Texte intégral
Monsieur le ministre,
Mesdames les ministres,
Mesdames, Messieurs,
Je sais que la salle est remplie d'abord d'éminences et ensuite de personnes très spécialistes et je salue chacun en vos grades et qualités.
Je souhaite d'abord saluer l'initiative de cette journée qui vous a permis de croiser vos expériences, de croiser des cultures professionnelles différentes et de se poser sur le sujet de façon différente car c'est un défi colossal qui nous est lancé.
La réaction immédiate et logique est évidemment de voir comment sanctionner, mais il nous faut aller au-delà et nous l'avons compris très vite. Face à cette radicalisation violente à laquelle nous sommes confrontés, nous avons pris la mesure des choses.
Nous avions déjà pris des initiatives avant le premier plan gouvernemental interministériel d'avril 2014, chacun d'entre nous dans nos champs de compétences respectives, puis le plan de renforcement de cette mobilisation gouvernementale qui a été présenté par le premier ministre en janvier 2015.
Nous avions pris des initiatives dans nos domaines respectifs parce que nous avions pris la mesure de ce défi. Notre responsabilité est bien évidemment de protéger la société, de la protéger contre toutes les violences et celle-là en particulier.
Lorsque la violence, lorsque la menace vient de l'extérieur, la société fait bloc, elle s'organise, elle prend sa défense et elle construit une politique de réaction et de contre-offensive. Lorsque la menace éclot en son sein cela est plus compliqué, d'une part parce qu'elle interroge la société sur la part d'elle-même qui a fini par se transformer en menace, ensuite elle fragilise la société puisqu'elle l'installe dans un certain doute, le doute sur elle-même d'une part, mais le doute aussi sur ce qui peut advenir d'elle-même à partir de chez elle.
Nous sommes donc collectivement dans une situation de plus grande vulnérabilité que si nous avions à faire face en bloc à une menace extérieure. Il nous faut donc une méthode, qui soit une méthode bien construite, bien élaborée, une méthode qui a fait ses preuves et qui puisse faire ses preuves. Pour ce qui concerne la justice, nous avons choisi de nous fixer comme objectif de vraiment gagner la bataille sur le terrain du recrutement.
Il y a les réponses répressives évidemment, il y a toutes les dispositions préventives à faire mais cet objectif de gagner la bataille sur le terrain du recrutement est un objectif essentiel parce que c'est lui qui peut nous donner des résultats durables, des résultats pérennes. Nous avons vraiment pensé la méthode de contre-offensive.
Cette méthode repose sur des principes, le premier est de comprendre, de savoir, de façon à analyser. Au ministère de la justice nous avons choisi d'agir ainsi puisque, notamment pour d'autres grandes politiques publiques comme la politique pénale de lutte contre la récidive ou la politique sur la justice des mineurs, nous avons mis en place une méthode rigoureuse.
La première démarche est de mesurer les choses, de connaître les faits et les données de la façon la plus précise et rigoureuse possible. C'est ce qui permet après de concevoir des outils performants que l'on peut mettre à la disposition des professionnels, de celles et de ceux qui non seulement vont déployer sur le territoire leur capacité de prise en charge, d'intervention et de détection, mais surtout, qui, à partir de ces éléments solides et établis, à partir de ces éléments et des outils performants mis à leur disposition, peuvent eux-mêmes innover, avoir la souplesse intellectuelle suffisante pour que sur cette assise solide ils puissent réagir aux situations auxquelles ils sont confrontés.
C'est ainsi que nous avons fortement mobilisé la recherche comme nous le faisons dans d'autres domaines. Nous avons un groupement d'intérêt public et une mission de recherche « Droit et Justice » qui travaille étroitement avec Xavier Crettiez, professeur de sciences politiques, en partenariat avec l'Institut National des Hautes Études sur la Sécurité et la Justice (INHESJ). Cette mobilisation de la recherche nous permet d'être sûrs des éléments tangibles concrets sur lesquels nous travaillons.
La question des profils est primordiale. Il y a 18 mois encore, certains pensaient qu'il y avait un profil type composé de jeunes désocialisés, avec des parcours chaotiques, ayant fait un passage en prison. Nous savons maintenant que les profils sont beaucoup plus diversifiés que cela.
Cela rend l'emprise sur le phénomène plus complexe, en effet ces jeunes ne sont pas tous désocialisés, certains d'entre eux ont eu des parcours d'études exemplaires, ils n'ont pas tous été incarcérés. Nous savons, et le chiffre est stable depuis 2 ans, que 15 % des personnes impliquées dans des activités terroristes ont eu un antécédent carcéral ce qui signifie que 85 % d'entre eux ont été radicalisés en-dehors de la prison.
Nous constatons également une grande disparité au niveau des milieux sociaux, que le rapport familial à la religion est divers puisque nous savons qu'il y a des familles athées, des familles catholiques, des familles protestantes, où des jeunes sont rapidement convertis et passent rapidement à l'acte ou passent rapidement dans le processus actif de départ et d'action.
Les derniers chiffres montrent que près de la moitié des individus signalés au centre national d'assistance sont des personnes converties. Cela nous interroge évidemment sur le rapport à la religion, le rapport familial, le rapport personnel, mais aussi l'esbroufe qui consiste à nous faire croire que c'est un projet religieux, que le ressort est confessionnel alors que c'est incontestablement un projet politique, un projet politique de destruction et de dévastation, mais bien un projet politique.
Le pôle antiterroriste de Paris, créé en 1986, a accumulé à travers le temps de l'expérience, qui a pris du recul par rapport à cette expérience et qui a une maîtrise de la connaissance.
Nous sommes devant une entreprise nouvelle, d'un type nouveau. Il y a vraiment une autorité extérieure qui donne des ordres, qui a une stratégie, qui a une force de frappe incontestable, des moyens d'actions, des portions de territoires maîtrisées, des ressources, des capacités financières, une logique logistique, des moyens militaires. Nous sommes donc face à un véritable projet de destruction avec des consignes, avec une utilisation technologique des nouvelles technologies, du réseau internet qui est également très importante et très créative ; c'est une intimidation de masse.
L'expérience des Juridications Inter-Régionales Spécialisées (JIRS) nous est également précieuse parce que nous connaissons la porosité entre criminalité organisée et action terroriste organisée.
Par ailleurs, nous avons mis en place un réseau de magistrats référents antiterroristes qui existe dans tous les Tribunaux de Grande Instance et que nous avons installés en décembre 2014.
Composés de magistrats formés, ils partagent et mutualisent les informations, sont les correspondants réguliers du pôle antiterroriste de Paris, interviennent au niveau départemental, ils sont des coordonnateurs.
Sur la jeunesse, les jeunes qui sont identifiés sont pris en charge, placés sur décision du juge des enfants. Soit ils sont suivis au pénal dans le cadre de l'ordonnance de 1945, soit ils font l'objet d'une décision d'assistance éducative, puisque les juges des enfants ont cette double compétence civile et pénale.
Pour ces jeunes évidemment il faut une prise en charge spécifique. Nous avons mis en place au sein de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) une mission nationale de veille et d'information. Cette mission permet d'apporter une assistance au réseau de professionnels et de faire remonter les informations.
Cette remontée d'informations montre que 218 jeunes ont été identifiés soit comme radicalisés, soit en voie de l'être, soit exposés à la radicalisation du fait, par exemple, de la radicalisation de leurs parents. Une centaine de ces jeunes sont suivis dans le cadre pénal, 52, dont 31 filles, font l'objet d'assistance éducative, 64 sont exposés du fait de la radicalisation de leurs parents.
Quelles actions avons-nous mises en place pour ces jeunes ?
Des actions à caractère pédagogique, collectives. Il est important d'arriver à déconstruire le discours de la radicalisation pour le détruire. Le déconstruire, c'est le remonter de façon à en percevoir les ressorts et montrer à ces jeunes sur quoi repose cette emprise sectaire à laquelle ils sont exposés.
Ce travail se fait évidemment sur le pouvoir de l'image, sur l'utilisation d'internet, sur tout ce qui est utilisé de façon à les absorber.
Nous avons également des actions qui visent une prise en charge individuelle de ces jeunes. La PJJ qui travaille avec le pôle antiterroriste de Paris est en train de finaliser un protocole notamment pour ajuster le suivi dans le cadre du contrôle judiciaire. Nous travaillons également sur des stages de déradicalisation.
Nous avons décidé un vaste plan de formation pour tous les personnels de la PJJ et pour tous les personnels du secteur associatif habilité. D'ici à la fin de l'année nous aurons formé 4 500 personnes, l'objectif est de former 11 000 personnes d'ici à 3 ans. D'autre part, la formation se déploie aussi au quotidien dans la pratique professionnelle, je pense ici aux journées d'études, aux conférences, aux colloques, qui se tiennent avec d'autres institutions, avec d'autres partenaires. Une douzaine a déjà eu lieu. Dans certaines régions, tous les psychologues et les associations du secteur habilités se retrouvent toutes les six semaines et font remonter leur expérience, mutualisent, partagent et construisent ensemble des modèles de prise en charge.
Enfin, nous conduisons ces jeunes vers des activités qui leur permettent de saisir ce ressort y compris en milieu ouvert. Nous avons donc procédé à un recrutement important au niveau de la PJJ et nous avons mis en place sur l'ensemble du territoire un réseau de référents laïcité et citoyenneté, qui intervient sur les questions de laïcité, de citoyenneté, des institutions de la République, de l'emprise sectaire, de l'enseignement des religions et qui intervient aussi bien auprès des encadrants, des professionnels, qu'auprès de ces jeunes.
Le défi est immense, il est colossal, nous sommes engagés dans une course de vitesse, dans une course contre la montre.
Parce que nous sommes engagés dans un État de droit, nous avons des règles, des procédures, nous respectons des principes, nous travaillons sur la base d'une éthique, et en même temps nous devons être efficaces, en même temps nous devons aller plus vite, en même temps nous devons avoir une action à la fois massive, et extrêmement fine.
C'est ce défi colossal que nous avons devant nous, et je sais que la qualité du travail que vous accomplissez au quotidien, la qualité de la réflexion que vous conduisez, constitue la ressource la plus précieuse qui nous permettra de répondre à ce défi d'une part, mais surtout de gagner, et de gagner notamment la bataille sur le terrain du recrutement.
Je vous remercie.
Source http://www.interieur.gouv.fr, le 1er mars 2016