Interview de Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, à Europe 1 le 5 septembre 2016, sur la ratification de l'accord de Paris sur le climat par les Etats-Unis et la Chine, la polémique sur les "boues rouges" de l'usine de Gardanne et l'élection présidentielle.

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Média : Europe 1

Texte intégral

THOMAS SOTTO
L'interview politique d'Europe 1. Jean-Pierre ELKABBACH, vous recevez ce matin la ministre de l'Environnement, de l'Energie et de la Mer, autrement dit, Ségolène ROYAL. Madame, monsieur, c'est à vous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qu'est-ce que je lui dis ? Soyez la bienvenue. Ségolène ROYAL, bonjour.
SEGOLENE ROYAL
Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La chancelière MERKEL est battue dans son fief, par l'extrême droite allemande qui progresse. Sa générosité initiale à l'égard des réfugiés est sanctionnée. Qu'est-ce que vous pensez de cette défaite, à la fois politique et symbolique ?
SEGOLENE ROYAL
Bon, vous comprendrez qu'Angela MERKEL, elle-même, n'ayant pas encore réagi à une élection qui concerne son pays, je ne me permettrais pas à l'instant, à l'improviste, de commenter ces résultats. Je crois qu'il lui appartient de le faire en premier lieu.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais, c'est un test pour l'Europe, c'est un test pour l'Allemagne, est-ce que c'est un test pour l'Europe et pour la France, à cause de ce qui se passe avec les immigrés ou plutôt avec les réfugiés, les migrants ?
SEGOLENE ROYAL
Ecoutez, toutes les élections ont un sens, bien évidemment, maintenant ne nous précipitons pas pour en tirer des conséquences ou des leçons hâtives, il faut prendre le temps d'analyser ces résultats, et comme je viens de le dire, de laisser la chancelière allemande faire les premiers commentaires à ce sujet, je n'en dirai pas plus.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais la progression de l'extrême droite en Allemagne, ça vous laisse froide.
SEGOLENE ROYAL
Non, absolument pas, mais je crois qu'il y a des règles, et c'est des règles de courtoisie, et ces règles de courtoisie, je me les impose à son égard.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord, mais Marine LE PEN n'a pas les mêmes règles de courtoisie, elle a félicité l'extrême droite allemande, elle se réjouit peut-être un peu tôt, mais qu'est-ce que vous en pensez ? Elle s'est débarrassée d'ailleurs du logo Front national, est-ce qu'elle a plus de chances d'être en final en 2017, à votre avis, elle ?
SEGOLENE ROYAL
Sur ce sujet-là, je viens de vous répondre, donc je vais attendre que madame MERKEL fasse ses observations.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non non non, mais là pour... même l'extrême droite.
SEGOLENE ROYAL
Vous n'obtiendrez rien.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Même l'extrême droite en France...
SEGOLENE ROYAL
Non, je ne veux pas instrumentaliser des élections régionales allemandes, pour en tirer des conséquences sur la politique française, je pense que ce n'est pas de ma responsabilité, et ce ne serait pas responsable de ma part.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est déjà un grand débat en Allemagne, mais ça promet des commentaires que vous allez peut être faire, sur ce qui vous concerne, à la fois l'accord qui s'est produit entre la Chine et les Etats-Unis, qui ont ratifié l'accord de Paris, mais en même temps sur la politique française. Le G20 de Hangzhou a bien commencé. Ce succès sur l'accord Chine, etc., de la COP21, est-ce qu'il sera appliqué au début de l'an prochain ?
SEGOLENE ROYAL
C'est en effet un grand évènement qui vient de se dérouler. Pourquoi ? Parce que les deux pays les plus pollueurs de la planète, les Etats-Unis et la Chine, viennent de décider concrètement l'adhésion à l'accord de Paris, c'est-à-dire qu'ils s'engagent à prendre des décisions concrètes pour diminuer la pollution et pour diminuer le réchauffement planétaire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Personne n'y croyait il y a quelques mois, à leur signature.
SEGOLENE ROYAL
Personne n'y croyait, ça veut dire quoi...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Surtout qu'ils représentent 40 % des émissions de gaz de serre sur la planète, tous les deux.
SEGOLENE ROYAL
Exactement. Ça veut dire d'abord que le réchauffement climatique frappe leur propre pays, souvenons-nous des incendies terribles aux Etats-Unis d'Amérique, souvenons-nous de la pollution de l'air en Chine. Personne n'est épargné aujourd'hui par les conséquences dramatiques de ce réchauffement, donc tout le monde a envie d'agir, ça c'est la bonne nouvelle, et en plus ça crée des activités et des emplois. Je crois aussi que c'est ce que ces deux pays voient, comme nous le voyons nous en France, qui avons déjà ratifié, qui avons voté la loi de transition énergétique, qui sommes en avance sur la finance verte, c'est parce que nous savons également, et c'est ma priorité, c'est la priorité du gouvernement, de faire en sorte que la transition énergétique et écologique crée le maximum d'activités et d'emploi.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous pensez que d'autres pays vont suivre, avec des progrès, lors de la COP22 de Marrakech, au Maroc, à la fin de l'année ?
SEGOLENE ROYAL
Il faudrait même que ces progrès se fassent avant. Aujourd'hui mon combat, c'est sur l'adhésion de tous les pays européens. C'est plus difficile, parce qu'il faut, à 27 et même 28, puisque le Royaume-Uni ayant signé l'accord de Paris, doit également le ratifier, ensuite il faut un débat au Parlement européen, qui aura lieu début octobre, et j'ai bon espoir, même si c'est très difficile, et même si on nous disait que c'était impossible, que l'Europe également soit autour de la table, alors que justement l'Europe a été en avance, l'Europe fait déjà beaucoup sur la transition énergétique, il y aura aussi l'Inde, donc je me rends en Inde en octobre...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La Russie, etc.
SEGOLENE ROYAL
... pour mettre en place la coalition solaire, parce que, ce qu'il faut voir aussi, c'est que derrière ces adhésions, il y a des actions très opérationnelles, comme l'accord sur le solaire, les énergies...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Sur le solaire, les éoliennes.
SEGOLENE ROYAL
Le traitement des déchets, la gestion de l'eau, la lutte contre la désertification, la question des forêts, de l'agriculture durable, de l'océan, donc...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce sont des milliards d'investissements, peut-être des emplois...
SEGOLENE ROYAL
Des milliards d'investissements.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
... mais ça il faut le démontrer. Mais enfin, c'est une bonne nouvelle...
SEGOLENE ROYAL
Très bonne nouvelle.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et un succès pour vous, Ségolène ROYAL, pour Laurent FABIUS...
SEGOLENE ROYAL
C'est collectif, bien sûr.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et d'abord pour le président de la République, qui en avait besoin.
SEGOLENE ROYAL
Absolument.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il en avait besoin, lui.
SEGOLENE ROYAL
C'est pas ça, c'est que c'est lui qui a décidé que la conférence sur le climat se tiendrait à Paris, à un moment où aucun pays ne voulait organiser cette conférence climat, pensant que ce serait un échec. Et en plus, cette conférence climat en France, nous a permis aussi d'être à l'avant-garde de la transition énergétique et nous a rendu, crédible, c'est pour ça que j'ai tenu à ce que par exemple la loi de transition énergétique soit votée avant la conférence du climat, c'est-à-dire que la France s'applique à elle-même les principes et les valeurs, ce qu'elle recommande à l'échelle de la planète, et ça c'est une mission extraordinaire pour la France.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ségolène ROYAL, les ténors de la droite, les candidats à l'Elysée, publient en ce moment leurs projets, je ne sais pas si vous avez eu le temps de les lire, est-ce que vous croyez qu'ils accordent autant d'importance que vous à la transition énergétique ?
SEGOLENE ROYAL
Il n'y a pas grand-chose sur l'écologie, souvenez-vous aussi de cette fameuse phrase : « L'écologie, ça commence à bien faire, l'environnement ça commence à bien faire ». Il n'y a pas grand-chose dans le programme, et en même temps, je dois dire que lors des débats sur la loi biodiversité, la création de l'Agence nationale de la biodiversité, là aussi c'est une grande première mondiale, que la France a décidé, j'ai trouvé l'opposition constructive au cours de ces débats...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc l'idée de l'écologie progresse...
SEGOLENE ROYAL
Elle progresse, il n'y a pas grand-chose, pratiquement rien dans les programmes des candidats de la droite, mais je pense que certains élus de droite, qui sont sur les territoires, je le vois sur les territoires à énergie positive que j'ai créés, il y a des élus aussi de centre, de droite, qui s'engagent dans la transition énergétique, parce qu'ils voient que sur le terrain, c'est absolument indispensable.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ségolène ROYAL, la polémique sur les boues rouges, elle est relancée. Il y a huit mois, il y avait un arbitrage qui avait été rendu par le Premier ministre, les analyses en cours seront connues dans le courant du mois de septembre, vous, vous pensez qu'elles vous seront favorables ?
SEGOLENE ROYAL
Je crois que ce qui est en jeu, c'est la réconciliation entre l'économie et l'écologie. J'ai toujours pensé, avec le concept de croissance verte, que la protection de l'environnement et la valorisation de l'environnement, était une des clefs de la croissance et de la création d'emploi et d'avenir. Donc il faut aider les sites industriels qui ne correspondent plus aux normes, qui polluent, qui créent des désastres sanitaires, à lutter, à transiter, à faire autre chose.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que c'est encore le cas ? Parce que France Nature Environnement pense que désormais 95 % de la pollution est supprimé et les patrons de l'usine de Gardanne ALTEO, disent que les déchets rejetés sont tellement travaillés, que les boues ne sont plus rouges.
SEGOLENE ROYAL
Le problème c'est que les boues sont stockées au sol, donc elles créent aussi des désastres sanitaires, sans doute au sol, c'est ça qui est en cours d'investigation, et l'autorisation qui avait été donnée au départ, c'était à condition que les boues stockées au sol soient recyclées d'une part et qu'il y ait zéro rejet. Aujourd'hui, les rejets dépassent encore les normes. Donc il faut continuer...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il faut continuer, mais...
SEGOLENE ROYAL
Il faut continuer à faire des efforts, et si ça n'est pas possible, il faut organiser la transition industrielle, et plus on traine à faire les transitions industrielles, plus c'est difficile. Il faut savoir aussi que la pollution détruit des emplois. Moi je refuse d'opposer l'emploi à la protection de l'environnement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça veut dire... Vous croyez que le président HOLLANDE a besoin d'une querelle de plus dans son gouvernement, pour le Premier ministre et l'importante ministre que vous êtes ?
SEGOLENE ROYAL
Ce n'est pas une querelle...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est un désaccord.
SEGOLENE ROYAL
Thalassa fait un reportage, Thalassa m'interroge, en disant : « Comment se sont prises les décisions ? ». Moi je dis la vérité des choses, la transparence des choses. On ne peut pas transformer tous les éléments de transparence en querelles. Non, il faut que les choses soient dites à un moment, et d'ailleurs ce gouvernement fait énormément pour l'environnement, je ne veux pas qu'à l'occasion de ce problème, on puisse dire : « Eh bien finalement, rien ne se fait pour l'environnement », parce que le Premier ministre lui-même est très engagé pour...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous pouvez vous mettre d'accord avec le Premier ministre.
SEGOLENE ROYAL
Il faut trouver une solution, nous allons le faire, je vais aussi travailler avec Michel SAPIN, le ministre de l'Economie, pour trouver une solution industrielle pour assurer la mutation de ce site, si les résultats de la fin septembre ne sont pas conformes aux normes, la loi doit s'appliquer à tous, et en voilà assez des systèmes où quelques-uns s'enrichissent, en polluant l'environnement de tous les autres.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ségolène ROYAL, le président sortant, aujourd'hui il est si impopulaire, est-ce qu'il doit sortir de la compétition présidentielle, avant d'être sorti ?
SEGOLENE ROYAL
Jean-Pierre ELKABBACH, vous savez, vous venez de dire à l'instant, moi j'ai comme mission de réussir la COP21 et de mobiliser les pays du monde entier, quelque soit leur sensibilité politique, pour faire en sorte que d'ici la fin de l'année, cet accord très important sur le climat, qui est aussi un accord pour la paix, pour la sécurité, pour l'alimentation, etc. …
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais vous ne me répondez pas. Vous ne me répondez pas.
SEGOLENE ROYAL
Si, je veux dire par là que maintenant, les questions que vous posez, qui sont très importantes, relèvent de la responsabilité des partis politiques, c'est entre...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais là il s'agit du président de la République.
SEGOLENE ROYAL
Il y a une compétition démocratique qui s'ouvre, qui est parfaitement légitime, qui est digne, c'est le fonctionnement de la République et de la démocratie, c'est aujourd'hui entre les mains des partis politiques, qui organisent des primaires, donc ne dénigrons pas...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien, mais le président actuel, est-ce qu'il doit accélérer son calendrier ?
SEGOLENE ROYAL
Le président actuel est à la tâche, je peux vous le dire, et tout le gouvernement le sait, il travaille avec acharnement, pour faire en sorte que, à la fois sur la scène internationale, la France continue à peser, et la France pèse, et la France est écoutée sur la scène internationale, sur tous les domaines...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais la plupart des gens en France considèrent que la gauche a perdu, et lui aussi, déjà.
SEGOLENE ROYAL
Mais, écoutez, attendons les échéances électorales. Aujourd'hui, je le répète...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc, il sera là.
SEGOLENE ROYAL
Mais c'est à lui d'en... le moment venu, comme il l'a dit, aujourd'hui c'est l'organisation des primaires, les choses sont entre les mains des partis politiques, il faut qu'elles se passent le mieux possible.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On comprend, on comprend ce que vous voulez, dire, mais qu'est-ce que vous pensez d'Emmanuel MACRON qui vient de passer son dimanche à critiquer le gouvernement auquel vous participez et auquel il appartenait, et qui dit : « On n'a fait que les choses à moitié. On n'est pas allé jusqu'au bout, on n'est pas à moitié » ? Qu'est-ce que vous pensez de la fabrique du phénomène MACRON ?
SEGOLENE ROYAL
Moi, je ne suis pas une commentatrice des uns et des autres.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, mais justement, l'action...
SEGOLENE ROYAL
Ce que je peux vous dire...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'acteur que vous êtes.
SEGOLENE ROYAL
Ce que je peux vous dire, c'est que sur les sujets qui me concernent, grâce à l'engagement du gouvernement, du président de la République et au travail acharné que je fais, au service de l‘environnement, nous allons jusqu'au bout des choses, et d'ailleurs c'est reconnu sur la scène internationale, puisque la France est...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non mais lui ?
SEGOLENE ROYAL
Non mais vous me posez une question pour savoir si nous allons jusqu'au bout des choses, je vous dis oui, nous allons jusqu'au bout des choses, nous menons les combats qui doivent être menés et en particulier cette réussite exceptionnelle de la Conférence climat, c'est un service que la France a rendu à l'ensemble de la planète.
THOMAS SOTTO
Merci.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci à vous.
THOMAS SOTTO
Merci Ségolène ROYAL d'être venue, demain c'est Bruno RETAILLEAU qui sera votre invité, Jean-Pierre.Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 septembre 2016