Déclaration de Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, sur la nécessité d'accélérer l'application de l'accord de Paris, la création de coalitions autour d'enjeux environnementaux et la tarification du prix du carbone, à Nairobi le 26 mai 2016.

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Circonstance : 21e session de la conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, à Nairobi (Kenya) le 26 mai 2016

Texte intégral

Monsieur le Président de la République du Kenya, cher Uhuru Kenyatta,
Messieurs les Présidents,
Messieurs les Secrétaires généraux,
Monsieur le Secrétaire exécutif,
Monsieur le Secrétaire général adjoint,
Monsieur le futur Président de la COP,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Vous êtes là réunis dans un moment très important parce que c'est une étape très forte après la conférence de Paris sur le climat et je suis vraiment très honorée d'être ici parmi vous en tant que Présidente de la COP21 pour constater avec plus de 150 ministres de l'environnement qui sont là, c'est la plus grande réunion de ministres de l'environnement à l'initiative des Nations Unies. C'est un événement très très fort parce qu'on constate que l'esprit de Paris est toujours là.
Et je suis doublement heureuse d'être ici Monsieur le Président de la République ici en Afrique, continent cher à mes yeux et central pour la lutte contre le dérèglement climatique, mais encore plus heureuse d'être ici au Kenya puisque nous étions ensemble le 30 avril dernier pour assister à un acte extrêmement courageux que vous avez accompli puisque vous avez détruit plus de 100 tonnes de défenses d'éléphants, des cornes de rhinocéros également.
Je crois que ce geste extrêmement fort qui contribue à la préservation des éléphants a été vu dans le monde entier. Soyez-en à nouveau félicités. Je crois que ce signal a été extrêmement puissant. Je m'étais engagée le 30 avril dernier après avoir interdit les exportations d'ivoire de France, interdire le commerce en France, c'est fait. J'ai signé l'arrêté ministériel qui interdit et j'ai entraîné l'Europe en lui demandant de faire la même chose.
La conférence de Paris sur le climat fut un tournant important. Vous avez aujourd'hui la responsabilité, c'est votre mandat, de contribuer à l'application de l'accord de Paris. D'abord vous inscrivez dans un cycle d'événements extrêmement importants puisque l'année 2015 a été une année majeure pour le climat. Nous avons la conférence de Sendaï sur la prévention des risques. Nous avons eu ensuite Addis Abeba sur le financement du développement. Nous avons eu la conférence sur les objectifs de développement durable à New York et nous avons eu la conférence de Paris.
Il y a quelques jours, nous avions la première conférence mondiale sur les problèmes humanitaires toujours à l'initiative des Nations Unies et nous avons pu faire le lien entre la question du dérèglement climatique et la question des crises humanitaires.
J'ai eu d'ailleurs l'occasion de dire au cours du panel rassemblant les dirigeants qui réfléchissaient sur la prévention de ces crises climatiques, que présidait d'ailleurs Monsieur le Secrétaire général adjoint des Nations Unies ici présent, qu'agir pour le climat c'est vraiment agir à la racine des choses puisque le dérèglement climatique entraine aussi de graves crises humanitaires. Le dérèglement climatique entraîne aussi des guerres. Le dérèglement climatique entraîne des conflits. Quand on fait l'analyse des conflits et des guerres qui ont eu lieu au cours des 50 dernières années, toutes, toutes ont quelque chose à voir de près ou de loin avec la question climatique. Ce sont d'abord les sècheresses qui provoquent les crises alimentaires. Les crises alimentaires ou les crises d'accès à l'eau potable qui provoquent les émeutes de la faim. Les émeutes de la faim qui provoquent la déstabilisation des pays et la montée de la désertification, la déforestation massive, les difficultés d'accès aux ressources alimentaires qui provoquent des migrations massives de population et notamment des migrations Sud-Sud. Et le continent africain est particulièrement frappé par ces migrations Sud-Sud qui déstabilisent les Etats. On estime que si rien n'est fait pour lutter contre le dérèglement climatique, nous aurons 200 millions de déplacés climatiques d'ici la fin du siècle. C'est dire l'urgence du travail qu'il y a à accomplir et c'est dire l'importance des travaux que vous faites ici.
J'aurais trois messages à vous donner.
Le premier message, c'est d'accélérer l'application de l'accord de Paris. De même que nous nous sommes mobilisés pour obtenir les signatures puisque nous avons obtenu avec les Nations Unies et la Présidence de la COP un record de signatures. 177 pays, ça n'était jamais vu, sont venus signer l'accord de Paris le 22 avril à New York. Et bien nous devons continuer cette dynamique. Et aujourd'hui nous devons accélérer les ratifications.
J'appelle tous les membres des gouvernements qui sont présents dans cette salle à veiller à ce que la ratification de l'accord de Paris soit bien inscrit lors d'un prochain conseil des ministres, que la ratification de l'accord de Paris soit bien inscrite dans les procédures parlementaires ou règlementaires qui appartiennent à chacun des Etats parce que nous devons à Marrakech, nous devons à la COP22, nous devons l'ardente obligation de venir avec un accord de Paris qui s'applique. Qu'est ce que çà veut dire un accord de Paris qui s'applique ? Ça veut dire que 55 Etats parties doivent l'avoir ratifié. 55 parties doivent l'avoir ratifié représentant 55% des émissions de gaz à effet de serre. Mais l'idéal est que ce soit bien plus bien évidemment et que cet accord rentre en application dès cette année et que massivement les pays, qui ont adhéré à l'accord de Paris, qui sont venus signer avec de nombreux chefs d'Etat et de gouvernement puissent au cours de l'année ratifier l'accord de Paris.
Vous en avez le devoir. C'est un devoir à l'égard des pays qui souffrent. C'est un devoir à l'égard des populations qui souffrent. C'est un devoir à l'égard des pays vulnérables. Et d'ailleurs j'observe que comme souvent, comme souvent, ce sont les pays les plus vulnérables, les pays les plus fragiles qui ont déjà ratifié l'accord de Paris puisque 14 d'entre eux ont déjà déposé les instruments de ratification. Et dans ces 14 pays, il y a les petits Etats insulaires qui sont menacés dans leur survie même par le dérèglement climatique. Alors tous les Etats doivent faire cet effort et vous, ministres de l'environnement qui êtes dans cette salle ou conseillers des différents gouvernants, vous avez cette responsabilité lorsque vous reviendrez de Nairobi à dire à vos gouvernants la Présidente de la COP nous a demandé de ratifier. Nous le devons à l'égard des pays qui souffrent du dérèglement climatique. Nous le devons à l'égard des engagements qui ont été pris à Paris. Nous le devons à l'égard de ceux qui se désespèrent et qui veulent savoir si oui ou non nous aurons le courage d'agir pour que le réchauffement climatique soit en dessous des 2 degrés de réchauffement d'ici la fin de ce siècle.
C'est une tâche formidable. C'est une mission exceptionnelle. C'est une responsabilité comme on n'a jamais deux fois dans sa vie. Et nous devons être conscients de cette responsabilité, de cette grandeur politique. Et d'ailleurs, ce qui est aussi exceptionnel dans l'accord de Paris et dans l'effort que tous les pays du monde ont faits car c'est une réussite collective qui a permis cet accord, c'est qu'au fond on a vu se rassembler des Etats et des pays très différents. Des petits, des grands, des riches, des pauvres, ceux du Nord, ceux du Sud, ceux qui avaient déjà agi, ceux qui découvraient les problèmes, etc. Autrement dit, il y a eu dans ce multilatéralisme une communauté de pensées, d'idées, un partage aussi des connaissances scientifiques et on ne rendra jamais suffisamment hommage aux scientifiques du monde entier qui ont établi les liens entre les activités humaines, entre l'utilisation des énergies fossiles et les catastrophes climatiques. A tout ce travail qui dure depuis Rio, qui dure depuis 25 ans, nous devons aujourd'hui l'accélération de l'application de l'action et je sais que vous en êtes conscients et je sais que cette réunion de Nairobi sera un succès.
Le second message, bien évidemment, il est tout simple mais il est crucial. C'est celui de l'appel à l'action. L'appel à l'action c'est deux choses. C'est d'abord que chaque pays passe à l'action sur son territoire national pour l'application de ce qu'on appelle maintenant les NDC. Ces contributions en effet changent la donne autant que l'accord. Et on le voit déjà, beaucoup de pays sont en mouvement. Ici par exemple au Kenya il y a des engagements très importants sur la transition énergétique et les énergies renouvelables. J'aurai l'occasion de le dire demain cet effort de l'Afrique autour des initiatives sur les énergies renouvelables devant la réunion de la Banque africaine de développement.
Et puis il y a toutes les coalitions. Et on voit que toutes ces coalitions se structurent ici. Toutes les coalitions qui ont eu lieu pendant l'accord de Paris. 70 coalitions autour de l'océan, de la forêt, de l'agriculture, de l'eau, des énergies renouvelables bien évidemment, autour aussi des collectivités territoriales qui s'engagent, des femmes aussi nous avions organisé un événement majeur sur la question des femmes, celles qui sont les plus vulnérables au dérèglement climatique et souvent celles qui ont les solutions entre leur main. Et si on leur donne le pouvoir d'agir alors elles peuvent faire beaucoup et notamment dans le domaine agricole et dans le domaine de l'accès à l'eau potable.
Et je voudrais saluer l'implication du PNUE dans le plan d'actions Lima-Paris, dans ce plan d'actions, dans cette capacité de trouver des solutions.
Son appui à plusieurs initiatives importantes telle que la coalition pour le climat et l'air pur, une plateforme pour traiter les polluants climatiques. Le PNUE est directement impliqué dans cette problématique en tant que secrétariat du protocole de Montréal.
Je salue également le rôle du programme des Nations Unies pour l'environnement dans l'initiative énergie durable pour toutes les Nations Unies avec plusieurs initiatives sur l'efficacité énergétique et il y a plusieurs réunions pendant ces journées ici.
Et puis il y a bien évidemment cette initiative formidable du PNUE sur la formation d'un réseau urbain « Urban Hub » avec plus de 7 000 villes et régions de par le monde qui ont pris des engagements climat, la mobilisation des collectivités territoriales et la coalition des bâtiments à laquelle je participerai tout à l'heure.
Enfin je voulais peut être vous donner quelques nouvelles des négociations de Bonn puisque vous savez que les représentants des parties étaient pendant 10 jours à Bonn pour la première session formelle des négociations après Paris. Nous avons ensemble avec Monsieur Salaheddine Mezouar ouvert ces négociations et ensemble nous adresserons tout à l'heure un message aux négociateurs de Bonn. Ceux-ci ont bien travaillé. La COP22 à Marrakech, au-delà de la préparation de l'entrée en vigueur de l'accord de Paris sont désormais en bonne voie. J'ai veillé aussi à consulter les ONG et les observateurs de la société civile qui ont beaucoup à dire et qui ont fait beaucoup.
Et puis bien évidemment aussi, nous devons monter en puissance sur la question de la tarification du prix du carbone et j'appelle tous les représentants des gouvernements ici présents à rejoindre la coalition de la tarification carbone car c'est le levier essentiel qui nous permettra aussi en réinjectant le produit de la tarification carbone dans les investissements qui permettront aussi de monter en puissance et de réaliser et de mettre en place ce que les parties du monde entier attendent, la mise en place des 100 milliards de dollars prévus d'ici 2020 puis tous les ans à partir de 2020. Il y a des progrès, nous en sommes à 60 milliards. Nous arriverons aux 100 milliards c'est-à-dire aux convergences entre les moyens publics et les moyens privés parce qu'il est clair que dans cette coalition des entreprises et des fonds d'investissement, et ça c'est très nouveau dans les conférences climat qui se sont coalisés, qui se sont structurés lors de la question climatique, on voit que désormais investir dans la croissance verte c'est une chance.
Et c'est çà le volet positif. Il y a bien sûr le catastrophisme, je l'ai dit tout à l'heure et nous ne devons pas le perdre de vue. Mais il y a aussi une formidable chance à saisir parce que le levier de développement qu'il y a derrière la croissance verte, derrière les énergies renouvelables, derrière la nouvelle façon de se déplacer, derrière la nouvelle façon de construire, de bâtir, d'habiter, de consommer les ressources naturelles, il y a là de formidables opportunités de création d'emplois non délocalisables, de création d'entreprises, de start up, d'investissements et c'est cela aussi la préparation du futur pour nos jeunes sous toutes nos latitudes, dans tous nos pays, qui parfois souffrent douloureusement du chômage. Donc il y a une main tendue à l'égard des générations futures.
Et de la même façon que le dit un proverbe kényan bien connu « Ménageons notre planète car elle ne nous a pas été léguée par nos parents mais prêtée par nos enfants ». Et ce que nous préparons c'est la montée en puissance de la génération future pour qu'elle vive sur cette planète dans de meilleures conditions et que nous puissions lui transmettre une planète réparée, une planète en bon état, une planète qui permet de retrouver l'harmonie entre les êtres humains et la nature qui les entoure.
Et permettez-moi sur ce continent africain puisque nous devons en appeler aussi au courage de l'action, à la lutte contre toutes les formes de lobbies, à la lutte contre toutes les formes de voracité financière ou de voracité sur l'exploitation excessive des ressources naturelles ou sur la destruction des animaux protégés comme je le disais tout à l'heure. Oui il faut du courage bien évidemment pour rentrer dans ce mouvement. Oui il faut du courage pour résister à un certain nombre de lobbies et de pesanteurs, de facilités. Oui il faut du courage pour avancer. Oui il faut d'abord penser aux autres avant de penser à soi. Penser aux autres c'est-à-dire construire un monde que nous ne verrons peut-être même pas. C'est ça le courage politique. Et c'est ça la noblesse de la tâche qui est la nôtre.
Et comme le disait Nelson Mandela « J'ai appris que le courage – disait-il - n'est pas l'absence de peur mais la capacité à la vaincre ». Voilà ce qu'attendent les peuples du monde entier. Je vous remercie de vous y engager avec autant d'énergie, de volonté, de courage, de sens du sacrifice, parce que penser d'abord aux autres avant de penser à nous-mêmes.
Merci beaucoup.
Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 6 juin 2016