Texte intégral
CHRISTINE BOUILLOT
Tout de suite c'est L'invitée politique de Sud radio, la ministre du Logement Emmanuelle COSSE. Emmanuelle COSSE, bonjour.
EMMANUELLE COSSE
Bonjour.
CHRISTINE BOUILLOT
Hier on a vu ces images de deuil, de recueillement, cette minute de silence partout en France - un pays qui se fige à midi - et ensuite il y a eu sur la Promenade des Anglais Manuel VALLS conspué, sifflé, avec même des appels à sa démission, à la démission des politiques. En tant que ministre, est-ce que vous avez compris, est-ce que vous aviez compris qu'une colère était en train de monter ?
EMMANUELLE COSSE
Ecoutez, je crois que tout le monde est en colère et la colère elle est tout à fait légitime après cet attentat atroce et je pense que tout le monde est extrêmement touché par ce qui s'est déroulé à Nice, par la douleur des proches des victimes et par l'incompréhension, mais ça n'excuse absolument pas cette attitude qui moi m'a beaucoup choqué. J'ai regardé les images de cette minute de silence et je crois qu'on doit vraiment à l'ensemble des victimes et à toutes les personnes qui ont été touchées une dignité et, quand je dis on, c'est tout le monde : les politiques, les citoyens, parce qu'il y a vraiment une nécessité aujourd'hui de se recueillir je rappelle quand même qu'il y a encore des victimes qui n'ont pas été identifiées, il y a encore des familles qui attendent de voir le corps de leur proche, ils vont récupérer leur corps dans les jours qui viennent, aucun enterrement n'a encore pu avoir lieu et si la colère, et la colère en premier lieu elle est normale face à une attaque d'une telle ampleur, et la colère moi je suis très colère contre Daech, contre tous celles et ceux qui veulent attaquer notre pays, nos valeurs, ce qui fait que nous vivons ensemble et ce qui fait la force de notre société française, mais en tout cas je pense que dans un premier temps il faut aussi être capable de se serrer les coudes, de rester unis et de montrer que nous sommes forts face à cette horreur. J'écoutais à l'instant vos informations où on entendait et vous en parliez d'évènements, y compris des attaques racistes qui ont eu lieu hier, des remarques, j'ai vu pas mal de témoignages d'habitants de Nice, y compris d'origine étrangère - Nice est une ville phare de l'immigration depuis des siècles - et qui disent aujourd'hui leur crainte d'être stigmatisés et moi je voudrais dire à tout le monde : « faites attention, ce qui a été attaqué le 14 juillet c'est les valeurs de notre pays, ce n'est pas simplement les valeurs de liberté, égalité, fraternité, cest aussi le métissage, c'est aussi le vivre-ensemble, il faut être très conscient de ce qui est en train de se passer actuellement ».
CHRISTINE BOUILLOT
Vous craignez, vous en parliez Emmanuelle COSSE, que ces tensions apparaissent, que des fractures apparaissent au niveau du pays aujourd'hui après l'attentat de Nice, ce qui n''est pas arrivé après Charlie, ce qui n'est pas arrivé après les attentats du 13 novembre ?
EMMANUELLE COSSE
Je les crains parce qu'on a vu ces premières réactions et il faut dire les choses très clairement : celles et ceux qui attaquent notre pays aujourd'hui c'est cela qu'ils souhaitent, c'est la dislocation d'une société qui est unie ; c'est la dislocation d'un Etat qui est fort, qui est présent ; c'est la dislocation d'un état de droit et c'est la volonté de monter des divisions entre les uns et les autres. C'est pour ça que dans cette période je crois qu'il faut garder, d'une part la raison, parce que la raison c'est ce qui nous permet d'être forts face à l'atrocité et à l'horreur ; ensuite d'agir, et ça pose plein de questions et ces questions sont légitimes sur les moyens : est-ce qu'on peut empêcher ce type d'attaque ? Comment est-ce qu'on peut les prévenir ? Comment est-ce qu'on peut avancer ? Et enfin protéger, je pense que s'il y a de la colère aujourd'hui - et c'est pour ça que je dis qu'elle est légitime, même si je ne l'excuse pas c'est que les Français veulent de la protection, il faut leur donner, et c'est ce que nous faisons, les membres du gouvernement sont sur le pont justement pour leur amener cette protection.
CHRISTINE BOUILLOT
Mais justement vous vous dites au niveau de l'Etat, on a fait tout ce qui était possible aujourd'hui ?
EMMANUELLE COSSE
Mais comme le redit le Premier ministre il ne s'agit pas de dire qu'on a fait tout ce qui est possible, ce que nous disons c'est que depuis 2012 et je rappelle que François HOLLANDE est arrivé au pouvoir après les attentats perpétrés par Mohammed MERAH - un grand nombre de dispositions, de lois, de mesures très particulières ont été prises, plusieurs lois sur le Renseignement, la création de postes de forces de l'ordre, il faut redire les choses très simplement 13.000 postes ont été supprimés sous le mandat de Nicolas SARKOZY, en 2012 c'est comme ça que la situation a été trouvée, 9.000 postes viennent d'être créés, on a changé l'organisation du Renseignement, il y a eu un plan de modernisation de l'ensemble des forces de l'ordre et aussi on va dire les choses très simplement - une prise en compte du pays, de l'Etat, de la dangerosité de Daech, rappelez-vous comment nous voyons en 2012 cet attentat de Mohammed MERAH, on n'avait pas encore les moyens de le comprendre. Ca ne veut pas dire qu'on ne peut pas faire encore plus, nous faisons beaucoup, et je crois qu'aujourd'hui la question c'est de savoir comment on reste forts et on avance. Regardez ce qui s'est passé en Allemagne cette nuit, regardez ce qui s'est passé en Allemagne cette nuit dans un train, un jeune réfugié Afghan qui s'attaque à des personnes semble-t-il au nom également de Daech, ça interroge aussi sur est-ce que l'Etat peut tout faire ? Moi je pense qu'on doit être mobilisé au maximum et répondre véritablement aux besoins de protection parce que la sécurité et ces besoins-là est essentiel, mais il faut aussi être conscient de la difficulté de prévenir ce qui n'était pas envisagé.
CHRISTINE BOUILLOT
Mais justement, justement Emmanuelle COSSE, à force de dire qu'on est en guerre, qu'il y aura d'autres attentats, que l'ennemi est partout et il se produit des attentats est-ce que ça ne donne pas, est-ce que vous ne donnez pas finalement le sentiment de ne pas maîtriser une situation qui inquiètent fortement les Français ?
EMMANUELLE COSSE
Vous savez le Premier ministre a dit les choses très simplement et en ce sens-là il a repris je crois ce qu'on louait à Michel ROCARD, il dit les choses de manière... le parler vrai et la lucidité, et je pense qu'aujourd'hui notre responsabilité c'est de dire aussi que la menace elle est là, y compris... j'ai entendu hier certains reprochaient au gouvernement de ne pas avoir fait assez la publicité des attentats déjoués, des arrestations, du nombre de personnes qui avaient emprisonné ces derniers mois ; et c'est une des grandes difficultés vous le savez bien, est-ce qu'on doit en parler trop au risque d'affoler ? Est-ce qu'on doit en parler pas du tout ? Il faut trouver le juste milieu ! Notre responsabilité et la responsabilité du gouvernement c'est de prévenir que la menace elle est là, elle est réelle - et c'est ce qui a expliqué le maintien de l'état d'urgence et son prolongement à plusieurs reprises mais c'est aussi de dire les choses très clairement : à partir du moment où on est attaqués pour ce que nous sommes, c'est-à-dire un pays qui développe aussi une certaine conception de la vie ensemble, il faut aussi qu'on résiste. J'entendais hier un intellectuel qui disait que finalement faire la guerre à Daech c'était aussi de continuer à vivre comme on le souhaitait et de garder sa liberté et il me semble très important que notre démocratie doit rester forte dans ses fondamentaux, dans ses fondements, et c'est là en effet le bon équilibre à trouver. Pourquoi je vous dis cela ? Si nous avions, comme je l'ai vu dans d'autres pays il y a quelques années, y compris aux Etats-Unis, adopté des lois particulièrement sécuritaires qui vont faire bousculer l'état de droit, que se passerait-t-il dans notre pays ? Beaucoup attaqueraient sur la remise en cause des libertés ! Regardez comment a été suivie la mise en oeuvre de l'état d'urgence - et c'est ça la force de notre démocratie - on s'est interrogés sur les arrestations qui avaient été faites, les perquisitions administratives, il y a eu des jugements qui ont parfois validé l'action de lEtat, qui parfois ont dit que telle ou telle perquisition n'était pas justifiée, si je dis cela c'est que nous gagnerons contre le terrorisme qu'en restant démocrates. Evidemment que nous sommes fragiles, mais c'est ce qui fait notre force...
CHRISTINE BOUILLOT
Oui, mais en même temps...
EMMANUELLE COSSE
C'est ce qui fait notre force.
CHRISTINE BOUILLOT
En même temps le sondage paru hier, sondage Ifop paru dans les colonnes du Figaro, montre qu'une majorité de Français ne fait pas confiance au gouvernement actuel pour lutter contre le terrorisme et qu'ils sont même prêts à rogner sur leur liberté individuelle pour augmenter la sécurité. Est-ce qu'on basculerait ainsi vers quelque chose. ? Est-ce que vous êtes prêts à aller plus loin, comme le demande aujourd'hui la droite à l'occasion du débat sur la prolongation de l'état d'urgence ?
EMMANUELLE COSSE
Comme je vous le disais tout à l'heure je crois que dans des moments aussi troubles ce qui est important c'est de garder la raison et certainement qu'aujourd'hui et sous le coup de l'émotion des Français peuvent dire qu'ils veulent rogner sur des libertés, mais, en tant que personnalité politique, moi je ne peux pas défendre l'idée qu'il faut attaquer les fondements de notre démocratie, c'est ce qui fait notre force, c'est ce qui fait que la France est aujourd'hui ce grand pays, c'est ce qui fait que la maison France est là, c'est ce qui fait aussi qu'on protège nos citoyens, parce que nous ne sommes pas dans une société sécuritaire et regardez ce qui se passe dans des pays qui ne sont pas des démocraties et les tensions qui peuvent y jouer aujourd'hui. Ce qui fait notre force c'est de résister, ça veut dire apporter de la sécurité et aussi donner à tout le monde les moyens de vivre sa vie dans une démocratie, et c'est pour cette raison que moi je le dis très franchement j'ai été particulièrement choquée par les attaques, mais, au-delà de ça, la surenchère depuis vendredi sur : « il n'y a pas assez de ceci, il n'y a pas assez de cela, il faut enfermer plus de gens, il faut faire ceci », la réalité c'est qu'on a été attaqués par une personne dont on ne sait pas encore exactement le mobile, dont on voit quand même totalement la folie au sens général du terme, et il faut aussi se prémunir et se dire les choses très simplement. Nous pouvons évidemment continuer à faire ce qui a été fait par le passé, notamment ficher des personnes sur lesquelles pèsent des soupçons, mais, comme cela été rappelé hier, si on a la preuve que des personnes veulent commettre des actes, ce n'est pas de linternement préventif qui est fait, elles sont poursuivies et elles sont emprisonnées. Je crois qu'aujourd'hui il faut aussi être très clairs dans nos fondamentaux ! Pourquoi je dis ça ? Parce que sous l'émotion on peut faire tout et n'importe quoi et c'est comme ça aussi que des grandes démocraties ont basculé il y a plus de 60 ans, il est très important et le président de la République nous l'a rappelé à plusieurs reprises garder sa raison, protéger les Français, maintenir l'unité.
CHRISTINE BOUILLOT
Mais ça les Français Emmanuelle COSSE ne l'entendent a priori plus, si on reprend les huées hier qui ont émaillé la cérémonie à Nice visiblement les Français ne l'entendent pas, ils en ont assez des fleurs et des nounours, comme ils disent ?
EMMANUELLE COSSE
Vous savez je crois qu'il faut garder sa raison et donc aussi ne pas porter un jugement sur les Français sur un évènement qui a eu lieu hier. Moi j'ai aussi rencontré des Français ces trois derniers jours et je pense que tout le monde est avant tout déboussolé et triste, tout le monde est meurtri parce que les attentats de novembre commençaient à être digérés si je peux parler ainsi et le terme n'est pas le mieux choisi et cet attentat arrive hier avec évidemment son lot d'atrocités...
CHRISTINE BOUILLOT
Mais est-ce que ce n'est pas un manque aussi dautorité, c'est-à-dire cet attentat intervient quelques heures après comme une gifle, l'annonce du chef de l'Etat que l'état d'urgence va être levé...
EMMANUELLE COSSE
Mais enfin, mais enfin.
CHRISTINE BOUILLOT
Est-ce que ça aussi ce n'est pas...
EMMANUELLE COSSE
Mais savez-vous que le président de la Commission des lois du Sénat, qui est Républicain, demandait lui-même la levée de l'état d'urgence, est-ce que l'on peut arrêter ces polémiques inutiles ? Tout le monde, je le vois chaque semaine aux Questions au gouvernement à l'Assemblée et au Sénat, tout le monde se disait que si les choses allaient mieux et depuis l'adoption de la nouvelle loi sur la procédure pénale - qui permet notamment les perquisitions de nuit l'ensemble des parlementaires, de droite comme de gauche, se disait qu'on pouvait sortir de l'état d'urgence. Pourquoi est-ce qu'il a été décidé de ne pas le prolonger au-delà du 26 juillet ? C'était parce que semble-t-il les choses étaient apaisées ! Evidemment dans l'urgence, après cet attentat, le gouvernement a choisi de le prolonger à nouveau - y compris parce qu'on peut craindre des répliques - et c'est pour cette raison notamment qu'il faut garder ce dispositif. Mais il faut aussi être très lucides, nous sortirons de l'état d'urgence et une démocratie ne peut pas vivre ad vitam aeternam sous un état d'urgence, c'est pour ça qu'ont été modifiées un certain nombre de lois et notamment la dernière au mois de juin sur la procédure pénale...
CHRISTINE BOUILLOT
Sur l'état d'urgence, sur la durée d'état d'urgence certaines sources avancent un état d'urgence qui pourrait durer jusqu'en 2017, c'est-à-dire six mois supplémentaires - un changement de fond mais le débat à l'Assemblée nationale, qui va s'ouvrir justement, il s'annonce ferme et tendu, l'unité n'y sera pas. C'est dommage, c'est la faute des Républicains qui mettent la barre très faute aujourd'hui en demandant pour voter le texte des conditions de sécurité supplémentaires ?
EMMANUELLE COSSE
Moi je vais vous dire sincèrement je pense que dans des moments aussi terribles la polémique n'a pas sa place, malheureusement d'autres le pensent et y compris on ne va pas se raconter d'histoire il y a déjà une campagne électorale au sein des Républicains avec leur primaire et vous le savez un certain nombre de candidats et donc cette discussion ce soir à l'Assemblée nationale va être certainement le lieu pour qu'ils puissent faire part de leurs propositions, moi je suis absolument navrée qu'on utilise ce débat-là pour des enjeux qui sont essentiellement électoraux et internes. Sur le sujet en lui-même...
CHRISTINE BOUILLOT
Donc, ils veulent aller quoi ? Ils veulent prendre leur distance, marquer on va dire une avance sur le Front national, c'est ce que vous dites aujourd'hui ?
EMMANUELLE COSSE
En tout cas ce qui est certain c'est qu'ils veulent défendre une vision très sécuritaire de cette question et surtout ne pas répondre à d'autres questions. Pourquoi est-ce que Nicolas SARKOZY a voulu supprimer 13.000 postes ? Il l'a fait ! Pourquoi est-ce qu'il a décidé en 2007 qu'il allait supprimer des forces de l'ordre ? Pourquoi est-ce que nous sommes intervenus en Libye ? Pourquoi est-ce que nous n'avons pas attaqué Daech à sa source et - il faut le rappeler -Daech ne s'est pas construit comme ça, Daech est là aussi parce qu'il y eu l'effondrement en Libye et en Irak ? Si je pose la question c'est parce que c'est ça aussi de faire de la politique, il faut qu'on s'interroge aujourd'hui sur ce qui a permis justement la création de Daech et aussi comment est-ce qu'on va attaquer Daech au final - et notamment sa source - je pense notamment à son financement qui est aujourd'hui ce qui lui permet d'être encore fort, même s'il est de plus en plus aculé dans ses positions ; et je pense que c'est ça aussi la grandeur de notre Etat, c'est d'avoir ce débat-là ; il y en a autre et il faut être très clair aujourd'hui l'Europe doit venir en soutien de la France, notamment dans l'ensemble des opérations militaires que la France a mené avec succès, je pense notamment au Mali, mais on ne peut pas non plus s'étonner que la France soit aujourd'hui cible d'un certain nombre d'attaques quand en même temps elle est un des seuls pays européens avec la Grande-Bretagne à s'être montré présent sur le terrain des opérations et je rappelle que nous avons plusieurs milliers d'hommes qui sont engagés dans des opérations extrêmement périlleuses aujourd'hui.
CHRISTINE BOUILLOT
Vous, Emmanuelle COSSE, vous souhaitez une prolongation de l'état d'urgence au-delà même des trois mois éventuellement pour rassurer les Français ou faut-il trouver d'autres solutions plus proches du terrain, certains avancent changer de politique internationale, sortir par exemple du conflit seul contre Daech ?
EMMANUELLE COSSE
Il y a déjà une première chose c'est que quel que soit le choix qui sera fait par les parlementaires sur la durée de létat d'urgence à prolonger c'est qu'il me semble qu'il faut que nous ayons plus d'alliés au niveau international et aussi que nous ne soyons pas les seuls à avoir Dach comme cible prioritaire, nous avons besoin que les Etats-Unis et la Russie viennent vraiment sur cette priorité-là et pas sur d'autres - ça c'est la première chose - et ensuite il me semble que surtout il faut qu'on apprenne à construire une politique de sécurité et de prévention qui puisse aussi aller au-delà de l'état d'urgence, puisque l'état d'urgence ça reste un état temporaire, et il faut le rappeler c'est une phase exorbitante de droits communs de l'état de droit, cela peut être utile à un moment pour réagir à une situation très difficile, cela ne peut pas être la normalité, c'est bien pour ça que cela s'appelle un état d'urgence.
CHRISTINE BOUILLOT
Merci beaucoup Emmanuelle COSSE d'avoir été avec nous ce matin L'invitée politique de la matinale info de l'été, ministre du Logement, j'ajoute également que cette interview est à retrouver en intégralité sur sudradio.fr.Source : Service d'information du gouvernement, le 20 juillet 2016
Tout de suite c'est L'invitée politique de Sud radio, la ministre du Logement Emmanuelle COSSE. Emmanuelle COSSE, bonjour.
EMMANUELLE COSSE
Bonjour.
CHRISTINE BOUILLOT
Hier on a vu ces images de deuil, de recueillement, cette minute de silence partout en France - un pays qui se fige à midi - et ensuite il y a eu sur la Promenade des Anglais Manuel VALLS conspué, sifflé, avec même des appels à sa démission, à la démission des politiques. En tant que ministre, est-ce que vous avez compris, est-ce que vous aviez compris qu'une colère était en train de monter ?
EMMANUELLE COSSE
Ecoutez, je crois que tout le monde est en colère et la colère elle est tout à fait légitime après cet attentat atroce et je pense que tout le monde est extrêmement touché par ce qui s'est déroulé à Nice, par la douleur des proches des victimes et par l'incompréhension, mais ça n'excuse absolument pas cette attitude qui moi m'a beaucoup choqué. J'ai regardé les images de cette minute de silence et je crois qu'on doit vraiment à l'ensemble des victimes et à toutes les personnes qui ont été touchées une dignité et, quand je dis on, c'est tout le monde : les politiques, les citoyens, parce qu'il y a vraiment une nécessité aujourd'hui de se recueillir je rappelle quand même qu'il y a encore des victimes qui n'ont pas été identifiées, il y a encore des familles qui attendent de voir le corps de leur proche, ils vont récupérer leur corps dans les jours qui viennent, aucun enterrement n'a encore pu avoir lieu et si la colère, et la colère en premier lieu elle est normale face à une attaque d'une telle ampleur, et la colère moi je suis très colère contre Daech, contre tous celles et ceux qui veulent attaquer notre pays, nos valeurs, ce qui fait que nous vivons ensemble et ce qui fait la force de notre société française, mais en tout cas je pense que dans un premier temps il faut aussi être capable de se serrer les coudes, de rester unis et de montrer que nous sommes forts face à cette horreur. J'écoutais à l'instant vos informations où on entendait et vous en parliez d'évènements, y compris des attaques racistes qui ont eu lieu hier, des remarques, j'ai vu pas mal de témoignages d'habitants de Nice, y compris d'origine étrangère - Nice est une ville phare de l'immigration depuis des siècles - et qui disent aujourd'hui leur crainte d'être stigmatisés et moi je voudrais dire à tout le monde : « faites attention, ce qui a été attaqué le 14 juillet c'est les valeurs de notre pays, ce n'est pas simplement les valeurs de liberté, égalité, fraternité, cest aussi le métissage, c'est aussi le vivre-ensemble, il faut être très conscient de ce qui est en train de se passer actuellement ».
CHRISTINE BOUILLOT
Vous craignez, vous en parliez Emmanuelle COSSE, que ces tensions apparaissent, que des fractures apparaissent au niveau du pays aujourd'hui après l'attentat de Nice, ce qui n''est pas arrivé après Charlie, ce qui n'est pas arrivé après les attentats du 13 novembre ?
EMMANUELLE COSSE
Je les crains parce qu'on a vu ces premières réactions et il faut dire les choses très clairement : celles et ceux qui attaquent notre pays aujourd'hui c'est cela qu'ils souhaitent, c'est la dislocation d'une société qui est unie ; c'est la dislocation d'un Etat qui est fort, qui est présent ; c'est la dislocation d'un état de droit et c'est la volonté de monter des divisions entre les uns et les autres. C'est pour ça que dans cette période je crois qu'il faut garder, d'une part la raison, parce que la raison c'est ce qui nous permet d'être forts face à l'atrocité et à l'horreur ; ensuite d'agir, et ça pose plein de questions et ces questions sont légitimes sur les moyens : est-ce qu'on peut empêcher ce type d'attaque ? Comment est-ce qu'on peut les prévenir ? Comment est-ce qu'on peut avancer ? Et enfin protéger, je pense que s'il y a de la colère aujourd'hui - et c'est pour ça que je dis qu'elle est légitime, même si je ne l'excuse pas c'est que les Français veulent de la protection, il faut leur donner, et c'est ce que nous faisons, les membres du gouvernement sont sur le pont justement pour leur amener cette protection.
CHRISTINE BOUILLOT
Mais justement vous vous dites au niveau de l'Etat, on a fait tout ce qui était possible aujourd'hui ?
EMMANUELLE COSSE
Mais comme le redit le Premier ministre il ne s'agit pas de dire qu'on a fait tout ce qui est possible, ce que nous disons c'est que depuis 2012 et je rappelle que François HOLLANDE est arrivé au pouvoir après les attentats perpétrés par Mohammed MERAH - un grand nombre de dispositions, de lois, de mesures très particulières ont été prises, plusieurs lois sur le Renseignement, la création de postes de forces de l'ordre, il faut redire les choses très simplement 13.000 postes ont été supprimés sous le mandat de Nicolas SARKOZY, en 2012 c'est comme ça que la situation a été trouvée, 9.000 postes viennent d'être créés, on a changé l'organisation du Renseignement, il y a eu un plan de modernisation de l'ensemble des forces de l'ordre et aussi on va dire les choses très simplement - une prise en compte du pays, de l'Etat, de la dangerosité de Daech, rappelez-vous comment nous voyons en 2012 cet attentat de Mohammed MERAH, on n'avait pas encore les moyens de le comprendre. Ca ne veut pas dire qu'on ne peut pas faire encore plus, nous faisons beaucoup, et je crois qu'aujourd'hui la question c'est de savoir comment on reste forts et on avance. Regardez ce qui s'est passé en Allemagne cette nuit, regardez ce qui s'est passé en Allemagne cette nuit dans un train, un jeune réfugié Afghan qui s'attaque à des personnes semble-t-il au nom également de Daech, ça interroge aussi sur est-ce que l'Etat peut tout faire ? Moi je pense qu'on doit être mobilisé au maximum et répondre véritablement aux besoins de protection parce que la sécurité et ces besoins-là est essentiel, mais il faut aussi être conscient de la difficulté de prévenir ce qui n'était pas envisagé.
CHRISTINE BOUILLOT
Mais justement, justement Emmanuelle COSSE, à force de dire qu'on est en guerre, qu'il y aura d'autres attentats, que l'ennemi est partout et il se produit des attentats est-ce que ça ne donne pas, est-ce que vous ne donnez pas finalement le sentiment de ne pas maîtriser une situation qui inquiètent fortement les Français ?
EMMANUELLE COSSE
Vous savez le Premier ministre a dit les choses très simplement et en ce sens-là il a repris je crois ce qu'on louait à Michel ROCARD, il dit les choses de manière... le parler vrai et la lucidité, et je pense qu'aujourd'hui notre responsabilité c'est de dire aussi que la menace elle est là, y compris... j'ai entendu hier certains reprochaient au gouvernement de ne pas avoir fait assez la publicité des attentats déjoués, des arrestations, du nombre de personnes qui avaient emprisonné ces derniers mois ; et c'est une des grandes difficultés vous le savez bien, est-ce qu'on doit en parler trop au risque d'affoler ? Est-ce qu'on doit en parler pas du tout ? Il faut trouver le juste milieu ! Notre responsabilité et la responsabilité du gouvernement c'est de prévenir que la menace elle est là, elle est réelle - et c'est ce qui a expliqué le maintien de l'état d'urgence et son prolongement à plusieurs reprises mais c'est aussi de dire les choses très clairement : à partir du moment où on est attaqués pour ce que nous sommes, c'est-à-dire un pays qui développe aussi une certaine conception de la vie ensemble, il faut aussi qu'on résiste. J'entendais hier un intellectuel qui disait que finalement faire la guerre à Daech c'était aussi de continuer à vivre comme on le souhaitait et de garder sa liberté et il me semble très important que notre démocratie doit rester forte dans ses fondamentaux, dans ses fondements, et c'est là en effet le bon équilibre à trouver. Pourquoi je vous dis cela ? Si nous avions, comme je l'ai vu dans d'autres pays il y a quelques années, y compris aux Etats-Unis, adopté des lois particulièrement sécuritaires qui vont faire bousculer l'état de droit, que se passerait-t-il dans notre pays ? Beaucoup attaqueraient sur la remise en cause des libertés ! Regardez comment a été suivie la mise en oeuvre de l'état d'urgence - et c'est ça la force de notre démocratie - on s'est interrogés sur les arrestations qui avaient été faites, les perquisitions administratives, il y a eu des jugements qui ont parfois validé l'action de lEtat, qui parfois ont dit que telle ou telle perquisition n'était pas justifiée, si je dis cela c'est que nous gagnerons contre le terrorisme qu'en restant démocrates. Evidemment que nous sommes fragiles, mais c'est ce qui fait notre force...
CHRISTINE BOUILLOT
Oui, mais en même temps...
EMMANUELLE COSSE
C'est ce qui fait notre force.
CHRISTINE BOUILLOT
En même temps le sondage paru hier, sondage Ifop paru dans les colonnes du Figaro, montre qu'une majorité de Français ne fait pas confiance au gouvernement actuel pour lutter contre le terrorisme et qu'ils sont même prêts à rogner sur leur liberté individuelle pour augmenter la sécurité. Est-ce qu'on basculerait ainsi vers quelque chose. ? Est-ce que vous êtes prêts à aller plus loin, comme le demande aujourd'hui la droite à l'occasion du débat sur la prolongation de l'état d'urgence ?
EMMANUELLE COSSE
Comme je vous le disais tout à l'heure je crois que dans des moments aussi troubles ce qui est important c'est de garder la raison et certainement qu'aujourd'hui et sous le coup de l'émotion des Français peuvent dire qu'ils veulent rogner sur des libertés, mais, en tant que personnalité politique, moi je ne peux pas défendre l'idée qu'il faut attaquer les fondements de notre démocratie, c'est ce qui fait notre force, c'est ce qui fait que la France est aujourd'hui ce grand pays, c'est ce qui fait que la maison France est là, c'est ce qui fait aussi qu'on protège nos citoyens, parce que nous ne sommes pas dans une société sécuritaire et regardez ce qui se passe dans des pays qui ne sont pas des démocraties et les tensions qui peuvent y jouer aujourd'hui. Ce qui fait notre force c'est de résister, ça veut dire apporter de la sécurité et aussi donner à tout le monde les moyens de vivre sa vie dans une démocratie, et c'est pour cette raison que moi je le dis très franchement j'ai été particulièrement choquée par les attaques, mais, au-delà de ça, la surenchère depuis vendredi sur : « il n'y a pas assez de ceci, il n'y a pas assez de cela, il faut enfermer plus de gens, il faut faire ceci », la réalité c'est qu'on a été attaqués par une personne dont on ne sait pas encore exactement le mobile, dont on voit quand même totalement la folie au sens général du terme, et il faut aussi se prémunir et se dire les choses très simplement. Nous pouvons évidemment continuer à faire ce qui a été fait par le passé, notamment ficher des personnes sur lesquelles pèsent des soupçons, mais, comme cela été rappelé hier, si on a la preuve que des personnes veulent commettre des actes, ce n'est pas de linternement préventif qui est fait, elles sont poursuivies et elles sont emprisonnées. Je crois qu'aujourd'hui il faut aussi être très clairs dans nos fondamentaux ! Pourquoi je dis ça ? Parce que sous l'émotion on peut faire tout et n'importe quoi et c'est comme ça aussi que des grandes démocraties ont basculé il y a plus de 60 ans, il est très important et le président de la République nous l'a rappelé à plusieurs reprises garder sa raison, protéger les Français, maintenir l'unité.
CHRISTINE BOUILLOT
Mais ça les Français Emmanuelle COSSE ne l'entendent a priori plus, si on reprend les huées hier qui ont émaillé la cérémonie à Nice visiblement les Français ne l'entendent pas, ils en ont assez des fleurs et des nounours, comme ils disent ?
EMMANUELLE COSSE
Vous savez je crois qu'il faut garder sa raison et donc aussi ne pas porter un jugement sur les Français sur un évènement qui a eu lieu hier. Moi j'ai aussi rencontré des Français ces trois derniers jours et je pense que tout le monde est avant tout déboussolé et triste, tout le monde est meurtri parce que les attentats de novembre commençaient à être digérés si je peux parler ainsi et le terme n'est pas le mieux choisi et cet attentat arrive hier avec évidemment son lot d'atrocités...
CHRISTINE BOUILLOT
Mais est-ce que ce n'est pas un manque aussi dautorité, c'est-à-dire cet attentat intervient quelques heures après comme une gifle, l'annonce du chef de l'Etat que l'état d'urgence va être levé...
EMMANUELLE COSSE
Mais enfin, mais enfin.
CHRISTINE BOUILLOT
Est-ce que ça aussi ce n'est pas...
EMMANUELLE COSSE
Mais savez-vous que le président de la Commission des lois du Sénat, qui est Républicain, demandait lui-même la levée de l'état d'urgence, est-ce que l'on peut arrêter ces polémiques inutiles ? Tout le monde, je le vois chaque semaine aux Questions au gouvernement à l'Assemblée et au Sénat, tout le monde se disait que si les choses allaient mieux et depuis l'adoption de la nouvelle loi sur la procédure pénale - qui permet notamment les perquisitions de nuit l'ensemble des parlementaires, de droite comme de gauche, se disait qu'on pouvait sortir de l'état d'urgence. Pourquoi est-ce qu'il a été décidé de ne pas le prolonger au-delà du 26 juillet ? C'était parce que semble-t-il les choses étaient apaisées ! Evidemment dans l'urgence, après cet attentat, le gouvernement a choisi de le prolonger à nouveau - y compris parce qu'on peut craindre des répliques - et c'est pour cette raison notamment qu'il faut garder ce dispositif. Mais il faut aussi être très lucides, nous sortirons de l'état d'urgence et une démocratie ne peut pas vivre ad vitam aeternam sous un état d'urgence, c'est pour ça qu'ont été modifiées un certain nombre de lois et notamment la dernière au mois de juin sur la procédure pénale...
CHRISTINE BOUILLOT
Sur l'état d'urgence, sur la durée d'état d'urgence certaines sources avancent un état d'urgence qui pourrait durer jusqu'en 2017, c'est-à-dire six mois supplémentaires - un changement de fond mais le débat à l'Assemblée nationale, qui va s'ouvrir justement, il s'annonce ferme et tendu, l'unité n'y sera pas. C'est dommage, c'est la faute des Républicains qui mettent la barre très faute aujourd'hui en demandant pour voter le texte des conditions de sécurité supplémentaires ?
EMMANUELLE COSSE
Moi je vais vous dire sincèrement je pense que dans des moments aussi terribles la polémique n'a pas sa place, malheureusement d'autres le pensent et y compris on ne va pas se raconter d'histoire il y a déjà une campagne électorale au sein des Républicains avec leur primaire et vous le savez un certain nombre de candidats et donc cette discussion ce soir à l'Assemblée nationale va être certainement le lieu pour qu'ils puissent faire part de leurs propositions, moi je suis absolument navrée qu'on utilise ce débat-là pour des enjeux qui sont essentiellement électoraux et internes. Sur le sujet en lui-même...
CHRISTINE BOUILLOT
Donc, ils veulent aller quoi ? Ils veulent prendre leur distance, marquer on va dire une avance sur le Front national, c'est ce que vous dites aujourd'hui ?
EMMANUELLE COSSE
En tout cas ce qui est certain c'est qu'ils veulent défendre une vision très sécuritaire de cette question et surtout ne pas répondre à d'autres questions. Pourquoi est-ce que Nicolas SARKOZY a voulu supprimer 13.000 postes ? Il l'a fait ! Pourquoi est-ce qu'il a décidé en 2007 qu'il allait supprimer des forces de l'ordre ? Pourquoi est-ce que nous sommes intervenus en Libye ? Pourquoi est-ce que nous n'avons pas attaqué Daech à sa source et - il faut le rappeler -Daech ne s'est pas construit comme ça, Daech est là aussi parce qu'il y eu l'effondrement en Libye et en Irak ? Si je pose la question c'est parce que c'est ça aussi de faire de la politique, il faut qu'on s'interroge aujourd'hui sur ce qui a permis justement la création de Daech et aussi comment est-ce qu'on va attaquer Daech au final - et notamment sa source - je pense notamment à son financement qui est aujourd'hui ce qui lui permet d'être encore fort, même s'il est de plus en plus aculé dans ses positions ; et je pense que c'est ça aussi la grandeur de notre Etat, c'est d'avoir ce débat-là ; il y en a autre et il faut être très clair aujourd'hui l'Europe doit venir en soutien de la France, notamment dans l'ensemble des opérations militaires que la France a mené avec succès, je pense notamment au Mali, mais on ne peut pas non plus s'étonner que la France soit aujourd'hui cible d'un certain nombre d'attaques quand en même temps elle est un des seuls pays européens avec la Grande-Bretagne à s'être montré présent sur le terrain des opérations et je rappelle que nous avons plusieurs milliers d'hommes qui sont engagés dans des opérations extrêmement périlleuses aujourd'hui.
CHRISTINE BOUILLOT
Vous, Emmanuelle COSSE, vous souhaitez une prolongation de l'état d'urgence au-delà même des trois mois éventuellement pour rassurer les Français ou faut-il trouver d'autres solutions plus proches du terrain, certains avancent changer de politique internationale, sortir par exemple du conflit seul contre Daech ?
EMMANUELLE COSSE
Il y a déjà une première chose c'est que quel que soit le choix qui sera fait par les parlementaires sur la durée de létat d'urgence à prolonger c'est qu'il me semble qu'il faut que nous ayons plus d'alliés au niveau international et aussi que nous ne soyons pas les seuls à avoir Dach comme cible prioritaire, nous avons besoin que les Etats-Unis et la Russie viennent vraiment sur cette priorité-là et pas sur d'autres - ça c'est la première chose - et ensuite il me semble que surtout il faut qu'on apprenne à construire une politique de sécurité et de prévention qui puisse aussi aller au-delà de l'état d'urgence, puisque l'état d'urgence ça reste un état temporaire, et il faut le rappeler c'est une phase exorbitante de droits communs de l'état de droit, cela peut être utile à un moment pour réagir à une situation très difficile, cela ne peut pas être la normalité, c'est bien pour ça que cela s'appelle un état d'urgence.
CHRISTINE BOUILLOT
Merci beaucoup Emmanuelle COSSE d'avoir été avec nous ce matin L'invitée politique de la matinale info de l'été, ministre du Logement, j'ajoute également que cette interview est à retrouver en intégralité sur sudradio.fr.Source : Service d'information du gouvernement, le 20 juillet 2016