Texte intégral
Madame la Directrice générale,
Madame la sous-directrice,
Monsieur le Président [de l'UFEX],
Mesdames et Messieurs,
La convention de coopération entre la Douane et les opérateurs du fret express, que nous nous apprêtons à signer, est le fruit d'un long travail.
Ce protocole va en effet faciliter l'application de deux dispositions prises en mars 2014 et décembre 2014. Non pas que ces dispositions n'aient connu aucune forme de mise en oeuvre dans l'intervalle, fort heureusement : j'y reviendrai. Mais elles n'ont sans doute pas encore été déployées au maximum de leur capacité et de leur utilité : c'est le but et tout l'intérêt de l'accord que nous concluons aujourd'hui.
Pourquoi un tel délai ? Sans doute, il faut l'avouer, en raison d'une forme de méfiance réciproque, ou disons d'une incompréhension initiale, qu'il a fallu lever par le dialogue et la pédagogie. Ce sont deux mondes très différents qui se rencontrent au travers de cet accord. Le douanier veut maîtriser les flux, c'est même son obligation première. L'expressiste, à l'inverse, a une mission : transporter, au travers le monde et par-delà les frontières, les biens qui lui sont confiés, dans un délai record sur lequel il s'est engagé vis-à-vis de son client : 24, 48 ou 72 heures en général. Ces deux-là ne paraissent effectivement pas fait pour s'entendre
Et pourtant leurs intérêts on pourrait presque dire : leurs destins sont liés. Le protocole que nous allons signer est la concrétisation de cette réalité :
- Si la Douane se désintéressait des flux de fret express et postal, elle passerait à côté d'une part essentielle, et surtout croissante, des échanges transfrontaliers, le fret représentant environ 70 millions d'envois par an. Il lui faut donc adapter ses méthodes de contrôle : impossible d'être exhaustif sur des volumes pareils, il faut agir de façon sélective et ciblée, et le plus en amont possible. Il y a là un enjeu d'efficacité mais aussi un point de convergence clair avec les préoccupations des expressistes : en intervenant en début de chaîne, c'est-à-dire dans le centre de dégroupage plutôt que dans les camions sur les routes, la Douane obtient de meilleurs résultats, et préserve en même temps la fluidité des échanges, qui générèrent au niveau national une importante activité économique.
- Du côté des expressistes, il serait tout aussi impensable de se désintéresser des enjeux de lutte contre la fraude. Non pas que vous deviez vous transformer en « supplétifs » des douaniers, bien entendu : chacun dans son rôle, c'est d'ailleurs ce que prévoit le protocole. Mais de toute évidence, vous n'auriez aucun intérêt à ce que la fraude par fret express et postal se développe, de sorte que la sécurisation des flux revêt, pour vous aussi, une importance considérable, en termes de responsabilité sociale mais aussi juridique comme on l'observe par exemple régulièrement aux Etats-Unis. La conclusion de l'accord avec la Douane s'inscrit bien dans cette démarche partenariale, visant à échanger des informations et favoriser la collaboration entre administration et entreprises.
Il a fallu un peu de temps, donc, pour que les deux parties perçoivent cette communauté de destin, et créent des liens Un peu de temps pour qu'elles « s'apprivoisent », aurait dit le renard du Petit Prince (« On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard »).
L'attente en valait-elle la chandelle ? Je le crois. Une maturation lente, ce peut être le gage d'un produit de qualité : pas de grand cru sans un long vieillissement en cave. Et cette phase d'apprivoisement a eu, en elle-même, un véritable intérêt pour mettre sur la table l'ensemble des difficultés, des points de frictions, en discuter, et les traiter. La phase de négociation de l'accord est, de ce point de vue, tout aussi utile que sa phase de mise en oeuvre.
Enfin et surtout, il faut mesurer l'importance du phénomène auquel ce protocole vise à répondre : la fraude est un risque particulièrement sérieux sur le vecteur fret, en raison de l'impression d'anonymat et d'impunité éprouvée par les acheteurs qui commandent sur Internet, depuis leur domicile et par écran interposé. Lutter contre cette impression est essentiel, cet objectif justifie pleinement d'y passer tout le temps nécessaire :
- En 2015 par exemple, le nombre de saisies de stupéfiants réalisées par la douane sur le vecteur du fret a continué de croître de manière soutenue : les quantités appréhendées, plus de 7,5 tonnes, sont 3 fois plus importantes qu'en 2014, et près de 5 fois plus importantes qu'en 2011.
- En matière de contrefaçons, plus de 2,5 millions d'articles contrefaisants ont été saisis en 2015, là encore en nette augmentation : on observe un quasiment doublement depuis 2011.
- Le fret est également un vecteur d'acheminement d'armes, en lien avec le grand banditisme, voire le terrorisme. Il y a quelques jours, le 29 janvier dernier, la Douane a ainsi intercepté 9 pistolets mitrailleurs et 36 chargeurs à Valenciennes. La plus grande vigilance est collectivement de mise pour lutter contre le trafic d'armes, à plus forte raison dans les circonstances actuelles.
Que permet, dans ce cadre, le protocole que nous allons signer ? Il facilite la mise en oeuvre de dispositions très importantes, auxquelles je faisais allusion en introduction de mon propos.
La loi du 11 mars 2014 sur la lutte contre la contrefaçon a renforcé les capacités d'intervention des agents des douanes, grâce notamment à l'adoption de l'article 66 du code des douanes. Cet article visait à tirer les conséquences de la hausse très sensible du volume de produits contrefaits ou prohibés transportés par voie postale ou par fret express en France, liée notamment au succès des ventes en ligne sur internet. Il a ainsi étendu aux expressistes une mesure qui ne s'appliquaient jusqu'alors qu'à La Poste : la possibilité, pour l'administration douanière, d'accéder aussi aux locaux professionnels des entreprises de fret express, pour rechercher et constater des infractions douanières.
C'est pour assurer une bonne mise en oeuvre de cette disposition, conciliant au mieux les enjeux de lutte contre la fraude et de facilitation des échanges, qu'une démarche associant les expressistes à la réflexion a été proposée par l'administration des douanes.
Cet aspect collaboratif est essentiel pour répondre à la fois aux besoins des opérateurs et de la douane : les partenaires de l'administration s'engagent à faciliter l'accès des sites opérationnels aux agents des douanes compétents. Ils permettent la réalisation de « livraisons surveillées », en apportant le soutien logistique et matériel nécessaires. Ils s'efforcent également de signaler aux douaniers tout envoi qui leur semblerait suspect.
A quoi, s'engage, réciproquement, la douane ? A des choses très simples, mais qui constituent une forme de « règlement intérieur » de l'article 66, très important pour assurer que cet article soit bien compris, et ne suscite pas de petites tensions, de petits irritants du quotidien qui, à la longue, pèseraient sur la bonne relation entre l'administration et les expressistes. Il s'agit d'éviter, dans toute la mesure du possible, de retarder des opérations ou d'engendrer des coûts pour les opérateurs, notamment lors du transport. De respecter les règles de sécurité des sites visités. D'utiliser un ruban adhésif spécifique pour refermer tous les colis ayant fait l'objet d'une vérification, afin que le client sache que l'ouverture est le fait de l'administration, et non du prestataire à qui il a confié son envoi. D'informer les responsables des sites des actions menées, et de respecter la confidentialité. Des choses simples, donc, qui permettent à chacun de comprendre l'action de l'autre, de prendre en compte ses contraintes, et donc de favoriser la confiance mutuelle, au service de l'efficacité du contrôle dans la durée.
Seconde mesure dont nous précisons aujourd'hui l'application : le collectif budgétaire de l'automne 2014 a interdit les achats à distance de produits du tabac, notamment sur internet, à compter du 1er janvier 2015. Jusqu'alors seuls les vendeurs à distance tombaient sous le coup de la loi. L'interdiction nouvelle s'applique quel que soit le pays d'origine, même au sein de l'Union européenne, comme le permet la directive « tabac » d'avril 2014.
La Douane a d'ores et déjà obtenu des résultats en s'appuyant sur cette disposition, notamment en menant des investigations dans le fret express et postal pour démanteler les filières d'approvisionnement. Plusieurs affaires importantes sont à signaler, qui ont permis de mettre un terme à l'activité de vendeurs en ligne responsables d'envois de plus de 40 tonnes de tabacs et cigarettes. Environ mille clients ont été mis en cause dans ces affaires : il faut que nos concitoyens sachent que les achats sur internet sont interdits et sanctionnés, il y a là un enjeu tout à la fois de santé publique que de finances publiques et de protection du réseau légal de distribution.
Nous avons souhaité, via l'accord, renforcer l'efficacité du dispositif en s'appuyant sur les opérateurs du fret express. La Douane signalera aux expressistes les acteurs économiques qui ne respecteraient pas l'interdiction de vente à distance, de sorte que ceux-ci trouvent portes closes lorsqu'ils chercheront un transporteur pour livrer en France. L'idée est bien de tarir les flux à la source : il s'agit là d'une mesure de blocage très concrète, qui doit permettre d'atteindre une efficacité maximale, sans perturber la circulation des flux licites.
Tout en mesurant le chemin parcouru, pour lequel je souhaite remercier et féliciter chacun d'entre vous, je voudrais également vous appeler à rester mobilisés. Une prochaine étape est d'ores et déjà fixée : la mise en oeuvre de l'article 67 sexies du code des douanes, disposition également adoptée dans le cadre de la loi sur la lutte contre la contrefaçon, qui permettra prochainement à la Douane d'accéder aux données dont disposent les opérateurs de fret express et postal sur les colis au départ ou à destination de la France, même lorsque le dédouanement n'a pas lieu en France mais dans un autre point de l'Union européenne. Nous en attendons une véritable « industrialisation » de nos capacités de ciblage et d'identification des envois illicites. J'ai signé récemment la transmission au Conseil d'Etat du projet de décret d'application de cet article, après que la Commission nationale de l'informatique et des libertés nous a rendu son avis : il faudra donc prochainement reprendre le travail pour préparer ensemble les modalités concrètes de mise en oeuvre du dispositif, toujours dans le sens de la conciliation des missions de contrôle de l'administration des Douanes et de la fluidité des envois licites.
Je vous remercie.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 8 avril 2016