Intervention de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la mission de l'Union européenne dans la régulation de la mondialisation et son rôle dans les différents domaines de la vie internationale tels que le maintien de la paix, la démocratisation, l'aide au développement et le dialogue des cultures, Paris, le 31 octobre 2001.

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Circonstance : Colloque "L'Union européenne face à la mondialisation" organisé par la Délégation de l'Union européenne de l'Assemblée nationale, à Paris, le 31 octobre 2001

Texte intégral

Je vous remercie de cette invitation, dans un cadre que j'apprécie pour avoir présidé pendant quelques années cette Délégation pour l'Union européenne. Vos travaux se situent au cur de l'actualité. Nous avons discuté ce matin en Conseil des ministres de la ratification de l'accord de Cotonou, ainsi que de la mise en place et de la ratification de l'accord qui a créé le neuvième Fonds européen de développement. Après Doha, d'autres conférences se tiendront : celle de Monterey sur le financement du développement puis, à l'automne 2002, celle de Johannesburg sur le développement durable. La réflexion menée aujourd'hui s'inscrit bien dans toutes ces perspectives.
La nécessaire ouverture de l'Europe face à la mondialisation
Jean Monnet avait coutume de dire : "l'urgent chasse l'important". Aujourd'hui, je considère qu'il y a urgence malgré tout. En effet, la question de la mondialisation est tout à fait importante : aussi est-il urgent que l'Europe, qui aura manqué son rendez-vous avec la mondialisation, ne manque pas celui de la régulation de la mondialisation.
Ce rendez-vous manqué s'explique dans la mesure où la mondialisation a progressé beaucoup plus rapidement que la construction européenne car celle-là répond à un temps court, celui du progrès technologique, alors même que la construction de l'Europe renvoie à un temps nécessairement plus long, celui du mûrissement politique, voire au temps encore plus important nécessaire aux mutations culturelles, qui se trouvent-elles aussi au cur de la construction européenne. Aussi, je plaide l'urgence, d'autant plus que je suis convaincu que l'Europe a un apport spécifique à faire dans cette régulation de la mondialisation.
Nous faisons le choix d'éviter que l'Europe apparaisse comme un refuge par rapport à cette mondialisation, car une Europe "forteresse" constituerait un aveu d'impuissance. Il convient d'en prendre la mesure et, à certains égards, des politiques européennes, en particulier la politique agricole commune, ont pu apparaître comme l'expression de cette Europe refuge. L'Europe doit jouer la carte de l'ouverture, du partage et de la solidarité.
A cet égard, il subsiste à la veille de la Conférence de l'OMC des incompréhensions très fortes en matière de normes sociales et d'environnement : les PVD craignent qu'il s'agisse là d'une nouvelle forme de protectionnisme et leur position à ce sujet frise le procès d'intention. Il apparaît essentiel de dissiper leurs craintes, dans le cadre d'un dialogue très serré. Les PVD craignent d'avoir à subir des contraintes supplémentaires qui constitueraient de nouveaux freins à leur croissance, contraintes que nous n'avons pas eu à supporter lors de notre essor économique. Nous devons être capables de mettre en uvre une discrimination positive des règles commerciales si nous voulons permettre aux pays du Sud de rattraper leur retard en matière de développement.
Il est important de rappeler que l'Europe occupe déjà une position de partenaire privilégié en matière de développement : elle participe pour plus de 50 % de l'aide publique au développement. Elle possède en outre une culture du service public qui la place en résonance directe avec le concept de "biens publics mondiaux", qui peut lui permettre de jouer un rôle plus important en étant capable de se faire mieux entendre des pays en développement et des pays émergents. Nombre d'entre eux ont besoin "d'apprivoiser" ce concept de biens publics mondiaux et l'Europe peut y contribuer.
L'Europe est également partenaire du maintien de la paix et joue un rôle important en matière de coopération militaire. Enfin, elle est un partenaire dans le dialogue des cultures.
Le rôle de l'Europe dans la démocratisation du monde
L'Europe peut prendre part à la démocratisation du monde, notamment pour renforcer l'architecture des institutions financières internationales, et plus largement des organisations multilatérales, et faire en sorte que le rôle du Sud y soit plus important et confère ainsi une plus grande légitimité aux outils de la régulation. Cette légitimité passe, en effet, par leur démocratisation.
Cela signifie aussi que l'Europe doit se donner les moyens d'exister mieux dans ces lieux de régulation mondiale. Si par exemple nous totalisions la part des pays européens au Fonds monétaire international ou à la Banque mondiale, l'Europe représenterait au sein du FMI 29,88 % des voix contre 17,35 % pour les Etats-Unis. Cette proportion est du même ordre pour la quasi-totalité des organisations internationales et pourrait nous valoir le droit de revendiquer le siège de ces institutions. Si le siège de ces institutions était effectivement en Europe, cela représenterait une véritable révolution. Actuellement, le système des circonscriptions au Fonds monétaire international confère à la France comme à l'Allemagne une part de 3,5 %, de même qu'aux pays nordiques pris ensemble. Parfois, certaines situations apparaissent curieuses, notamment lorsque les Pays-Bas siègent dans la même circonscription qu'Israël. Comment pouvons-nous imaginer que l'Europe existe dans ces instances avec ce type de représentation ? Je souhaite que ces questions soient examinées par la prochaine Conférence intergouvernementale à l'occasion du débat sur la construction de l'Europe.
L'Europe, acteur de la sécurisation du monde
Il faut que l'Europe joue un rôle pour solidariser le monde, afin de le sécuriser. La sécurité du monde passe par la mise en uvre de politiques mondiales en matière de santé et d'environnement ainsi que d'investissement, dans les pays en développement. Toutes ces questions nous interpellent, notamment parce que la sécurité du monde en termes de santé ou d'environnement est aussi la nôtre.
Les pays du Sud ne pourront prendre leur part dans cette sécurisation du monde qu'à la condition que l'on puisse leur apporter les moyens qui leur permettront de jouer leur propre rôle, qui est essentiel. Pour l'environnement, cela renvoie aux grandes conférences, notamment celle de Bonn ou de Kyoto. Pour la santé, il s'agit plutôt des conférences qui ont eu lieu aux Nations unies et ont porté notamment sur le sida. Là encore, il n'existe de solution que dans la solidarité et le partage. Aussi, il convient de savoir si nous sommes prêts, bien au-delà du débat sur la taxe Tobin, à faire en sorte que le monde paie sa sécurité : pour cela, il faut qu'en fonction de nos capacités contributives, nous soyons prêts les uns et les autres à payer le prix des politiques nécessaires en matière de santé, d'environnement, de développement en général, et d'investissement en particulier.
La participation de l'Europe au dialogue des cultures
Enfin, il faut que l'Europe participe au "dialogue des cultures". Cette expression est fréquemment employée depuis le 11 septembre. La culture renvoie à l'Histoire et il faut que nous sachions accomplir le travail de mémoire, que nous n'avons fait que commencer, en ce qui concerne la question du colonialisme, par exemple. L'Assemblée nationale a adopté au mois de mai un texte important qui assimile la traite des hommes à un crime contre l'humanité. En outre, des dispositions ont été prévues pour faire entrer dans l'éducation de nos enfants cette part de mémoire. Il apparaît fort important pour le dialogue des cultures que nous sachions prendre en compte cette dimension.
Pour que l'Europe puisse jouer ce rôle, il faut qu'elle sache assez rapidement mettre fin à ses incertitudes. Il faudra un peu de temps pour lever celle qui porte sur son périmètre. Il existe en effet un temps de la construction de l'Europe. J'ai été, il y a longtemps, président des étudiants de Rennes et j'ai représenté les étudiants français en 1958, à Rome, lors d'une conférence sur l'université européenne. Nous imaginions qu'elle serait rapidement mise sur pied, alors elle n'existe toujours pas aujourd'hui ! Ainsi, la question du rythme de construction de l'Europe se pose régulièrement et chaque nouvel élargissement en modifie le calendrier.
Outre le périmètre, il faudra également mettre rapidement un terme à l'incertitude relative à l'architecture de l'Europe, qui contrarie sa volonté politique. Nous devrons gagner en efficacité opérationnelle et, à cet égard, la situation progresse : dans le domaine qui est le mien, la mobilisation du Fonds européen de développement répond actuellement aux "instructions" données par le Conseil de développement sous la présidence française.
Enfin, j'aimerais que les Africains prennent aussi leur part de responsabilité dans les dysfonctionnements politiques et économiques que rencontrent leurs pays. La cause de tous les maux actuels ne saurait être recherchée seulement dans notre histoire coloniale, même s'il faut reconnaître notre part. Il faut également que les Etats-Unis sortent de leur unilatéralisme : les attentats du 11 septembre provoquent la compassion, mais ne dispensent pas les Américains de regarder le monde autrement. Ils doivent adopter une autre attitude que celle dont ils font fréquemment preuve, qui consiste à cesser de participer dès lors qu'ils ne sont pas assurés d'avoir la majorité.
L'Europe doit assumer pleinement sa part dans toutes ces questions et nous devons tous prendre la mesure que le concept de "valeurs universelles" n'est pas encore partagé ni accepté dans le monde entier. S'il vaut pour un milliard d'individus environ, les cinq autres milliards ne partagent pas encore parfaitement cette conception. J'espère que nous serons capables d'évoquer l'ensemble de ces thèmes, même s'ils apparaissent quelque peu douloureux, afin de pacifier le monde et de lutter contre les inégalités
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2001)