Texte intégral
F. Laborde A propos de la relaxe de D. Strauss-Kahn, vous avez été parmi les premiers ou le premier à dire que l'instruction avait été conclue avec beaucoup de légèreté...
- "Il faut bien voir qu'il a été mis en examen pour trois choses différentes, par trois juges différents et au bout du compte, après avoir créé une crise politique qui l'a conduit à démissionner du Gouvernement, il a trois acquittements ou trois relaxes. C'est quand même un grave dysfonctionnement de la machine judiciaire, parce que le soupçon qui est jeté sur quelqu'un pour finalement n'aboutir à rien, est largement préjudiciable."
Le Syndicat de la magistrature disait hier qu'il faut peut-être revoir cette habitude créée sous le gouvernement Balladur, qui consistait en la démission des ministres mis en cause par la justice.
- "Je suis en total désaccord avec cela, parce que dès lors qu'un ministre est mis en examen, il perd toute autorité, tout crédit. Il va aller représenter la France à l'étranger avec la police derrière lui ? Cela n'a pas de sens ! Dans certains cas - c'est arrivé -, non seulement il est mis en examen, mais il est mis en détention. Il va donc rester en prison en étant encore membre du Gouvernement ? Cela n'a pas de sens !"
Cela veut dire que le système est totalement à revoir - ou la procédure ?
- "Le système est mauvais. Notre système judiciaire, dans ses fondements, est hérité du XIXème siècle, c'est-à-dire qu'il ressemble à une vieille maison, avec des fondations très fragiles, au-dessus desquelles on n'aurait pas arrêté de faire des travaux. Mais tout cela vacille sur ses bases et en réalité, il faut reconstruire la maison, parce qu'elle est inadaptée à une société moderne."
Concrètement, D. Strauss-Kahn n'aurait pas dû être mis en examen par le juge ?
- "On aurait pu imaginer que l'enquête du Parquet soit poursuivie plus longuement, de manière plus approfondie, avant que l'on ne procède à la mise en examen. Ce que je regrette dans ce type d'affaire, c'est que l'on commence par la mise en examen et que l'on fasse ensuite l'enquête. Mais dès lors que l'on met quelqu'un en examen, c'est une accusation publique qui est lancée et le préjudice commence. Il vaudrait mieux que la mise en examen viennent après plutôt qu'avant l'enquête."
Est-ce que vous considérez que les médias ont joué un rôle aggravant ?
- "Non, pas du tout. Dès lors qu'un ministre est mis en examen, c'est un événement en soi et on n'imagine pas que le presse n'en parle pas. Ce n'est pas cela le sujet ; le sujet, c'est la mise en examen."
Cela veut dire que s'il y a alternance, si les élections font que vous avez l'occasion de vous saisir ce ces dossiers, vous aurez des projets très concrets de réformes ?
- "Nous avons des idées de réformes importantes sur le fonctionnement de la justice. D'abord, il faut essayer de l'accélérer, parce que les jugements sont rendus avec un retard considérable, ce qui confine à l'impunité. Il faut d'abord des réformes qui permettent d'accélérer le jugement des personnes."
C'est vrai pour les hommes politiques et pour l'ensemble des citoyens...
- "C'est d'abord vrai pour tous les citoyens."
C'est aussi ce que disent les policiers en colère, quand ils parlent des petits délinquants : ils disent que le délai est trop long entre la constatation des faits et la condamnation.
- "Oui, je les comprends. Par exemple, en matière de trafic des stupéfiants, alors que très souvent les faits sont très caractérisés, la loi ne permet pas de juger en saisine directe - c'est-à-dire immédiatement - le délinquant, alors que l'on a tous les éléments. Là, il faut une réforme législative pour pouvoir juger plus rapidement tous ces dealers qui circulent et dont on renvoie les jugements à la Saint-Glinglin. C'est évidemment le sentiment de l'impunité qui est donné à tout le monde."
On a aussi beaucoup mis en cause la loi Guigou, avec la présomption d'innocence, dans les récentes affaires de fusillades. Est-ce la loi qui est mauvaise, une erreur du juge ou le manque de forces de l'ordre ?
- "Il a toutes sortes de choses dans cette loi, il y a 142 articles. Certaines dispositions sont bonnes et d'autres sont excessivement bureaucratiques, celles qui obligent notamment la police à faire de la paperasserie au lieu d'aller sur le terrain. Lorsque, dans une nuit, un commissariat pouvait traiter dix affaires avec ses effectifs, aujourd'hui, compte tenu de la bureaucratie, il ne peut plus en traiter que deux, trois, voire quatre. Cela paralyse le système. Il faut à la fois donner des garanties plus importantes que celles que nous avons aux justiciables - parce qu'il y a aussi des erreurs judiciaires, parfois trop - mais, en même temps, il faut des procédures beaucoup plus simples."
Est-ce que ce n'est pas contradictoire de dire, d'un côté, que DSK a été mis en examen alors qu'il n'aurait pas dû l'être, et de l'autre, qu'il faut que cela aille plus vite et que le police ait plus de moyens ?
- "Oui, c'est possible. Par exemple, je propose que, comme dans tous les grands pays modernes, on ait deux systèmes : le système de celui qui reconnaît les faits et qui, d'une certaine manière, plaide coupable et dans ce cas, on peut avoir une procédure allégée - c'est 80 % des cas -, et le système de ceux qui protestent de leur innocence et pour lesquels on prend un maximum de précautions et où on peut accepter un lourd formalisme. Mais on aura régler 80 % des cas."
Si on a cette procédure à deux vitesses, tout le monde dira qu'il est innocent...
- "Non, parce que les gens attrapés avec des preuves et qui sont confondus par l'enquête n'ont pas le choix, ils sont bien obligés de reconnaître. Bien souvent, c'est le cas."
Quand vous entendez le ministre de l'Intérieur dire qu'il faut que la population française soutienne davantage la police dans ces moments difficiles, que répondez-vous ?
- "C'est vrai que la police a besoin d'être aimée davantage. Si je prends le cas de ma ville, en banlieue, le gens comptent beaucoup sur la police. C'est un métier très difficile, un des rares métiers où l'on paie de sa vie son engagement professionnel. Et la sincérité des policiers dans leurs actions, tout le monde la voit. Les policiers sont donc relativement aimés de la population, mais au plan social, ils manquent de considération et c'est ce qu'ils regrettent."
Il faut davantage de forces de police ?
- "Il faut surtout qu'ils soient organisés autrement. La France est le troisième pays d'Europe pour le nombre de policiers par habitants, on en a quand même beaucoup ! Mais ils sont totalement dispersés en des centaines de petits services éclatés, sans aucune coordination. En fait, notre police est très mal organisée."
Un certain nombre de députés socialistes - dont A. Montebourg, qui s'était rendu célèbre parce qu'il voulait absolument que le président de la République soit entendu par la justice - disent maintenant que les crédits de l'Elysée sont trop élevés, qu'ils ont doublé depuis que J. Chirac est à l'Elysée et qu'il faut absolument revoir tout cela, que ce n'est pas normal.
- "Ce n'est pas très sérieux ! C'est l'observation d'un mauvais parlementaire. Si A. Montebourg faisait son travail, il saurait que l'on vient de réformer la procédure budgétaire et qu'ayant réformer la procédure budgétaire, un certain nombre de crédits dispersés dans différents ministères ont été regroupés sur la ligne de crédits de l'Elysée. Mais globalement, le montant n'a pratiquement pas augmenté. Simplement, pour la lisibilité et dans le cadre de la réforme budgétaire, ils sont regroupés sur un même chapitre."
C'est un effet de transparence, un jeu d'écriture ?
- "C'est un jeu d'écriture, parce qu'on a changé la procédure budgétaire pour qu'elle soit plus lisible - c'est bien - et donc, des crédits qui étaient dispersés au profit de l'Elysée, dans différents ministères, sont regroupés sous un même chapitre. Il n'y a donc pas d'augmentation. Je veux dire à A. Montebourg que s'il veut diminuer les crédits de l'Elysée, c'est sans doute parce qu'il est convaincu que son candidat n'arrivera pas à l'Elysée."
Vous n'avez pas le sentiment que la cohabitation se tend ? On imagine qu'elle n'a pas toujours été harmonieuse, mais là, franchement...
- "Il est inévitable qu'à l'approche de la compétition électorale, chacun reprenne ses intérêts électoraux dans l'enjeu qui a lieu - on le comprend - et c'est le moment où naturellement, elle est le plus difficile à tenir."
Chacun doit donc garder son sang froid ?
- "Chacun doit garder son sang froid. C'est le cas du président de la République qui ne se laisse pas aller ni aux petites phrases, ni à une attitude inconsidérée. On le voit d'ailleurs représenter notre pays sur la scène internationale avec beaucoup de dignité et beaucoup d'efficacité."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 23 novembre 2001)
- "Il faut bien voir qu'il a été mis en examen pour trois choses différentes, par trois juges différents et au bout du compte, après avoir créé une crise politique qui l'a conduit à démissionner du Gouvernement, il a trois acquittements ou trois relaxes. C'est quand même un grave dysfonctionnement de la machine judiciaire, parce que le soupçon qui est jeté sur quelqu'un pour finalement n'aboutir à rien, est largement préjudiciable."
Le Syndicat de la magistrature disait hier qu'il faut peut-être revoir cette habitude créée sous le gouvernement Balladur, qui consistait en la démission des ministres mis en cause par la justice.
- "Je suis en total désaccord avec cela, parce que dès lors qu'un ministre est mis en examen, il perd toute autorité, tout crédit. Il va aller représenter la France à l'étranger avec la police derrière lui ? Cela n'a pas de sens ! Dans certains cas - c'est arrivé -, non seulement il est mis en examen, mais il est mis en détention. Il va donc rester en prison en étant encore membre du Gouvernement ? Cela n'a pas de sens !"
Cela veut dire que le système est totalement à revoir - ou la procédure ?
- "Le système est mauvais. Notre système judiciaire, dans ses fondements, est hérité du XIXème siècle, c'est-à-dire qu'il ressemble à une vieille maison, avec des fondations très fragiles, au-dessus desquelles on n'aurait pas arrêté de faire des travaux. Mais tout cela vacille sur ses bases et en réalité, il faut reconstruire la maison, parce qu'elle est inadaptée à une société moderne."
Concrètement, D. Strauss-Kahn n'aurait pas dû être mis en examen par le juge ?
- "On aurait pu imaginer que l'enquête du Parquet soit poursuivie plus longuement, de manière plus approfondie, avant que l'on ne procède à la mise en examen. Ce que je regrette dans ce type d'affaire, c'est que l'on commence par la mise en examen et que l'on fasse ensuite l'enquête. Mais dès lors que l'on met quelqu'un en examen, c'est une accusation publique qui est lancée et le préjudice commence. Il vaudrait mieux que la mise en examen viennent après plutôt qu'avant l'enquête."
Est-ce que vous considérez que les médias ont joué un rôle aggravant ?
- "Non, pas du tout. Dès lors qu'un ministre est mis en examen, c'est un événement en soi et on n'imagine pas que le presse n'en parle pas. Ce n'est pas cela le sujet ; le sujet, c'est la mise en examen."
Cela veut dire que s'il y a alternance, si les élections font que vous avez l'occasion de vous saisir ce ces dossiers, vous aurez des projets très concrets de réformes ?
- "Nous avons des idées de réformes importantes sur le fonctionnement de la justice. D'abord, il faut essayer de l'accélérer, parce que les jugements sont rendus avec un retard considérable, ce qui confine à l'impunité. Il faut d'abord des réformes qui permettent d'accélérer le jugement des personnes."
C'est vrai pour les hommes politiques et pour l'ensemble des citoyens...
- "C'est d'abord vrai pour tous les citoyens."
C'est aussi ce que disent les policiers en colère, quand ils parlent des petits délinquants : ils disent que le délai est trop long entre la constatation des faits et la condamnation.
- "Oui, je les comprends. Par exemple, en matière de trafic des stupéfiants, alors que très souvent les faits sont très caractérisés, la loi ne permet pas de juger en saisine directe - c'est-à-dire immédiatement - le délinquant, alors que l'on a tous les éléments. Là, il faut une réforme législative pour pouvoir juger plus rapidement tous ces dealers qui circulent et dont on renvoie les jugements à la Saint-Glinglin. C'est évidemment le sentiment de l'impunité qui est donné à tout le monde."
On a aussi beaucoup mis en cause la loi Guigou, avec la présomption d'innocence, dans les récentes affaires de fusillades. Est-ce la loi qui est mauvaise, une erreur du juge ou le manque de forces de l'ordre ?
- "Il a toutes sortes de choses dans cette loi, il y a 142 articles. Certaines dispositions sont bonnes et d'autres sont excessivement bureaucratiques, celles qui obligent notamment la police à faire de la paperasserie au lieu d'aller sur le terrain. Lorsque, dans une nuit, un commissariat pouvait traiter dix affaires avec ses effectifs, aujourd'hui, compte tenu de la bureaucratie, il ne peut plus en traiter que deux, trois, voire quatre. Cela paralyse le système. Il faut à la fois donner des garanties plus importantes que celles que nous avons aux justiciables - parce qu'il y a aussi des erreurs judiciaires, parfois trop - mais, en même temps, il faut des procédures beaucoup plus simples."
Est-ce que ce n'est pas contradictoire de dire, d'un côté, que DSK a été mis en examen alors qu'il n'aurait pas dû l'être, et de l'autre, qu'il faut que cela aille plus vite et que le police ait plus de moyens ?
- "Oui, c'est possible. Par exemple, je propose que, comme dans tous les grands pays modernes, on ait deux systèmes : le système de celui qui reconnaît les faits et qui, d'une certaine manière, plaide coupable et dans ce cas, on peut avoir une procédure allégée - c'est 80 % des cas -, et le système de ceux qui protestent de leur innocence et pour lesquels on prend un maximum de précautions et où on peut accepter un lourd formalisme. Mais on aura régler 80 % des cas."
Si on a cette procédure à deux vitesses, tout le monde dira qu'il est innocent...
- "Non, parce que les gens attrapés avec des preuves et qui sont confondus par l'enquête n'ont pas le choix, ils sont bien obligés de reconnaître. Bien souvent, c'est le cas."
Quand vous entendez le ministre de l'Intérieur dire qu'il faut que la population française soutienne davantage la police dans ces moments difficiles, que répondez-vous ?
- "C'est vrai que la police a besoin d'être aimée davantage. Si je prends le cas de ma ville, en banlieue, le gens comptent beaucoup sur la police. C'est un métier très difficile, un des rares métiers où l'on paie de sa vie son engagement professionnel. Et la sincérité des policiers dans leurs actions, tout le monde la voit. Les policiers sont donc relativement aimés de la population, mais au plan social, ils manquent de considération et c'est ce qu'ils regrettent."
Il faut davantage de forces de police ?
- "Il faut surtout qu'ils soient organisés autrement. La France est le troisième pays d'Europe pour le nombre de policiers par habitants, on en a quand même beaucoup ! Mais ils sont totalement dispersés en des centaines de petits services éclatés, sans aucune coordination. En fait, notre police est très mal organisée."
Un certain nombre de députés socialistes - dont A. Montebourg, qui s'était rendu célèbre parce qu'il voulait absolument que le président de la République soit entendu par la justice - disent maintenant que les crédits de l'Elysée sont trop élevés, qu'ils ont doublé depuis que J. Chirac est à l'Elysée et qu'il faut absolument revoir tout cela, que ce n'est pas normal.
- "Ce n'est pas très sérieux ! C'est l'observation d'un mauvais parlementaire. Si A. Montebourg faisait son travail, il saurait que l'on vient de réformer la procédure budgétaire et qu'ayant réformer la procédure budgétaire, un certain nombre de crédits dispersés dans différents ministères ont été regroupés sur la ligne de crédits de l'Elysée. Mais globalement, le montant n'a pratiquement pas augmenté. Simplement, pour la lisibilité et dans le cadre de la réforme budgétaire, ils sont regroupés sur un même chapitre."
C'est un effet de transparence, un jeu d'écriture ?
- "C'est un jeu d'écriture, parce qu'on a changé la procédure budgétaire pour qu'elle soit plus lisible - c'est bien - et donc, des crédits qui étaient dispersés au profit de l'Elysée, dans différents ministères, sont regroupés sous un même chapitre. Il n'y a donc pas d'augmentation. Je veux dire à A. Montebourg que s'il veut diminuer les crédits de l'Elysée, c'est sans doute parce qu'il est convaincu que son candidat n'arrivera pas à l'Elysée."
Vous n'avez pas le sentiment que la cohabitation se tend ? On imagine qu'elle n'a pas toujours été harmonieuse, mais là, franchement...
- "Il est inévitable qu'à l'approche de la compétition électorale, chacun reprenne ses intérêts électoraux dans l'enjeu qui a lieu - on le comprend - et c'est le moment où naturellement, elle est le plus difficile à tenir."
Chacun doit donc garder son sang froid ?
- "Chacun doit garder son sang froid. C'est le cas du président de la République qui ne se laisse pas aller ni aux petites phrases, ni à une attitude inconsidérée. On le voit d'ailleurs représenter notre pays sur la scène internationale avec beaucoup de dignité et beaucoup d'efficacité."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 23 novembre 2001)