Déclaration de Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes, sur les mesures en faveur de la protection de l'enfance, Metz le 13 juin 2016.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral


Je suis heureuse d'être de nouveau parmi vous cette année et je tiens à remercier le département de la Moselle, le JAS et l'ODAS pour leur invitation.
Il y a un an, j'étais à Rennes pour vous présenter la feuille de route pour la protection de l'enfance 2015-2017 que nous avions élaborée ensemble. Une année s'est écoulée depuis et je suis fière de vous annoncer que de grandes avancées ont été réalisées en matière de protection de l'enfance – à commencer par la promulgation de la loi du 14 mars 2016 sur la protection de l'enfant. En un an, ce sont aussi de nombreux chantiers qui ont été ouverts pour donner vie à cette réforme.
[La question de l'enfance a retrouvé toute sa place dans le débat public]
Dès notre première rencontre en 2014, je vous ai dit mon ambition de sortir la protection de l'enfance de l'angle mort des politiques publiques. Je pense pouvoir dire aujourd'hui que cette dynamique est largement entamée. Tout d'abord, l'Enfance s'est vue octroyée un ministère de plein exercice, et le terme « Enfance » figure explicitement dans la titulature de ce ministère. Ce qui témoigne d'un réel volontarisme politique sur le sujet.
Autre fait notable : pendant plus d'un an, la question de la protection de l'enfance a aussi occupé les rangs de l'Assemblée nationale et du Sénat. Avant d'être adoptée, la loi sur la protection de l'Enfant a été discutée trois fois au Sénat et quatre fois à l'Assemblée nationale. Nous pouvons donc nous réjouir que les parlementaires se soient pleinement emparés d'un sujet qui est trop fréquemment négligé en France.
La question de l'enfant dans sa globalité – de ses droits à sa protection – a également occupé de nombreux ministères cette année dans la perspective de l'audition de la France devant le comité des Droits de l'Enfant des Nations unies de janvier dernier. C'est cette mobilisation, partenariale et interministérielle, qui se poursuivra au sein des différentes instances de réflexion que nous avons récemment créées – et sur lesquels je reviendrai.
[Une philosophie renouvelée de la protection de l'enfance centrée sur les besoins et les droits de l'enfant]
Depuis mon arrivée au gouvernement, ce que je promeus c'est une nouvelle philosophie des politiques publiques de l'Enfance : une philosophie centrée autour des besoins de l'enfant et de ses droits dans le respect de la Convention des droits de l'enfant.
Les différents savoirs psychologiques que l'on a acquis au fil du temps sur la construction de l'enfant et ses besoins en termes d'équilibre et de développement doivent être mobilisés pour penser les politiques publiques de l'enfance. C'était tout l'objet de la mission que j'avais confiée à Sylviane GIAMPINO sur l'adaptation des modes d'accueil et de la formation des professionnels de la petite enfance aux besoins de l'enfant. Ces savoirs et expériences doivent aussi bénéficier aux enfants accompagnés en protection de l'enfance.
Par exemple, il ne saurait y avoir d'un côté des enfants qui se construisent avec des figures d'attachement, du lien, et de l'autre des enfants, à l'ASE, qui se construisent selon d'autres mécanismes psychologiques. Les besoins des enfants confiés à l'Aide sociale à l'enfance doivent être appréhendés comme ceux des autres enfants, en cessant de raisonner comme s'il s'agissait d'une catégorie à part. C'est pourquoi, une démarche de consensus va être menée à partir de la rentrée par Marie-Paule MARTIN-BLACHAIS sur les besoins fondamentaux de l'enfant en protection de l'enfance. Si tous les enfants ont les mêmes besoins, certains enfants arrivent à l'ASE avec de véritables carences dans la prise en compte de ces besoins. L'objectif de la démarche de consensus sera de déterminer comment mieux répondre aux besoins des enfants lorsque ces besoins n'ont pas été satisfaits dans leur parcours de vie.
Cette démarche correspond à l'action 9 de la feuille de route. Comme vous le savez, le premier objectif de la feuille de route est : « une meilleure prise en compte des besoins de l'enfant et de ses droits ». Après une période que l'on pourrait caractériser comme celle du « tout placement » jusqu'au Rapport Bianco-Lamy, nous avons connu une période du « lien à tout prix » avec les parents. Le moment était venu d'admettre qu'il ne peut y avoir une seule philosophie, sinon celle de l'intérêt de l'enfant. Pour nous qui sommes les héritiers d'une pensée plutôt organisée autour de l'intérêt des parents ou de l'intérêt des institutions, mettre l'intérêt de l'enfant au cœur de la protection de l'enfance est une dimension nouvelle et fondamentale apportée par cette réforme.
Construire la protection de l'enfance en partant des besoins et des ressources de l'enfant et sa famille est une condition de son efficacité. Faisant l'insupportable constat que 40 % des 18-25 ans qui sont à la rue ont eu un parcours en protection de l'enfance, j'ai par exemple souhaité qu'un volet de la réforme porte sur l'accompagnement vers l'autonomie de ces jeunes. Je sais que parmi les dispositions concernant les jeunes majeurs celle relative au versement de l'ARS (allocation de rentrée scolaire) sur un compte bloqué vous interroge. Nous travaillons à la rédaction d'un décret avec l'objectif que cette mesure puisse entrer en vigueur dès la rentrée prochaine. Une instruction a par ailleurs été transmise aux CAF afin qu'elles se rapprochent des départements pour demander les informations sur les enfants qui pourraient bénéficier de cette mesure.
Ce recentrage sur les besoins de l'enfant s'est traduit dans la loi du 14 mars 2016 par plusieurs dispositions dont deux concernent le projet pour l'enfant et le rapport annuel de situation. Ce sont des outils formidables pour assurer le suivi et l'accompagnement d'un enfant en protection de l'enfance. Pourtant certains départements ne s'en sont pas encore saisis. Cela doit changer ! Vous le savez mieux que moi, le projet pour l'enfant est un véritable levier pour construire AVEC l'enfant et sa famille un projet cohérent sur le long terme. Nous sommes actuellement en train de travailler, en concertation, à la rédaction des décrets d'application de la loi, et notamment sur le décret précisant le contenu et les modalités d'élaboration du PPE. Sur ce dernier point, le débat est toujours vif quant à la place à accorder à l'enfant et sa famille. Sont-ils acteurs ou simples destinataires de ce projet ? Pour moi, la question est tranchée depuis de longues années et je m'étonne qu'elle suscite encore tant de débats et crispations en 2016…
[Une philosophie renouvelée de la protection de l'enfance dans laquelle l'enfant et sa famille sont acteurs]
Lorsque j'évoque la philosophie nouvelle de cette réforme, l'enjeu porte aussi sur une nouvelle approche du lien avec les bénéficiaires de nos politiques. Quand vous discutez avec les familles accompagnées dans le cadre de l'Aide sociale à l'enfance, vous constatez qu'elles en ont souvent une représentation très anxiogène : celle de services qui vont placer leur enfant. Cette peur s'avère totalement contre-productive car, par crainte, ils ne font pas appel aux services sociaux quand ils en ressentent le besoin, et quand les services sociaux finissent par arriver il se passe exactement ce qu'ils redoutaient parce que la situation s'est tellement dégradée qu'il n'y a plus que cette solution-là. Les services sociaux le savent mais doivent bien en prendre la mesure, et impérativement se repositionner à l'égard des familles en faisant avec et non pas seulement vers.
Plus globalement, les politiques sociales ne peuvent plus se faire sans la compréhension de ce qu'elles sont par les bénéficiaires, ni d'ailleurs, pour bon nombre d'entre elles, sans leur avis. Ainsi par exemple en matière de soutien à la parentalité, sujet qui croise en de nombreux points la protection de l'enfance, la capacité d'agir des parents y compris ceux de l'Aide sociale à l'enfance doit être encouragée. Entre 2012 et 2017 nous aurons doublé le budget de soutien à la parentalité dans le fonds d'action sociale de la CNAF. Et, j'ai demandé aux Caf de réévaluer leurs priorités en matière de soutien à la parentalité en ce sens. Les familles changent, les enfants changent et la fonction parentale change. Changeons aussi.
J'étais il y a quelques semaines au colloque des Universités Populaires de parents (UPP) organisé par l'ACEPP. Deux des UPP débutés en 2013 portaient sur la place des parents en protection de l'enfance. Il y a beaucoup de choses à retirer de leurs conclusions que je vous invite tous à lire.
C'est dans cette même volonté de croiser les regards et d'interroger les pratiques que nous avons pris le temps de travailler avec les professionnels dans leur grande diversité et avec les usagers, d'anciens enfants placés et des familles d'enfants placés lors de la concertation préfiguratrice de la feuille de route et de la loi. Dès l'origine, l'ambition de cette réforme était de construire une loi à partir d'un diagnostic partagé, proposant des réponses construites et mises en œuvre collectivement.
[Cette réforme de la protection de l'enfance est née d'une méthodologie nouvelle]
Je ne reviendrai pas sur le contenu précis de la loi du 14 mars 2016 que je vous avais déjà présentée l'an dernier. Mais j'aimerais insister auprès de vous sur un point auquel je suis particulièrement attachée : l'ambition pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle qui caractérise cette réforme, à la fois dans sa méthode d'élaboration et dans l'évolution des pratiques qu'elle préconise.
Nous avons concerté en amont de la loi et nous allons continuer à travailler comme nous l'avons fait avant l'adoption de la loi, avec une méthode qui a fait ses preuves : la construction d'un consensus, mais sans que cela soit un consensus a minima. Cette méthode qui, au passage, n'est pas inintéressante dans un pays où l'on se demande perpétuellement comment réformer.
Cette démarche de décloisonnement et de partenariat me paraît essentielle au bon fonctionnement des politiques publiques. C'est pourquoi, j'ai souhaité la pérenniser. Les questions de l'enfance et de sa protection ne doivent jamais être tributaires d'arbitrages politiques. Elles ne doivent pas disparaître du débat public en fonction du bon vouloir d'un gouvernement.
Le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge sera une des instances qui permettra que la question de l'Enfance reste dans la ligne de mire des décideurs publiques. Cette instance stratégique sera placée auprès du Premier ministre et disposera d'une formation dédiée à l'Enfance. Dans ce cadre, les enfants auront un espace de participation propre grâce à la création d'un collège d'enfant et d'adolescent.
La protection de l'Enfance sera représentée au sein de cette formation, notamment au travers du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) qui y siégera. Le CNPE, créé par la loi du 14 mars 2016, sera l'instance nationale de pilotage et de coordination des acteurs, le lieu où la pluridisciplinarité et la pluri-institutionnalité vont pouvoir se construire pour définir des orientations et harmoniser les pratiques. Une attention particulière sera notamment apportée à la formation initiale comme continue. Nous le savons tous, la formation est un levier incontournable du changement.
Nous travaillons actuellement à la composition du CNPE afin qu'elle soit la plus représentative possible de la richesse et de la diversité des pratiques: de la prévention au placement. La place de l'adoption en protection de l'enfance va aussi être réaffirmée au sein du nouveau groupement d'intérêt public résultant de la fusion du GIPED et de l'AFA qui siégera au CNPE.
[Cette méthodologie doit maintenant être appliquée au niveau local]
Le CNPE est donc l'instance garante de la poursuite et de la mise en œuvre de la réforme. L'enjeu est avant toute chose de partager en profondeur l'esprit de la loi, ce qui est plus exigeant que de partager les outils.
Cette dynamique je l'entretiens notamment en organisant régulièrement un groupe de travail avec les départements, représentés par leurs vice-présidents en charge de cette politique. Ce groupe a résisté aux vicissitudes politiques et continue de se réunir. C'est précieux pour enrichir encore notre réflexion dans cette nouvelle phase de mise en œuvre sur le terrain. Mais ce n'est pas suffisant.
Maintenant, je pense qu'il faut enclencher au niveau départemental ce que l'on a fait au niveau national : concertation, pluridisciplinarité, pluri-institutionnalité autour, cette fois, de l'application de la nouvelle loi.
La réforme garantit le décloisonnement à l'échelon local par plusieurs dispositions : le protocole conclu par le président du conseil départemental, le préfet et le président du conseil régional pour accompagner l'accès à l'autonomie des jeunes sortant de l'ASE y participe par exemple, de même que les observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE) dont la composition est en train d'être définie par décret. Les ODPE devront, dans chaque territoire, garantir la pluridisciplinarité et pluri-institutionnalité de la protection de l'enfance. Le décret d'application relatif à l'évaluation de l'information préoccupante s'inscrit dans cette logique de décloisonnement en précisant bien l'importance que l'évaluation soit pluridisciplinaire. Chacune des mesures proposées par la loi témoigne de la philosophie de la réforme, tant dans leur contenu que dans la méthode. Mais chacun des acteurs de la protection de l'enfance doit désormais se les approprier.
Pour aller plus loin dans la mise en œuvre de la loi, j'invite les présidents des conseils départementaux et travailleurs sociaux à organiser des concertations rassemblant l'ensemble des institutions et professionnels qui travaillent aux côtés des enfants et de leurs familles : magistrats, associations, médecins, Education nationale, caf… C'est ainsi que nous parviendrons à harmoniser et décloisonner les pratiques.
[Conclusion]
En un an, nous avons accompli beaucoup de choses en faveur des enfants et de leur protection. Ma priorité est que cette dynamique ne s'essouffle pas dans les mois et années à venir. Le temps est un enjeu décisif en protection de l'enfance, vous le savez mieux que moi et c'est d'ailleurs un sujet qui vous occupera dans les jours qui viennent. Le rythme à laquelle la réforme de 2007 a été mise en œuvre a été une faiblesse. Cela a entraîné de trop grandes disparités d'application de la réforme entre les territoires. Les premières victimes de ces disparités territoriales ont été les enfants et leurs familles. Un enfant doit pouvoir être parfaitement protégé où qu'il se trouve en France. Une famille doit pouvoir trouver l'aide qu'elle recherche quel que soit son lieu de résidence. Pour que l'histoire ne se répète pas, je vous demande de vous saisir pleinement et rapidement de cette nouvelle réforme. Chacun d'entre vous, quels que soient votre domaine, vos pratiques, vos leviers d'action, doit permettre la mise en œuvre de la feuille de route pour la protection de l'enfance.
Je vous remercie.
Source http://www.familles-enfance-droitsdesfemmes.gouv.fr, le 30 juin 2016