Déclaration de Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable, sur la réinstallation, la relocalisation et les visas humanitaires en faveur des réfugiés syriens, à Paris le 20 juin 2016.

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Circonstance : Journée d'échanges l'association Coallia consacrée aux réfugiés syriens réinstallés en France, à Paris le 20 juin 2016

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur Général,
Chers amis,
C'est avec grand plaisir que j'ai répondu à votre invitation pour prononcer le discours de clôture de cette journée d'échanges consacrée aux réfugiés syriens réinstallés en France. En effet, le retour d'expériences que vous avez initié est particulièrement bienvenu. Tout d'abord parce que nous célébrons aujourd'hui la journée internationale des réfugiés et qu'il faut donner du sens à ces manifestations. Mais surtout car la situation mondiale et intérieure nous oblige à nous interroger sur les mouvements migratoires, sur leurs origines et sur leurs conséquences.
Face à ces grands flux, nous devons rappeler les mesures que nous avons déjà initiées et qui commencent à porter leurs fruits mais aussi celles que nous allons continuer de mettre en oeuvre.
Je connais la longue histoire de votre structure née dans le sillage de la décolonisation et dont Stéphane Hessel était un fondateur. Je voudrais que nous ayons une pensée aujourd'hui pour celui qui avait commencé sa vie politique dans la Résistance gaulliste, qui l'avait poursuivie au sein d'une gauche humaniste et qui avait fait de l'écologie son dernier engagement, en guise de legs pour les générations futures. Sa dignité et son esprit pugnace devraient toujours nous accompagner.
Mais revenons à Coallia, qui s'appelait alors L'AFTAM, et qui s'est très rapidement spécialisé dans l'hébergement et l'accompagnement social des Africains devenus étrangers en France.
La gestion de Foyers pour Travailleurs Migrants est votre activité historique et représente encore une part importante de votre activité. Mais l'Aftam n'a cessé de développer ses métiers : hébergement, accompagnement social, accueil médico-social, intermédiation locative.
Coallia est aussi très investi dans l'hébergement et l'accompagnement des demandeurs d'asile ainsi que dans l'accueil des réfugiés.
Aujourd'hui Coallia c'est :
- + de 6 500 places d'hébergement pour demandeurs d'asile (dont environ 5 300 places de Cada) :
- 200 places dans 5 centres provisoires d'hébergement (CPH – des CHRS spécialisés dans l'accueil des personnes protégées) : soit 13 % de la capacité nationale
- 10 plateformes (dont 5 en Île de France) chargées de la mise en oeuvre des prestations de premier accueil et d'accompagnement des demandeurs d'asile
- Le développement d'initiatives en matière d'intégration des réfugiés reposant sur l'intermédiation locative.
Coallia intervient sur l'ensemble des étapes du parcours, depuis l'accueil et l'accompagnement en amont du dépôt de la demande d'asile, jusqu'à l'accompagnement dans le parcours d'insertion et d'intégration, une fois la protection internationale obtenue, en passant par l'hébergement et le soutien dans les démarches durant la phase d'instruction de la demandes d'asile.
Coallia défend l'idée que l'insertion repose sur le développement de l'autonomie. Pour vous, l'intervention sociale doit avoir pour but d'amener les réfugiés à être acteurs de leur parcours et de leurs démarches d'intégration. Vous accordez ainsi une grande importance à la participation. Il y a longtemps que les personnes logées ou hébergées ont des représentants au sein du conseil d'administration de l'association, avec voix délibérative.
Cet attachement au principe du développement de l'autonomie comme moteur d'une démarche nécessairement active du parcours d'intégration explique, sans doute, pourquoi vous privilégiez assez largement les solutions d'accueil orientées logement.
Coallia est l'un des tous premiers acteurs de Solibail en Île de France et c'est sans doute aussi ce qui explique votre forte mobilisation et votre réussite dans le programme de réinstallation des réfugiés syriens : l'accès direct au logement. C'est d'ailleurs toute la philosophie du « logement accompagné » que vous défendez.
Nous le voyons, c'est peu dire que nous partageons avec vous un large socle de valeurs, mais je veux réitérer les engagements du Président de la République et du Premier Ministre.
Conformément à son histoire et à la place qui est le sienne sur la scène internationale, la France va rester une terre d'asile pour ceux qui fuient la guerre et les persécutions. Accueillir, héberger, soigner et accompagner tous ceux qui, en situation de détresse et en danger de mort, viennent chercher refuge sur notre sol, cela constitue un devoir inconditionnel pour un grand Etat de droit comme le nôtre. C'est à cela qu'on mesure la fidélité de la République à ses principes, et c'est ce qui fait la grandeur de notre pays.
Engagée en Irak et en Syrie dans une lutte implacable contre ceux qui répandent la mort et la destruction, qui déstabilisent cette région « berceau de l'humanité » et qui cherchent à provoquer la terreur à l'intérieur de nos frontières, la France prend également sa part dans l'accueil de celles et ceux qui sont les premières victimes de cette barbarie.
Les années 2016 et 2017 seront marquées par l'accueil d'un nombre accru de réfugiés : 30 à 35 000 personnes accéderont en France au statut de réfugié en 2016, contre 19 000 en 2015 et 15 000 en 2014. Outre la hausse mécanique qui résulte de la crise migratoire– hausse de la demande d'asile, accélération du traitement, hausse du taux d'octroi - la France a développé trois voies légales d'accès au territoire que sont la réinstallation, la relocalisation et les visas humanitaires.
La relocalisation concerne les migrants qui se présentent dans les hotspots en Italie mais surtout en Grèce et qui sont ensuite répartis dans les différents pays Européens. Ils arrivent donc en France avec le statut de demandeurs d'asile et seront hébergés par des CADA, où leur demande d'asile sera instruite dans un délai maximal de 4 mois.
La procédure de réinstallation est-elle différente. Les personnes arrivent directement depuis les camps turcs, jordaniens ou libanais où les équipes de l'OFPRA leur attribuent directement le statut de réfugiés. Dès leur arrivée en France, Elles pourront donc accéder au logement, ainsi qu'à la plénitude de leurs droits. Ce qui pose l'enjeu de la mise en oeuvre de leur parcours d'intégration avec une urgence plus grande encore.
La tâche et l'obligation morale que notre pays a contractées sont importantes. Pour réussir le pari de l'accueil, je sais que nous pouvons compter sur votre mobilisation, sur votre engagement et sur votre savoir-faire.
Au cours de cette journée, vous avez justement interrogé les grandes obligations que pose la réinstallation de ces réfugiés. La France est en effet confrontée à une double problématique :
- Organiser la venue des populations qu'elle s'est engagée à accueillir dans le cadre de l'indispensable solidarité européenne
- Mettre à l'abri l'ensemble des migrants en situation de détresse mais aussi leur construire des vrais parcours d'intégration.
Pour que chacun prenne la mesure de notre ambition, je rappelle que la France s'est engagée à accueillir :
30 700 personnes au titre du programme de relocalisation qui arriveront dans les hotspots en Grèce d'ici fin 2017. (essentiellement des Syriens, Irakiens et Erythréens, des personnes isolées et des familles).
8000 personnes au titre du programme de réinstallation
- dont 2000 réfugiés en provenance du Liban et de la Jordanie
- et 6000 syriens en provenance de Turquie d'ici septembre 2017.
Parmi ces « réinstallés », nous nous sommes engagés à accueillir des publics particulièrement vulnérables. A ce jour, pour établir devant vous un état des lieux temporaire, nous savons que :
100 personnes environ sont arrivées au titre de la relocalisation
et 750 personnes environ (sur 13 mois) au titre de la réinstallation.
Mais ce mouvement doit à présent considérablement s'accélérer, dans le cadre des nouveaux accords adoptés. En effet, avec le renforcement des hotspots et la mise en oeuvre de l'accord UE-Turquie, on estime qu'environ 900 personnes arriveront désormais chaque mois (60% relocalisés/40% réinstallés). Ce chiffre peut encore augmenter.
On parle souvent des réfugiés en citant des chiffres. On a raison parce qu'ils sont terrifiants. Je pense aux 10.000 morts en mer Méditerranée avancés par le HCR. Pour autant, les vies des réfugis ne sont pas des données comptables et les chiffres masquent trop souvent des réalités de chair et de sang. Nous avons le devoir d'expliquer à nos concitoyens les réalités de vie de celles et ceux que nous allons accueillir. C'est ainsi qu'on permettra à tous de dépasser la peur et l'appréhension qui ne font qu'entretenir le repli sur soi et le populisme. Les Français savent être solidaires si on leur parle au coeur.
Je veux ainsi vous donner des exemples très concrets de ce qui va se passer dans les semaines à venir :
Les prochaines personnes accueillies (dans le cadre de l'accord UE/Turquie du 18 mars) seront au nombre de 169.
Il s'agit de 30 ménages, de 3 à 9 personnes, de nationalité syrienne.
Ils arriveront sous protection du HCR à compter de mi-juillet.
Ils ont la particularité d'être très vulnérables puisque la moitié des ménages ont au moins un de leurs membres touché par une pathologie lourde. On m'annonce par exemple 1 famille dont la mère est en fauteuil roulant et les deux fils ont une thalassémie, 1 autre famille dont le père a des problèmes cardio-vasculaires et la fille a développé une schizophrénie-apathie…
D'autre part, pour compléter le portrait de ces réfugiés, il faut savoir que la majeure partie des chefs de familles sont des artisans (boucher, électricien, tailleur, charpentier,...). Ils apportent un savoir-faire avec eux et une grande plus-value pour notre pays.
Vous le voyez, nous avons fait le choix d'accueillir un public particulièrement fragile et cela doit avoir des conséquences sur l'organisation de son accueil.
Dès leur arrivée à l'aéroport Charles de Gaulle, les familles seront réparties dans 16 départements (notamment l'Ardèche, l'Yonne, les Hautes-Alpes et le Gard qui accueillent entre 4 et 6 ménages). On a préféré pour elles des villes petites et moyennes.
La mobilisation des logements a été effectuée dans un délai très court de 2 semaines. Mais je dois à la vérité de dire que c'est la confirmation de l'accord des élus à accueillir ces familles qui a pris le plus de temps.
Pour l'ouverture de leurs droits, elles seront accompagnées pendant un an individuellement par des associations locales ou des opérateurs nationaux (comme Coallia le fait déjà). Des procédures accélérées seront mises en route pour qu'elles puissent percevoir le RSA dans un délai de 6 semaines environ. D'autre part, l'accès aux soins, la scolarité des enfants, les relais vers les acteurs de l'insertion professionnelle et l'emploi devront se faire dans les plus brefs délais.
Le principal défi qui nous attend pour le second semestre 2016 et l'année 2017, c'est l'intégration à moyen terme de ces réfugiés. En effet, 1 an après l'annonce du plan migrants, les parcours d'intégration et les mécanismes d'insertion auront toute leur importance face à une sollicitation accrue.
La mobilisation de tous au service d'une intégration rapide des bénéficiaires d'une protection internationale doit être à la hauteur des engagements de la France. Pour permettre à ces arrivées d'être un réel apport positif pour notre pays et pour garantir une acceptabilité de ces populations sur le territoire français, nous allons mener une politique ambitieuse sur plusieurs volets.
* Par l'accès au logement :
Cela ne vous étonnera pas, je fais du logement une priorité dans l'intégration de ces réfugiés. C'est une condition essentielle pour les aider à prendre pied en France.
- Mais pour réussir leur intégration, il faut que chaque territoire, sur l'ensemble du territoire national, contribue à hauteur de ses capacités d'accueil. A cet effet, une plateforme nationale de logement des réfugiés pilotée par la DIHAL a été créée. Nous proposons ainsi des logements répartis sur toute la France, en zones plutôt détendues (petites villes et zones périurbaines). Cette plateforme intervient en particulier pour les réfugiés inscrits dans le programme de réinstallation dont vous avez parlé aujourd'hui et nous pensons mobiliser au moins 3000 logements d'ici septembre 2017.
- la prise en charge des jeunes réfugiés de moins de 25 ans est un sujet majeur. Un protocole d'accord national doit assurer la mobilisation de places en Foyers de Jeunes Travailleurs et résidences avec une prise en charge financière par l'Etat.
- Je veux également développer à titre expérimental de l'hébergement chez les particuliers afin de permettre aux réfugiés d'avoir le temps nécessaire pour développer leur projet d'accès au logement et à l'emploi. J'étais ce midi encore avec les associations qui valorisent l'accueil citoyen des réfugiés et nous travaillons à encourager ce processus.
* Par l'intégration républicaine et l'apprentissage linguistique
Maitriser la langue et les codes de la société française, c'est une condition de réussite et d'épanouissement pour les réfugiés que nous allons accueillir.
Un dispositif rénové prévoit la signature du nouveau contrat d'intégration républicaine (CIR) dans le cadre de la loi du 7 mars 2016, et permet aux réfugiés de bénéficier de formations prises en charge par l'Etat : une formation civique et une formation linguistique. Je veux également mobiliser d'autres offres de formations complémentaires en lien avec les régions, le ministère de l'éducation nationale et les grandes entreprises intéressées.
* Par un effort spécifique d'accompagnement pour les « relocalisés » et les « réinstallés ».
Compte tenu de leur très courte durée de séjour sur le territoire français avant obtention de leur statut, les réfugiés relocalisés et réinstallés bénéficient d'un accompagnement individualisé pour l'ouverture des droits, la scolarité, l'apprentissage linguistique en lien avec l'Ofii, l'insertion professionnelle Par des opérateurs nationaux spécialisés, des associations locales ou des CCAS spécifiquement mandatés et financés pour cela.
* Par un plan global d'accès à l'emploi des bénéficiaires d'une protection internationale s'appuyant sur leurs compétences
Les bénéficiaires d'une protection internationale ont une profonde volonté d'accéder rapidement à un emploi s'appuyant sur leurs compétences et savoir-faire. Un plan global d'aide à l'accès à l'emploi des réfugiés est mis en place qui comprend différents volets :
- l'aide à l'accès à l'emploi des bénéficiaires d'une protection internationale de moins de 25 ans ne pouvant toucher le RSA
- l'aide à l'accès aux métiers en tension (les réfugiés disposent souvent de compétences correspondant à ces métiers) avec la mise en place de dispositifs très opérationnels sont en cours d'organisation en lien avec Pôle emploi
- les grandes entreprises seront mobilisées par le biais de leurs organisations professionnelles (MEDEF et CGPME) et des chambres consulaires
- le service civique sera ouvert aux réfugiés dès septembre 2016, date de promulgation de la Loi "Egalité et citoyenneté"
* Par l'accès aux soins
La situation particulière de vulnérabilité des réfugiés fait l'objet d'une mobilisation renforcée pour garantir l'accès aux soins primaires physiques ou psychologiques et notamment pour les enfants victimes de syndromes post traumatiques.
* Par un effort poursuivi et soutenu sur la scolarisation des enfants et les poursuites d'études
L'ensemble des enfants relevant de la première phase du plan migrants ont été pris en charge dans les procédures de droit commun pour allophones et cela s'est plutôt bien passé. Cela dit, les questions de reconnaissance de formations et de diplômes restent posées et l'ouverture de capacités d'accueil supplémentaire peuvent parfois être encore une question. L'enseignement supérieur s'est également largement mobilisé pour l'accueil des étudiants, notamment syriens.
Vous le voyez, chers amis, l'Etat -aux côtés des grands acteurs de l'hébergement comme COALLIA- a pris conscience de sa responsabilité face à une des plus grandes crises migratoires du temps présent. Nous sommes aujourd'hui pleinement mobilisés pour réussir le pari de l'accueil et de l'intégration de celles et ceux qui fuient l'horreur du monde, le chaos des villes en guerre, la terreur des territoires en feu. Aujourd'hui, notre défi commun, c'est bien de permettre à la société française de se montrer accueillante pour ces femmes et ces hommes qui ont tout perdu. C'est ensemble que nous devons montrer qu'un réfugié en France est avant tout une vie sauvée, puis très vite un avenir à reconstruire et enfin une véritable richesse pour une société qui sait être solidaire.
Je vous remercie.Source http://www.logement.gouv.fr, le 21 juin 2016