Déclaration de M. Pierre Mauroy, premier ministre, à l'issue du premier tour des élections cantonales, Paris le 16 mars 1982.

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Circonstance : Elections cantonales les 14 et 21 mars 1982

Texte intégral

La participation exceptionnelle observée à l'occasion des élections cantonales répond à la volonté du gouvernement et de la gauche de voir se renforcer la vie démocratique locale et l'engagement des citoyens.
Elle souligne l'intérêt de la décentralisation, qui va permettre aux Français de prendre plus directement en charge la gestion de leurs départements et de leurs régions.
La politique de changement engagée depuis le 21 mai aura bientôt un an.
Rappelez-vous vos sentiments de l'époque. Rappelez-vous votre volonté de mettre un terme à une gestion qui enfonçait le pays dans la crise, votre espoir de redressement symbolisé par François Mitterrand et surtout, souvenez-vous de cette idée qui était à la base de la volonté de changement : davantage de liberté, davantage de responsabilité, c'est-à-dire davantage de dignité.
La dignité cela compte quand on est ouvrier et que l'on passe la porte de l'usine.
Quand on est agriculteur et que l'on voit ses revenus diminuer.
Quand on est une femme et que l'on sent que tous ses droits ne sont pas encore reconnus.
Quand on est un cadre, que l'on gagne bien sa vie mais que l'on n'a pas son mot à dire au sein de son entreprise.
Ces revendications, il y a un an vous n'osiez croire qu'elles pourraient être satisfaites. Souvent vous n'en avez pris conscience qu'au lendemain de la victoire de la gauche et grâce à elle.
Depuis un an, la première préoccupation du gouvernement a été de répondre à votre attente, à votre impatience légitime. Et jamais sans doute dans l'histoire des Républiques un gouvernement n'a, en si peu de temps, respecté aussi scrupuleusement ses engagements.
La mise en oeuvre des 110 propositions de François Mitterrand est déjà largement avancée. La liste des réalisations serait trop longue à dresser.
Permettez-moi pourtant de dire qu'en matière de liberté nous avons débarrassé notre législation des lois et tribunaux d'exception.
Qu'en matière de responsabilité, nous rendons le pouvoir aux citoyens par la décentralisation et que nous allons, dans les prochaines semaines, proposer au Parlement l'élargissement des droits des salariés dans les entreprises.
Que d'ici la fin du mois l'ensemble des ordonnances sociales auront été adoptées.
Certes, nous n'avons pas répondu à toutes vos attentes. Le rythme du changement n'est pas celui des saisons. Pour que la mutation s'accomplisse, il faudra d'autres batailles, d'autres victoires, plusieurs mois de mai.
Et cela pour deux raisons :
La première c'est que nous avons trouvé la France dans un état de faiblesse grave, accentué par la prolongation du désordre économique international. Ce désordre ne s'est, hélas, pas calmé depuis le 10 mai. Nous devons donc être prudents et garantir nos grands équilibres économiques, faute de quoi le chômage et l'inflation feraient à nouveau des progrès.
La seconde c'est que, la gauche a beaucoup à vous apporter, mais tout ne peut se faire en quelques mois. Tout ce que nous réalisons va dans le sens de ce que vous avez souhaité en mai et juin dernier.
Il y faut du temps et de la méthode. Il y faut votre appui et votre mobilisation.
Mener à bien le changement ne peut incomber au seul gouvernement. Cela dépend aussi de tous ceux qui partagent notre projet de société.
C'est vrai des organisations politiques qui composent la majorité, bien sûr, mais c'est vrai aussi des syndicats et des associations qui, depuis si longtemps, souhaitaient avoir pour interlocuteur un gouvernement ouvert au dialogue et sensible à leurs préoccupations.
La méthode que nous avons retenue pour conduire le changement est simple. Nous nous sommes attaqués, sans attendre, à ce que j'ai appelé le socle du changement, c'est-à-dire les dossiers les plus difficiles, ceux qui correspondent à des réformes de structure : la décentralisation, les nationalisations. Il s'agit là d'une oeuvre de longue haleine.
Parallèlement, nous avons amélioré le sort des catégories les plus défavorisées et rétabli la négociation comme règle des relations sociales.
J'ajoute que nous faisons en sorte que notre politique sociale facilite la réalisation de nos objectifs économiques. Tel est le cas, en particulier, de toutes les mesures de réduction de la durée du travail : 39 heures hebdomadaires, cinquième semaine de congés, retraite à 60 ans.
Car aujourd'hui il faut travailler moins individuellement pour travailler mieux collectivement.
Le chômage nous coûte 100 milliards et le gouvernement préfère utiliser une partie de cette somme pour financer des départs en retraites ou en pré-retraites plutôt que des allocations de chômage. Nous croyons à la solidarité entre les générations.
Grâce à cette méthode, parce que nous avançons avec calme et mesure, au rythme de la force tranquille, des changements, déjà considérables, se sont réalisés sans crise ni rejet. En dépit des tableaux catastrophiques dressés par ceux qui, avant le 10 mai, annonçaient déjà que la victoire de la gauche entraînerait le chaos, il n'y a pas eu de bouleversement.
Nous avons su engager la transition.
Afin de poursuivre sa marche en avant, la force tranquille doit demeurer unie et rassemblée. Le changement doit garder son rythme et s'approfondir.
Alors que la France apaisée voit son économie se remettre en route, la courbe du chômage s'infléchir et l'inflation diminuer, faudrait-il revenir à la politique d'hier qui nous avait amenés au seuil de la faillite ? Quant à ceux qui souhaitent plus et plus vite, peuvent-ils pour autant demeurer en-dehors du rassemblement de toute la gauche ?
Il dépend de vous que vos départements aujourd'hui, vos communes dans un an, vivent à l'heure du changement. Vous en avez le pouvoir grâce à vos bulletins de vote.Car, je le répète, la transformation de la société française, le changement, ne seront jamais l'oeuvre du seul gouvernement. Il y faut aussi la mobilisation pacifique mais résolue de notre peuple.