Déclaration de M. Pierre Mauroy, Premier ministre, sur les restructurations industrielles et la modernisation, Lille le 16 mars 1984.

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Circonstance : Journées de l'ANVAR à Lille les 15 et 16 mars 1984

Texte intégral


Monsieur le président,
Monsieur le directeur général,
Monsieur le président du conseil régional,
Monsieur le président du conseil général,
Monsieur le commissaire de la République,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux d'être parmi vous cette année encore pour clôturer les journées de l'ANVAR.
Si je suis ainsi fidèle à ce rendez-vous des industriels et des chercheurs, si j'étais déjà parmi vous à Lyon et à Nantes, c'est d'abord en raison de l'importance du travail que vous conduisez. Vous êtes, en effet, l'un des éléments clés de cette modernisation de la France à laquelle le président de la République et le gouvernement convient les Français.
Mais bien sûr, dès lors que vous avez choisi de vous retrouver à Lille c'est non seulement le Premier ministre mais aussi le maire qui vous salue. Le maire de la première ville d'une région durement frappée par la crise et qui a tenu à venir participer à ce rendez-vous de l'avenir pour l'industrie française.
Placées sous le double signe de l'innovation et de la modernisation industrielle, vos journées revêtent cette année une certaine gravité.
Le pays tout entier est en train de prendre conscience des enjeux de la troisième révolution industrielle. La signification réelle de ce que nous appelons communément "la crise" tend à émerger. Il ne s'agit pas en effet - vous le savez bien - d'une sorte de fatalité qu'il conviendrait d'accueillir avec résignation et passivité. Il s'agit de la période de passage d'une génération industrielle à une autre. Il nous revient de faire en sorte que ce délai soit le plus réduit possible et que cette transition s'effectue dans le respect des travailleurs.
Or -et c'est bien naturel - les travailleurs sont inquiets. Ils entendent parler de fermetures d'usines, de déclin industriel, de chômage. Pour eux, la crise se résume à ces réalités.
Des agglomérations possédant une solide tradition industrielle, voient tout à coup leurs activités remises en cause.
Des hommes et des femmes d'expérience voient leur emploi menacé et s'inquiètent pour leur avenir comme pour celui de leurs enfants.
Cette inquiétude est d'autant plus compréhensible qu'à plusieurs époques déjà nous avons vu déferler, sans que l'on se préoccupe outre mesure du sort des travailleurs, des vagues successives d'innovations techniques. Chaque époque a vu des innovations s'imposer parce qu'elles permettaient de produire moins cher des produits nouveaux ou plus performants.
Pour prendre un exemple, qui sait que, depuis les premières expériences faites par Flemming au début du siècle, le rendement des installations de multiplication cellulaire pour la production de pénicilline a été multiplié par 10.000 !
Les illustrations de cette nature sont légion.
Au cours des 20 dernières années, la capacité de stockage des mémoires d'ordinateurs a été multipliée par 10.000 !
Dans le secteur automobile, la productivité a doublé de 1900 à 1930. Elle a été multipliée par 15 entre 1930 et 1980. A l'usine Renault de Douai, il fallait 27 heures de travail pour monter une voiture il y a 4 ans. Il n'en faut que 22 aujourd'hui.
La dernière décade a vu la naissance et la production de masse d'un nombre sans précédent de produits nouveaux : robots ménagers, fours à micro-ondes, magnétoscopes font désormais partie de notre univers quotidien.
Demain, le disque à lecture laser, l'enseignement assisté par ordinateur, la monnaie électronique, le vidéotex s'imposeront dans notre vie de tous les jours.
Derrière ces produits nouveaux, il y a les industries de l'avenir. Celles qui demain créeront des emplois et produiront une richesse économique.
Plus du tiers des produits qui seront mis sur le marché dans cinq ans ne sont pas encore fabriqués aujourd'hui !
Cette brusque accélération du progrès technique ne concerne pas seulement des secteurs de pointe.
Les progrès réalisés dans le domaine des composantes électroniques, de la robotique, de la micro-informatique, des matériaux nouveaux, des technologies de la communication, vont progressivement affecter toutes les branches industrielles. Ainsi, le microprocesseur, initialement conçu pour les usages de l'industrie horlogère, révolutionne aujourd'hui des secteurs industriels aussi différents que ceux de l'automobile, du jouet, de l'informatique et de l'audiovisuel.
C'est en robotisant leurs chaines de production automobile que les Japonais ont réussi à envahir le marché américain, provoquant ainsi un chômage accru dans la région de Détroit.
A l'ère des robots et des ateliers flexibles, rien, sans doute, ne pourra désormais être fabriqué comme avant.
La nouvelle révolution industrielle sera celle de l'intelligence, celle de la matière grise.
Une compétition est engagée à l'échelle internationale. De nouveaux centres de production surgissent. Des pays s'industrialisent et aspirent à rejoindre les nations les plus riches. Parmi celles-ci, seules se maintiendront dans le peloton de tête celles qui acceptent l'indispensable effort d'adaptation.
J'ajoute que la réponse aux défis lancés par les nouvelles technologies n'est pas à rechercher dans la fermeture des frontières. Une telle mesure ne nous mènerait qu'à l'isolement et au déclin relatif. La réponse doit être trouvée dans l'innovation, dans la modernisation industrielle et dans une meilleure formation des hommes.
Il nous faut rattraper le temps perdu et adapter notre appareil de production. Nous nous y employons depuis près de 3 ans.
Lors du sommet de Versailles, en juin 1982, le président de la République avait posé le problème des mutations technologiques et souligné la nécessité d'organiser la substitution d'emplois nouveaux aux anciens, menacés par l'évolution technologique.
Dès 1981, une priorité a été accordée à l'effort national de Recherche-Développement. Cette priorité a été maintenue en 1984, en dépit des difficultés budgétaires. Elle continuera de l'être pendant toute la période du 9ème Plan.
Dans ce cadre, un effort tout particulier a été consenti pour la recherche industrielle.
Doté de 450 millions de francs en 1981, le budget d'intervention de l'ANVAR s'est élevé à 900 millions en 1983.
Le conseil des ministres du 21 février dernier a encore arrêté un ensemble de mesures destinées à renforcer la recherche dans les entreprises.
Il nous faut améliorer la formation initiale et permanente des ingénieurs et des techniciens à la recherche et aux technologies nouvelles. Il nous faut renforcer le couplage entre la recherche et l'industrie en encourageant notamment les organismes de recherche à accroitre leur effort de valorisation.
Il nous faut orienter les aides publiques vers la recherche industrielle.
Je note également l'institution du crédit d'impôt recherche décidée en 1983. Cette mesure, ainsi qu'une autre disposition adoptée tout récemment qui offre la possibilité pour les entreprises d'amortir fiscalement leurs dépenses de recherche dans l'année, devrait inciter les industriels à accroître notablement leur propre effort de recherche.
Je rappelle le plan d'action spécifique, qui a été lancé en 1982, pour le développement des secteurs clef de la filière électronique.
Les premiers résultats de ce plan seront prochainement examinés par le gouvernement. D'ores et déjà, je peux dire qu'un redressement significatif de notre balance commerciale a été observé puisque notre déficit pour l'ensemble des industries de la filière est passé de 11 milliards de francs en 1982 à 6 milliards en 1983 et qu'il devrait encore s'améliorer sensiblement en 1984.
Des plans sectoriels ont été également engagés dans d'autres secteurs industriels comme le textile, la machine outil et l'industrie chimique.
La mise en place, en juillet 1983, du fonds industriel de modernisation, doté de 10 milliards de francs pour 1983 et 1984, a traduit la détermination du gouvernement de mettre à la disposition des entreprises des moyens financiers nécessaires pour accomplir leur effort de modernisation.
La responsabilité de la gestion de ce fonds a été confiée à l'ANVAR. Je sais que son personnel fait face à cette tâche nouvelle avec efficacité.
Cette responsabilité complète et enrichit les missions précédemment confiées à l'ANVAR. L'agence possède désormais les moyens d'apporter son soutien aux entreprises sur tous les problèmes posés par la modernisation et le développement technologique.
L'Etat ne peut, toutefois, à lui seul, réaliser modernisation de la France. Un effort collectif est indispensable.
La mobilisation des chercheurs, des universitaires, de formateurs, des industriels, brefs de tous les partenaires régionaux de la recherche et du développement industriel, est la condition indispensable de notre réussite.
L'Etat assume sa responsabilité en mettant en place les nécessaires mesures d'accompagnement. Mais il revient aux industriels, et à eux seuls, de décider des investissements. C'est vrai, bien sûr, des chefs d'entreprises du secteur privé mais c'est vrai également des responsables des groupes nationalisés. Il leur appartient, dans le cadre de la politique industrielle tracée par le gouvernement, de définir leur propre stratégie de modernisation et de développement.
Si chercheurs et industriels doivent se mobiliser, il en va de même de l'ensemble des travailleurs. Nous ne réussirons la modernisation qu'avec eux et grâce à eux. Et cette indispensable mutation, chacun doit bien en avoir conscience, représente pour chacune et chacun d'entre eux, pour chaque salarié, un effort personnel important.
La nouvelle génération industrielle exigera en effet une adaptation permanente face à un changement technique accéléré. Elle implique déjà une plus grande mobilité professionnelle, sociale et géographique. Il est donc indispensable que les régions et les collectivités locales des bassins d'emploi concernés facilitent ces adaptations.
Moderniser ne signifie pas abandonner des productions.
Reconvertir ne signifie pas sacrifier des régions.
Traiter des situations de sureffectif ne signifie pas ouvrir la voie à une vague de licenciements dans tout le pays.
La modernisation se fera par le dialogue et la négociation.
Le 8 février dernier, le gouvernement a proposé les voies de la politique de restructuration industrielle. Ces propositions font l'objet d'une concertation avec les organisations syndicales.
Le gouvernement va, dans les tous prochains jours, arrêter ses décisions et prendre une série de mesures.
La région Nord-pas-de-Calais, qui vous accueille et à laquelle - vous le savez - je suis profondément attaché, est directement concernée par ces décisions.
Trois des pôles de conversion retenus par le gouvernement se situent dans la région. Il s'agit de la zone sidérurgique et minière de Valenciennes, de la vallée de la Sambre et de la région de Dunkerque. Pour ces zones, un effort particulier doit être mené afin de rattraper le retard accumulé.
Une dotation spéciale de 1 milliard de francs en capital pour les groupes industriels publics sera affectée à des investissements réalisés pour l'ensemble des pôles de conversion. Une enveloppe spécifique du Fonds Industriels de modernisation de 2 milliards de francs est également réservée. Son attribution sera soumis à une procédure particulière. Des aides pourront aller à la totalité du financement des projets. L'attribution des aides à l'industrie et au secteur du bâtiment et des travaux publics, dans le cadre de la 3ème tranche du fonds spécial de grands travaux, prendra en compte la priorité accordée aux pôles de conversion.
La création d'entreprises sera également encouragée grâce à des mesures fiscales particulières. Des procédures spécifiques seront mises en place pour faciliter la formation et le reclassement de la main-d'oeuvre.
Les difficultés de ces zones sinistrées ne doivent toutefois pas nous faire oublier l'activité industrielle du Nord-Pas-de-Calais.
Voici 9 mois, inaugurant le salon Applica, j'évoquais le foisonnement des initiatives régionales dans le secteur de l'informatique, de l'électronique, de la productique.
J'évoquais également les projets destinés à renforcer le potentiel de recherche régional.
La région Nord-Pas-de-Calais possède en effet une solide tradition dans ce domaine. Une étroite concertation avec l'Etat et les organismes publics de recherche a fait du Nord-Pas-de-Calais une région pilote pour la régionalisation de la loi d'orientation de la recherche.
Dans ce cadre, je tiens à souligner l'effort entrepris par le CNRS, l'INRA et l'IFREMER pour développer leurs actions dans la région.
Ainsi la convention récemment signée entre le CNRS et l'établissement public régional conduira au renforcement des implantations du CNRS dans des domaines aussi divers que la microélectronique, l'instrumentation scientifique, les biotechnologies, la valorisation du charbon, les sciences du littoral.
Le ministère de l'Education nationale participe également de manière active au renforcement de ce potentiel scientifique régional.
Le pôle de productique régional, dont j'ai annoncé la création lors de mon voyage à Valenciennes fin 1982, se constitue. Un atelier flexible expérimental de découpe et d'assemblage de tissu est en cours d'installation à l'université des sciences et des techniques de Lille.
Des machines outils à commande numérique et des robots ont été installés à l'école des mines de Douai. Ils constituent les premiers éléments du centre régional de transfert et d'assistance technologique en productique
Une cellule de tournage a été montée, à Valenciennes dans le cadre du centre régional d'enseignement de la productique.
Je tiens à souligner, à ce propos, la mobilisation exemplaire effectuée à l'occasion de ce projet. Deux universités, une école d'ingénieurs, le conseil régional et les industriels y ont en effet participé.
Je voudrais aussi rappeler le démarrage du projet URBA 2000 qui se propose de fédérer un certain nombre d'initiatives locales et régionales pour la mise en oeuvre de technologies nouvelles. Ce projet concerne la vie urbaine dans l'agglomération lilloise.
Ces activités nouvelles, cet effort de recherche traduisent la volonté des hommes de cette région de surmonter la crise et de bâtir l'industrie du futur. Sans cette volonté, rien n'est en effet possible.
Tout repose sur la capacité d'initiative de ceux qui ont décidé de prendre en main leur destin et, à travers leur action, celui de la région dans laquelle ils vivent.
Dans cette perspective, un effort particulier doit être fait en direction des jeunes.
Vous savez toute l'importance que j'attache à la formation. Former les jeunes constitue le plus sûr moyen de préparer l'avenir.
Donnons aux jeunes ingénieurs formés dans la région le goût d'entreprendre et de créer leur propre entreprise dans le Nord-Pas-de-Calais.
Donnons leur l'occasion de s'intéresser aux entreprises régionale, par exemple en offrant à un certain nombre de jeunes diplômés des stages dans des PME.
Donnons leur l'occasion et le goût de se fixer là où ils ont grandi.
La région pourrait apporter les financements nécessaires à de telles actions.
Le développement d'une région est possible, et je le dis pour toutes les régions de France, dès lors que les hommes et les femmes qui y vivent ont le goût et la volonté d'entreprendre.
Le gouvernement vous appelle à la modernisation de la France. Je ne cesse de traiter ce sujet. Dans un article du "Monde" récemment. Je ne cesse de le dire, de le répéter. La vraie justification de notre politique de rigueur, c'est d'assurer la modernisation de notre pays, c'est de lui permettre d'être à son rang dans la troisième révolution industrielle.
Ouvriers, étudiants, chercheurs, formateurs, industriels, banquiers, fonctionnaires de l'Etat et des collectivités locales, tous peuvent apporter une pierre à cet ambitieux projet.
Vous le savez mieux que d'autres, ceux qui refusent l'effort seront rejetés. Ceux qui aujourd'hui fournissent l'effort de modification, seront demain récompensés.
C'est pourquoi, c'est tous ensemble que nous mènerons à bien la grande mutation de l'industrie française.
C'est tous ensemble, que nous construirons l'avenir.Mesdames, Messieurs, je vous remercie.