Déclaration de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, sur le rôle de l'architecture dans l'aménagement urbain, la formation initiale et continue des architectes et la sensiblisation du public à l'architecture, Paris le 4 octobre 2001.

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Circonstance : Congrès de l'Union nationale des syndicats français d'architectes à Paris le 4 octobre 2001

Texte intégral

Le thème de votre congrès " l'Architecte aux côtés du citoyen " est au coeur des défis politiques, sociaux, culturels que nous posent les nouvelles exigences légitimes de nos concitoyens. L'accès de tous à la culture est une priorité de la politique que je mène avec, à mes côtés, Michel Duffour, Secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation. Je suis donc particulièrement sensible aux questions cruciales des relations entre compétences professionnelles et citoyenneté, entre culture savante et culture quotidienne, questions parfois présentées comme antagonistes.
Je pense pour ma part que nous pouvons et devons dépasser ces contradictions : la démocratie culturelle c'est soutenir à la fois la création et les pratiques culturelles, la diffusion et la participation, les pratiques professionnelles et les usages. Je vous remercie donc de votre invitation qui me donne, aujourd'hui, l'occasion de faire le point sur la politique que dans cette perspective j'ai menée concernant l'architecture et le devenir de votre profession depuis un peu plus d'un an.
Dans le domaine de l'architecture, de l'urbanisme, du paysage de la conception de l'espace public, le partage de la décision, dans un cadre démocratique de débat et de coopération entre particuliers et élus est difficile. Les processus d'élaboration avec des acteurs professionnels divers, nombreux et des contraintes multiples sont complexes.
La récente catastrophe de Toulouse montre qu'à chaque étape de son développement une ville à besoin d'une réelle maîtrise de son projet d'urbanisme, d'un débat démocratique sur ses principales options. Bernard Huet architecte urbaniste qui vient malheureusement de nous quitter disait déjà en 1993 " le symptôme de la catastrophe se profile au travers de la dangerosité urbaine ". Les enjeux d'organisation de l'espace de nos villes, de la cohabitation des fonctions seront de plus en plus au cur des préoccupations des français.
Il faut donc repositionner les politiques publiques de l'architecture, et fabriquer la ville en protégeant l'espace public. C'est la politique de Lionel Jospin en faveur de la ville lorsqu'il affirme que celle-ci doit être plus sûre, plus aérée, plus solidaire, plus belle aussi et c'est le sens de l'action conjointe des architectes, urbanistes, paysagistes décorateurs créateurs de la ville de demain, c'est le sens aussi du soutien de mon Ministère à votre profession.
C'est dans ces nouveaux contextes de coopération entre tous les professionnels du cadre bâti, la société civile, les associations, les citoyens qui manifestent désormais leur volonté de participer à l'élaboration de leur cadre de vie, que les responsabilités et les compétences des architectes doivent évoluer sans doute vers de nouveaux profils professionnels ou en tout cas de nouvelles pratiques.
La politique du Gouvernement avec les lois SRU, Voynet, Chevènement, nos orientations au stade actuel du projet de réforme de la Loi de 1977 sur l'architecture sont de rapprocher les partenaires professionnels entre eux et de les rapprocher de la population. J'ai bien conscience que l'exercice de vos responsabilités exige que vos compétences soient mieux reconnues.
La coopération interprofessionnelle de plus en plus forte, les partenariats accrus avec élus et citoyens, ne sont possibles que si vous êtes en situation d'affirmer ce que vous êtes et ce que vous savez faire et cette reconnaissance passe par la diversification, la requalification des compétences de l'architecte, la juste rémunération de celles-ci et l'assise d'une nouvelle organisation professionnelle permettant de bien les exercer.
Pour ma part, je me suis efforcée d'agir en ce sens :
- Des efforts importants sont faits en matière de formation, initiale et continue. Je me réjouis Madame la Présidente que vous ayez dans votre intervention souligné l'importance de cette étape de formation. Une augmentation budgétaire importante lui est consacrée pour 2002. Enfin, un protocole a été signé avec les Universités et la Recherche et des projets de réformes statutaires sont en cours.
- Egalement, le nouveau code des marchés, objet de vos soucis, reconnaît clairement que le maître d'ouvrage doit tenir compte dans ses choix des caractéristiques qualitatives de l'ouvrage. Je suis parvenue, nous sommes parvenus ensemble, à préserver la spécificité des marchés de maîtrise d'oeuvre dans le cadre de marchés négociés. Et les textes d'application sont conformes à cet objectif.
- Le statut des sociétés d'architecture permettant d'intégrer des personnes morales et la notion de contrat entre maître d'ouvrage et maître d'oeuvre sont des points forts et relativement consensuels du projet de Réforme de la Loi de 1977 actuellement en cours d'élaboration.
Ce faisceau d'actions et projets que je conduis depuis plus d'un an concourt à améliorer la position concurrentielle des architectes, notamment vis-à-vis des appels d'offres européens. Cela ne suffit sans doute pas, il vous appartient aussi de concevoir, de projeter, réhabiliter, conseiller, expertiser et dans ces voies, les évolutions et les résultats reposent largement sur vous. Ce sont vos performances qui doivent convaincre décideurs et citoyens du rôle des architectes et qui feront naître le désir d'architecture.
Sachez simplement que je suis véritablement à vos côtés dans ce travail de conviction. Cela passe aussi par le développement d'une véritable culture architecturale au-delà bien sûr du cercle des professionnels. Et puisque nous sommes à Marseille, je dirais, qu'il n'y a pas d'élite sportive sans pratique massive du sport.
Et pour avoir une bonne architecture et un bon urbanisme, il faut de bons maîtres d'ouvrages, de bons aménageurs et constructeurs, certes, mais il faut aussi un public éclairé. Je poursuis quatre projets dans cette direction : Tout d'abord force est de constater que la culture de l'espace construit manque en France, contrairement à d'autre pays européens.
Il est clair pour moi que cette acquisition doit commencer dès l'école si l'on veut que les citoyens soient mieux à même de s'associer aux choix de leur cadre de vie. C'est pourquoi j'ai mis en oeuvre, avec mon collègue de l'éducation nationale, un plan d'éducation artistique qui va permettre de développer les actions déjà engagées par le Ministère de la culture et de la communication avec les classes d'architecture et de Patrimoine.
Autre outil de cette politique de sensibilisation et de formation du grand public, la Cité de l'Architecture à Chaillot, dont j'attends beaucoup pour la diffusion de la culture architecturale dans notre pays, elle entre dans une phase opérationnelle avec le lancement de ses travaux début 2002.
Troisièmement, nous préparons une grande campagne institutionnelle en 2002 portant sur le thème de la qualité architecturale et j'ai entendu, Madame la Présidente, que c'était également l'une de vos préoccupations.
- Enfin, j'ai lancé en Juillet dernier les " nouveaux albums des jeunes architectes ".C'est une pratique abandonnée depuis assez longtemps : il s'agit, d'une part de promouvoir les talents émergents et de faire reconnaître les jeunes architectes, et d'autre part de diffuser largement des exemples forts de créativité architecturale inscrits dans des démarches porteuses de solutions pour l'avenir.
Je voudrais souligner que si le besoin pédagogique en matière de culture du projet architectural, urbain et paysager est fort, il s'exprime notamment au plan local sur des territoires de proximité et donc les actions de diffusion de cette culture doivent être réparties sur le territoire. Et c'est le sens des nouveaux protocoles de décentralisation que nous engageons, Michel Duffour et moi-même, à titre expérimental pour trois ans, notamment sur la gestion du patrimoine.
Le développement de l'expertise et du conseil doivent également se situer au niveau local. C'est pourquoi, j'entend conforter les CAUE (Conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement) et leurs missions. Bien évidemment je dois évoquer maintenant l'état d'avancement du projet de réforme de la Loi de 77 sur l'architecture qui vise à améliorer les conditions de l'acte architectural et d'exercice des concepteurs. Nous abordons une phase décisive de ce projet.
Certains points semblent largement consensuels, d'autres font encore l'objet de discussions, par exemple l'abaissement du seuil du recours obligatoire à l'architecte, l'étude-diagnostic préalable aux grandes opérations de réhabilitation ou encore la définition de la mission complète de l'architecte. Ces questions ne sont pas faciles mais nous devons leur apporter des réponses et des réponses raisonnables car j'estime, que la société française ne peut continuer à admettre qu'il y ait une construction à deux vitesses, l'une avec l'architecture et l'autre sans architecture.
La première concertation avec l'ensemble des acteurs en charge de la construction nous a amenés à modifier certaines de nos propositions initiales, en tenant compte du nécessaire équilibre entre toutes les professions. Il est donc nécessaire aujourd'hui de poursuivre la concertation avec ces professions qui, dans une conception globale de l'espace bâti, doivent nécessairement coopérer, à l'instar de ce qui se fait dans d'autres pays.
Dans ce partenariat, l'architecte est un rouage essentiel et soyez assurés que nous ne voyons dans la formulation de vos attentes aucune attitude corporatiste ou protectionniste et je crois que l'intérêt de la réforme est aussi d'entendre bien sûr les attentes et les propositions des autres professions ce que vous avez d'ailleurs, pour votre part, déjà largement engagé. C'est donc ensemble que nous allons oeuvrer pour changer utilement le cadre législatif français sur l'architecture. Ces évolutions doivent aussi s'inscrire dans le contexte européen où cette réflexion sur la qualité de l'espace et sur les métiers est également engagée.
Nous avons signé vous le savez peut être en février dernier avec les 15 Ministres de la Culture de l'Union Européenne, une résolution sur la création architecturale qui a été initiée par la présidence française, pour impulser des politiques communautaires en faveur de la jeune création architecturale, en faveur du droit des citoyens à un environnement de qualité et pour le développement durable de la ville. Dans ce contexte, soyez sûr que la France soutient la valeur culturelle et esthétique des lieux et des édifices de la ville.
Il est maintenant acquis de considérer la ville comme un espace de notre culture et de notre savoir vivre ensemble. Il s'agit aussi de protéger, d'améliorer, parfois de restructurer la ville là ou elle apparaît blessée, disloquée parfois hostile à ses habitants. C'est ce à quoi visent les décisions du Premier Ministre, Lionel Jospin, devant le Comité Interministériel des Villes, qui s'est tenu Lundi. Pour conclure, je sais que nous partageons la même conviction : celle de la conception de l'espace comme un acte nécessairement global qui doit respecter de multiples équilibres des métiers, équilibres des contraintes. Equilibre aussi des prises de parole et j'aime beaucoup l'axe que vous avez donné à votre colloque en réfléchissant tous ensemble à cette relation entre l'architecte et le citoyen.
Cet équilibre des paroles est vraisemblablement désormais incontournable et c'est heureux. Réintroduire la parole des citoyens, mais pas seulement la prise de parole mais l'écoute de cette parole dans nos démarches collectives et particulièrement pour préparer et réussir l'acte architectural et l'acte urbanistique, est je le crois, profondément, non pas une contrainte supplémentaire, mais une chance nouvelle pour l'architecture.
La ville, les politiques publiques de l'architecture résultent de ce travail collectif et l'architecture doit trouver mieux sa place dans l'espace économique et social. Je tiens à vous assurer de mon total engagement pour faire mieux comprendre l'architecture, pour accompagner l'évolution des métiers et leur synergie et conforter l'exercice de votre profession, enfin et surtout pour faire aboutir le projet de loi à l'élaboration duquel je vous remercie de vous associer.
Je concluerai en saluant très chaleureusement, Madame la Présidente, l'engagement, le dynamisme et la détermination dont vous avez fait preuve tous au long de ces quatre années passées à la tête de l'UNSFA, et au cours desquelles vous avez entrepris notamment sa rénovation. Je tiens à vous renouveler, Madame la Présidente, mes félicitations pour vos initiatives aussi pour votre parler-vrai et pour l'acuité de votre regard sur votre profession et sur sa relation avec les pouvoirs publics.
C'est un parler-vrai, sachez le, qui m'est précieux, utile et sympathique. Je vous souhaite à toutes et à tous un bon et fructueux congrès 2001.
Merci de votre accueil.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 12 octobre 2001)