Texte intégral
LÉA SALAME
Rebonjour Jean-Jacques URVOAS. Un comité d'accueil vous a accueilli ce matin à votre arrivée à Fresnes, des surveillants de prisons qui ne sont pas contents, ils disent qu'ils viennent travailler tous les matins avec la peur au ventre. Est-ce que c'est normal ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Bonjour. C'est évidemment pas normal et c'est d'ailleurs pour ça que je suis, comment dire, content que vous ayez pu faire cette émission dans un établissement pénitentiaire. Parce que je crois qu'il est temps que la société se rende compte de la place que jouent les prisons dans le pacte social, dans la paix sociale. L'administration pénitentiaire est la troisième force de sécurité. Elle joue un rôle irremplaçable et vraiment un rôle d'avenir. Et c'est vrai qu'aujourd'hui il y a beaucoup de problèmes dans la détention. J'ai dit chez un de vos confrères il n'y a pas très longtemps que les prisons annonçaient nos malheurs de demain. Et parce que je ne veux pas faire de catastrophisme nous sommes là pour apporter des réponses. Et les surveillants que j'ai vus tout à l'heure, en arrivant, je leur ai effectivement dit que nous créons des postes, nous essayons d'améliorer leurs conditions de travail.
LÉA SALAME
Alors évidemment ils demandent plus d'effectifs
JEAN-JACQUES URVOAS
Ils ont raison.
LÉA SALAME
Est-ce que vous avez un chiffre à nous donner sur les effectifs de
JEAN-JACQUES URVOAS
Bien sur, je peux vous dire combien nous avons recruté en 2016 et combien nous allons recruter en 2017. Nous avons recruté 2100 surveillants de prisons l'année dernière, trois promotions sont passées dans l'école d'Agen ; et nous allons l'année prochaine en recruter 2500. Par éléments de comparaison la dernière année du mandat de Nicolas SARKOZY il y avait 872 surveillants de prisons qui ont été recrutés.
LÉA SALAME
Oui mais quand on leur parle - et moi je leur ai parlé devant la prison de Fresnes - ce n'est pas seulement le problème d'effectifs dont ils parlent, ils parlent de ces fameuses unités dédiées, qu'on appelle maintenant unité de prévention de la radicalisation, où sont mis les détenus les plus radicalisés. Ils disent « ça ne marche pas », les unités dédiées sont testées dans 5 prisons en France depuis le mois de janvier, ils disent, les surveillants de prisons « ça ne marche pas, il y a des agressions », il y a eu deux agressions violentes à la prison d'Osny la semaine dernière. Ils veulent que vous fermiez ces unités dédiées.
JEAN-JACQUES URVOAS
Je ne vais pas les fermer ; d'abord par principe, puisque ce sont des expérimentations et que nous avons besoin d'avoir des nouvelles pistes de d'actions pour régler ce problème de la radicalisation en prison. Ce qui est évidemment intolérable, ce sont les agressions, mais les agressions il y en a dans tous les établissements de France, et c'est en ça que c'est désagréable .
LÉA SALAME
Est-ce qu'il n'y en a pas plus dans les unités ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, justement paradoxalement il y en a moins. Dans cette maison d'arrêt de Fresnes il y a eu depuis le début de l'année, c'est 158 agressions physiques. L'année dernière en France il y a eu 4000 agressions physiques ; et voyez-vous une agression contre un personnel de surveillance, que ça soit dans une unité de prévention de la radicalisation ou que ce soit dans n'importe quelle coursive, pour moi c'est intolérable.
LÉA SALAME
Mais monsieur le ministre, ils disent qu'ils ne sont pas assez formés, ce qu'ils disent c'est qu'il faut mettre ces détenus radicalisés dans des établissements particuliers avec des petites structures, avec 200 personnes et un personnel spécialement formé. C'est aussi ce que dit, ce que propose, ce que veut Nicolas SARKOZY.
JEAN-JACQUES URVOAS
I y a une urgence, ais je ne veux pas agir avec précipitation. Les organisations syndicales, à bon droit, quand ont été créées les unités de prévention de la radicalisation au début de l'année avaient critiqué parce que c'était fait dans la précipitation. Donc moi j'écoute les organisations syndicales. Depuis maintenant quelques semaines nous évaluons le travail qui est fait. Les personnels qui y servent - et je veux leur rendre hommage parce que je les vois toutes les semaines servent avec volontaire, ils sont tous volontaires pour venir, et donc il faut que nous nous servions de leur expérience parce que vous avez dit « il y a eu cinq unités dédiées », aucune de ces cinq ne se ressemblent. À Annoeullin par exemple, il y a 15 détenus, ils sont traités individuellement ; à Osny nous fonctionnons sur des principes de groupe ; à Fresnes, nous avons encore une méthode d'approche parce que nous avons ce problème des unités dédiées Madame SALAME, mais dans l'ensemble de la détention, dans les 186 établissements, il y a 1500 détenus que nous considérons comme étant radicalisés, donc je ne veux pas régler le problème à Fresnes, à Osny ou à Lille, je veux m'attaquer au problème dans tous les établissements.
LÉA SALAME
Ces unités dédiées doivent théoriquement être étendues à plus de 20 prisons, est-ce que vous allez le faire ou pas ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais je ne sais pas. Non, non, je n'ai jamais dit que j'allais étendre les unités dédiées dans 27 établissements. J'ai dit que j'allais créer dans 27 établissements des programmes de prévention de la radicalisation, ce n'est pas la même chose. Parce que par exemple il y a une idée, regroupement de tous les détenus radicalisés dans un établissement. J'entends mes adversaires de l'opposition le dire, alors s'il faut se nourrir de ce qui a été fait dans les autres pays, et on va en pendre juste deux. En Grande-Bretagne, ils avaient regroupé tous les détenus de l'IRA dans un bâtiment, ça s'est traduit par des désordres considérables. Au Liban, l'année dernière, le régime a mis tous les détenus dans la prison de Roumieh, ceux qui étaient au Hezbollah, eh bien quelques semaines après c'est l'armée qui a été appelée pour reprendre le contrôle de l'établissement, parce que ces détenus avaient proclamé le califat. Je ne veux pas qu'il y ait ce regroupement en France parce que ce sont des bombes à retardement. Mon sujet c'est de régler dans les 186 établissements cette question de la radicalisation.
LÉA SALAME
Vous avez entendu à 7h43 monsieur le ministre le témoignage ce détenu qui parle de la « cocotte minute » de Fresnes, il parle de la promiscuité, de la saleté, il parle des cris la nuit, il décrit ses conditions dégradantes. J'ai l'impression qu'on les entend tout le temps ces mêmes témoignages de détenus et rien ne change.
JEAN-JACQUES URVOAS
Vous êtes dans une prison qui a été construite en 1898, et quand j'entendais ce détenu j'avais l'impression qu'il me parlait de 1898. Et c'est cela qu'il faut combattre.
LÉA SALAME
Et pourquoi ça ne change pas ? Vous dites tous, les Gardes des Sceaux se suivent et se ressemblent et disent la même chose et ne font pas.
JEAN-JACQUES URVOAS
Exactement. Ca ne change pas, parce que la surpopulation casse tout. Ca exténue les personnels. Ils sont lassés de leur travail. Ils viennent dans ce métier pas pour faire du lieu de la garde, pas pour faire du stock, mais ils sont là pour pratiquer la réinsertion. Vous avez très justement dit tout à l'heure qu'on ressort de prison, en moyenne c'est 10 mois en prison. Si on ressort en étant beaucoup plus déterminé à lutter contre la société, alors la prison n'aura pas accompli une partie de sa mission.
LÉA SALAME
C'est un constat, vous proposez quoi ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, eh bien il faut des moyens. C'est la raison pour laquelle le Premier ministre a dit l'autre jour qu'il fallait maintenant engager des travaux. Nous n'allons pas régler les problèmes en quelques semaines, ils datent de plusieurs dizaines d'années. Simplement nous allons agir avec détermination comme nous essayons de le faire depuis maintenant quatre ans, parce que nous construisons des prisons, nous recrutons des personnels, nous améliorons les conditions de travail. Les surveillants nous disent « vous n'en faites pas assez », ils ont raison.
LÉA SALAME
Manuel VALLS a donc donné la semaine dernière le chiffre de 10 000 places de prisons construites d'ici dix ans chiffrées à 3 milliards d'euros. Est-ce que ce sont des chiffres que vous pouvez nous confirmer ce matin ? Est-ce que vous allez construire 10 000 places de prisons d'ici dix ans ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Eh bien écoutez dans deux heures je vais faire une conférence de presse dans laquelle j'aurais l'occasion de préciser tout cela, et donc si vous me réinvitez au journal de France Inter à midi ou à 13h je vous promets qu'on en reparlera.
LÉA SALAME
Je sais bien que vous ne voulez pas donner le chiffre mais est-ce qu'on peut estimer que ce sera plus que le chiffre de 10 000 que donne Manuel VALLS ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Eh bien écoutez dans deux heures je fais une conférence de presse dans laquelle j'ai l'intention de préciser mon programme et donc je me permets de vous inviter à la conférence de presse.
LÉA SALAME
Une question sur les fichés S, Nicolas SARKOZY veut les enfermer dans des centres de rétention, est-ce qu'il a forcément tort ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui. Il a deux fois tort. Il a tort parce que le Conseil d'Etat a déjà dit que juridiquement c'était dans notre pays impossible. On parle toujours de cette belle formule de l'état de droit, je ne suis pas sur que tout le monde comprenne exactement ce que ça veut dire, alors retenons simplement les deux mots « Etat et droit ». Les droits dans notre pays
LÉA SALAME
Et les Français vous diront « sécurité ».
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, eh bien ce n'est pas incompatible. L'état de droit c'est la garantie des libertés individuelles. Si on se met à enfermer par la peur de l'autre ou pour le plaisir de l'un, ça s'appelle l'arbitraire. Et les juristes appellent ça l'état de police. Je préfère l'état de droit.
LÉA SALAME
Monsieur URVOAS, on a vu des tentatives d'attentat ces dernières semaines, par des femmes et des mineurs, est-ce qu'elles sont en train de devenir des nouvelles cibles privilégiées de Daesh ?
JEAN-JACQUES URVOAS
C'est malheureusement un objectif qui était distingué il y a quelques déjà plusieurs mois, nous avions repéré ce qui allait devenir une difficulté, les femmes, que nous avons longtemps pensé être assignées à des fonctions de logistique sur les théâtres de guerre, et nous avons maintenant toutes les raisons de penser sur des observations pratiques et sur le terrain qu'elles sont devenues des combattantes, et que donc le moment où elles vont revenir sur le territoire il faut l'anticiper ; c'est vrai aussi des mineurs parce qu'il y a des mineurs qui sont déjà sur les théâtres de guerre qui ont déjà pratiqué des actes de barbarie, et donc il faut que à la fois sur le plan sécurité, sur le plan juridique nous anticipions leur retour parce que certains reviendront, mais parce que nous sommes capables de diagnostiquer nous sommes aussi capables de faire la thérapie.
LÉA SALAME
Merci à vous Jean-Jacques URVOAS d'avoir été avec nous ce matin en direct de la prison de Fresnes sur France Inter et belle journée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 septembre 2016