Conférence de M. Pierre Mauroy, Premier ministre, sur l'avenir de l'Europe, Bruxelles le 4 mars 1982.

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Texte intégral

Monseigneur,
Madame,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs
Je vous remercie, Maître VERBRUGGEN pour cette présentation chaleureuse et je vous remercie de m'avoir invité ce soir à BRUXELLES dans le cadre de ces grandes conférences catholiques dont je connais la renommée et le prestige.
J'ai noté que parmi vos conférenciers prévus pour cette période de l'année aurait du figurer LECH WALESA. Le rendez-vous manqué entre vous et lui, comme le rendez-vous manqué entre le Premier Ministre français et le peuple de POLOGNE, témoignent de ce qui se joue si près de nous. Alors ce soir, si vous le voulez bien, j'aimerais qu'avant de nous interroger sur les défis de l'avenir, nous ayons une pensée pour LECH WALESA et tous ceux qui se sont attachés à relever les défis du présent.
Je suis sensible à l'honneur que vous me faites ce soir mais je suis surtout sensible au témoignage d'intérêt que vous manifestez pour la politique du changement que les Françaises et les Français ont choisi d'engager à l'appel de François MITTERAND. Je sais que notre expérience suscite chez nos partenaires de la communauté européenne, et plus particulièrement dans votre pays, une curiosité réelle et souvent une sympathie.
Car nous sommes tous à la recherche des réponses qui nous permettrons de relever les défis de l'avenir. Puisque, bien sûr, l'avenir est une somme de défis. Il n'est guère besoin d'y insister et le point de départ du thème de réflexion que vous m'avez soumis fera, j'en suis convaincu, l'unanimité.
Reste à définir ces défis, ce qui est déjà moins évident, et surtout à proposer des réponses.
Le principal défi auquel notre vieux continent est confronté est sans doute celui de son déclin historique. J'y songeais en septembre dernier en survolant les vallonnements de la Marne à l'occasion du soixante cinquième anniversaire de la bataille de Verdun. Je ne pouvais m'empêcher de penser que jamais aucun sol, dans aucun pays, n'a vu couler tant de sang. Et cette hémorragie affaiblissait l'Europe tout entière. Car de cette blessure, l'Europe ne s'est jamais complètement relevée.
On ne répètera jamais assez ce qu'a eu de suicidaire cette lutte fratricide de 1914 à 1918, jeta nos peuples les uns contre les autres. Nous en payons encore le prix. Et le second conflit mondial a précipité le déclin d'une Europe coupée en deux, pauvre en énergie et en matières premières, de plus en plus soumise à une division internationale du travail qui lui est imposée de l'extérieur. Une Europe à nouveau frappée par la crise économique et minée par la violence.
Dans la somme des défis auxquels nous sommes confrontés, j'en ai retenu trois sur lesquels je voudrais ce soir réfléchir avec vous :
- le défi de l'indépendance ;
- le défi du développement ;
- le défi de l'homme.
I) Le défi de l'indépendance.
Pour exister l'Europe a besoin de s'affirmer, de prendre confiance en elle-même. Elle doit retrouver l'élan qui, il y a un quart de siècle, avait permis de signer le traité de Rome. Or, en cette période anniversaire, l'Europe doute, s'interroge et se trouve probablement à la veille d'une crise grave.
De même que nous n'aurions pu, au lendemain de la guerre, relever les défis du redressement économique de l'Europe, sans la Communauté, de même nous ne pouvons poursuivre notre route que collectivement. Mais à condition que la Communauté constitue un véritable ensemble et non une simple zone commerciale au sein de laquelle chacun n'accepte de participer qu'en fonction des avantages qu'il en retire.
Il est temps, plus que temps, de prendre, conscience de notre solidarité à l'heure où le centre de gravité de la planète se déplace de plus en plus nettement de l'Atlantique vers le Pacifique. Certes, il n'appartient pas à la Communauté de se substituer aux efforts nationaux mais elle doit les prolonger et, en quelque sorte, les bonifier. A cet égard, n'est-il pas significatif que, face à la crise de l'énergie qui vient de marquer la décennie, la Communauté européenne n'ait pu parvenir à mettre en place une politique commune. Les progrès effectués dans cette voie demeurent très limités et sans proportion avec l'enjeu. Vous savez que, dans son memorandum de relance, la France a souhaité que soit mise en place, sans attendre, une politique communautaire effective dans ce domaine. Car nous savons tous que les deux grandes faiblesses de la Communauté sont ses insuffisances sur le plan de l'énergie et des matières premières.
Si je vous propose comme premier défi l'indépendance, c'est parce qu'il est nécessaire de s'opposer à la perspective d'une Europe vassalisée économiquement et réduite progressivement à un statut de super-sous-traitant. L'heure du sursaut nous semble avoir sonné. Il faut rendre aux peuples d'Europe une perspective politique.
Croyez bien que, dans ce domaine, ce qui s'est passé en France en mai et juin derniers peut avoir valeur sinon d'exemple du moins de symbole. En effet, contrairement à ce que certains ont cru pouvoir affirmer, la victoire de la gauche n'est pas le signe que les Français relâchent leur effort. C'est au contraire le témoignage de la volonté majoritaire du pays de ne plus vivre passivement la crise, de s'attaquer aux causes sans se borner à en subir les effets. C'est le sens du contrat passé entre François Mitterrand et le pays.
Hier, les dirigeants proposaient aux Français de "gérer l'imprévisible". Aujourd'hui, la gauche au pouvoir préfère se souvenir de la formule de Pierre Mendès France : "gouverner c'est prévoir".
C'est vrai, par exemple, en matière militaire. Les Européens font preuve, dans ce domaine, d'une irrésolution coupable. Car il ne suffit pas de s'abriter derrière les Etats-Unis. Chacun sait bien, en effet, que, dans la stratégie américaine, l'Europe peut n'être qu'un barreau de l'échelle de la violence et non l'une des fins suprêmes de leur défense. Des voix très autorisées sont venues le dire dans cette ville même. Une telle éventualité nous semble, à nous Français, inacceptable. Nous pensons qu'elle devrait faire réfléchir les Européens à la perspective d'un ensemble politique disposant d'une défense autonome.
Subir ou réagir. Etre sujet ou acteur de l'Histoire. Aux Européens de choisir. Collectivement. A chacun de nos peuples de choisir.
Et en disant cela je pense à ce que notait votre souverain, le roi Baudoin 1er, dans son message du nouvel an. "Les avertissements sur les évolutions perverses, expliquait-il, ne nous ont pas manqué, ni les analyses autorisées, ni les diagnostics nuancés. Ce qui nous a manqué, c'est la capacité d'agir. Nombreux sont les pouvoirs de droit ou de fait qui peuvent empêcher une décision, rares sont ceux qui rendent une décision possible".
Ce témoignage lucide d'un chef d'Etat expérimenté ne s'applique pas simplement à telle ou telle politique nationale. Il concerne également notre démarche communautaire.
Demain, j'aurai l'occasion de faire, avec les membres de la Commission, le tour de tous les sujets concrets qui permettraient d'illustrer cette remarque. Je me bornerai, ce soir, à un seul exemple qui nous est commun puisque nous sommes voisins : la coopération régionale par delà les frontières.
Président, il y a quelques mois encore, du Conseil Régional du Nord-Pas-de-Calais, maire de Lille, je sais depuis longtemps que nous ne sommes pas proches seulement au plan géographique. Je connais la richesse et la vitalité des liens tissés au cours des siècles et la densité des relations quotidiennes de part et d'autre de la frontière. Je suis donc intimement convaincu de la dimension européenne de toute métropole régionale frontalière.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les nations européennes se refusèrent à ce que l'Europe fût réduite à une sorte de no man's land ou à ce petit cap de l'Asie entrevu par Paul Valéry. Le sens de leur continuité historique, la conviction des enrichissements collectifs qu'apporterait une mise en commun de leurs valeurs et de leurs ressources propres confortèrent ce refus des nations européennes qui prirent alors conscience de leur nécessaire insertion dans un ensemble organique plus vaste.
Mais pour les hommes du Nord, cette prise de conscience et cette insertion ne dataient pas de la guerre. Pour en retrouver les origines, il faudrait remonter jusqu'aux premières années du XVIème siècle, voire avant. Il faudrait remonter à l'époque carolingienne quand l'offensive de l'Islam a rompu l'unité méditerranéenne qui avait survécu à l'Empire romain, quand l'Europe occidentale se constitua en un monde distinct, tourné désormais vers la mer du Nord et l'Atlantique.
Nous sommes ici, ce soir, pour la plupart des gens du Nord. Nous savons que la dimension européenne est une évidence et une exigence depuis des générations. Il y a entre nous une complicité ancienne et une fidélité qui constituent la première forme de notre solidarité et de notre sentiment européen.
Tout au long des âges, l'histoire économique nous a rendu solidaires. Et singulièrement à l'heure du fantastique mouvement d'industrialisation et d'urbanisation qui, avec le XIXème siècle, a fait du Nord-Pas-de-Calais, de la Belgique, des Pays-Bas, de la Ruhr, et du Sud de l'Angleterre le centre du développement, le symbole de la révolution industrielle et du capitalisme triomphant et, par conséquent, le berceau de la lutte pour les droits des travailleurs. C'est là une dimension essentielle de notre passé et de notre avenir.
A l'heure où la France rompt avec des siècles de centralisme, érige ses régions en collectivités territoriales et rend aux élus la pleine responsabilité de leur décision, cette dimension régionale doit pouvoir s'épanouir dans le cadre européen. Dès lors qu'une véritable décentralisation est mise en oeuvre, comment ne pas imaginer qu'elle doit nécessairement trouver son prolongement dans une coopération trans-frontalière accrue ?
Il n'est, bien sûr, pas question de déposséder l'Etat de ses responsabilités fondamentales, mais j'ai, personnellement, toujours pensé que, pour les gens du Nord, faire l'Europe est aussi une nécessité simple et urgente. La frontière qui sépare la Belgique et la France est une cicatrice de l'histoire. Elle a séparé des régions naturelles, des villages, des familles, compliquant les échanges économiques et les relations entre les hommes.
La construction d'une Europe communautaire a certes permis de lever bien des entraves et d'accomplir d'immenses progrès. Mais il reste qu'aujourd'hui encore, c'est bien souvent à Paris et à Bruxelles qu'il faut régler les problèmes qui concernent parfois une même commune coupée par la frontière. Eh bien, je l'ai dis naguère et je le redis aujourd'hui : les affaires de clocher ne doivent plus être des affaires d'Etat dès lors que l'Europe commence de l'autre côté de la rue.
A partir de cet exemple, chacun comprend bien que l'Europe que nous souhaitons n'est pas seulement une Europe en représentation, mais une Europe en acte qui se définit d'abord par un mode de relations entre les hommes.
Entendez-moi bien, cette Europe telle que je la perçois et qui peut trouver dans les relations particulières entretenues de part et d'autre de notre frontière commune quelque chose d'exemplaire, n'est pas l'Europe des régions qui préluderait à je ne sais quel fédéralisme. Je l'ai dit, il n'est pas question pour l'Etat de renoncer à ses prérogatives ni à ses responsabilités propres. De même, il n'est pas question, à travers la décentralisation telle que nous la concevons, de priver les citoyens des garanties essentielles qui leur sont apportées par les règlements mis en place au niveau national.
En revanche, nous ne pouvons qu'appeler de nos voeux une Europe plus solidaire au niveau des régions. A cet égard, je suis convaincu que la France a un rôle décisif à jouer. Ne serait-ce qu'en raison de sa position géographique. Elle est à la fois ouverte sur l'Atlantique et sur la Méditerranée et solidement ancrée au coeur de l'Europe. Elle a une frontière commune avec la quasi totalité des pays membres de la Communauté, et ses affinités culturelles avec chacun d'entre ses voisins demeurent en dépit d'un centralisme qui a eu le mérite de faire d'un "agrégat inconstitué de peuples désunis", selon la formule de Mirabeau, un Etat et une nation unitaires.
Cette France qui a choisi le changement, est prête à jouer la carte d'une Europe plus solidaire au niveau des régions.
II) Le défi du développement
Pour que l'Europe trouve les voies de son indépendance, il faut qu'elle retrouve les chemins de la croissance. Depuis près de dix ans, les démocraties occidentales se sont dotées, pour répondre à la crise, de politiques de déflation. Elles conduisent à remettre en cause les systèmes de protection sociale. Ces réponses sont inadaptées.
MILTON FRIEDMAN et ses disciples portent, me semble-t-il, une lourde responsabilité dans la prolongation de la crise que nous traversons. Je ne crois pas, en effet, que la conduite de l'économie d'un pays moderne puisse se réduire au contrôle de la quantité de monnaie.
Croyez bien que, pour autant, la gauche a su tirer les leçons de l'histoire. Il me semble que le Gouvernement que je dirige en a déjà apporté la preuve ces derniers mois. Nous sommes pleinement conscients que sans une monnaie stable, une inflation maîtrisée, une épargne abondante et des circuits financiers en bon état de marche, nous ne parviendrons pas à réaliser nos objectifs, notamment en matière d'emploi.
Mais quels sont les résultats obtenus par les politiques de déflation ? En France, chacun a bien vu qu'ils n'avaient pas convaincu la majorité de mes compatriotes. Aux Etats-Unis, la production baisse à nouveau alors que le chômage augmente et que le rythme de hausse des prix a été, en 1981, supérieur à celui de 1980 en dépit d'une baisse de 2% du prix des matières premières importées.
La montée vertigineuse du chômage est devenue un phénomène commun à tous les pays occidentaux. Il a pris toute son ampleur avec la première crise pétrolière. On a parlé alors de phénomène conjoncturel que la reprise ne tarderai pas à effacer. Mais la croissance n'a toujours pas retrouvé son rythme antérieur alors que près d'une décennie s'est écoulée. Des politiques spécifiques ont certes été mises en place, mais elles ont eu pour effet d'atténuer les conséquences sociales du chômage plutôt que de le réduire.
La récession de 1980-1981, dont la durée est sans précédent depuis la dernière guerre, nous a fait franchir de nouveaux seuils : il y a aujourd'hui plus de 10 millions de chômeurs dans la Communauté et 9 millions aux Etats-Unis. Dans les deux cas, il s'agit de près de 10% de la population active. Et les perspectives de la démographie et de la croissance ne permettent pas d'attendre une amélioration significative au cours des prochaines années, à moins d'une action vigoureuse.
Face à cette évolution désastreuse, la résignation et l'égoïsme sont des comportements fréquents. La montée du chômage est présentée comme la conséquence inéluctable de la révolution technologique et d'une nouvelle répartition de la production à l'échelle mondiale. Il s'agirait, en quelque sorte, du prix à payer pour le maintien de notre compétitivité et la sauvegarde du bien-être du plus grand nombre. Nous ne pouvons nous satisfaire d'une telle approche.
Le chômage n'est pas un solde économique comme un autre, au même titre que la balance du commerce extérieur ou les réserves de change. Le travail est un droit. Et, bien plus, c'est un mode essentiel d'insertion sociale. Les femmes le savent bien qui, de plus en plus nombreuses, aspirent à une plus grande autonomie sociale grâce à un travail salarié. C'est donc un devoir à l'égard de nos concitoyens que de se donner les moyens de garantir le droit au travail.
J'ajoute que l'évolution du chômage dans nos sociétés tend à en faire un fléau. Son extension à toutes les catégories, l'importance qu'il prend chez les jeunes, l'allongement de sa durée moyenne modifient profondément la façon dont il est vécu ou ressenti. L'inégalité s'accentue entre ceux qui disposent d'un emploi stable, du confort de revenus assurés et ceux qui connaissent des situations précaires marquées par des phases de chômage répétées, voire par l'exclusion durable du marché du travail.
Cette inégalité est d'ordre, financier, mais aussi d'ordre moral. Même bien indemnisé, le chômeur se sent atteint dans sa dignité, il perd son identité sociale.
Ce clivage menace la cohésion de nos sociétés. On l'a déjà observé dans certains secteurs géographiques. On a pu constater le lien qui s'établit avec la progression d'une petite délinquance quotidienne. Une forme de délinquance qui, beaucoup plus que les crimes de sang, contribue à cette impression d'insécurité ressentie par nombre de nos contemporains.
Fléau social, le chômage est également un fléau économique. En France, son coût représente environ 3% du PIB, plus de cent milliards de francs.
Les politiques menées dans le passé n'ont pas donné de résultats satisfaisants parce qu'elles ne faisaient pas de l'emploi une priorité. Elles se contentaient de soigner les symptômes, sans attaquer la racine du mal. Or la réduction progressive du sous-emploi suppose une modification profonde des comportements et donc ure volonté politique inébranlable capable de faire triompher la solidarité nationale.
Notre démarche est parfois présentée de façon sommaire. En réalité, nous nous méfions de tout dogmatisme, de l'application de principes rigides dont certaines expériences récentes ont montré les dangers quand on les pousse à l'extrême. Notre action se veut donc pragmatique. Elle mêle les méthodes éprouvées et les innovations. Elle vise à promouvoir simultanément le progrès économique et le progrès social. Je me bornerai à en rappeler les grands axes et à souligner ce qui fait son originalité.
Aller au maximum de la croissance possible dans le contexte actuel, mener une action directe sur l'emploi, tels sont les deux axes de notre lutte contre le chômage.
La croissance, nous l'obtiendrons par une action simultanée sur la demande et sur l'offre. Les premières mesures que nous avons prises, cet été, ont eu pour objet de réanimer l'économie. Il s'agissait de donner l'impulsion initiale permettant d'enclencher la reprise.
Les résultats de cette relance sont maintenant tangibles : l'activité du commerce s'est redressée, la demande industrielle progresse depuis l'été et commence à entraîner la production ; la baisse des effectifs s'est interrompue ; la croissance du chômage ralentit alors qu'elle s'accélère dans plusieurs pays européens. L'investissement demeure le domaine le plus préoccupant. Depuis plus de cinq ans, nous accumulons, dans le secteur privé, un retard sensible.
Il est clair en effet qu'une relance de la demande trouve rapidement ses limites si elle ne s'accompagne pas d'une action vigoureuse sur l'offre.
Si l'impulsion initiale a été donnée par le biais de la consommation et du budget, elle doit, à présent, être relayée par l'investissement et déboucher sur une reprise soutenue et équilibrée.
Vous voyez que le Gouvernement est tout à fait conscient de ce risque. Une détérioration des grands équilibres compromettrait durablement le redressement engagé. Mais nous pensons l'avoir évité en mesurant l'effort de relance, en l'orientant de façon à ne pas trop peser sur le déficit extérieur, et surtout en engageant une action sur l'offre qui constitue le deuxième volet de notre politique.
Le renforcement de notre potentiel industriel est au centre de cette action. Un effort de recherche considérable, l'élargissement du secteur public, la création d'un environnement financier favorable à la reprise de l'investissement, tels sont les instruments d'une politique industrielle volontariste qui est un élément de réponse à la crise économique.
Nous sommes également conscients des contraintes que nous impose le contexte international. Nous avons donc fixé une limite au déficit de nos finances publiques et mis en place un dispositif de lutte contre l'inflation qui commence à produire ses effets.
Réamorcer la croissance dans le respect des grands équilibres, telle est donc la première arme de notre lutte contre le chômage. Mais la croissance à elle seule ne suffira pas à réduire le chômage. Pour simplement le stabiliser à son niveau actuel, elle devrait être de 4 à 5%, rythme qui paraît hors de portée à court terme. C'est là qu'intervient le troisième volet de notre action contre le chômage, et sa principale originalité : une politique spécifique de l'emploi, dont le partage du travail est l'élément essentiel.
Au cours des dernières années, la baisse de la durée du travail, qui était continue depuis des décennies, a eu tendance à ralentir, dans plusieurs pays européens. En France, elle a même pratiquement stoppé durant les sept dernières années alors que, paradoxalement le chômage connaissait une progression vertigineuse.
Nous voulons réamorcer le processus de réduction de la durée du travail, raisonnablement, afin, ici, de réduire les pertes d'emplois, là, d'accroître le nombre des emplois créés.
Certains mettent toutefois en doute l'impact d'une politique de partage du travail sur la création d'emplois. De nombreuses études ont mis en évidence les conditions nécessaires pour que la baisse du temps de travail débouche sur d'importantes créations d'emplois. Il faut que les entreprises trouvent, dans une meilleure utilisation des équipements et une plus grande souplesse d'organisation, une contrepartie à un éventuel alourdissement des charges salariales. Elles doivent pouvoir en profiter pour améliorer leur compétitivité. Il convient donc que les salariés acceptent une évolution modérée des revenus et une nouvelle organisation de leur travail en échange de l'amélioration de leurs conditions de vie. La règle que nous nous sommes fixée est le maintien du pouvoir d'achat moyen avec un rattrapage pour les bas revenus.
Cette adaptation des entreprises, ce partage du travail, nécessitent en conséquence un effort de solidarité nationale.
Pour favoriser une prise de conscience et permettre que s'exprime ce sentiment, le Gouvernement a mis en place une procédure exceptionnelle : les contrats de solidarité. L'Etat passe ainsi avec les entreprises de toutes natures, les établissements publics et les collectivités locales, des accords aux termes desquels il apporte son aide aux investissements qu'exige souvent la modification des processus de production et de l'organisation du travail, dans les cas de réduction sensible de la durée. Il rend possible l'embauche de chômeurs par des départs anticipés et volontaires à la retraite. Il favorise partout les initiatives créatrices d'emploi.
Par ces dispositions, par l'importance laissée à la négociation contractuelle, par le souci de préserver la nécessaire flexibilité du processus de production, nous nous engageons dans la seule voie qui puisse conduire à une réduction significative du chômage, en complément d'une croissance qui restera insuffisante. La réduction de la durée du travail permettra de créer ou de libérer, au cours des deux prochaines années, 250.000 Emplois.
Cette action, engagée dans le cadre national français, correspond tout à fait à la résolution du Conseil des Communautés Européennes du 27 novembre 1981, concernant l'aménagement du temps de travail. Je souhaite donc, ardemment, que notre démarche ne demeure pas isolée, et que ce projet pour la France devienne un projet pour l'Europe.
La mise en place d'une politique communautaire destinée à lutter contre le chômage est aujourd'hui un impératif, aussi bien social qu'économique.
La construction européenne a besoin d'un grand projet, nous dit-on. J'en suis persuadé. Quel meilleur projet que de mobiliser les énergies autour du problème numéro un de tous les pays membres : le chômage ?
Pour que nos politiques économiques et sociales produisent leur efficacité maximum, il est indispensable que les pays de la Communauté avancent d'un même pas. Actuellement, les écarts de durée annuelle du travail entre les Etats-membres atteignent 20%, la France se situant un peu au-dessus de la moyenne communautaire. Ces écarts trouvent leur contrepartie dans des niveaux différents de productivité et de salaires. Ils subsisteront certainement longtemps. Il ne s'agit pas de les effacer. Mais le rythme moyen de la baisse a ralenti au cours des dernières années. Nous jugeons cette évolution absurde dans un contexte de forte croissance du chômage. Il nous faut relancer le mouvement, dans le cadre d'un projet communautaire. Le moment nous semble favorable pour mettre en oeuvre, de manière coordonnée, une telle action.
La nécessité d'accélérer le partage du travail devrait vite s'imposer à la plupart des Etats membres dans la mesure où le chômage atteint partout des seuils critiques et où les déficits publics laissent peu de marge de manoeuvre pour des stimulations budgétaires. A condition de le mener avec prudence et sélectivité, le partage du travail apparaît alors comme la seule réponse au problème du chômage qui n'implique qu'un coût marginal.
Le poids économique de la Communauté, son autonomie, sont suffisants pour qu'une telle politique commune réussisse. Le moment est propice. L'expérience montre que l'adaptation de l'appareil de production, les changements dans l'organisation du travail sont facilités par la croissance économique. Or, la reprise de l'activité, attendue pour le milieu de l'année, même si elle reste modérée, constitue un élément favorable.
La France, vous le savez, a fait plusieurs propositions qui ont été prises en compte lors du dernier conseil européen.
Je vous en rappelle rapidement l'essentiel :
- Nous demandons une nouvelle réunion du Conseil Conjoint des Ministres de l'Economie, du Travail et des Affaires Sociales en 1982.
- Dans le même esprit, une cellule d'évaluation des politiques de l'emploi, au sein de laquelle les partenaires sociaux seront représentés, doit être créée avec pour mission d'analyser les politiques et moyens de lutte contre le chômage mis en oeuvre dans les Etats-membres.
- Les instruments communautaires existants et tout particulièrement le Fonds Social Européen doivent être aménagés de manière à intervenir, à titre prioritaire, en faveur de la création d'emplois et de l'aménagement ou de la réduction du temps de travail.
- La résolution du Conseil du 27 novembre 1981 sur l'aménagement du temps de travail doit faire l'objet de propositions de la part de la Commission concernant les modes de réduction de la durée du travail dans le respect des équilibres économiques, la limitation des heures supplémentaires et la création de la cinquième équipe dans les processus de production continue.
La Commission recevra un soutien actif de la France pour la mise en oeuvre de cette résolution. Nous appuierons toute initiative communautaire allant dans le sens d'une politique de lutte contre le chômage dynamique et innovatrice. Nous estimons, en effet, que le rôle de la Communauté en matière d'emploi ne peut plus se borner à une simple redistribution.
Toutes ces propositions figurent dans le memorandum français sur la relance européenne. Elles constituent l'axe principal de cet "espace social européen" proposé par François Mitterrand et à la définition duquel nous sommes très attachés.
Dans l'esprit du gouvernement français, la notion d'"espace social européen" correspond à trois objectifs principaux :
1°) placer l'emploi au centre des politiques communautaires. Je viens de m'en expliquer de manière détaillée ;
2°) améliorer la coopération et la concertation en matière de protection sociale. A ce sujet, nous demandons notamment l'établissement d'un budget social européen qui soit l'occasion d'une discussion annuelle sur les principaux aspects de la protection sociale ;
3°) intensifier le dialogue social au plan communautaire comme à celui des différents Etats-membres. Permettez-moi d'insister sur ce point.
La lutte commune contre le chômage, et plus généralement le développement d'un "espace social européen", nécessitent la rénovation de nos structures économiques et sociales. Cette rénovation ne peut se réaliser que dans la mesure où les rapports entre partenaires sociaux seront dynamisés. Or, le dialogue social est devenu de pure forme au plan communautaire, quand il n'est pas bloqué.
Pour favoriser la relance de ce dialogue, nous avons proposé que la Commission prenne l'initiative d'organiser un colloque réunissant les représentants des Etats-membres, des instances communautaires, des syndicats et des employeurs. Ce colloque devrait porter sur les orientations d'avenir de la politique sociale communautaire et particulièrement sur les actions concrètes à entreprendre pour répondre au problème de l'emploi.
Cet ensemble de propositions, nous souhaitons bien sûr, le voir enrichi par l'apport de nos partenaires.
Je ne voudrais pas terminer ce chapitre consacré au développement et à la croissance sans élargir mon propos au-delà de nos frontières communautaires. Car la poursuite de la croissance à long terme de nos économies implique une réorganisation des relations économiques internationales. Chacun d'entre nous sait bien que le déséquilibre Nord-Sud actuel ne peut être indéfiniment maintenu. Il y va de notre avenir commun.
Il s'agit là d'un sujet qui, à lui seul, mériterait une conférence et je ne l'évoquerai donc que dans ses grandes lignes. Mais j'insiste sur le fait qu'il s'agit, indiscutablement, d'un des défis majeurs auquel nous sommes aujourd'hui confrontés.
La France, pour sa part, insiste sur la nécessité d'un dialogue Nord-Sud rénové. Cette nécessité a été réaffirmée lors de la conférence de Cancun en octobre dernier au Mexique. Nul n'a oublié les propos tenus, à cette occasion, par François Mitterrand.
Je suis convaincu que les ensembles régionaux, les communautés politiques et économiques et singulièrement l'Europe communautaire, ne remplissent véritablement leurs fonctions que s'ils se donnent pour but de développer pleinement les capacités matérielles et spirituelles des hommes qui les composent et savent les mobiliser pour un idéal d'épanouissement et d'entraide.
Quand on mesure l'injustice qui frappe les pays les plus pauvres, quand on considère les conséquences de la hausse du coût de l'énergie et de la crise économique mondiale, le renforcement des interventions des institutions financières internationales, l'extension de l'aide publique au développement et des investissements privés, un meilleur accès des pays du Tiers-monde aux marchés mondiaux apparaissent comme des mesures non seulement indispensables mais urgentes. Dans le cadre des conventions de LOMÉ, l'Europe a ouvert, dans ce domaine, des voies qu'il nous a paru bon de proposer à l'ensemble de nos partenaires lors de la Conférence de PARIS sur les pays les moins avancés.
A cette occasion, des objectifs quantitatifs ont été proposés. S'ils étaient atteints - et la France s'y est, pour sa part, engagée - ils constitueraient en soi un progrès substantiel. Mais au-delà, c'est à une mobilisation de notre potentiel humain, scientifique, technologique, qu'il faut appeler en même temps qu'à une augmentation et à une diversification des échanges entre les pays du Nord et du Sud.
Je suis en effet persuadé qu'une politique volontariste d'aide et de coopération empruntant des voies nouvelles - celles qui furent tracées à CANCUN notamment - contribuera au déblocage de l'économie mondiale et à nous sorti de la crise à laquelle nous sommes tous confrontés, les pays dits avancés" comme les nations prolétaires.
III) Le défi de l'homme
Je pense qu'au fil de mes propos vous avez constaté que ce qui sous-tend nos réponses aux défis de l'avenir c'est une conception de l'homme, de sa liberté et de sa dignité. C'est avec ce défi de l'homme que je voudrais conclure.
Je parlais à l'instant du dialogue Nord-Sud. Il ne peut être envisagé uniquement en termes d'échanges économiques. L'homme doit être pris en compte. Et dans ce domaine, je suis fier du bilan que la France a déjà su réaliser en quelques mois. Je pense à la politique que nous avons mise en oeuvre au profit des immigrés. Il n'est pas question des réfugiés politiques de toutes origines qui trouvent en France, comme en d'autres pays d'Europe, un asile dont nous avons tenu à réaffirmer le droit. C'est là la vocation traditionnelle de nos pays démocratiques que d'offrir un refuge à ceux qui sont persécutés pour leurs opinions quelle que soit leur provenance.
Je pense à ces centaines de milliers de travailleurs, venus pour la plupart des pays du Sud, qui chez nous comme chez vous ont contribué - et de quelle manière ! - pendant les années soixante et au début de la dernière décennie, au temps de la prospérité donc, à notre croissance économique.
La crise étant là, certains n'ont pas résisté à la tentation de faire des immigrés les "boucs émissaires" du chômage.
A l'inverse, l'une des premières préoccupations du Gouvernement français a été d'abroger un ensemble de textes et de dispositions qui attentaient à la dignité de ces hommes, à la sécurité de ces familles. Leur contribution à notre richesse a été trop précieuse pour que nous l'oublions aujourd'hui. Nous ne voulons pas avoir à rougir du sort qui leur est fait dans notre pays.
Certes, nous avons pris des mesures pour arrêter les flux migratoires et nous avons renforcé les contrôles aux frontières, en concertation d'ailleurs avec nos partenaires traditionnellement exportateurs de main d'oeuvre. Agir différemment eut été irresponsable dès lors que la situation du marché de l'emploi ne permettait plus d'utiliser une main d'oeuvre émigrée supplémentaire. Mais, dans le même temps, nous nous sommes efforcés, par une série de mesures législatives et réglementaires, de redonner aux immigrés un véritable "droit de cité" en France.
Nous avons voulu mettre fin à la précarité de leur situation, tout en défendant leurs droits à l'identité afin qu'ils ne soient pas réduits au dilemme : assimilation ou retour.
Nous nous refusons à faire appel à de nouveaux immigrés je le disais à l'instant, mais nous entendons que tous ceux qui se sont établis en France, puissent y rester, s'ils le désirent, en bénéficiant de garanties renforcées. Nous avons mis fin à la crainte permanente de l'expulsion en suspendant les procédures en cours et en préparant une nouvelle loi sur ce point.
Nous avons mis fin, aussi, à la crainte permanente du non renouvellement des titres de travail ou de séjour en prévoyant leur reconduction pour tous ceux qui étaient régulièrement installés en France, sans tenir compte de la situation de l'emploi.
Nous avons réaffirmé le droit des immigrés à mener une vie familiale qui leur était, jusqu'alors, déniée. C'est-à-dire que nous leur avons enfin reconnu des droits aussi élémentaires que le droit au mariage, en supprimant la notion d'autorisation, le droit au regroupement familial, le droit à sortir de la clandestinité grâce à la régularisation des travailleurs sans papiers.
Enfin, et c'est je crois fondamental, nous nous sommes efforcés de sortir les immigrés de la situation de non-doit dans laquelle nombre d'entre eux se trouvaient soit par le fait des "donneurs d'ouvrages" qui tirent bénéfice du travail clandestin, soit, tout simplement, en raison d'une information insuffisante des intéressés eux-mêmes sur les droits auxquels ils pouvaient légitimement prétendre.
Dans cet esprit, je mentionnerai également le droit à la dignité des hommes. Nous avons supprimé le contrôle d'identité en fonction de la tête des gens.
Droit à la dignité toujours grâce à une insertion sociale dans le respect des identités culturelles. Il s'agit d'une politique de longue haleine mais qui trouve un début de réalisation avec la création des zones d'éducation prioritaires. Ces zones permettent d'affecter davantage de moyens, et notamment d'enseignants, aux écoles où les besoins sont les plus importants, c'est-à-dire là où les enfants d'immigrés sont souvent nombreux.
Il ne s'agit là, bien sûr, que d'un aspect particulier de ce que j'appelle le défi de l'homme. Car bien d'autres problèmes nous sont posés à ce niveau.
Alors que nos sociétés d'Europe occidentale constituent de plus en plus une sorte d'îlot de démocratie dans un univers dominé par diverses formes de totalitarisme, alors que les garanties offertes aux citoyens et les modes de régulation de nos sociétés s'affinent, nous constatons par exemple que la violence tend, malgré tout, à devenir une forme habituelle d'expression de certaines minorités. Les écologistes d'il y a dix-quinze ans usaient du langage des fleurs. Aujourd'hui, ils montent volontiers à l'assaut casqués et armés. Et je ne crois pas que ce changement de méthode élargisse leur influence, bien au contraire.
L'usage de la violence à des fins politiques est, plus que jamais, au coeur des relations internationales. Nos pays ne peuvent ignorer cette question qui peut tout aussi bien gangréner nos vies intérieures que compromettre la paix dans le monde.
Nous assistons, depuis quelques temps, à un détournement, et dans certains cas je n'hésite pas à dire à un dévoiement, de la règle qui figure sur la déclaration universelle des droits de l'homme et qui précise que la révolte est le "suprême recours" contre "la tyrannie et l'oppression". Dans nos sociétés d'Europe occidentale, alors que nos peuples se prononcent par le biais d'élections libres, peuvent user de voies de recours contre l'arbitraire, bénéficient d'une information pluraliste, peuvent promouvoir les droits collectifs des travailleurs, nul n'est fondé à user de ce recours suprême.
Autant il nous semble de notre devoir d'aider les cheminements quelquefois difficiles vers la démocratie - et nous l'avons fait, pour le Salvador par exemple, par le biais d'une déclaration commune avec le Mexique - autant il nous semble que l'utilisation de la violence à des fins politiques n'est pas de mise dans nos démocraties occidentales. Il s'agit alors non seulement d'une grave atteinte aux libertés mais surtout d'une grave erreur politique.
Mais la fermeté dont nous devons faire preuve à ce niveau implique que nous fassions montre d'une fermeté équivalente dans la défense des droits de l'homme à travers le monde. Car la "course aux atrocités" gangrène notre planète. La torture, les disparitions forcées, les arrestations massives, les exécutions sommaires deviennent, dans trop de pays, de simples pratiques administratives.
Je sais bien que face à cette situation on nous oppose le principe de la souveraineté des Etats et sa conséquence : la non ingérence dans les affaires intérieures. Mais doit-on admettre, en son nom, qu'en l'absence de tout contrôle effectif, on puisse tout à la fois adhérer à des principes humanitaires consacrés par la Communautés des Etats et faire de l'arbitraire une méthode de Gouvernement ?
Un contrôle s'impose à l'évidence. Dans ce domaine les organisations et comités qui se constituent à partir de la mobilisation directe de l'opinion publique jouent certainement un rôle irremplaçable. Mais nous devons faire plus. L'idéal serait de mettre en place une Cour internationale des Droits de l'Homme.
Je n'ignore pas que toutes les initiatives prises en ce sens à l'ONU ont avorté. Toutes ont buté sur le fameux principe de non-ingérence. Mais, là encore, l'Europe a ouvert une voie avec la Convention Européenne des droits de l'homme et la Cour de Strasbourg. Et je regrette que la France ait mis vingt-trois ans à ratifier cette convention. Vous avez pu constater que, dès mon arrivée à la tête du Gouvernement, j'ai fait en sorte que chaque citoyen français puisse en appeler à la Cour européenne. Cette contrainte nous l'acceptons au nom de notre conception de la démocratie.
Car, voyez-vous, Mesdames, Messieurs, je crois à la nécessité d'une morale, d'une morale personnelle et d'une morale sociale. Et, si vous le permettez et sans oublier dans quel cadre je m'exprime, d'une morale qui n'implique pas l'appartenance à une Eglise même si chacun sait bien que, dans notre civilisation, cette morale sera nécessairement issue d'un humanisme chrétien.
Jamais l'homme n'a été aussi isolé, aussi éclaté, comme le notait le sociologue américain David Riesman. Il a pu, un temps, penser se réaliser à travers une consommation débridée. L'arrêt de la croissance a brisé ce mythe. Il lui faut à présent retrouver un cadre collectif, une règle du jeu, un élan et un espoir. Il lui faut prendre en main l'organisation de son destin.
Paul Valéry l'écrivait déjà en 1935 : "Chacun de nous sent bien que les conditions se font de plus en plus étroites, de plus en plus brutales, de plus en plus instables, tellement qu'au sein de la civilisation la plus puissamment équipée, la plus riche en matière utilisable et en énergie, la plus savante en fait d'organisation et de distribution des idées et des choses, voici que la vie individuelle tend à redevenir précaire, aussi inquiète, aussi harcelée et plus anxieuse que l'était la vie des lointains primitifs. Les nations elles-mêmes ne se comportent-elles point comme des tribus étrangement fermées, naïvement égoïstes ?".
Avons-nous vraiment progressé depuis 1935 ?
La crise de l'homme a rejoint celle de la société. Il est temps de refaire de l'homme la mesure de toute chose. Ne pourrions-nous, Mesdames et Messieurs, faire de ce mot d'ordre notre objectif commun, celui qui ferait, en quelque sorte, la somme des défis de l'avenir.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie.