Interview de M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé à RTL le 21 septembre 2001, sur les attentats terroristes aux Etats Unis, les manifestations des professions hospitalières pour la réduction du temps de trvail et l'état de la négociation dans ce secteur.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief Vous êtes ministre délégué à la Santé, mais aussi une des personnalités françaises qui connaît le mieux la situation dans le monde et évidemment, elle nous concerne tous. Etes-vous d'accord avec A. Duhamel qui, à l'instant, disait que finalement, en France, ont était assez proche de l'Amérique et que les dissensions habituelles qu'on avait discernées pendant la guerre du Golfe ne se faisaient pas encore ressentir ?
- "S'il y avait des dissensions, elles seraient quand même difficiles à exprimer après ce qui s'est passé aux Etats-Unis. Il y a, devant cet effroyable événement, une volonté de se trouver aux côtés des Américains. Ce qui a été affirmé par le président de la République, par le Premier ministre. Seulement, personne ne sait ce qui va se passer pour le moment."
Comment interprétez-vous le discours de G. Bush de cette nuit ? Est-ce que vous avez le sentiment qu'il va se précipiter, qu'il y a une action militaire prochaine ? Ou est-il plus prudent que prévu ?
- "Il était dans la même tonalité : patriotique et décidé. Ce qui se dessine n'est pas immédiatement - mais personne n'en sait rien - une guerre telle qu'on l'envisageait. Il n'y aura pas de guerre. Contre qui y aurait-il la guerre ? Il y a une pression et sans doute des opérations longues, qui comprendront beaucoup de renseignements, probablement des actions, mais également une détermination qui sera internationale en l'occurrence, pour lutter par exemple contre le terrorisme financier, contre les trafics, les paradis fiscaux, contre tout ce qui est inacceptable après ce qu'on a vu, après qu'on ait assisté non seulement à cette horreur, à ces crimes prononcés au nom de Dieu, mais aussi aux bénéfices financiers que ces personnages ignobles en tirent."
Vous qui connaissez bien l'Afghanistan, A. Madelin disait, hier, que finalement, ce n'était pas si difficile et qu'il fallait aller libérer l'Afghanistan des taliban et soutenir les amis du commandant Massoud décédé. Comme si cela était évident, qu'on avait failli dans le passé et que maintenant, il fallait rattraper nos erreurs.
- "Hélas, nos erreurs ont été commises. A. Madelin a tort en ce qui concerne le terrain : c'est très difficile. Les Russes s'y sont cassés les dents. Beaucoup de forces engagées s'y sont perdues. La bataille sur le terrain est vraiment très compliquée. Je ne crois pas d'ailleurs que les Américains l'envisagent. Seulement, là où il a raison, c'est que nous avons tous été coupables de laisser assassiner le commandant Massoud et de ne pas défendre en général les démocrates dans les pays musulmans où ils se sentent bien seuls."
Cela va changer ?
- "J'espère que cela va changer. Il est un peu tard pour ceux qui sont morts - et il y en a beaucoup qui sont morts. En Afghanistan en particulier, la France a été très engagée par ses organisations non gouvernementales et par ces médecins, pendant très longtemps. Hélas, nous n'avons pas senti un soutien suffisant de la part des gouvernements. Je vous rappelle, s'il est permis en ce moment de critiquer l'Amérique, que les Américains ont été les responsables de la victoire des taliban. Ils ont, contre l'Union soviétique, choisi de soutenir les plus extrémistes des musulmans, les plus assassins, par Pakistan interposé et directement. Il faut se souvenir de cela. Il faut se souvenir aussi de la politique américaine en Algérie."
Eux aussi s'en souviennent aujourd'hui. Il y a quand même malgré tout une campagne électorale en France, qui est assez discrète heureusement pour le moment. Vous avez vu qu'il y a un sondage et que J. Chirac avait gagné six points. Est-ce qu'on s'inquiète du coté de l'équipe Jospin ?
- "Je ne sais pas si c'est à cause des événements, mais J. Chirac s'est comporté comme le président de la France et dans ces périodes où les gens sont inquiets, ils ont besoin de se voir représentés. Ce qu'il a bien fait, comme le Premier ministre l'a bien fait aussi dans son domaine à propos de la sécurité dans notre pays. La façon dont J. Chirac est allé aux Etats-Unis le premier et a conforté nos amis américains était tout à fait bonne."
Elle était dans le bon ton. Hier, il y a eu des milliers d'infirmières, des médecins hospitaliers, des laborantins, des agents administratifs, qui étaient dans les rues pour protester et pour demander plus de moyens dans l'application des 35 heures à l'hôpital. Il y a un nouveau rendez-vous de négociations jeudi prochain, le 27. Vous allez arriver avec de nouvelles propositions ?
- "Il y a un document qui a été remis. Les propositions ont été faites et c'est plutôt aux syndicats, le 27, de dire ce qu'ils en pensent. Et puis nous verrons..."
Ils ne sont pas contents pour le moment.
- "Non, je crois qu'il ne faut pas trop tirer sur la corde. Contre qui ne sont-ils pas contents ? Contre les Français qui ne donnent pas assez d'argent ? Parce que cet argent est celui des Français, quand on créé des postes ! Et nous avons créé officiellement 45.000 emplois - ce qui n'a jamais été fait nulle part - pour permettre à ces personnels qui sont en effet dans un hôpital qui a changé, qui sont harassés - pas partout et pas dans tous les services, mais dans certains services, c'est manifeste. Ces personnels auront la vie plus belle, dans quelques années. Pas tout de suite, mais on commencera à gagner du temps à partir du 1er janvier 2002. Il faut remplacer ces personnels : 45.000 emplois pour les seconder."
Sur trois ans, avec des infirmières dont on se demande comment elles vont être formées aussi rapidement ?
- "Pourquoi vous vous le demandez ? Il y en a 26.000 en ce moment dans les écoles. Je sais très bien comment elles seront formées et, petit à petit, avant 2004, elles seront en place. Pas seulement des infirmières, mais aussi des aides soignantes et des personnels dont vous parlez. Que veut-on ? On ne peut pas à la fois nous demander que les comptes de la Sécurité sociale, comme hier à E. Guigou et moi, ne dérapent pas et en même temps qu'on crée plus de postes. Car c'est avec le même argent, qui est celui des Français. Il n'y a pas un méchant ministre de la Santé ou des Affaires sociales ou un méchant Gouvernement qui rétentionne (sic) l'argent. Je rappelle - et ce n'est pas mon habitude - que si des écoles ont été fermées, c'est dans le gouvernement précédent, si des infirmières ont vu leur nombre diminuer en formation et en réalité, c'est dans le gouvernement précédent. Nous, nous avons augmenté en permanence. On nous reproche de ne pas avoir augmenté assez. Qui nous le reproche ? Les gens qui ont baissé le nombre ! Ce n'est pas sérieux."
Donc, rien de nouveau la semaine prochaine ? Vous n'irez pas plus loin ?
- "La semaine prochaine, je rencontre les médecins, parce qu'il y aussi une négociation avec les praticiens hospitaliers. Là, c'est autre chose, c'est une vraie transformation culturelle, c'est un changement de culture médicale. C'est vrai que les médecins ne nous demandaient pas à voir leur temps de travail réduit, mais maintenant ils demandent - et les jeunes en particulier - à bénéficier aussi de temps pour leur famille, de temps pour eux-mêmes, de temps pour se former, de temps pour les malades. La négociation est un peu différente et je sens d'ailleurs, chez les médecins, une espèce de crispation - et presque d'humiliation - qui n'a pas lieu d'être. Nous ferons avec les médecins ce que nous avons fait avec les autres, et c'est avec eux que nous trouverons un meilleur fonctionnement hospitalier, puisque l'hôpital est quand même fait pour accueillir les malades. Donc, un meilleur fonctionnement hospitalier pour les malades, pour le personnel paramédical, pour les médecins."
Hier, un substitut du parquet de Perpignan a été sanctionné pour avoir pris des positions favorables à la dépénalisation du haschisch, dans des certaines conditions et certaines limites. Regrettez-vous ces sanctions ? Vous êtes pour le débat et avez même pris position en faveur de la dépénalisation.
- "Après les sujets que nous venons d'aborder, ce n'est plus très simple de parler de cela, mais en effet, je suis pour le débat. Cela me parait être la moindre des choses..."
... que de laisser les gens s'exprimer et de ne pas les sanctionner ?
- "Oui, je pense que les autruches qui mettent leur tête dans le sable ne voient pas très bien ce qui se passe autour de moi. Je veux poser une simple question : 60 % de nos enfants, les vôtres et les miens, ont été en contact avec le cannabis. Sont-ils 60 % de délinquants ?"
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 24 septembre 2001)