c'est très important. On entend souvent dire que ça serait l'agriculture française qui aurait un problème…
ROLAND SICARD
Que le modèle français serait périmé.
STEPHANE LE FOLL
Que le modèle français serait complètement dépassé, qu'il suffirait de faire, comme dans des pays voisins, en Allemagne par exemple, des grands modèles industriels, et on aurait la compétitivité nécessaire. J'ai eu mon collègue, ministre allemand de l'agriculture hier. J'ai regardé aussi les dépêches du président du syndicat allemand, c'est la misère, a-t-il dit, c'est le président du syndicat allemand, c'est la misère en Allemagne, 50 % de exploitations allemandes ont des grandes difficultés. Donc, ce n'est pas, et c'est très important de le dire ce matin, une crise de modèle, uniquement français, même s'il y a des problèmes, pour la France, est une crise qui est liée à un excédent d'offres sur les grands marchés, que sont ceux en particulier du lait, et ce grand marché du lait, c'est mondial. Et l'Europe, a une responsabilité, sur ce marché du lait, on est le premier exportateur mondial, alors qu'on a déjà trop de lait, 5, 6, 7 pays européens continuent à augmenter leur production.
ROLAND SICARD
Il faut rétablir les quotas ?
STEPHANE LE FOLL
Il faut rétablir un minimum de régulation, de coopération entre nous, à l'échelle européenne. On ne peut pas laisser partir chacun des pays, avec des stratégies qui sont totalement individuelles, qui visent l'exportation, et puis lorsque, à l'exportation, on n'est pas avec des marchés tels qu'ils avaient été anticipés, c'est-à-dire s'il n'y a pas une demande internationale à la hauteur de l'offre, eh bien tout cela, ça reste, ça pèse, et à ce moment-là les prix baissent. Donc, moi, ce que je vais demander, j'ai envoyé un mémorandum hier, à la Commission européenne, j'ai pris des contacts et je vais continuer à en prendre aujourd'hui, avec mes collègues européens. Je vais leur dire : où on continue à augmenter, je prends le cas du lait aujourd'hui, une production laitière, alors qu'on est déjà en excédent et on va continuer à faire baisser les prix, j'ai d'ailleurs vu que, du côté allemand, c'est la discussion que j'ai eue avec mon collègue Christian SCHMIDT, de ce côté, commencent à arriver des primes pour réduire la production. Vous voyez où on en est arrivé, c'est-à-dire qu'on va donner de l'argent pour réduire la production. Moi, je vais mettre sur la table un certain nombre de propositions, mais je veux que l'on ait cette réflexion collective et une action, sur cette question. Je le rappelle, l'Europe est le premier exportateur de lait au monde. Donc on a, dans le marché mondial, une responsabilité pour le marché européen.
ROLAND SICARD
Sur les prix, est-ce que les marges des grandes surfaces ne sont pas à remettre en cause, est-ce qu'il n'y a pas des abus de ce côté-là ? C'est ce que disent les agriculteurs.
STEPHANE LE FOLL
On a, vous savez, des négociations commerciales aujourd'hui entre les grandes surfaces et les industriels, et ça, c'est toujours la même histoire, dans ces négociations commerciales, c'est ce qu'on appelle, ça se fait dans des boxes, ni vous, ni moi, y sommes dans les boxes, et on sait que c'est une confrontation systématique, et qu'on a la tendance, depuis des années, à la baisse des prix, la grande distribution discutant avec les industriels, « vos prix sont trop cher, il faut qu'ils baissent. Mais quand on fait ça, le résultat à la fin c'est que c'est les prix des producteurs qui baissent. Donc, ce qu'on demande, c'est qu'il y ait une responsabilité de ces acteurs de négociations, on changera une partie de la loi, d'ailleurs, pour que dans ces négociations, soient intégrées dans la négociation, les conséquences des prix pour les producteurs, ça va être une nouveauté, qu'on mettra dans la loi Sapin II, et qui permettra justement de changer la fameuse LME qui avait été votée par l'opposition, il y a six ans, sous Nicolas SARKOZY.
ROLAND SICARD
La LME, c'est ?
STEPHANE LE FOLL
Oui, c'est la Loi de Modernisation de l'Economie, qui avait été votée, qui faisait qu'on libéralisait les négociations entre la grande distribution et les industriels, ce qui fait que la pression se fait. Et puis, on aura, j'en ai parlé avec le Premier ministre, une rencontre avec les responsables de la grande distribution, en début de semaine, pour leur dire simplement et les appeler à la responsabilité. C'est ça l'objectif, on doit, et ça c'est le rôle de l'Etat, appeler tout le monde à la responsabilité dans ces négociations.
ROLAND SICARD
Il y a aussi une question d'étiquetage, plus de clarté.
STEPHANE LE FOLL
Oui, bien sûr. « Viandes de France », qui est lancé aujourd'hui, et je le rappelle, d'ailleurs, à France 2 j'avais amené des petits logos, souvent, à « Télématin », c'est ce petit hexagone. Ça permet de savoir que la viande est issue d'animaux nés en France…
ROLAND SICARD
Mais il n'y a rien sur les produits transformés.
STEPHANE LE FOLL
Alors, ce qui n'est pas obligatoire aujourd'hui, parce que ça, c'est une démarche volontaire, elle peut aller sur les produits transformés, le « Viandes de France », ça va jusqu'aujourd'hui, d'ailleurs il y a des jambons, je le dis, je le répète, qui sont des viandes, je regarde d'ailleurs les publicités de temps en temps, une marque qui fait de la publicité pour le steak haché, vous avez qu'à regarder, quelquefois, quelquefois, et ça devrait être tout le temps, il y a la logo « Viandes de France ». Mais, c'est volontaire. Si on veut rendre ça obligatoire, il faut changer les règles et la loi, la loi française mais surtout la loi européenne. Donc on va prendre un décret, on va envoyer au niveau européen, et dans le mémorandum que j'ai déposé au niveau européen, il y a la question de l'étiquetage des produits transformés, parce que c'est un enjeu de traçabilité.
ROLAND SICARD
L'autre actualité, c'est la réforme de la Constitution, elle a lieu à partir d'aujourd'hui, et sur la déchéance de nationalité ça coince. Est-ce que ce projet ne finira pas aux oubliettes ?
STEPHANE LE FOLL
D'abord, dans cette réforme de la Constitution, il y a deux éléments. Il y a le premier article sur la question de l'état d'urgence, entre ce qui existait sur l'état de siège et puis un article sur la continuité des institutions françaises en cas de manquement, il n'y a rien qui fait référence dans la Constitution, à la situation que l'on connait, c'est-à-dire l'état d'urgence. Et donc ça, c'est le premier article. Je pense que sur cet article, ça cadre les choses, ça permet des contrôles parlementaires et c'est absolument nécessaire. C'est justement pour mettre du droit, là où aujourd'hui on a quand même encore à progresser.
ROLAND SICARD
Mais sur la déchéance, ça coince.
STEPHANE LE FOLL
Alors, et l'article 2, c'est la déchéance. Qu'est-ce qui coince ? Non, aujourd'hui, les choses sont très claires, et c'est ça la nouveauté, et c'est ça qui est important, pour que les Français comprennent bien, un juge qui va condamner un terroriste, puisqu'on parle bien de terroristes, ou de personnes qui auraient participé en finançant ou en organisant des actes terroristes, quand il aura condamné quelqu'un, il pourra avoir une condamnation supplémentaire, qui est la déchéance de nationalité, ou la déchéance de droit de citoyenneté, et c'est le juge qui décidera. A partir de là, dans la Constitution, ce qui reste marqué dans l'article 2, c'est qu'il y aura possibilité de déchoir de la nationalité, des personnes qui auront commis des actes contraires à l'intérêt de la Nation.
ROLAND SICARD
Et vous dites ce matin que ça ira au bout.
STEPHANE LE FOLL
Et ce matin, je vous dis que c'est conforme au discours du président de la République, et que c'est…
ROLAND SICARD
Mais il faut que ce soit voté.
STEPHANE LE FOLL
Et il faut que ce soit voté, et j'espère, en responsabilité, chacun, à partir de ce qui a été le discours à Versailles, et surtout le message qui est envoyé. Parce que derrière, il y a un message qui est envoyé, à ceux qui aujourd'hui et on le sait, sont tentés de basculer du côté de Daesh. Basculer du côté de Daesh, c'est peut-être aller faire le djihad, mais c'est basculer d'une idéologie, d'une idéologie, qui est contraire, totalement opposée à toutes les valeurs de la République, à tout ce qui fait la Nation française. Donc, c'est aussi un message envoyé à tous ceux-là. Si vous faites ça, vous quittez la Nation française, et donc, c'est important d'avoir cet article II.
ROLAND SICARD
Merci Stéphane LE FOLL.
STEPHANE LE FOLL
Merci beaucoup.
ROLAND SICARD
William, c'est à vous.
WILLIAM LEYMERGIE
Merci messieurs.
Source Service d'information du Gouvernement, le 8 février 2016