Texte intégral
Les conseils européens du mois de mars sont traditionnellement dévolus aux questions économiques et financières. Celui du 17 et 18 mars sera cependant beaucoup consacré aux évolutions de la crise migratoire. Il y a une urgence : la Grèce a en effet besoin d'une aide immédiate pour faire face au nouvel afflux de migrants massés au nord, et pour installer les hotspots. Depuis notre dernier débat, la situation s'est dégradée : la Macédoine a fermé sa frontière, et le rythme de nouveaux arrivants s'est accéléré. La situation à Idomeni est grave. Ce matin au Conseil européen affaires générales, notre collègue grec nous a indiqué que 48 000 migrants sont aujourd'hui bloqués en Grèce et vivent dans des conditions dramatiques.
L'Europe doit d'abord faire preuve de solidarité à l'égard de la Grèce. Le Conseil a donc décidé tout à l'heure de dégager 700 millions d'euros d'aide sur trois ans, dont 300 millions cette année, en autorisant le recours, pour des États membres, au fonds d'urgence jusqu'ici réservé aux crises dans les pays tiers. La France apportera en outre une aide humanitaire bilatérale. Un convoi est en cours d'acheminement.
Plus structurellement, il faut désengorger la Grèce. Le mécanisme de relocalisation a été mis en oeuvre de manière trop lente : seulement 374 réfugiés à ce jour.
La priorité politique est donc la mise en oeuvre de toutes les décisions politiques prises depuis un an : hotspots, relocalisation et réinstallation de migrants, retours dans le cadre des accords de réadmission, paquet Frontex, garde-côtes et gardes-frontières européens, dialogue avec les pays tiers, renforcement des missions Eunavformed et Sofia en Méditerranée. Sur les cinq hotspots prévus en Grèce, quatre sont opérationnels ; les travaux devront être accélérés pour le cinquième, qui sera installé à Kos. Le dialogue Grèce-Turquie sur les embarcations illégales en mer Egée doit s'approfondir ; une flotte de l'Otan participera à la surveillance.
La base légale des corps des garde-côtes et gardes-frontières devra faire l'objet d'un texte signé le 21 avril, lors du prochain Conseil justice affaires intérieures. La vigilance s'impose afin que de nouvelles routes ne s'ouvrent pas après la fermeture de la frontière macédonienne, par exemple via l'Albanie.
Le partenariat avec la Turquie est fondamental. Le 29 novembre, un plan d'action a été négocié et le 7 mars, mandat a été donné au président Tusk pour négocier le dispositif de réadmission et d'installation de réfugiés syriens et briser la logique des trafiquants. Le plan devra se conformer aux règles du droit international ; les demandes d'asile devront être faites depuis la Turquie, et les voies légales d'immigration préservées. Les aides à la Turquie, qui abrite 2,5 millions de réfugiés, commencent à être versées. Le montant initial était de 3 milliards d'euros. Cette enveloppe pourra être complétée d'ici à 2018, toujours pour des projets précis d'aide aux populations syriennes.
La libéralisation du régime des visas fait l'objet d'une feuille de route détaillant 72 critères. La Turquie est loin de les remplir aujourd'hui. Le président de la République l'a rappelé : la France ne transigera pas sur ce point.
L'ouverture d'un nouveau chapitre de négociations avec la Turquie - onze l'ayant été entre 2007 et 2012 et deux depuis 2012 - n'est pas exclue. L'un pourrait l'être en 2016, comme en 2015. Ne préjugeons pas de l'issue de ces négociations ; le processus est méticuleux, long et les Français seront en toute hypothèse consultés, comme l'a rappelé le président de la République ; le but est in fine d'aligner la législation turque sur les règles européennes.
Avec ces trois priorités, avec les décisions prises depuis un an, avec les nouveaux garde-côtes et garde-frontières communs, l'Union européenne disposera d'un dispositif complet, mais qu'il faudra mettre en oeuvre pour revenir progressivement en quelques mois à un fonctionnement normal de l'espace. En tout état de cause, l'Europe ne peut pas préserver la libre circulation si elle ne reprend pas en main sa frontière extérieure ; elle ne pourra pas garantir le droit d'asile si elle ne met pas un coup d'arrêt au trafic d'êtres humains organisé depuis la Turquie vers la Grèce.
Deuxième grand sujet, l'économie, la croissance, l'emploi et la compétitivité. Le Conseil doit endosser une révision du semestre européen reposant sur la relance de l'investissement, la poursuite des réformes structurelles et une politique budgétaire responsable, qui n'exclut pas les flexibilités. C'est en juin que le Conseil étudiera les progrès effectués pour compléter l'Union économique et monétaire, mais aussi approfondir le marché intérieur, avec la mise en place du marché unique numérique et de l'union des marchés de capitaux. Nous voulons qu'une stratégie de long terme soit adoptée pour l'acier européen.
Les chefs d'État et de gouvernement aborderont aussi les grandes crises internationales. Nous veillerons enfin à ce que l'Europe reste leader dans la lutte contre le changement climatique, et appelons à une ratification rapide de l'accord de Paris.
S'unir pour répondre à l'urgence, montrer que l'Europe continue à préparer l'avenir, tels sont les grands enjeux de ce Conseil européen.
(Interventions des sénateurs)
Rassurez-vous, il n'y a pas de chantage dans les discussions avec la Turquie : le but est de fermer une voie d'immigration illégale qui provoque des drames humains.
La Turquie, c'est exact, a demandé une reprise du dialogue politique : ce dernier passe par de multiples canaux, la Turquie défend ses intérêts comme la Russie défend les siens. Notre seul objectif est la résolution de la crise syrienne : cela passe par l'arrêt des combats, à peu près respecté à ce jour, la lutte contre les groupes terroristes, notamment Daech et Al-Nosra et l'existence d'une transition politique, seule à même de mettre un terme à la guerre civile.
La Turquie a également demandé une feuille de route sur la libéralisation du régime des visas et la reprise des discussions sur son adhésion à l'Union européenne - les premiers chapitres de négociation ayant été ouverts en 1999, puis révisés en 2005. L'an dernier, nous avons ouvert un chapitre économique, notamment sur les questions monétaires. Cette année, pourrait être abordée, mais cela requiert l'unanimité des États membres dont Chypre, la question de l'énergie, des explorations de gisements de gaz ayant été menées récemment dans la zone économique exclusive (ZEE) turque. Ne confondons pas rapprochement avec adhésion.
Quelque 200 millions d'euros sur les 3 milliards d'euros accordés à la Turquie ont été utilisés jusqu'alors car les versements sont conditionnés à des projets précis. Il n'est pas question d'octroyer un chèque en blanc.
Comment le système du « un pour un » fonctionnera-t-il ? Dans l'hypothèse où nous reconduirions un migrant syrien entré illégalement en Europe depuis la Turquie, nous accueillerons un réfugié syrien installé en Turquie. Ce sera envoyer un message clair aux réfugiés : «n'écoutez pas les passeurs» !
Cela suppose que la Turquie respecte la convention de Genève. À vérifier. Pourquoi recourir à l'Otan pour la surveillance en mer entre la Grèce et la Turquie ? Tout simplement parce que la Turquie est membre de l'organisation de l'Atlantique Nord ; cela garantit un partenariat plus étroit entre les garde-côtes turcs avec les garde-côtes grecs et Frontex. Cela ne nous exonère pas de renforcer Frontex. La formation d'un gouvernement d'unité nationale en Libye nous facilitera les choses.
Les 3 milliards d'aides à la Turquie sont constitués pour 2 milliards de la contribution des États. Cette somme vaut jusqu'à 2017. Pour l'heure, l'hypothèse d'un renouvellement de l'enveloppe n'est pas écrite, d'autant que sur les trois milliards d'euros qui ont été constitués, deux milliards proviennent des États membres, dont 309 millions d'euros de la France, pour les quatre prochaines années, et un milliard du budget européen.
M. le sénateur, qui vient d'accompagner le président Gérard Larcher à Lampedusa, s'inquiète du découplage de la France et de l'Europe sur les réformes structurelles. La France mène sa réforme du droit du travail dans les conditions de dialogue social que personne n'ignore ici ; le Premier ministre a travaillé avec les organisations syndicales. Pas de découplage avec l'Allemagne, donc, en fait, mais plutôt un recouplage ! Regardons le chemin parcouru par la France. La commission européenne pointe certes un déficit excessif en France mais aussi un excédent sous-utilisé en Allemagne.
La France souhaite une cohérence des actions des États membres sur le secteur laitier. À la Commission européenne de prendre ses responsabilités. L'article 222 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) permet en toute hypothèse aux États volontaires de déroger aux règles de concurrence.
Rejeter tout accord avec la Turquie, comme le suggère M. le sénateur, ne serait pas une solution. La crise humanitaire en Grèce a conduit les pays voisins à fermer la route des Balkans. La solution collective passe, entre autres, par un partenariat avec la Turquie. Les mineurs isolés de Calais ont fait l'objet d'un accord à Amiens : ils pourront être accueillis en Grande-Bretagne s'ils y ont de la famille.
Le camp de Calais continuera à être assaini : les migrants seront accueillis dans des centres d'accueil sur tout le territoire et encouragés à déposer leur demande d'asile en France. Nous devons veiller à éviter une dispersion des migrants, dans les ports à destination de l'Angleterre, où ils ne pourront pas aller, je comprends la préoccupation de M. le sénateur à Ouistreham. Elle est partagée à Grande-Synthe.
M. le sénateur a raison, le Parlement européen n'a plus de raison de repousser l'adoption de la directive PNR, qui doit être à présent mise en oeuvre le plus rapidement possible. Le vote devrait intervenir lors des prochaines sessions, dans les semaines à venir. Tout retard serait préjudiciable.
Les sanctions sectorielles contre la Russie ont été reconduites jusqu'en juillet ; leur levée est désormais clairement liée au respect de l'accord de Minsk.
Une taxe sur les réfugiés ? La France ne le souhaite pas. En revanche, elle soutient la proposition de M. Schäuble, consistant à renforcer le financement propre de l'Union européenne, en particulier pour l'investissement public. La Grèce a reçu 400 millions d'euros au titre de l'aide humanitaire, 230 millions ont été accordés par le HCR. En outre, la France apporte son aide bilatérale, afin que les équipements adéquats - tentes, générateurs, etc. - soient acheminés à Idoménée, pour venir en aide aux réfugiés.
Le marché unique du numérique est effectivement une priorité, il sera traité lors du Conseil.
La libéralisation des visas, pour la France, se fera seulement si la Turquie respecte les critères. C'est cela qui prime, et non le calendrier, or nous en sommes très loin.
Je pense surtout à la fraude documentaire. Nous devons répondre aux demandes du directeur de Frontex, cela est vrai afin que l'Agence puisse effectuer son travail dans les hotspots et assurer le contrôle de nos frontières. L'adoption du Règlement sur les garde-côtes européens est une étape importante pour elle.
(Interventions des sénateurs)
En effet, le budget européen est sous tension, surtout ses rubriques 3 et 4. Il faut jouer de toutes les flexibilités autorisées pour faire face à l'urgence.
Dans un premier temps, ce sont les États membres qui seront mis à contribution pour le renforcement de Frontex, en équipement et en personnel, avant que ne soit mobilisé le budget communautaire.
Pour les garde-côtes européens, notre ministre de l'intérieur a défendu un système de réserve : chaque État apportera 2 % de ses effectifs de police aux frontières en cas de besoin.
(Interventions des sénateurs)
Le plan Juncker porte sur des investissements plus risqués, parce que garantis par le budget européen, pour ce qui fera le développement et la croissance de demain dans l'Union européenne : la transition et l'efficacité énergétiques, l'innovation, le numérique, etc. La France y compte pour le financement d'infrastructures comme le Roissy Charles-de-Gaulle Express, mais soutient aussi l'aide à des projets d'énergies renouvelables et thermiques, portés par des PME, financés grâce au fonds européen d'investissement, filiale de la banque européenne d'investissement. J'ai rendu visite récemment à une entreprise de moins de dix salariés dans le Loiret, qui bénéficie d'un tel prêt, distribué par BPI France. L'objectif est de mobiliser 315 milliards d'euros en Europe sur trois ans, dont plus de 40 milliards en France.
(Interventions des sénateurs)
Le conseil Agriculture du 14 mars dernier a été l'occasion pour M. Le Foll de défendre ses propositions : mobilisation de l'article 222, doublement du plafond sur la poudre de lait avant la limitation volontaire de la production, étiquetage d'origine des produits transformés, qui répond à la demande de la filière porcine en particulier. Les modalités de stockage privé seront revues et un observatoire des viandes créé, sur le modèle de celui du lait. Des décisions ont été actées, sur l'étiquetage de l'origine des produits transformés, par exemple, nous veillerons à leur application.
(Interventions des sénateurs)
La quatrième directive sur la coopération administrative en matière fiscale et le paquet de mesures proposées par le commissaire en charge, Pierre Moscovici, pour lutter contre l'optimisation fiscale et l'évitement fiscal marquent un progrès. Nous avons enfin une liste commune des États non coopératifs fondée sur les critères de l'OCDE. L'objectif est une concordance totale de notre action, y compris dans les territoires à statut particulier comme Jersey et Guernesey.
(Interventions des sénateurs)
L'énergie hydroélectrique représente 25 400 MW de puissance installée, ce qui en fait la première énergie renouvelable dans notre pays. La France a contesté dès le 8 décembre dernier la mise en demeure européenne sur les concessions hydrauliques, et a engagé un débat constructif avec la Commission sur les conséquences de la loi de transition énergétique, qui vise une meilleure gestion des concessions. Nous défendrons celles du Lot et de la Truyère au nom de l'intérêt général européen. La France veillera à notifier chaque projet de prorogation.
(Interventions des sénateurs)
Votre question ne m'étonne pas ; si j'y réponds souvent de la même façon, c'est qu'elle est souvent formulée de la même manière...
Les restrictions commerciales du côté russe concernaient d'abord certains pays de l'Union européenne - non la France - en raison de l'épidémie de peste porcine. Nous plaidons pour la levée de cette mesure pour les pays non touchés par ce fléau sanitaire.
Quant aux sanctions prises par l'Union à la suite de l'annexion de la Crimée et le conflit dans l'est de l'Ukraine, notre position est fondée sur le respect des accords de Minsk : nous ne sommes donc pas en retrait mais en pleine cohérence avec l'Allemagne, avec laquelle nous représentons la communauté internationale dans les négociations en format Normandie. Le ministre de l'agriculture est solidaire de la position du gouvernement. Nous avons été pionniers dans la recherche d'une solution au conflit ; une réunion se tient d'ailleurs à Paris le 3 mars, à l'initiative de la France. L'objectif est que les accords de Minsk soient respectées et les sanctions levées.
(Interventions des sénateurs)
L'Europe est plus nécessaire que jamais. Il ne peut y avoir vingt-huit réponses à la situation en Syrie, à la crise des réfugiés - mais l'Europe ne s'est pas construite autour des questions de sécurité collective. Il faut élaborer des réponses dans des domaines nouveaux, où l'Europe n'était jusqu'alors pas compétente ou n'en a pas l'expérience, et renforcer les politiques qui ne marchent pas bien - travailleurs détachés, euro, croissance, soutien à l'investissement ; d'autres outils que le plan Juncker pourraient être développés.
Il y a des divergences parmi les Vingt-huit, mais les risques de sortie d'un État membre, par exemple, ne doivent pas nous faire renoncer. Les crises ne viennent pas toutes de l'Europe, même si certains de ses mécanismes sont insuffisants. Notre rôle, notre devoir est de proposer d'aller de l'avant, quitte à aller vers une Europe différenciée. La réponse ne peut être que d'aller plus loin, plus vite. C'est le sens des efforts que nous déployons.
(Interventions des sénateurs)
Il faudra en effet veiller au suivi des mesures prises sur le plan agricole. Les prochains rendez-vous seront le Conseil agricole des 11 et 12 avril, celui du 10 mai, puis des 27 et 28 juin. L'accord obtenu active les bons articles des traités, pose les bonnes bases : reste à s'assurer de leur mise en oeuvre.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mars 2016